ANALYSE 2015 LE STATUT D ARTISTE EXISTE-T-IL? Une publication ARC - Action et Recherche Culturelles asbl



Documents pareils
AVIS N 68 DU BUREAU DU CONSEIL DE L EGALITE DES CHANCES ENTRE HOMMES ET FEMMES DU 14 FEVRIER 2003, RELATIF AU TRAVAIL AUTORISÉ POUR LES PENSIONNÉS :

Réformes socio-économiques

BELGIQUE. 1. Principes généraux.

Royaume-Uni. Conditions d ouverture des droits. Indicateurs essentiels. Royaume-Uni : le système de retraite en 2012

> Guide 28 juillet 2008

FAQ sur le metteur en scène

Comité sectoriel de la sécurité sociale et de la santé Section sécurité sociale

Résumé de la réforme des pensions février 2012

travailler en france frontalière Guide pratique du travailleur frontalier

Les allocations familiales après 18 ans : pour qui et comment?

Contrat d adaptation professionnelle INFORMATIONS A L USAGE DE L ENTREPRISE FORMATRICE ET DE SON SECRETARIAT SOCIAL

Comité sectoriel de la Sécurité sociale et de la Santé Section «Sécurité sociale»

La réforme des pensions expliquée

Quel statut social pour les artistes en Belgique?

régime d assurance collective

LES RÈGLES D INDEMNISATION DE L ASSURANCE CHÔMAGE CONVENTION D ASSURANCE CHÔMAGE DU 14 MAI 2014

éclairages QUI SONT LES ALLOCATAIRES INDEMNISÉS PAR L ASSURANCE CHÔMAGE? Près de 3 demandeurs d emploi sur 5 sont couverts par l Assurance chômage

CONGÉS ET AMÉNAGEMENTS DU TEMPS DE TRAVAIL LORS DE LA NAISSANCE D UN ENFANT juin 2011

Les sept piliers de la sécurité sociale

Tout dossier incomplet ou ne parvenant pas dans les délais impartis sera irrecevable.

Nouvel élu? Solidaris vous informe

Le statut social des travailleurs indépendants Indépendant complémentaire

LISTE DES DOCUMENTS A FOURNIR A L APPUI DE VOTRE DEMANDE DE BOURSE

REGLEMENT D INTERVENTION BOURSES D ETUDES POUR LES FORMATIONS SANITAIRES ET SOCIALES

GUIDE RETRAITE COMPLÉMENTAIRE AGIRC ET ARRCO LE LIVRET DU RETRAITÉ. n o 2. Le livret du retraité

LISTE DES DOCUMENTS A FOURNIR A L APPUI DE VOTRE DEMANDE DE BOURSE

MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA SANTÉ. Assurance maladie, maternité, décès. Direction de la sécurité sociale

Focus. Lien entre rémunération du travail et allocation de chômage

Module 1. Formation à la structure Mutuelle et aux outils d'accès aux soins de santé

Renvoyer tous les documents dûment complétés et signés à : Acerta Caisse d Allocations Familiales asbl, BP 24000, B-1000 Bruxelles (Centre de Monnaie)

La prise en compte du travail à temps partiel dans les droits à retraite des différents régimes

LISTE DES DOCUMENTS A FOURNIR A L APPUI DE VOTRE DEMANDE DE BOURSE Documents à fournir quelle que soit votre situation :

AMMA vous épaule en toutes circonstances.

Aujourd hui, il est consultant dans les domaines de Paie, Déclarations et Ressources Humaines.

COMMENTAIRE DU FORMULAIRE DE DEMANDE 2015

les derniers salaires qui comptent

SUR LES RETRAITES PAR REPARTITION DU SECTEUR PRIVE ET LES FONDS DE PENSION

Quelles sont les conditions de travail de l apprenti?

Prenons ces mesures une à une pour mieux saisir la portée de ces changements.

Évaluation et recommandations

La pension de vieillesse au Luxembourg: réglementation et modalités de calcul. Florence Navarro

Lexique de la CIMR. Les termes les plus courants sur la retraite et leur définition

Plateforme électorale Ecolo Elections fédérales du 13 juin Axe Emploi et Solidarité. PME - Indépendants

CONSTAT N 2 : PLUS MAIGRE LA PENSION!

