DÉCISION Nº177 du 15 décembre 1998. relative à l exception d inconstitutionnalité des dispositions de l article 213 alinéa 2 du Code Pénal



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Transcription:

DÉCISION Nº177 du 15 décembre 1998 relative à l exception d inconstitutionnalité des dispositions de l article 213 alinéa 2 du Code Pénal Publiée au Moniteur Officiel de la Roumanie, Partie I ère, nº77 du 24 février 1999 Lucian Mihai président Costică Bulai juge Constantin Doldur juge Gábor Kozsokár juge Ioan Muraru juge Nicolae Popa juge Romul Petru Vonica juge Ioan Griga procureur Florentina Geangu magistrat-assistant Sur le rôle, la solution de l exception d inconstitutionnalité des dispositions de l article 213 alinéa 2 du Code Pénal, soulevée par la Société Anonyme "COMCEREAL" de Tulcea, dans le Dossier nº13.326/1997 du Tribunal de Brăila. Les débats ont eu lieu lors de l audience publique du 24 novembre 1998, en présence des inculpés M.S. et G.G. et en absence de l auteur de l exception, la Société Anonyme "BRAIGAL" de Brăila et de l inculpé C.C., légalement cités, étant consignés dans le Jugement avant dire droit de cette date-là, lorsque la Cour, ayant besoin du temps pour délibérer, a ajourné le prononcé pour le 10 décembre 1998 et, ensuite, pour le 15 décembre 1998. 15

LA COUR, tenant compte des actes et des travaux du dossier, constate ce qui suit: Le Tribunal de Brăila, dans le Jugement avant dire droit du 8 juin 1998, consigné dans le Dossier nº13.326/1997 concernant les inculpés C.C., M.S. et G.G., a disposé que la Cour Constitutionnelle soit saisie de l exception d inconstitutionnalité des dispositions de l article 213 alinéa 2 du Code Pénal, soulevée par la partie responsable du point de vue civil, la Société Anonyme "COMCEREAL" de Tulcea. Par le réquisitoire du Parquet auprès du Tribunal de Brăila, les inculpés C.C. et M.S. ont été appelés en justice pour l infraction d abus de confiance, prévue à l article 213 du Code Pénal, et l inculpé G.G. pour complicité à cette infraction, étant retenu à la charge des deux premiers inculpés que, en qualité de préposés de la Société Anonyme "COMCEREAL" de Tulcea, sur les insistances du troisième, ont injustement disposé de la quantité de 198.000 kilos de grains de maïs, propriété de la Société Anonyme "BRAIGAL" de Brăila, détenue en vertu d un contrat de dépôt. La partie responsable civilement, la Société Anonyme "COMCEREAL" de Tulcea, a soulevé l exception d inconstitutionnalité des dispositions de l article 213 alinéa 2 du Code Pénal. Dans la motivation de l exception il est soutenu que tous les faits qualifiés comme infraction d abus de confiance doivent avoir une réglementation unitaire. La discrimination instituée aux termes de l article 213 alinéa 2 du Code Pénal, dans le sens que ces infractions, sont poursuivies d office et non seulement lors de la plainte préalable de la personne préjudiciée si le bien qui constitue 16

leur objet matériel appartient intégralement ou partiellement à la propriété privée de l État contrevient à l article 41 alinéa (2) de la Constitution. Le Tribunal de Brăila, tout en exprimant son opinion, a considéré que l exception d inconstitutionnalité invoquée était fondée. Selon l article 24 alinéa (1) de la Loi nº47/1992, ont été sollicités les points de vue des présidents des deux Chambres du Parlement et du Gouvernement. Dans son point de vue, le Gouvernement considère que l exception d inconstitutionnalité est non-fondée, puisque la différenciation faite à l alinéa 2 de l article 213 du Code Pénal se réfère uniquement à des aspects visant les modalités de déclenchement du procès pénal et elle n a pas la signification de la mise en place d un régime différencié de sauvegarde de la valeur sociale protégée. L égale protection de la propriété privée sans distinction selon le titulaire est accomplie par les dispositions de l article 213 alinéa 2 du Code Pénal, qui prévoient les mêmes conditions d incrimination et les mêmes peines, indifféremment de la personne au préjudice de laquelle a été commise l infraction. Les présidents des deux Chambres du Parlement n ont pas communiqué leurs points de vue. LA COUR, examinant le Jugement avant dire droit de saisine, le point de vue du Gouvernement, le rapport dressé par le jugerapporteur, ce que les parties ont soutenu, les conclusions du procureur, les dispositions légales attaquées rapportées aux dispositions de la Constitution et de la Loi nº47/1992, retient ce qui suit: 17

