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Transcription:

Nations Unies AT/DEC/1061 Tribunal administratif Distr. limitée 26 juillet 2002 Français Original: anglais TRIBUNAL ADMINISTRATIF Jugement No 1061 Affaire No 1167 : AHSAN Contre : Le Secrétaire général de l Organisation des Nations Unies LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DES NATIONS UNIES, Composé comme suit : M. Julio Barboza, Premier Vice-Président, assurant la présidence; M. Kevin Haugh, Deuxième Vice-Président; M. Spyridon Flogaitis; Attendu qu à la demande de Zafreen Ahsan, ancienne fonctionnaire du Fonds des Nations Unies pour l enfance (ci-après dénommé l UNICEF), le Président du Tribunal a, avec l accord du défendeur, prorogé au 12 mai 2000 puis, périodiquement, au 31 octobre 2000 le délai pour l introduction d une requête devant le Tribunal; Attendu que, le 28 octobre 2000, la requérante a introduit une requête dans laquelle elle priait le Tribunal : «... 2) D annuler le renvoi sans préavis... 3)... [De réintégrer la requérante], à compter... du 2 septembre 1998, comme assistante de projets de l UNICEF au Bangladesh, [à la classe G-6], avec toutes les indemnités. 4) De lui allouer... les dépens... 5) De lui allouer toute autre mesure de réparation ou prestation que [le Tribunal] jugera appropriée.» Attendu qu à la demande du défendeur, le Président du Tribunal a prorogé au 30 juin 2001 puis, périodiquement, au 31 janvier 2002 le délai pour le dépôt de la réplique du défendeur; Attendu que le défendeur a déposé sa réplique le 30 janvier 2002; Attendu que les faits de la cause sont les suivants : 03-21690 (F) 110403 250403 *0321690*

La requérante est entrée au service de l UNICEF le 14 septembre 1997 comme assistante de projets de classe GS-6 à la Section de la planification des programmes (hors Siège), Module hors Siège de Dhaka et Khulna, Bureau de l UNICEF au Bangladesh, à Dhaka, sur la base d un contrat temporaire de durée déterminée. Le contrat de durée déterminée de la requérante a été prolongé le 1er janvier 1998 et le 1er juillet 1998, la dernière prolongation allant jusqu au 31 décembre 1999. Par lettre du 2 septembre 1998, la Représentante de l UNICEF au Bangladesh («la Représentante») a informé la requérante que «des irrégularités graves» avaient été constatées lors d un examen de ses demandes de remboursement de frais de voyage et que «certains employés du Gouvernement [avaient] fait de graves déclarations au sujet du transfert de fonds alloués au Gouvernement par l UNICEF». En conséquence, la Représentante faisait savoir à la requérante qu en raison de la gravité des allégations, elle était suspendue sans traitement, et qu il avait été décidé de mener une enquête au sujet de ces allégations. Le 26 septembre 1998, la requérante a eu une entrevue avec un fonctionnaire des finances (adjoint de 2e classe), un commis principal aux finances et un membre de l équipe d enquête pour examiner le détail de ses demandes de remboursement de frais de voyage pour la période allant d avril à août 1998. Les déclarations de la requérante ont été consignées dans une «note pour le dossier» de même date. Le 30 novembre, la requérante a été informée que l enquête était achevée. Elle était accusée d avoir fait des attestations fausses dans ses demandes de remboursement de frais de voyage et en outre d avoir reçu d homologues nationaux, sans y avoir été dûment autorisée, des sommes d argent pour a) un programme de thérapeutique orale de réhydratation (TOR) et b) l installation de puits instantanés. Elle aurait donné l argent reçu pour les puits instantanés au Président de l Organisation pour l élimination de la pauvreté (OEP), mais les puits n avaient jamais été installés. Les accusations formelles portées contre elle étaient les suivantes : A. Elle avait fait des attestations fausses dans ses demandes de remboursement de frais de voyage. B. Elle avait abusé de son statut de fonctionnaire international et de sa position à l UNICEF pour obtenir des prêts personnels d homologues nationaux et elle n avait pas rempli les obligations privées qui en avaient résulté. C. Elle avait fait de fausses déclarations à des homologues nationaux et, par ce moyen frauduleux et apparemment à son profit personnel, elle les avait persuadés de lui prêter et/ou de mettre à sa disposition des fonds personnels ou des fonds avancés par l UNICEF aux homologues pour qu ils les consacrent à des activités programmées. La requérante était avisée qu elle devait répondre à ces accusations dans les deux semaines. Dans sa réponse, datée du 21 décembre 1998, elle a nié avoir fait aucune fausse déclaration. Le 16 mars 1999, Mme Karin Sham Poo, Directrice générale adjointe de l UNICEF, a avisé la requérante que son comportement n était pas digne d un fonctionnaire international et témoignait d une incapacité à observer les plus hautes normes d intégrité, d indépendance et d impartialité requises dans sa position, qu il aurait pu compromettre gravement la réputation de l UNICEF et ses relations avec le Gouvernement du Bangladesh, et que la Directrice générale de l UNICEF avait 2 unat_01061_f

