La crise des isotopes médicaux



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Transcription:

La crise des isotopes médicaux Frank Deconinck 1 et Bernard Ponsard² 1 Vrije Universiteit Brussel et Belgian Nuclear Research Centre (SCK CEN) ; frank.deconinck@vub.ac.be. ² Belgian Nuclear Research Centre (SCK CEN) ; bernard.ponsard@sckcen.be. Nos plus vifs remerciements à Henri Bonet (Institut national des radioéléments, IRE, Belgique) et Ingeborg Hagenlocher (Kraftanlagen Heidelberg GmbH, Allemagne), ainsi qu à un certain nombre de correspondants pour leurs informations et leurs suggestions très précieuses. Introduction Nous avons assisté l année dernière à une crise mondiale majeure de la disponibilité de radio-isotopes médicaux, et ce plus spécifiquement dans la production de générateurs de Mo-99/Tc-99m destinés à la médecine nucléaire diagnostique. Nous allons analyser brièvement les causes de cette pénurie et attirer l attention sur les mesures requises à long terme pour éviter de futures crises. L irradiation de cibles d uranium fortement enrichi dans un réacteur à haut flux provoque la création d un certain nombre de produits de fission, notamment le Mo-99 d une demi-vie de 66 heures. La décroissance radioactive du Mo-99 produit du Tc-99m, un émetteur gamma pur (140 kev) d une demi-vie de 6 heures. La séparation du Mo-99 des cibles d U permet de produire des générateurs de Mo-99/Tc-99m (appelés «cows» en anglais (vaches)) et de les expédier dans les hôpitaux du monde entier. Il existe quelques autres schémas de production, mais leur rendement est nettement inférieur et l activité produite est trop minime pour avoir un impact sur le marché mondial. Le Tc-99m est utilisé dans environ 80 % des procédures d imagerie médicale diagnostique, ce qui correspond à une trentaine de millions d examens par an dans le monde, dont plusieurs millions rien qu en Europe. 1 Installations de production et de séparation Actuellement, l irradiation des cibles d U permettant de produire plus de 90 % du Mo-99 disponible est réalisée dans 5 réacteurs (Material Testing Reactors - MTR) seulement : le réacteur NRU à Chalk River au Canada, le réacteur HFR à Petten aux Pays-Bas, le réacteur BR2 à Mol en Belgique, le réacteur OSIRIS à Saclay en France et le réacteur SAFARI à Pelindaba en Afrique du Sud. Ces réacteurs sont tous âgés de plus de 40 ans. 1 En médecine nucléaire diagnostique, une infime quantité de marqueurs d une substance radiologique biologiquement active est administrée à un patient. La répartition des marqueurs est ensuite détectée et visualisée à l aide d un détecteur d activité spécial, comme une caméra gamma. La substance active est choisie de sorte que sa répartition spatiale et temporelle dans le corps reflète un corps particulier ou une fonction métabolique permettant dès lors d en déduire des informations diagnostiques. La substance est marquée par un radionucléide afin de permettre sa détection. Seuls les marqueurs (traces) sont administrés, afin de ne pas perturber les fonctions corporelles. Citons par exemple les globules rouges marqués au Tc-99m pour étudier la fonction cardiaque, ou les diphosphonates marqués au Tc-99m pour visualiser le métabolisme osseux.