Selon l article 144 lettre c) de la Constitution et l article 23 de la Loi nº47/1992, la Cour Constitutionnelle est compétente pour solutionner l exception soulevée, étant légalement saisie. La critique d inconstitutionnalité regarde l article 213 alinéa 2 du Code Pénal, selon lequel: Si le bien est propriété privée, à l exception du cas où celui-ci appartient entièrement ou partiellement à l État, l action pénale est mise en action suite à la plainte préalable de la personne lésée. La réconciliation des parties enlève la responsabilité pénale. L auteur de l exception considère que ce texte de loi enfreint les dispositions de l article 41 alinéa 2 de la Constitution, selon lesquelles la propriété privée est également protégée, sans distinction selon le titulaire. La Cour Constitutionnelle retient que cette disposition constitutionnelle doit être interprétée dans le sens qu elle se réfère à la sauvegarde de manière égale tant de la propriété appartenant aux personnes physiques ou aux personnes morales de droit privé, qu à la propriété privée de l État. Il résulte que l État ne peut pas bénéficier, en ce qui concerne les biens lesquels forment l objet de la propriété privée, d une protection juridique différente de celle des personnes physiques ou des personnes morales de droit privé. Toutefois, à l article 213 alinéa 2 du Code Pénal on a prévu pour la propriété privée un régime juridique différencié, sous l aspect de l institution de la plainte préalable. Ainsi, si le bien appartient à la sphère de la propriété privée d autres sujets que l État, l action pénale contre celui qui, par abus de confiance, s est approprié le bien meuble ou a disposé de ce bien ou a refusé de le restituer, peut être mise en action uniquement en vertu de 18

la plainte préalable de la personne préjudiciée. En revanche, si le bien est propriété privée de l État, l action pénale peut être déclenchée d office, cette mesure n étant plus conditionnée de l existence de la plainte préalable de la personne préjudiciée. La mise en action d office de l action pénale, telle qu elle est prévue à présent dans l article 213 alinéa 2 du Code Pénal, assure, évidemment, une défense juridique plus énergique, indifféremment de la volonté de la personne lésée. Il suffit que les organes de poursuite pénale soient saisis sur la commission du méfait ou qu ils se saisissent d office pour que le procès pénal soit mis en marche. Et ce procès, ainsi ouvert, parcourt aussi la phase de la poursuite pénale, dans le cadre de laquelle les organes de poursuite pénale réunissent les preuves nécessaires à la solution de la cause, le tribunal devant être saisi par le réquisitoire du procureur. Au contraire, si la personne endommagée est une personne physique ou morale de droit privé, elle doit, en plus, s adresser au tribunal avec sa plainte, dans un délai de 2 mois (l article 284 alinéa 1 du Code de procédure pénale), en cas contraire, la responsabilité pénale étant écartée (l article 131 alinéa 1 du Code Pénal). Enfin, c est toujours elle qui doit produire et présenter les preuves nécessaires à l appui de sa plainte. De tout cela, il résulte que la différence, par rapport à la réglementation, est évidente. La Constitution assure, à l article 41 alinéa (2), une égale protection de la propriété privée, indifféremment si celle-ci appartient à l État ou à une autre personne juridique ou physique et, implicitement, interdit que la loi pénale contienne des réglementations distinctes à l égard de la protection de la propriété privée. Or, l article 213 alinéa 2 du Code Pénal fait une différenciation inconstitutionnelle entre la propriété privée de l État et la 19

propriété privée d autres sujets de droit, lorsqu il précise que, si le bien est propriété privée, à l exception du cas où celui-ci appartient entièrement ou partiellement à l État, l action pénale est mise en action suite à la plainte préalable de la personne préjudiciée. C est pourquoi, la Cour Constitutionnelle constate que, par rapport aux dispositions de l article 41 alinéa (2) de la loi fondamentale, cette disposition est inconstitutionnelle. Par conséquant, l ouverture de l action pénale en vertu de l article 213 alinéa 2 du Code Pénal peut être fait uniquement suite à la plainte préalable de la personne endommagée, non seulement lorsque le bien appartient aux personnes physiques ou aux personnes morales de droit privé, mais aussi lorsque le bien appartient entièrement ou partiellement à la propriété privée de l État. Pour les considérants exposés, en vertu de l article 144 lettre c) de la Constitution, de l article 13 l alinéa (1) lettre A)c) de l article 23 et de l article 25 de la Loi nº47/1992, à la majorité des voix, LA COUR, Au nom de la loi DÉCIDE: Elle admet l exception d inconstitutionnalité soulevée par la Société Anonyme "COMCEREAL" de Tulcea dans le Dossier nº13.326/1997 du Tribunal de Brăila et constate que la disposition à l exception du cas où celuici appartient entièrement ou partiellement à l État de l article 23 alinéa 2 du Code Pénal est inconstitutionnelle. La Décision est communiquée aux deux Chambres du Parlement et au Gouvernement. Définitive et obligatoire. Prononcée dans l audience publique du 15 décembre 1998. 20