décidé de la renvoyer sans préavis conformément à l article 10.2 du Statut du personnel. Le 25 mai 1999, la requérante a demandé le réexamen administratif de son renvoi sans préavis. Le 13 juin, elle a été informée que son cas serait soumis à un comité paritaire de discipline spécial. Le Comité paritaire de discipline a présenté son rapport le 14 décembre 1999. Sa conclusion se lisait en partie comme suit : «Conclusion Après avoir examiné attentivement la documentation dont il était saisi, le Comité paritaire de discipline spécial est d avis que [la requérante] n a réussi à porter à l attention du Comité aucune preuve d une erreur de fait et aucune preuve de partialité ou de parti pris. Elle n a pas non plus établi qu elle avait été privée des garanties d une procédure régulière ou qu une formalité procédurale quelconque avait été enfreinte. Le Comité décide par conséquent qu il n y a pas lieu d entendre personnellement [la requérante] à ce stade. Il n y a pas non plus lieu de faire droit, à ce stade, à la demande [de la requérante] tendant à rouvrir l enquête ou à pouvoir contre-interroger des témoins. En conclusion, le Comité fait savoir à la Directrice générale que la présente affaire n appelle aucune autre suite.» Le 23 décembre 1999, la Directrice générale de l UNICEF a communiqué le rapport du Comité paritaire de discipline à la requérante et informé celle-ci de ce qui suit : «... J ai réexaminé la décision de vous renvoyer sans préavis à la lumière du rapport du Comité et j ai pris note de la conclusion du Comité selon laquelle votre affaire n appelle aucune autre suite. J ai décidé d accepter la recommandation du Comité et de maintenir votre renvoi sans préavis....» Le 28 octobre 2000, la requérante a introduit devant le Tribunal la requête mentionnée plus haut. Attendu que les principaux arguments de la requérante sont les suivants : 1. Les erreurs que la requérante a pu commettre étaient dues à son ignorance et au manque d encadrement; elle a agi dans le seul intérêt de l Organisation. 2. L impartialité de l enquête est douteuse; en effet, c est le superviseur de la requérante, qui l avait priée de démissionner, qui a mené l enquête. 3. En refusant de donner à la requérante la possibilité d être entendue ou de contre-interroger des témoins, le Comité paritaire de discipline a commis une irrégularité de procédure. Attendu que les principaux arguments du défendeur sont les suivants : unat_01061_f 3

1. En décidant de renvoyer la requérante sans préavis, la Directrice générale a valablement exercé son pouvoir discrétionnaire; sa décision n a pas été entachée d irrégularité de fond, d irrégularité de procédure, de motifs illicites, d abus de pouvoir ou d autres considérations non pertinentes. 2. La requérante n a pas observé les normes de conduite requises des membres du personnel en tant que fonctionnaires internationaux. 3. La requérante a bénéficié des garanties d une procédure régulière. 4. L enquête n a pas été inspirée par des motifs illicites, ni entachée de partialité ou d autres considérations non pertinentes. Le Tribunal, ayant délibéré du 4 au 26 juillet 2002, rend le jugement suivant : I. Le Tribunal estime qu avant de conclure que la requérante avait commis une faute grave et de décider qu elle devait être renvoyée sans préavis, l Administration avait entrepris une enquête détaillée et approfondie sur les allégations portées contre la requérante et donné à celle-ci, dans des conditions raisonnables, la possibilité de réfuter ces allégations ou d y répondre et de soumettre les preuves ou observations qu elle pouvait souhaiter présenter. Le Tribunal estime en outre que les raisons des constatations selon lesquelles la requérante avait été coupable de faute étaient énoncées intégralement dans la lettre que Mme Karin Sham Poo, Directrice générale adjointe de l UNICEF, lui avait adressée le 16 mars 1999 et dans le document intitulé «CONSTATATIONS» qui était joint à cette lettre. Le Tribunal estime également que l Administration disposait de preuves largement suffisantes pour corroborer et justifier ses constatations à l encontre de la requérante et il ne peut trouver aucun indice de partialité, de parti pris ou de considérations ou motifs illicites dans la manière dont ces constatations ont été faites. Le Tribunal estime en conséquence que la décision du défendeur de renvoyer la requérante sans préavis conformément à l article 10.2 du Statut du personnel a été prise licitement et régulièrement. II. Lorsque la requérante a demandé l examen de son affaire par le Comité paritaire de discipline spécial, elle a cherché à rouvrir l enquête et à pouvoir apporter des preuves et contre-interroger des témoins. Les attributions et la procédure de ce comité sont énoncées au chapitre 15 du Manuel des ressources humaines de l UNICEF et, dans la mesure où elles sont pertinentes en l espèce, elles sont les suivantes : «Disposition 110.7 Procédure devant le Comité paritaire de discipline a) Le Comité paritaire de discipline doit examiner avec toute la promptitude voulue les affaires qui lui sont soumises et ne rien négliger pour communiquer son avis au Secrétaire général dans un délai de quatre semaines après avoir été saisi de l affaire. b) En principe, la procédure devant le Comité paritaire de discipline est limitée à un exposé écrit des faits de la cause et à de brèves observations et répliques présentées sans délai, oralement ou par écrit. 4 unat_01061_f