Mes droits aux vacances. ... en survol

Les problématiques des régimes d assurance vieillesse. des professions libérales

Impact du travail à l étranger pour un intermittent du spectacle. Indemnisation chômage et cotisations sociales. Table ronde du 30 mai 2013 Strasbourg

La Convention de sécurité sociale franco-coréenne. Ses implications pour les ressortissants français

Le gouvernement du Canada offre un

Quelle est l influence d une réduction des prestations d 1/5, via le crédit-temps et l interruption de carrière, sur le revenu du ménage?

Convention d assurance chômage

CCBMAD - FICHE PRATIQUE N 1

Les mesures d accès aux soins de santé de la sécurité sociale

La Réforme de la fiscalité dans l Horeca

REGLEMENT INTERIEUR DE LA CAISSE AUTONOME DES RETRAITES

GUIDE DE LA RETRAITE DES ARTISTES AUTEURS

Quand arrive la retraite La rente de retraite du Régime de rentes du Québec et les autres sources de revenu à la retraite

France. Conditions d ouverture des droits. Calcul des prestations. Indicateurs essentiels. France : le système de retraite en 2012

Quelques remarques générales à propos. de la responsabilité civile des administrateurs d une ASBL dans le monde du sport

LE CHOMAGE PARTIEL GROUPE ALPHA SECAFI ALPHA ALPHA CONSEIL. Bordeaux Lille Lyon Marseille Metz Nantes Paris Toulouse

Participation des employeurs publics au financement de la protection sociale complémentaire. L analyse de la MNT sur le projet de décret

Comité sectoriel de la Sécurité sociale et de la Santé Section «Sécurité sociale»

Présentation des dispositifs d épargne retraite individuelle et collective

2. FRANCE - Plus-values Cession de fonds de commerce et clientèles libérales

2. LE REGIME DE SECURITE SOCIALE

DOCUMENT POUR REMPLIR LA DÉCLARATION DES REVENUS DE 2013

info ACTUALITÉ JURIDIQUE DROIT FISCAL Déclaration des revenus 2014 au titre des revenus 2013 Opérations particulières concernant les coopérateurs

Les assurances sociales et le travail à temps partiel

UNE PROTECTION OPTIMALE POUR VOTRE ENTREPRISE

REGIME DE PREVOYANCE CONVENTIONNEL OBLIGATOIRE

Vivre sa retraite complémentaire Mémento du retraité

C ONFEDERATION DES O RGANISATIONS DE J EUNESSE. Indépendantes et Pluralistes ASBL. Secrétaire générale

Instructions aux employeurs

Dépenses nationales totales

Guide. Frontalier. Suisse

Document de réflexion - RACHETER OU NE PAS RACHETER?

Quand arrive la retraite

ACCORD RELATIF AU COMPTE EPARGNE TEMPS

Fiche n 1 : Personnel salarié Chargé d enseignement vacataire

Une distinction peut être faite entre différents types de plans de pension en fonction de la méthode de financement.

GERANCE MINORITAIRE OU MAJORITAIRE : QUEL EST LE MEILLEUR STATUT?

CIRCULAIRE N 13 du 22 octobre 2002

LES GARANTIES DU REGIME CONVENTIONNEL DES CADRES DE LA PRODUCTION AGRICOLE

Protection sociale. 1 Les différents régimes de protection sociale en France

Site portail des Urssaf Employeurs > Comité d'entreprise > Vos salariés - Vos cotisations > Base de calcul

B. L ENGAGEMENT DE PRISE EN CHARGE COMME PREUVE DE MOYENS DE SUBSISTANCE SUFFISANTS (Annexe 3bis)

Quel est le régime d assurance maladie applicable à l artiste de spectacle vivant, mobile dans la Grande Région?

