Acupuncture & Moxibustion MÉRIDIENS Fondateur Didier Fourmont revue française de médecine traditionnelle chinoise le mensuel du médecin acupuncteur Fondateur Nguyen Van Nghi Juillet-Août-Septembre 2014 Volume 13. Numéro 3 I S S N : 1 6 3 3-3 4 5 4
230 Acupuncture & Moxibustion Florence Phan-Choffrut Reportage Kunming, 2 e forum de la Médecine Chinoise en Occident et Recherches Anthropologiques sur les Sociétés Occidentales et Beijing, 7 e «stage de perfectionnement en MTC» : quel est le lien? Résumé : Le 2 e forum de la Médecine Chinoise en Occident s est tenu à Kunming les 20 et 21 juin 2014. Le 7 e voyage d Étude organisé par l Apemect (Association pour la Promotion Européenne de la Médecine Chinoise Traditionnelle) s est tenu à Beijing du 28 juin au 13 juillet 2014. Nous proposons ici une synthèse de ces deux manifestations. Mots-clés : Kunming - Médecine Chinoise en Occident - Beijing - Voyage d Étude. Summary: The second forum of Western Chinese Medicine was held in Kunming on 20 and 21 June 2014. The 7th training course organized by the Study Apemect (European Association for the Promotion of Traditional Chinese Medicine) was held in Beijing from June 28 to July 13 2014, we propose a synthesis of these two events. Keywords: Kunming - Western Chinese Medicine - Beijing - training course. Introduction Ce fut une grande chance pour moi de pouvoir participer à deux manifestations si lointaines géographiquement mais si proches dans le temps. Il fallait saisir l occasion. 2 e Forum Lavier, Kunming (Yunnan) Historique Au cours du 1 er forum de la Médecine Chinoise en Occident de juin 2013 a été inauguré le premier musée de la Médecine Traditionnelle Chinoise en Chine avec pour thème : «Implantation de la Médecine Chinoise en Occident» [1,2]. Cette année, le 2 e forum s est tenu à la même période et dans les superbes locaux du campus universitaire de Kunming avec pour thème : «Dr Lavier et Ses Recherches». L Université de Médecine Traditionnelle du Yunnan a réalisé le premier «musée de la Médecine Traditionnelle Chinoise en Occident» (Figure 1), inauguré en juin 2013 sous la direction du Pr Hor Ting (médecine et anthropologue de l Université de Kunming (Chine) : une salle entière y est dédiée à l expansion de la MTC en Occident. En 2013, George Soulié de Morant y était honoré [2]. En 2014, cette salle était entièrement consacrée à Jacques-André Lavier (figure 2). La plupart des objets exposés ont été offerts au musée par sa fille Marie Christine Lavier (figure 3). On a pu ainsi voir ses livres, aiguilles, vêtements, courriers dans une présentation très élégante. Une grande chance a été de pouvoir bénéficier des explications et anecdotes de sa fille, ce qui a rendu la visite intime et émouvante. Déroulement Musée Figure 1. Plaque inaugurative du musée datée 2013. Figure 2. Pr Hor Ting heureux et fier de la salle consacrée à Jacques-André Lavier. Figure 3. Marie Christine Lavier reçoit les remerciements pour ses dons au musée.