Si le comité estime que la déposition du fonctionnaire en cause ou d autres témoins est nécessaire, il peut, à son gré, demander aux intéressés de faire une déposition écrite ou d être entendus par le comité lui-même, par l un de ses membres ou par un autre fonctionnaire commis à cet effet, ou encore recueillir leur déposition par téléphone ou par tout autre mode de communication. c) Chaque comité paritaire de discipline permanent adopte son propre règlement intérieur, qui doit être conforme aux dispositions du présent Règlement du personnel et à toute instruction administrative applicable, ainsi qu aux exigences d une procédure régulière. Les comités spéciaux appliquent le Règlement intérieur du Comité paritaire de discipline du Siège, à moins qu ils ne décident d appliquer un autre règlement, lequel doit être conforme aux exigences d une procédure régulière....» Dans la mesure où ces dispositions visent à conférer au Comité paritaire de discipline spécial un très large pouvoir discrétionnaire quant à la manière de mener ses travaux, il est à peine besoin d ajouter que le Comité exerçait des pouvoirs quasi judiciaires et qu il était par conséquent tenu d exercer ses pouvoirs de manière judiciaire et non pas arbitraire ou capricieuse. III. La requérante prétend que le Comité paritaire de discipline spécial lui a refusé les garanties d une procédure régulière du fait qu il a entrepris et en fait achevé son examen et fourni au défendeur son rapport, où il lui faisait savoir que l affaire n appelait aucune autre suite, tout en rejetant la demande de la requérante tendant à la réouverture de l affaire et sa demande tendant à pouvoir témoigner et contreinterroger certains témoins. Elle prétend qu ainsi confinée, elle s est vu refuser un examen judicieux et utile de l enquête de l Administration et de la manière dont les constatations avaient été faites à son encontre. Le Tribunal considère que, par certains côtés, les motifs invoqués par le Comité paritaire de discipline spécial pour justifier sa conclusion selon laquelle il n y avait pas lieu de rouvrir l enquête ou de donner à la requérante la possibilité de comparaître devant lui ou de contre-interroger des témoins étaient erronés ou inappropriés, mais il ne considère cependant pas que ces erreurs ou omissions aient constitué une telle méconnaissance des garanties d une procédure régulière ou des règles d une procédure équitable que la décision de renvoyer la requérante sans préavis pour faute doive être contestée ou annulée. Le Tribunal estime en revanche que les déficiences de procédure imputables au Comité justifient le versement d une indemnité. Par exemple, il semble assez inapproprié que le Comité paritaire de discipline spécial se soit appuyé à un tel point sur la «note pour le dossier» relative à la réunion du 26 septembre 1998 et qu il l ait interprétée comme attestant que la requérante s était catégoriquement avouée coupable de malversation délibérée à propos de ses demandes de remboursement de frais de voyage et de subsistance. En effet, ce document aurait pu être interprété raisonnablement comme attestant que la requérante avait reconnu avoir présenté par inadvertance ou par erreur des demandes de remboursement qui s étaient révélées fausses. Ce que la requérante avait déclaré au cours de la réunion en question était ambigu et le Tribunal croit que le Comité s est trompé dans la manière dont il a apparemment interprété le compte rendu de unat_01061_f 5