GUIDE PRATIQUE DE LA SARL

La Régie des rentes du Québec

LETTRE CIRCULAIRE n

Une distinction peut être faite entre différents types de plans de pension en fonction de la méthode de financement :

Pension complémentaire construction CP 124

Document d information n o 1 sur les pensions

Je travaille au Grand-Duché de Luxembourg,

Guide pratique de l épargnant

La mise en ordre de mutuelle

ACCORD D ENTREPRISE RELATIF AU DEPART ANTICIPE DE FIN DE CARRIERE APPLICATION POUR L ANNEE 2010

A VOTRE SITUATION PERSONNELLE ET PROFESSIONNELLE (1/5)

Complémentaire santé PQSR (Pas de Question Sans Réponse) Questions sur la négociation de l accord :

Transcription:

ANALYSE 2015 LE STATUT D ARTISTE EXISTE-T-IL? Par Romain Leloup Paula Bouffioux asbl Avec le soutien du service de l Éducation permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles

2 Comment l artiste bénéficie-t-il d une protection sociale? L artiste au chômage est-il un artiste ou un chômeur? Les règles sociales appliquées aux artistes sont-elles toujours adaptées? Réflexions autour de ce qu on appelle le statut d artiste. Une analyse de Romain Leloup La question du statut social de l artiste est une question centrale du secteur culturel en Belgique. Récemment, dans le rapport intermédiaire de la plate-forme de réflexion sur le secteur culturel en Belgique francophone «Bouger les lignes» 1, la question du statut social de l artiste est ressortie comme étant la priorité numéro un des artistes. Et pourtant, ce débat agite le secteur depuis bien longtemps. Il reste donc toujours, après tant d années, un enjeu majeur des politiques culturelles. La présente contribution ne se veut pas exhaustive. Elle propose de cerner les bases de la question et d en tirer certaines considérations. Nous analyserons d abord comment les artistes accèdent à la sécurité sociale. Nous verrons ensuite le statut des artistes au chômage. Enfin, nous proposerons quelques réflexions sur le statut tel qu il est construit aujourd hui. L ARTISTE ET LA SÉCURITÉ SOCIALE Tout travailleur belge doit contribuer au financement de la sécurité sociale. Une partie de sa rémunération sert à ce financement. L assujettissement à la sécurité sociale se fait essentiellement par deux portes : soit via le statut de travailleur indépendant, soit via le statut de travailleur salarié. Le travailleur indépendant verse lui-même directement les cotisations sociales à sa caisse de cotisations sociales. Ces cotisations sont calculées par trimestre sur la base d un pourcentage de ses revenus, avec un montant minimum et un montant maximum. Ces cotisations lui donnent accès à une sécurité sociale «light» puisque sa possibilité de pouvoir bénéficier d un revenu de remplacement lorsqu il ne peut pas travailler est limitée. Par conséquent, l entame d un travail sous le statut de travailleur indépendant nécessite la garantie d un revenu régulier permettant d en assumer les contraintes financières. Un indépendant doit avoir une activité économique lui permettant d avoir les reins financiers relativement solides. Le travailleur salarié verse également des cotisations sociales calculées sur un pourcentage de son salaire, mais ces cotisations sociales sont prélevées à la base, de sorte que celles-ci sont payées à l Office national de sécurité sociale par son employeur. 1 http://www.tracernospolitiquesculturelles.be/wp-content/uploads/2015/06/artistes-au-centre-synthese-premier-bilan. pdf

