Note TDTE N 40. Ces travaux ont bénéficié du soutien de la Caisse des Dépôts

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Pacte de responsabilité et de solidarité. Observatoire de l économie de Seine-et-Marne Melun, le 16 juin 2014

Transcription:

Note TDTE N 40 Le cumul emploiretraite : un dispositif efficace? Auteur Arnaud Chéron, Professeur des Universités, EDHEC Business School et Université du Mans, chercheur associé à la Chaire Transitions Démographiques, Transitions Economiques Ces travaux ont bénéficié du soutien de la Caisse des Dépôts 20 mars 2014

SOMMAIRE 1. Introduction 2. Le cumul emploi-retraite: un outil de réduction de la taxe sur la prolongation d activité encore trop peu utilisé 3. Le cumul emploi-retraite: un dispositif favorable à l emploi dès 55 ans 4. Les limites à l efficacité du cumul emploi-retraite : quelles mesures pour accompagner le développement de ce dispositif? Principales conclusions de la note La libéralisation engagée en 2009 est propice au développement du cumul emploi-retraite Besoin d un accompagnement du cumul emploi-retraite de politiques de soutien à la demande de travail pour les seniors les moins qualifiés (subventions à la formation) Le développement du recours au cumul emploi-retraite requiert une mise en cohérence du régime d assurance chômage des 50 ans et plus

1. Introduction Les réformes successives du système de retraite en France (2003, 2010 et 2014 pour ne citer que les trois dernières) ont joué sur différents leviers afin de garantir sa pérennité face à l allongement continu de l espérance de vie, allongement au rythme encore actuel d un trimestre tous les deux ans. Ce vieillissement démographique fait peser sur le système de retraite français un risque d implosion financière. Parmi les différents leviers retenus on notera, en particulier, la durée de cotisations (augmentée en 2003, 2010 et 2014), qui atteindra 43 annuités pour les assurés nés à partir du 1 er janvier 1973, l âge minimum légal fixé à 62 ans lors de la réforme adoptée en 2010 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, les surcotes ainsi donc que le dispositif de cumul emploi-retraite mis en place en 2003 (loi dite Fillon), et ayant fait l objet d une importante libéralisation dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale en 2009. L ensemble de ces ajustements poursuivent un même objectif (avec des degrés de contrainte différents on l aura compris), à savoir l augmentation de l âge moyen (ou effectif) de départ en retraite. Au sein de ce panel de mesures, la particularité du cumul-emploi retraite et des surcotes est qu ils font reposer l allongement de la durée d activité sur des choix individuels librement consentis. Ce type de dispositifs est donc particulièrement intéressant puisque ils n imposent pas une même contrainte à des travailleurs fortement hétérogènes, tant par leurs trajectoires professionnelles que leurs états de santé. Toutefois, encore faut-il que le paramétrage de ces dispositifs induise des incitations suffisantes pour effectivement conduire à repousser l âge moyen de départ en retraite, et ainsi œuvrer à la résorption du déficit de notre régime de retraite par répartition.

2. Le cumul emploi-retraite: un outil de réduction de la taxe sur la prolongation d activité encore trop peu utilisé Le cumul emploi-retraite constitue, au même titre que les surcotes, un instrument d incitation à la prolongation d activité, même si des problématiques spécifiques à chacun de ces deux instruments existent. Au-delà du taux plein, c'est-à-dire une fois remplies les obligations liées à l âge minimum légal et aux annuités de cotisations, la poursuite de l activité induit une double taxe : explicite du fait du paiement de cotisations sans qu il y ait ouverture de droits complémentaires, et implicite à cause du renoncement à la pension de retraite à laquelle le travailleur peut prétendre. Le cumul emploi-retraite et les surcotes permettent de réduire cette taxe sur la prolongation d activité. Alors que ces dernières promettent un surcroît de pension si le travailleur poursuit son activité au-delà du taux de plein tout en renonçant durant cette période à son droit à pension, le cumul autorise la perception de tout ou partie de la pension de retraite en complément de la rémunération issue du travail, mais il induit également le paiement de cotisations qui ne donnent pas accès à de nouveaux droits. Du point de vue purement incitatif il est possible de mettre en place un paramétrage du système de surcotes conduisant théoriquement aux mêmes incitations à la prolongation d activité qu un système donné de cumul emploi-retraite ou vice versa. On notera néanmoins que s agissant des surcotes, les gains sont anticipés et actualisés avec un facteur d actualisation qui peut aller croissant avec l âge (la probabilité de décès augmentant avec l âge), alors que s agissant du cumul, les incitations traduisent des gains instantanés susceptibles, pour des montants équivalents, de relativement plus impacter les décisions individuelles de départ en retraite. En revanche, à l inverse, du point de vue des finances publiques, un travailleur qui choisit de décaler son âge de départ à la retraite dans le cadre du système des surcotes implique une économie immédiate pour les caisses de retraites du montant des pensions non versées, avec évidemment un coût futur actualisé lié au surcroît de pensions versées une fois les droits liquidés. 1 Dans le cadre du cumul, le gain net équivaut «simplement» le montant des cotisations perçues pendant la période de poursuite d activité au-delà du taux plein et ne donnant pas accès à de nouveaux droits ; voir Khaskhoussi et Khaskhoussi [2006] pour une comparaison des deux systèmes d incitation selon ces deux points de vue. Afin de véritablement constituer une incitation à la prolongation d activité et contribuer à repousser l âge effectif de départ en retraite en France, le système de cumul emploi-retraite mis 1 Le laps de temps pendant lequel le travailleur renonce à percevoir sa pension de retraite génère des économies auxquelles doivent être ajoutées le rendement lié à la capitalisation, fonction du taux d intérêt de marché.