cette réunion. Le Tribunal estime que ce chef d accusation appelait, de la part du Comité, une analyse ou un examen plus complets des éléments de preuve dont l Administration disposait au cours de son enquête et que le Comité aurait dû mieux examiner ces éléments et leur valeur probante plutôt que d en traiter de la manière assez désinvolte qui ressort de son rapport. Il apparaît que le Comité a simplement interprété le compte rendu de la réunion du 26 septembre 1998 comme attestant que la requérante avait avoué s être rendue coupable de fraude délibérée et reconnaissait que les indications figurant dans le carnet de route du véhicule étaient infaillibles, alors qu il aurait dû examiner l affaire et les éléments de preuve dans leur ensemble et énoncer ses constatations en fonction de tous ces éléments. IV. Un autre exemple a trait à la manière désinvolte dont le Comité paritaire de discipline spécial a examiné l allégation relative aux puits instantanés. Il a apparemment conclu que la requérante était coupable de faute à propos des questions liées à ces transactions pour la seule raison qu à son avis, le prix que la requérante disait lui avoir été indiqué pour la construction des puits instantanés par l Organisation pour l élimination de la pauvreté (OEP) (laquelle disait que ce prix représentait 33 % du prix normal du marché) était si bas qu il n était pas croyable. Ce n était pas là une conclusion fondée sur des faits établis ni une conclusion autorisant logiquement une constatation selon laquelle la requérante avait été coupable de la faute alléguée. La conclusion et la constatation du Comité auraient eu une certaine logique si la requérante avait été accusée d avoir empoché l argent qui lui avait été donné pour les puits instantanés (que ce soit à sa demande ou autrement et qu il s agisse du montant indiqué par elle ou par des donateurs). En effet, si tel avait été le chef d accusation, il aurait été logique d inférer d un prix excessivement bas que la requérante n avait jamais eu l intention de faire construire les puits instantanés et qu elle avait par conséquent recueilli l argent dans l intention d en profiter personnellement. Or, telle n était pas l accusation portée contre elle à propos des puits instantanés. L accusation réellement portée contre elle était qu elle avait manqué à son obligation personnelle de rembourser l argent aux donateurs et qu autant qu elle pouvait en juger au moment où elle a reçu l argent, les puits en question ne rentraient pas dans le cadre du projet d assainissement scolaire. Il n était pas allégué qu elle avait frauduleusement reçu l argent pour les puits instantanés sans aucune intention de consacrer l argent à cette fin. Il lui était en outre reproché de ne pas tenir de comptabilité exacte et de ne pas délivrer de reçus pour l argent recueilli. Ce point était important car, entre la requérante et les donateurs, il y avait divergence quant aux montants qu elle avait reçus, de sorte que l absence d une comptabilité exacte était particulièrement importante. L Administration admettait que l argent destiné aux puits instantanés (ou du moins l argent que la requérante disait avoir reçu) avait été versé par elle au Président de l OEP. Par conséquent, l opinion du Comité selon laquelle le prix était si bas qu il n était pas croyable n aurait pu aboutir logiquement à la conclusion que la requérante avait été coupable de la faute qui lui avait été réellement reprochée. V. Nonobstant les erreurs ou insuffisances relevées plus haut, le Tribunal estime que de telles questions ne sont pas si capitales ou si essentielles au regard des constatations d ensemble qu elles constituent une erreur fatale de procédure ou une telle méconnaissance des droits de la requérante que la décision de la renvoyer sans préavis doit être annulée. Il reste que les fausses demandes de remboursement de frais de voyage présentées par la requérante étaient si nombreuses et si graves, et que la requérante n a pu fournir d explications plausibles pour un si grand nombre 6 unat_01061_f

d erreurs concernant ces demandes, que l Administration était en droit de conclure et qu il était éminemment raisonnable de conclure que l explication donnée par la requérante, à savoir qu elle avait agi par inadvertance, n était pas crédible, non plus que son explication selon laquelle ses demandes étaient fondées sur ses plans mensuels de voyage et non sur les voyages effectivement entrepris par elle, explication qui de toute façon n aurait pas constitué une excuse ou justification plausible pour avoir présenté à maintes reprises des demandes de remboursement pour des voyages qu elle n avait pas effectués ou pour des nuits qu elle n avait pas passées sur le terrain. De l avis du Tribunal, la conclusion d ensemble qui se dégageait de l enquête menée par l Administration sur la totalité des chefs d accusation était manifestement que la requérante avait constamment abusé de sa position et de son influence, qu elle avait constamment demandé sous des prétextes fallacieux des sommes d argent auxquelles elle n avait pas droit, et qu elle n avait pas acquitté des dettes qu elle avait encourues en abusant de sa position à l Organisation. Il était évident que sa conduite risquait de nuire à la réputation et à l autorité de l Organisation, qu elle était loin d être conforme aux normes que l Organisation était en droit d attendre d un fonctionnaire international et qu elle constituait une faute grave. En conséquence, les autres demandes de la requérante sont rejetées. VI. Eu égard à ce qui précède, le Tribunal : 1. Ordonne au défendeur de verser à la requérante une indemnité d un montant égal à trois mois de traitement de base net au taux en vigueur à la date de sa cessation de service pour les déficiences de procédure imputables au Comité paritaire de discipline spécial, et 2. Rejette toutes autres conclusions. (Signatures) Julio BARBOZA Premier Vice-Président, assurant la présidence Kevin HAUGH Deuxième Vice-Président Spyridon FLOGAITIS Membre Genève, le 26 juillet 2002 Maritza STRUYVENBERG Secrétaire unat_01061_f 7