3 Ces cotisations sociales lui donnent accès à la sécurité sociale des travailleurs salariés, qui comprend notamment la possibilité de bénéficier d un revenu de remplacement lorsque le travailleur n est pas sous contrat de travail : le chômage. La réalité du travail dans le secteur artistique place le travailleur dans une situation fragile. Son travail dépend des financements des projets auxquels il participe, ces projets sont souvent ponctuels, sans stabilité et un travail important peut être suivi d une période plus calme. On perçoit donc rapidement qu il est plus avantageux, pour l artiste, d entamer un travail sous le statut du travailleur salarié, afin de bénéficier de la protection sociale du chômage pour les périodes non couvertes par un contrat de travail. Et pourtant, il aura fallu attendre 2002 pour que le législateur ouvre la porte de la sécurité sociale des travailleurs salariés aux artistes. Auparavant, beaucoup d artistes avaient recours à des boulots alimentaires, ou à des artifices pour entrer dans le régime de la sécurité sociale des travailleurs salariés. Il était en effet considéré que l élément fondamental du contrat de travail (le lien de subordination entre le travailleur et l employeur) faisait défaut pour un artiste car celui-ci disposait d une liberté créative incompatible avec ce lien de subordination. En 2002, le législateur a mis en place un mécanisme permettant aux artistes d entrer dans le champ d application de la sécurité sociale des travailleurs salariés même lorsque ce lien de subordination faisait défaut 2. Cette réforme de 2002 a ainsi permis à de nombreux artistes de sortir d une zone grise et d entrer dans le champ de la sécurité sociale des travailleurs salariés. Cela leur a permis, par l entremise du chômage, d obtenir une protection sociale effective qui leur faisait jusque-là défaut. L ARTISTE ET LE CHÔMAGE Le bénéfice des allocations de chômage apparait, en Belgique, comme un élément clé dans la pratique professionnelle de nombreux artistes. D une part le chômage permet d assurer une stabilité des revenus de l artiste et d autre part le fait de bénéficier de journées de chômage indemnisées permet à l artiste la prise en compte de ces journées pour bénéficier d autres branches de la sécurité sociale (pension, protection contre l invalidité, ). L ACCÈS AUX ALLOCATIONS DE CHÔMAGE LA RÈGLE DU CACHET Le chômage est un système assuranciel. Cela signifie qu il faut avoir cotisé un certain nombre de jours pour en bénéficier. Ainsi, par exemple, un jeune travailleur de moins de 36 ans devra démontrer 312 journées de travail sur une période de 21 mois précédant la demande d allocations pour 2 Article 1 bis de la loi du 27 juin 1969 révisant l arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs

4 pouvoir en bénéficier. Ce nombre de journées de travail est toutefois difficile à atteindre pour les artistes qui travaillent de manière intermittente et irrégulière. La réglementation prévoit donc, pour ces travailleurs effectuant des activités artistiques, la possibilité de convertir les rémunérations brutes perçues au cachet en journées de travail, afin de justifier du nombre suffisant de journées de travail. Cette règle de conversion est appelée «règle du cachet» 3. Ainsi, par exemple, un guitariste qui jouera lors d un concert (soit 1 journée de travail) et qui recevra, pour ce concert, un cachet de 577,60 pourra justifier, pour l accès au chômage, de 10 journées de travail (soit 577,76 / 57,76 4 = 10). L interprétation actuelle de cette règle par l ONEM considère que les techniciens du secteur artistique (éclairagistes, preneurs de son, ) ne peuvent pas en bénéficier 5. LA PROTECTION DE L INTERMITTENCE LA RÈGLE DU BÛCHERON La pratique artistique est marquée par l intermittence de ses prestations. Les artistes sont donc davantage sujets à rester au chômage durant une grande partie de leur carrière, pour les périodes qui ne sont pas couvertes par un contrat de travail. Or, le système du chômage prévoit une dégressivité plus ou moins rapide du montant des allocations perçues 6. La réglementation a donc prévu un mécanisme visant à limiter la dégressivité des allocations de chômage des travailleurs du secteur artistique, afin de leur permettre de maintenir, tout au long de leur carrière, un revenu de remplacement 7. Cette règle est appelée «règle du bûcheron». Concrètement, à l issue de sa première année de chômage, s il justifie d un certain nombre de journées de travail dans le secteur artistique, l artiste pourra maintenir le montant de son allocation de chômage pour les 12 mois suivants (et ne pas subir ainsi de dégressivité). A l issue de sa deuxième année de chômage et pour les années suivantes, l artiste pourra conserver le montant de ses allocations de chômage à condition de justifier, chaque année, de 3 prestations artistiques. Cette règle est applicable tant aux artistes qu aux techniciens du secteur artistique. Dans le langage courant, ce que l on nomme «statut d artiste» renvoie généralement au bénéfice de cette règle du bûcheron. 3 Article 10 de l arrêté ministériel du 26 novembre 1991 portant les modalités d application de la réglementation du chômage 4 Coefficient de conversion applicable actuellement. 5 Cette interprétation est toutefois contestable. Le texte réglementaire permet en effet d être lu de plusieurs façons. 6 Article 114 de l arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage 7 Article 116 de l arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage

5 AUTRES RÈGLES SPÉCIFIQUES APPLICABLES AUX ARTISTES Sans en faire ici le relevé exhaustif, la réglementation du chômage prévoit également d autres règles spécifiques au secteur artistique. Ainsi, la réglementation prévoit également que : - les rémunérations perçues au cachet par un artiste sont converties, selon un coefficient déterminé, en un nombre de journées qui ne seront pas indemnisées au chômage durant le trimestre suivant 8 ; - les montants perçus par un artiste à titre de droits d auteur ont une influence sur le montant des allocations perçues 9 ; - dans le cadre de l évaluation de sa recherche d emploi, l artiste ne peut refuser qu à certaines conditions un emploi qui lui serait proposé hors du secteur artistique en estimant que cet emploi ne lui serait pas convenable 10. En conclusion, on constate que le statut d artiste tel qu on l entend dans le langage courant regroupe en réalité un ensemble de règles spécifiques qui ne font que se greffer sur un statut plus général de chômeur. LA LOI FACE À LA RÉALITÉ DU SECTEUR ARTISTIQUE La manière dont est construite la protection sociale des artistes appelle plusieurs réflexions. En voici quelques-unes : - Le chômage est-il adapté aux réalités du secteur culturel? L assurance chômage apparait, classiquement, comme étant la branche de la sécurité sociale qui permet à ses bénéficiaires d assurer une stabilité de revenus pour les périodes qui ne sont pas couvertes par un contrat de travail. Cela étant, notre système de chômage est taillé sur mesure pour les personnes qui perdent leur emploi à temps plein après de nombreuses années et qui perçoivent le chômage temporairement dans l attente d un nouvel emploi. Or, le travail dans le secteur artistique ne fonctionne pas sur un modèle de carrière plane. Il est souvent formé par une multi-activité professionnelle 11 dépendante de nombreuses prestations encadrées par des contrats de travail précaires et ponctuels dont la durée dépend souvent du projet artistique et de son financement. Les aménagements de la réglementation du chômage pour les artistes apparaissent alors comme des 8 Article 48bis de l arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage 9 Article 130 de l arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage 10 Article 31 de l arrêté ministériel du 26 novembre 1991 portant les modalités d application de la réglementation du chômage 11 S. CAPIAU, «L artiste, entrepreneur de l incertain», in L artiste, un entrepreneur, Les éditions nouvelles, 2011, p. 171 ; et H. RAJABALY, «Création artistique et conditions de travail», in L artiste au travail, Smart, 2008, p. 24

6 rustines pour faire rentrer dans un schéma classique des situations particulières. L assurance chômage pour les artistes apparait, dans ce cas, comme la moins mauvaise des solutions, quitte à s avérer parfois inadaptée. Le fait que de nombreux artistes doivent fonder leur protection sociale sur l assurance chômage n est toutefois pas une fatalité. Une réflexion plus globale sur leur protection sociale, qui pourrait se situer entre le travailleur salarié et le travailleur indépendant, pourrait être menée. - Le chômage des artistes est-il un subside à la création? Le chômage des artistes est-il un véritable chômage? En effet, la réglementation sur le chômage impose de ne pas travailler lorsque l on perçoit des allocations, et de se rendre disponible sur le marché de l emploi. Or, un artiste émargeant au chômage est-il réellement sans travail? Même au chômage, un artiste est perpétuellement en réflexion et en création. Ainsi, reprenons l exemple de notre guitariste. Il est engagé pour un contrat de travail de trois jours couvrant trois concerts. Ces concerts ont probablement nécessité des heures de répétitions, seul chez lui, qui ne seront pas couvertes par le contrat de travail. Pendant ces heures de répétition, notre guitariste aura émargé au chômage. Les allocations de chômage qu il aura perçues auront en réalité couvert ses heures de répétitions, seul chez lui. Elles n auront donc pas couvert son manque d emploi, mais elles lui auront permis de travailler son art. Le chômage est ainsi devenu, dans une certaine mesure, un subside à la création artistique payé par l Etat fédéral. Or, les subsides à la création artistiques dépendent généralement des Communautés. Ceci pourrait dès lors expliquer certaines crispations politiques autour du débat sur le statut de l artiste. - Le statut de l artiste peut-il faire l objet d une réflexion à long terme? Au lieu de penser un système cohérent correspondant à la réalité de tous les travailleurs du secteur artistique (artistes, techniciens et encadrants), chaque réforme des règles applicables aux artistes n est en réalité qu une réaction politique à certaines zones de turbulences. Ainsi, ce côté réactif du dossier est flagrant quand on se penche sur les deux dernières grandes réformes intervenues. La réforme de 2002 est intervenue suite à la médiatisation de l affaire FONTENEAU, qui a mis en lumière la faible protection sociale que subissaient certains artistes. La dernière réforme de 2013-2014 est intervenue suite à différents changements d interprétation de l ONEM qui ont eu pour effet de modifier la situation de nombreux artistes.