en place par François Fillon en 2003 a finalement fait l objet de profondes modifications. Initialement, le système en place donnait lieu à des possibilités de recours et un encadrement extrêmement stricts, avec un plafonnement du cumul autorisé et la nécessité de respecter un délai de carence de 6 mois pour exercer une activité chez son employeur. De facto, ce cadre n était pas propice à la poursuite d activité dans l entreprise. La loi de financement de la sécurité sociale de 2009 traduit une importante libéralisation du système organisé autour de l évolution (i) d un cumul inter-régime non réglementé (exemple du salarié retraité qui devient auto-entrepreneur), et (ii) d un cumul intra-régime intégral sous conditions, qui permet de cumuler sa pension avec tous ses revenus d activité dès lors que l ensemble des conditions d accès à une retraite à taux plein sont réunies ; si au moins une de ces conditions n est pas satisfaite, une possibilité de cumul plafonné est néanmoins offerte avec un montant cumulé, pension plus salaires, limité au revenu d activité antérieur ou à 1,6 fois le SMIC 2. On le voit donc, aujourd hui, les entraves «administratives» à la mise en œuvre d un cumul emploi-retraite sont faibles, seule demeurant la nécessité de conclure un nouveau contrat de travail postérieur à la liquidation des droits à la retraite (mais sans délai de carence). Le recul statistique est pour l heure trop limité pour évaluer précisément l impact de cette libéralisation, d autant que cela s inscrit dans un contexte conjoncturel lui-même peu favorable à la poursuite d activité des seniors. Néanmoins, depuis l application de la loi Fillon en 2003, on peut noter une prévalence du cumul emploi-retraite qui progresse, mais qui reste faible: en 2010, on estime à 500 000 le nombre de retraités cumulant leur pension avec des revenus d activité, dont 400 000 dans le cadre du dispositif intra-régime, soit un taux de recours de 9%. Si on se limite aux salariés du régime général, ils étaient 120 000 «cumulards» en 2004 pour 310 000 en 2011 en cumul intra-régime. Par ailleurs, près de la moitié des situations de cumul durent moins de 2 ans, avec un revenu d activité équivalent en moyenne 36% du précédent salaire, suggérant un très large recours au temps partiel ; voir le rapport de Juin 2012 rédigé par la mission «Evaluation du cumul emploi-retraite» de l Inspection Générale des Affaires Sociales pour plus détails sur ce volet statistique. Au bilan, beaucoup a donc été fait en France pour favoriser le recours au cumul emploiretraite, même s il semble encore un peu tôt pour appréhender la portée des effets de ce dispositif libéralisé en matière d âge effectif de départ en retraite. L enjeu est de taille, non seulement dans la perspective de garantir la viabilité financière de notre système de retraite par répartition mais aussi, nous allons le voir, dans la perspective de favoriser l emploi des seniors, dès 55 ans. Une fois précisée la problématique entourant cette question de la relation entre l âge de la retraite et l emploi des seniors, cette note s intéressera dans un dernier temps à l articulation du cumul emploi-retraite avec les autres politiques d emploi existantes, en matière de salaire minimum, de 2 C est la condition la plus favorable qui est retenue.

formation ou d assurance chômage notamment. Si l architecture du cumul emploi-retraite est aujourd hui propice à son utilisation, encore faut-il en effet que les autres mesures en place ne constituent pas une entrave à l essor de ce dispositif.

