Gestion de la diversité, arbitrage des droits linguistiques et décentralisation Colloque «La diversité linguistique à l école et en société: nouveaux enjeux pour la recherche» Centre d études ethniques de l Université de Montréal (CEETUM 15-16 février 2006 François Grin, Université de Genève François Grin, Genève, 2006
Gestion sociale et politique de la diversité de nombreuses questions fondamentales en suspens, notamment celui de la légitimité relative différents groupes distincts de la majorité; fragmentation de la réflexion en fonction de «l origine disciplinaire», du type de «minorité» considéré, etc.
Fig. 1: The Diversity Clover LEAF 1: National minorities ; Central and Eastern Europe; CIS; Int. relations, int. law, political science LEAF 4: Indigenous peoples N. & S. America, Africa, Australasia Anthropology, ethnology,development studies LEAF 3: Immigrant minorities ; Urban centres in W. Europe and N.America Sociology, education sciences, economics LEAF 2: Linguistic minorities ; Western Europe; Sociolinguistics, applied linguistics, education sciences
Le modèle du «multilinguisme territorial» Comment arbitrer entre des revendications peu ou difficilement compatibles? Selon quelles règles répartir les droits linguistiques entre les communautés immigrées et les minorités «traditionnelles»?
Quelques faits stylisés Trois groupes définis par la langue [L1]: A = majorité B = communauté immigrée C = minorité traditionnelle par ex. en France: français-arabe-breton; en Allemagne : allemand-turc-sorbien; au Canada: anglais-farsi-inuktitut
Choix de la/des langue(s) officielle(s) Au départ, principe de symétrie: une langue est considérée comme officielle si le nombre absolu de locuteurs est au moins égal à un seuil minimum E*. Objection 1: ceci peut être insuffisant pour garantir la survie à long terme d une langue très menacée (par ex. la langue C); un traitement privilégié ( asymétrie en faveur de C) peut être nécessaire. Objection 2: la majorité (les locuteurs de A) peut s opposer à l égalité de traitement accordé à la langue B.
Deux principes de flexibilisation 1. Différenciation territoriale 2. Décentralisation avec compétences distinctes pour les municipalités (ou communes); les régions (ou provinces); et le gouvernement national. La base de différenciation des régimes linguistiques est alors la composition démolinguistique locale.
Compositions démolinguistiques La composition démolinguistique d une municipalité [DM] ou d une région [DR] est définie à partir de trois termes: 1 terme : la langue [L1] de la majorité des résidants; 2 et 3 termes: la langue [L1] de tout groupe dont le nombre de locuteurs est au moins égal au seuil E* (respectivement E* m et E* r )
Compositions et configurations Donc, toute municipalité peut être du type: A B C AB AC BA BC CA CB ABC BAC CAB (12 possibilités) Le même intervalle s applique aux régions Comme toute municipalité fait partie d une région, on peut croiser DM x DR afin de définir 144 (12 2 ) configurations
Régimes linguistiques de base Les régimes linguistiques de base reflètent directement les configuration linguistiques Par ex., si DM = [A,B] et si DR = [A,C], les services de compétence municipale seront offerts dans les langues A et B (mais pas C), tandis que les services de compétence régionale seront offerts dans les langues A et C (mais pas B) Règle supplémentaire: dans la municipalité concernée, les services de compétence nationale seront offerts dans toute langue utilisée soit par les autorités municipales, soit par les autorités régionales dans ce cas, ces services seront offerts en langues A, B et C
Régimes linguistiques de base (suite) Régime linguistique complet = Langues utilisées par les autorités dans la fourniture de services par: {la municipalité la région le gouvernement national} Donc, si DM = [A,B] et DR = [A,C], le régime linguistique complet est donné par: {AB AC ABC }
Régimes linguistiques modifiés Protection des langues minoritaires: on introduit des asymétries en faveur de la langue C dans toute municipalité où C est en majorité (DM = [C] ou [C,A] ou [C,B] ou [C,A,B] ou [C,B,A], les services seront offerts en langue C seulement. «Tolérabilité» des droits linguistiques pour les immigrants la langue A doit toujours être officielle dans toute municipalité ou région où la langue B est présente (sauf dans les municipalités à statut spécial "C seulement" cf. ci-dessus).