7 Le politique ne remet l ouvrage sur le métier que si l actualité le remet à l agenda. A chaque problème important qu a connu le secteur, la réglementation a connu certaines modifications. Mais chaque adaptation porte déjà en germe les imperfections qui mèneront à la réforme suivante. Ainsi, par exemple, si elle présente des points certainement positifs, un des points noirs de la dernière réforme est l interprétation selon laquelle les techniciens sont exclus de la règle du cachet. Ces modifications, si elles apparaissent nécessaires pour répondre à des problèmes qui se posent, repoussent à chaque fois la nécessité d une réflexion à long terme sur la création d un statut social cohérent et adapté aux réalités du monde artistique. Cette réflexion ne peut s inscrire dans le temps politique actuel, marqué par les échéances électorales. Il serait toutefois bon d entamer ce débat en procédant à des analyses fouillées de la réalité du travail artistique en Belgique et à la mise en place d indicateurs permettant, à terme, de proposer un statut social cohérent aux métiers de la création artistique. CONCLUSION VERS UN STATUT GÉNÉRAL ET PROTECTEUR DU TRAVAILLEUR INTERMITTENT? L artiste, en Belgique, tire sa protection sociale, essentiellement, de son statut, ou de son assimilation au statut des travailleurs salariés. Ce statut de travailleur salarié lui permet d accéder aux allocations de chômage, clé d entrée d une protection sociale effective. Cela étant, le chômage, dans sa construction globale, apparait souvent comme inadapté aux réalités du travail au sein du monde artistique. L artiste apparait comme étant à l avant-garde des modes de travail à venir. Il préfigure le travailleur intermittent, tantôt quasi-indépendant, tantôt quasi-salarié, et met en lumière la nécessité d adapter notre sécurité sociale pour lui assurer une protection sociale. Car c est là que se situe la question centrale du débat sur le statut de l artiste : quelle que soit la manière dont il travaille, comment lui assurer une protection sociale adaptée et effective? Cette question du statut social de l artiste place en quelque sorte l artiste au cœur de sa mission essentielle : nous amener à nous interroger sur nos certitudes pour voir et imaginer le monde différemment. Alors, en piste? Romain Leloup, Avocat

8 Vous vous intéressez à la culture? Vous avez des choses à dire? Envie de vous exprimer? Vous voulez nous faire part d une réflexion critique informée ou relire des analyses? Contactez-nous par mail pour vous inscrire comme sympathisants de recherche, nous vous recontacterons peut-être pour écrire ou relire des analyses! www.arc-culture.be info@arc-culture.be L ARC contribue à la lutte contre les inégalités et les exclusions sociales, culturelles et économiques et œuvre à la promotion et à la défense des droits culturels Editeur responsable : Jean-Michel DEFAWE ARC asbl - rue de l Association 20 à 1000 Bruxelles Toutes nos analyses sont diponibles en ligne sur www.arc-culture.be/analyses