La séparation du Mo-99 des cibles irradiées est réalisée dans quatre centres : AECL sépare le Mo-99 à Chalk River et MDS-Nordion le purifie à Kanata au Canada ; Covidien à Petten aux Pays-Bas, l'ire à Fleurus en Belgique et NECSA-NTP à Pelindaba en Afrique du Sud. Les générateurs de Mo99/Tc99m sont ensuite fabriqués et vendus par un certain nombre d entreprises, dont les plus importantes sont Covidien (anciennement Mallinckrodt / TYCO Healthcare), Lantheus Medical Imaging (anciennement DuPont / Bristol-Myers Squibb), GE Healthcare (vendue par Amersham) et IBA-Molecular (anciennement CISbio International). Le réacteur NRU au Canada produit environ 40 % du Mo-99 nécessaire. Les trois réacteurs européens en produisent au total 40 à 45 % et le reste est produit en Afrique du Sud et dans de plus petits réacteurs. Étant donné le programme d'exploitation des réacteurs MTR européens impliqués, un calendrier de production européen coordonné est établi afin de garantir la continuité de la production, à condition toutefois qu aucun incident ne survienne au niveau des réacteurs ou des installations de traitement. Il existe d autres petits sites d irradiation / de séparation / de production, mais leur marché est purement local. Déclencheurs de la crise En août 2008, le réacteur HFR de Petten était supposé fonctionner. Les réacteurs BR2, OSIRIS et NRU étaient à l arrêt pour cause de maintenance, comme cela avait été planifié. Toutefois, suite à la découverte de traces de corrosion et l'éventualité de petites fuites dans le circuit primaire du réacteur, le réacteur HFR n a pas été redémarré. Indépendamment de cela, un incident est survenu à l IRE, conduisant au rejet d environ 37 GBq (1 Ci) d I-131 à travers la cheminée de ventilation, sans aucun effet nuisible pour la santé des travailleurs et de la population. Du jour au lendemain, il ne restait qu une installation d irradiation majeure (SAFARI en Afrique du Sud) en activité, l une des deux installations de séparation européennes était hors service, l autre (Covidien) étant à l arrêt par manque de cibles irradiées. La production a repris au Canada quelques jours plus tard, mais principalement pour le marché nord-américain. Grâce, d une part, aux efforts fournis par OSIRIS et BR2 pour irradier un maximum de cibles d U et, d autre part, à l accord pris par l IRE pour permettre à Covidien de traiter des cibles de l IRE, Covidien a pu reprendre ses activités au début du mois d'octobre. Après avoir reçu l'autorisation des autorités, l'ire a pu redémarrer à la minovembre. Le réacteur HFR a été remis quant à lui en service en février 2009. Suite à cette crise, des centaines de milliers de patients se sont vu refuser des tests d imagerie diagnostique par Tc-99m. Certains tests ont pu être réalisés par des techniques alternatives, comme le PET, mais à un coût nettement plus élevé. D'autres tests ont été effectués à l'aide de radio-isotopes moins adaptés. La plupart ont toutefois dû être reportés ou annulés.

État des installations de production en service La crise met en évidence le manque alarmant d installations de production d isotopes médicaux produits par réacteur. Au Canada, le réacteur NRU a été mis en service en 1957. L arrêt définitif du réacteur NRU était prévu pour 2005, raison pour laquelle l AECL a conçu et construit deux réacteurs réservés à la production d isotopes, Maple 1 et Maple 2. Maple 1 était supposé être opérationnel en 1999. Suite à des erreurs conceptuelles majeures, la sécurité de fonctionnement des réacteurs risquait toutefois de ne pas être assurée. Après plusieurs années d essais et de modifications conceptuelles, l AECL décidait de mettre fin au projet Maple en 2008. En conséquence, il est possible que la licence d exploitation du NRU soit prolongée delà de 2011, bien qu il s agisse d un des réacteurs les plus anciens encore en activité dans le monde. Il faut s attendre à ce que le NRU soit mis à l arrêt pendant au moins un an dans un futur proche afin d y apporter les améliorations obligatoires en matière de sûreté. Mi-février 2009, le réacteur NRU a été remis à l arrêt pendant quelques jours à la suite d'un problème au niveau du mécanisme servant à extraire du réacteur les barres contenant