3. Le cumul emploi-retraite: un dispositif favorable à l emploi dès 55 ans On l a dit, le cumul emploi-retraite constitue un instrument d aide au relèvement de l âge moyen de départ en retraite. Les bienfaits pour l emploi des seniors, bien avant l âge de liquidation des droits à la retraite, ont été documentés tant théoriquement que quantitativement dans les travaux récents de Chéron, Hairault et Langot [2009, 2011, 2014]. Ces travaux relèguent au second plan la question de l âge biologique et soulignent à l inverse le rôle primordial joué par la distance à la sortie du marché du travail : l augmentation de l âge de départ en retraite est à l origine d un effet d horizon positif favorable aux embauches, et constitue aussi un moyen de prévenir certaines destructions d emplois. Un employeur qui subit un choc transitoire de rentabilité défavorable pourra arbitrer en faveur du maintien du poste occupé par un salarié senior s il anticipe que les pertes subies aujourd hui pourront être compensées ultérieurement par des gains, sans qu il lui soit nécessaire de repasser par le marché du recrutement. Si le travailleur est en passe de partir en retraite, cette opportunité n existe pas et l employeur sait qu il devra quoiqu il arrive recruter à nouveau dans le futur, les pertes subies aujourd hui ne pouvant être amorties par des profits futurs avec son salarié actuel. En revanche, si la distance de ce dernier vis-à-vis de la retraite est suffisamment grande, cette option devient crédible et l arbitrage de l employeur peut finalement s avérer favorable au maintien de l emploi du salarié. Dans ce contexte, Chéron [2008] a proposé différentes mesures structurelles d impact de l effet d horizon pour le cas de la France, en distinguant les évaluations par catégorie socioprofessionnelle. Il apparaît qu une hausse d 1 an de l horizon moyen (de l âge effectif de départ en retraite) permettrait d accroître d au minimum 5 points le taux d emploi des 55-59 ans, sachant à titre informatif que la projection d augmentation de l âge moyen de départ en retraite à l horizon 2035 est de 2 ans. La figure 1 reporte une illustration quantitative de ces simulations structurelles pour le cas des Professions Intermédiaires. On notera en particulier que l effet d horizon positif sur l emploi provient principalement de la baisse des sorties de l emploi, l effet sur les créations étant quasi nul. Ce dernier constat est lié à la prise en considération du phénomène d obsolescence des connaissances spécifiques dont sont victimes les salariés qui perdent leur emploi en fin de carrière, devenant chômeurs, et pour lesquels le seul effet d horizon ne suffit pas à les rendre ré-employables aux yeux des employeurs. De façon complémentaire, Chéron, Khaskhoussi, Khaskhoussi et Langot [2009,2013] ont mis en avant le caractère interdépendant des décisions de formation et d âge de liquidation des droits à la retraite des seniors, dans un cadre où la possibilité de cumuler emploi et retraite est offerte. Du simple point de vue de l offre de travail, un horizon court diminue les incitations à se former, et par ricochet est donc défavorable à la productivité et aux salaires à venir, ce qui réduit

in fine les incitations à prolonger son activité. A l inverse, le cumul emploi-retraite peut contribuer à générer un cercle vertueux puisque, en incitant à prolonger son activité, il accroît l horizon de vie sur le marché du travail du salarié, ce qui l incite en amont à se former plus, et conduit à augmenter sa productivité, son salaire, ce qui renforce d autant son incitation à poursuivre son activité, bien rémunérée. Figure 1 : L impact d une augmentation d 1 an de l âge moyen de départ en retraite pour le cas des Professions Intermédiaires* *La figure reporte les simulations des taux annuels de transition et des taux d emploi moyen