Régimes linguistiques modifiés (suite) À partir des 144 configurations originales: introduire les asymétries; éliminer les cas redondants où des configurations différentes aboutiraient au même régime (par ex.: {BA, A, AB} = {AB, A, AB}); mettre de côté les zones à statut spécial «C- seulement»; éliminer les configurations démolinguistiquement improbables telles que [B, BC, B];
Sélection de régimes linguistiques DR DM A AB ABC A A - A A A AB AB A AC - AC AB, B ou BA AB A AB AB AB AB AB AC - ABC AC AC A - AC AC AB ABC AC AC - AC
Indicateur de poids institutionnel pour toute langue J (J = A, B, C) dans chaque configuration k: F k J = freq k J / (freq k A + freq k B + freq k C) Chaque régime linguistique peut à présent aussi être décrit par un ensemble {F k A ; F k B ; F k C}, k
Indicateur de poids institutionnel (suite) DR DM A AB AC A 1 0-0 0.6 0.4 0 0.6 0 0.4 AB, B ou BA 0.6 0.4 0 0.5 0.5 0 0.43 0.29 0.29 AC 0.6 0 0.4 0.43 0.29 0.29 0.5 0.5-0
Résultats du modèle de multilinguisme territorial F A F B dans tous les cases, ce qui favorise la tolérabilité F C F B partout là où C est présent à titre de langue officielle, ce qui contribue à la protection de la langue minoritaire Reconnaissance étendue des langues de l immigration (bien au-delà des formules existantes à l heure actuelle dans les pays d immigration!)
Comportement dynamique du modèle de MT Robustesse: les résultats subsistent en cas de poursuite d une immigration soutenue de langue B; Progressivité: dans un tel cas, le modèle prévoit une évolution progressive vers un petit nombre de régimes présentant les poids institutionnels suivants: {AB AB AB} : {0.5 0.5 0} {ABC AB ABC} : {0.375 0.375 0.25} {ABC ABC ABC} : {0.33 0.33 0.33}
Références et commentaires "post hoc" Le modèle présenté dans les diapositives précédentes combine des travaux antérieurs, en particulier: Grin, F., 1996: "Conflit ethnique et politique linguistique", Relations internationales, 88, 381-396. Grin, F., 2003: Diversity as paradigm, analytical device, and policy goal, in W. Kymlicka et A. Patten (eds.), Language Rights and Political Theory. Oxford: Oxford University Press, 169-188. Grin, F., 2005: Linguistic human rights as a source of policy guidelines: A critical assessment, Journal of Sociolinguistics. 9 (3), 448-460. Les lecteurs intéressés peuvent se reporter à ces publications pour une présentation plus littéraire ou plus "fluide". Par ailleurs, ces publications contiennent chacune une bibliographie qui précise les références théoriques ou empiriques auxquelles j'ai fait appel. Cela dit, ce modèle doit être vu dans une logique de "travail en cours", et c'est pour cette raison qu'en l'état, il ne fait pas l'objet d'une rédaction avec le format habituel d'un article. À mon sens, il peut offrir un accès à la question, souvent prise avec une extrême réserve, de la "tolérabilité": qu'est-ce qui fait que l'octroi de tels ou tels droits à tel ou tel groupe minoritaire, puis l'exercice effectif de ces droits, soit considéré comme acceptable par la majorité? Tous commentaires sont bienvenus, de préférence par courriel à: francois.grin@eti.unige.ch ou francois.grin@etat.ge.ch. FG, 14 mars 2006