les isotopes. Ensuite, le réacteur a été mis hors service à la mi-mai en raison d une fuite d eau importante ayant entraîné le rejet de tritium à travers le système de ventilation. Le programme d inspection de la cuve du réacteur a été exécuté, l analyse des données d inspection est terminée et le programme de réparation est en préparation. En l état actuel des choses, l AECL prévoit le redémarrage du NRU au cours du premier trimestre 2010. En France, OSIRIS sera mis à l arrêt dès que le réacteur Jules Horowitz (JHR) sera opérationnel, ce qui devrait avoir lieu en 2014-2015. Il ne devrait par conséquent pas y avoir de discontinuité dans les installations d irradiation en France, à condition que le prix demandé pour l irradiation des cibles d U dans le réacteur JRH soit commercialement acceptable. Si la crise s installe à long terme, ORPHEE pourrait également être utilisé pour produire des radio-isotopes pour la médecine nucléaire. En 2009-2010, OSIRIS fera l'objet d'un entretien majeur afin de pouvoir poursuivre son exploitation jusqu en 2015. Une période d arrêt prolongée de cinq mois est prévue en 2010. En Belgique, il est prévu que le BR2 fonctionne au moins jusqu en 2016 et il n y a aucune raison technique d arrêter son fonctionnement avant 2020 (ou même 2026 moyennant quelques adaptations), sous réserve de la disponibilité du combustible adéquat et de l accord des autorités délivrant les licences. À cette échéance, une autre installation d irradiation polyvalente, MYRRHA, un système sous-critique piloté par un accélérateur multifonctionnel, ou ADONIS, un ADS dédié, devrait être en mesure d assurer la production continue du Mo-99. Aux Pays-Bas, après un arrêt d environ six mois dû à des problèmes de corrosion, le réacteur HFR a été autorisé par l organisme compétant à rester en activité pour une année provisoire jusqu'au 1 er mars 2010, afin de permettre la préparation des réparations. Ces opérations devraient prendre plusieurs mois et débuter en février 2010. Entre-temps, le NRG (Nuclear Research and Consultancy Group) travaille à la conception de PALLAS censé remplacer le réacteur HFR. L échéance officielle est 2016, date à laquelle le HFR sera probablement arrêté mais, selon des sources bien informées, ce délai serait peu réaliste, étant donné qu aucune décision officielle n a encore été prise concernant le financement.

Nouveaux projets Plusieurs projets dans le monde pourraient augmenter la disponibilité du Mo-99 sur le marché à court, moyen et long terme : Le nouveau réacteur OPAL en Australie serait actuellement capable de satisfaire les besoins domestiques en Mo-99 via l irradiation de cibles d uranium faiblement enrichi. L ANSTO travaille activement à un projet visant à approvisionner les États-Unis en Mo-99 dans le futur proche. Les États-Unis examinent la possibilité d'irradier des cibles de NRU dans des réacteurs existants, comme le MURR (Université du Missouri aux États-Unis) ou le HFIR (Oak Ridge aux États-Unis) et de les retraiter à Chalk River (Canada) pour récupérer le Mo-99. Le réacteur de recherche MURR, construit au début des années 60, pourrait produire environ 50 % des besoins américains en Tc-99m. Afin de produire commercialement l isotope, le MU devrait construire et obtenir une licence pour une installation de 40 millions de $. Des problèmes de transport se posent. Une étude de faisabilité a été réalisée au niveau du réacteur MARIA en Pologne et ce dernier devrait être capable d irradier des cibles d U pour la production de Mo-99 à partir de 2010. Les cibles irradiées devraient être expédiées à Petten (Pays-Bas) pour le retraitement et la récupération du Mo-99. Des problèmes de transport doivent trouver une solution. D autres initiatives américaines existent sur le papier. Covidien a annoncé un accord avec Babcock & Wilcox afin d étudier un réacteur homogène aqueux ou un «réacteur de solution» qui pourrait être alimenté par de l uranium faiblement enrichi au lieu d uranium fortement enrichi et dédié à la production d isotopes. Il ne serait pas réaliste de pronostiquer la construction et la mise en service d un tel réacteur avant 2020. Le réacteur sud-africain SAFARI devrait fonctionner jusqu en 2030. Il existe un