4. Les limites à l efficacité du cumul emploi-retraite : quelles mesures pour accompagner le développement de ce dispositif? Si la libéralisation du système de cumul emploi-retraite est aujourd hui largement propice à l utilisation de ce dispositif par les salariés en fin de carrière, il convient d examiner l environnement institutionnel du marché du travail en France, afin de déterminer s il ne rend pas inopérant son efficacité théorique. Or, on notera précisément que l existence d un SMIC et d une assurance chômage spécifique pour les plus de 50 ans sont susceptibles de freiner le recours au cumul emploi-retraite. Sur le premier aspect, Chéron, Khaskhoussi, Khaskhoussi et Langot [2013] ont tout d abord insisté sur le fait que les choix d interruption de son activité et de formation des seniors constituent deux décisions interdépendantes, sous contrainte de la demande de travail et des éventuelles rigidités salariales. Et c est précisément là que le bât blesse : la rigidité à la baisse des salaires induite par le SMIC peut être à l origine d une saturation de la contrainte de demande de travail. En d autres termes, même si le salarié souhaite recourir au cumul emploi-retraite pour prolonger son activité, il se peut que l employeur, face à la contrainte de coût du travail imposé par le SMIC, ne partage pas ce souhait du salarié. Evidemment, on comprendra que cette problématique soit essentiellement réservée aux travailleurs les moins qualifiés, avec un niveau de capital humain et de productivité faibles impliquant que le SMIC s avère être une rigidité contraignante. Là où le cumul emploi-retraite peut constituer un cercle vertueux, à l inverse cette rigidité salariale est à l origine d effets de rétroaction négatifs et cumulatifs : l absence de poursuite d activité - les employeurs ne le souhaitant pas - a par effet de ricochet une incidence négative sur la formation et la productivité du salarié senior. Le corollaire est donc qu il est nécessaire d accompagner le cumul emploi-retraite de politiques de soutien à la demande de travail pour les seniors les moins qualifiés, afin de desserrer cette contrainte imposée par la rigidité salariale. Ceci souligne notamment l intérêt de mettre en place des subventions à la formation continue des employés de 50 ans et plus, ciblées sur les salariés les moins qualifiés. Autre institution dont il convient de discuter : l assurance chômage, et plus précisément le régime spécifique pour les travailleurs de plus de 50 ans. 3 Si le dispositif de Dispense de 3 Les partenaires sociaux se sont récemment saisis de ce dossier, dans le cadre de la renégociation programmée de la convention régissant au sein de l UNEDIC l assurance chômage.

Recherche d Emploi a été définitivement supprimé, aujourd hui encore les seniors bénéficient d un régime relativement plus «avantageux», puisqu ils ont typiquement accès à une indemnisation maintenue 36 mois, contre 23 mois pour les moins de 50 ans. De même, l Allocation Equivalent Retraite ou son successeur, l Allocation Transitoire de Solidarité, assurent un revenu de remplacement pour les demandeurs d emploi qui n ont pas encore atteint l âge minimum légal de départ à la retraite mais disposent du nombre d annuités de cotisations requis. L ensemble de ces dispositifs jouent pleinement leur rôle de garantie de revenus pour les salariés en fin de carrière. Toutefois, comme l ont noté Hairault [2012] et Chéron [2013], ils constituent également un «facilitateur» de destructions d emplois. Ces systèmes contribuent à peser à la hausse sur le coût du travail et interagissent avec l effet d horizon en fin de cycle de vie sur le marché du travail, conduisant in fine à générer des sorties prématurées de l emploi. Ce contexte institutionnel constitue de ce point de vue une entrave à l utilisation du cumul emploiretraite, les salariés en emploi étant évidemment plus susceptibles d y avoir recours que les chômeurs s étant retrouvé en dehors de l emploi, en partie du fait de ce régime spécifique d assurance chômage des seniors. Par conséquent, le développement du recours au cumul emploi-retraite requiert également une mise en cohérence du régime d assurance chômage, et notamment l harmonisation de la durée maximale d indemnisation des plus de 50 ans avec celle des moins de 50 ans.

Références bibliographiques Arnaud Chéron, «Que peut-on attendre d une augmentation de l âge de départ en retraite?», Edhec Position Paper, 2008. Arnaud Chéron, «Pour une réforme de l assurance chômage des 50 ans et plus», Edhec Position Paper, 2013. Arnaud Chéron, Jean-Olivier Hairault et François Langot, «The role of institutions in transatlantic employment differences: a life cycle view», Annals of Economics and Statistics, July/December 2009. Arnaud Chéron, Jean-Olivier Hairault et François Langot, «Age-dependent employment protection», The Economic Journal, December 2011. Arnaud Chéron, Jean-Olivier Hairault et François Langot, «Life Cycle Equilibrium Unemployment», Journal of Labor Economics, October 2013. Arnaud Chéron, Fouad Khaskhoussi, Tarek Khaskhoussi et Langot François Langot, «Incentives schemes to delay retirement and the equilibrium interplay with human capital investment», Economics Bulletin, vol.29 n 1, 2009. Arnaud Chéron, Fouad Khaskhoussi, Tarek Khaskhoussi et Langot François Langot, «Quelles politiques d'incitation à la prolongation d'activité? De l'incidence des investissements en formation et des rigidités salariales», mimeo GAINS, 2013. Jean-Olivier Hairault, «Pour l emploi des seniors : assurance chômage et licenciements», opuscule du CEPREMAP, 2012. Fouad Khaskhoussi, Tarek Khaskhoussi, «Différer l âge de départ en retraite : les effets du cumul emploi-retraite», Revue d Economie Politique, vol 116, 2006.