projet SAFARI 2, mais aucune décision n a encore été prise à ce sujet. Le nouveau réacteur FRM-II de Munich en Allemagne a également procédé à une étude de faisabilité et devrait être en mesure d'irradier des cibles d'u pour la production de Mo-99 dès 2013. Les cibles irradiées devraient être expédiées à Fleurus en Belgique pour le retraitement et la récupération du Mo-99. Des problèmes de transport doivent trouver une solution. Un autre projet concerne le réacteur LWR-15 de Rez en République tchèque destiné à l irradiation de cibles, qui devraient être retraitées ailleurs pour la récupération du Mo-99. Des problèmes de transport devraient également trouver une solution. Plusieurs projets ont été lancés par l AIEA afin d identifier de nouveaux producteurs potentiels de Mo-99 dans la chaîne d approvisionnement. Deux coalitions ont été établies : EARRC (Eurasia Research Reactor Coalition) et EERRI (East European Research Reactor Initiative). L EARRC Isotopes Coalition est un nouveau consortium de réacteurs existants, d installations de production d isotopes et de spécialistes du marché, capables d apporter une contribution importante à la pénurie de Mo- 99. La coalition utilisera le circuit d activation 98 Mo(n,y) 99 Mo avec du 98 Mo

naturel et/ou enrichi comme cible. L initiative EERRI a été établie en 2008 dans le cadre des efforts fournis par l AIEA pour améliorer l utilisation des réacteurs de recherche par les coalitions et les réseaux. La production de Mo-99 dans des installations existantes est à l étude. D autres projets dans le monde (Université de l État de l Idaho, TRIUMF, ) examinent la faisabilité de production du Mo-99 à l aide d accélérateurs. Le projet canadien du Groupe TRIUMF implique la photofission d U-238 avec un accélérateur de grande puissance qui pourrait produire environ 5 % de la demande mondiale. Il est évident que seul un petit nombre de ces projets verra le jour et ne devrait pas générer une surcapacité de Mo-99. Analyse des coûts des générateurs de Mo-99/Tc-99m Une des caractéristiques du schéma de production des isotopes est qu aucun des réacteurs polyvalents ne pourrait être commercialement viable grâce à la seule production d isotopes. Jusqu à présent, les seuls réacteurs dédiés construits pour une entreprise privée (les réacteurs Maple) se sont avérés être entachés d erreurs conceptuelles majeures et se sont ainsi soldés par un désastre financier. Tous les réacteurs utilisés actuellement pour la production d isotopes sont des réacteurs de recherche financés par des fonds publics. Une brève analyse du coût de production et de vente des générateurs de Mo-99/Tc-99m est dès lors intéressante. Le prix des procédures de médecine nucléaire dépend de toute évidence du type de procédure, du système particulier de sécurité sociale et d autres facteurs locaux, comme les coûts de transport. Prenons à titre d exemple la structure belge des prix d un scan standard de la thyroïde. Cet exemple est suivi de quelques données obtenues par le biais d une petite enquête menée parmi les centres de médecine nucléaire dans le monde. Les données concernent principalement le prix des générateurs de Mo-99/Tc-99m. Données sur le prix d un scan de la thyroïde à l aide de pertechnétate réalisé sur un patient externe dans un hôpital universitaire belge (les chiffres sont arrondis au nombre entier le plus proche) : Prix total du scan de la thyroïde : 130 Coût pour le patient : 13 Coût pour la sécurité sociale : 117 Dans ce prix total, le prix de l isotope, tel que déterminé par l administration belge compétente, s élève à 19, soit 13 %. Le prix des actes médicaux associés est de 111, soit 87 % et couvre l instrumentation, le personnel et les frais généraux. Selon une étude américaine menée en 2008 (National research Council, Medical Isotope Production Without Highly Enriched Uranium, ISBN 978-0-309-13039-4), le coût de production du Mo-99 serait compris entre 125 $ et 325 $/Ci calibré à 6 jours 2, ou entre 2,6 et 2 Obtenir 1 Ci calibré au jour 6 signifie que, étant donné la demi-vie du Mo-99, environ 2 Ci doivent être produits au jour 1. Si le générateur est fourni avant le jour 6, l utilisateur obtient une activité plus élevée que celle facturée.

6,7 (au taux de change 1 $ = 0,78 ). Le prix de vente d un Ci de Mo-99 vaudrait environ 470 $ ou 10 /GBq. Dans le cadre d une petite enquête, des données (huit au total) ont été fournies par l Europe, l Amérique du Nord et du Sud, et l Océanie. Étant donné ce nombre restreint de données, leur validité statistique est médiocre. Nous pouvons toutefois en tirer quelques conclusions. Des moyennes ont été calculées sur la base des données reçues. Des erreurs de conversion ne pouvant être exclues, les moyennes ont également été calculées sur la base des données, sans les valeurs minimales et maximales. Activité des générateurs de Mo-99 : entre 30 et 666 GBq. Prix des générateurs de Mo-99 : Plage = 3,7 à 24 /GBq ; moyenne = 12 /GBq. Sans extrêmes :Plage = 6,7 à 18,2 /GBq ; moyenne = 11,5 /GBq. Une partie des variations importantes peut sans nul doute être attribuée à de grosses différences au niveau de l activité des générateurs, ainsi qu aux différences dans les prix de transport. D autres différences sont dues aux conditions de marché et aux plans de remboursement. Un prix de 6,7 /GBq mettrait le prix de 1 Ci à environ 320 $, ce qui n est pas incompatible avec un prix de production tel qu il est estimé dans l étude américaine. Prix de la dose de Mo-99, tel qu il est estimé par les utilisateurs finaux : Plage = 2 à 19 /GBq ; moyenne = 7,4 /GBq. Sans extrêmes :Plage = 2,4 à 9,5 /GBq ; moyenne = 5,8 /GBq (= 0,27 $/mci de Tc- 99m). Les variations reflètent les différences de prix des générateurs et l activité réelle de Tc-99m éluée. Les contributions respectives au coût de l irradiation des cibles, de la séparation, de l assemblage et de la distribution des générateurs sont des informations confidentielles et ne sont par conséquent absolument pas transparentes. Des sources fiables affirment toutefois que le prix demandé pour l irradiation est un prix de marché qui ne couvre très probablement pas le coût marginal et ne prend certainement pas en compte l investissement dans les réacteurs et les coûts de mise hors service. L irradiation est fortement subsidiée. Le prix de l irradiation est estimé grosso modo entre 5 et 10 % du coût du générateur. Le prix de la séparation semble, également selon des sources fiables, être à peine supérieur au prix réel. La marge bénéficiaire est estimée à moins de 5 %. Étant donné les changements rapides au niveau des fournisseurs de générateurs (voir ciavant), l assemblage et la vente des générateurs ne semble pas être une activité très lucrative. Certaines personnes ayant répondu à l enquête évaluent la commission des détaillants à environ 20 %.

Conséquences En résumé, pour un grand nombre d années à venir encore, la production européenne d isotopes, et très certainement la phase d irradiation des cibles, sera principalement subsidiée par les contribuables belges, néerlandais et français. À notre avis, une répartition du coût de l'irradiation aux fins de production d isotopes médicaux actuellement financée en grande partie par des fonds publics au niveau européen serait plus juste que la prise en charge actuelle par les contribuables des pays qui fournissent cette participation essentielle aux soins de santé de personnes dans le monde entier. Il est vivement recommandé de développer une «clef de paiement» mieux équilibrée à l échelle européenne pour tous les utilisateurs de générateurs de Mo-99/Tc-99m médicaux. Non seulement pour répartir les charges, mais aussi pour regrouper les risques d'exploitation, la maintenance, le traitement des déchets radioactifs et la mise en service et, dès lors, regrouper les responsabilités.