2014, 13 (3) Florence Phan-Choffrut 231 Forum Figure 4 : les participants sont nombreux, la communication est facile. Les participants, nombreux, étaient médecins (chinois du continent, français, taïwanais, japonais), dentistes (français pour la majorité), étudiants chinois en MTC ou langues étrangères, anthropologues (chinois pour la majorité), un participant américain par vidéo conférence et surtout Marie Christine Lavier (fille de Jacques- André Lavier) (figure 4). Après la cérémonie d ouverture, parole a été donnée à Marie Christine Lavier, égyptologue, qui nous a présenté la vie de son père, «vie consacrée à la Médecine Traditionnelle Chinoise», vie dont on peut lire le résumé du Dr Lepron [3]. Puis une vingtaine de conférences se sont succédé ; parole a été donnée, en alternance, aux Français et aux Chinois selon un rythme soutenu, mais place a toujours été gardée pour les nombreuses questions et interventions. J ai noté l intérêt des étudiants et la qualité de leurs questions et remarques, par exemple : «Selon le taoïsme, le thérapeute doit prendre soin de lui. A votre avis, quel est le principe taoïste le plus important pour être thérapeute?» Le forum s est terminé par une table ronde autour du thème «les études du Dr Lavier et la recherche anthropologique sur la médecine chinoise en Occident». Il a été beaucoup question de tradition : jusqu à quand faire remonter la tradition? Peut-on et dans quelle mesure associer médecine traditionnelle et médecine actuelle? Au sein de la tradition y-a-t-il place pour le développement? Quelle est la limite entre développement et interprétation? L anthropologie doit comprendre comment la tradition chinoise qui n appartient pas aux Français s est si bien développée en France (encadré 1). HT : c est la première fois qu il y a discours à contresens : les Français viennent en Chine pour enseigner la tradition aux Chinois. MCL : c est la première fois que les Chinois disent qu ils veulent apprendre la tradition avec nous. HT : pour la méthodologie, les Français ont bénéficié de ressources culturelles qui n étaient pas à la disposition des Chinois. Les Chinois font les mêmes recherches, mais n ayant pas les mêmes moyens, ils se tournent vers la recherche occidentale. Encadré 1. Extrait d un dialogue entre Marie Christine Lavier et Pr Hor Ting. Au décours de la table ronde, Pr Wu Anxiang, petit fils de Pr Wu Weiping a annoncé l ouverture prochaine à Taibei (Taiwan) d une salle commémorative en l honneur de Jacques Lavier. 7 e Séjour d Étude à Beijing Historique Pour la septième année consécutive, l Apemect (Association pour la Promotion Européenne de la Médecine Chinoise Traditionnelle) a organisé un séjour d étude parfois appelé perfectionnement de deux semaines dans des services hospitaliers de MTC à Beijing en partenariat avec la Wfas (World Federation of Acupuncture and moxibustion Societies). Déroulement Figure 5. Variabilité de tarification des actes. Dix participants, sage femmes (4), étudiantes sage femme (3), médecins (2), kinésithérapeute (1), français (5),
232 Florence Phan-Choffrut Acupuncture & Moxibustion belges (2), marocains (2) et gabonaise (1) ont donc assisté à des consultations hospitalières en acupuncture et exposés théoriques dans des services spécialisés en MTC exclusivement. A l arrivée, l enthousiasme est grand devant tant de moyens techniques mis en œuvre dans chaque traitement : un même patient peut recevoir au cours de la même séance des traitements par lampe à infra rouge, massage, moxibustion, ventouses, racloir, aérosols, cataplasmes, phytothérapie per os ou en application locale, points auriculaires, acupuncture et autres microsystèmes. Chaque médecin pratique selon ses affinités. Généralement un traitement est constitué de séries de dix séances, à raison de d une à trois séances par semaine. Le nombre d aiguilles par patient peut être important lorsqu il y a superposition de plusieurs «protocoles» en vue de traiter des symptômes concomitants. C est aussi l occasion pour beaucoup de faire connaissance avec une pratique hospitalière de la MTC. Il y a rarement moins de vingt aiguilles par patient qui sont très nombreux à chaque consultation (rarement moins de vingt par matinée) [4]. Il y a deux raisons principales : - le salaire mensuel d un médecin est de 3000 yuan et que chaque acte est coté en sa faveur selon un système très complexe qui tient, entre autres, à la nature de l acte, à l organe atteint et à la renommée du praticien (figure 5). - Les services hospitaliers sont également centre de recherche et doivent publier des essais contrôlés randomisés (ECR) : ils appliquent donc des protocoles qui s appuient sur des diagnostics de MTC occidentalisés. Figure 6. En première rangée : les organisateurs, traducteurs et accompagnatrice ; en deuxième rangée : les participants 2014. L enthousiasme de départ diminue après quelques matinées et les participants sont généralement plus critiques : à diagnostic MTC différent pourquoi appliquer un traitement identique? Cependant il faut noter que chaque année, de l avis des participants, cela n altère en rien l intérêt de ces échanges (figure 6). Discussion A Kunming, les participants étaient très nombreux, composés d étudiants en MTC, de thérapeutes acupuncteurs (médecins, dentistes, gynécologue) et d anthropologues réunis autour d un thème très précis : «Dr Lavier et ses Recherches». Les participants thérapeutes étaient essentiellement issus de son enseignement et reconnaissaient cet enseignement comme le seul digne d intérêt. Les anthropologues présents, outre le fait de rendre hommage à Jacques Lavier, posaient les questions auxquelles ils cherchent réponse pour finalement conclure, que la recherche doit être internationale et collaborative. Globalement ils ont décrit cette rencontre comme «l Occident qui va vers la Chine». A Beijing, les participants, moins nombreux étaient en position d écoute. Comme chaque année, les thérapeutes ne savent pas bien les situer, et leur attribuent souvent les connaissances d un étudiant de première année. Pour eux, les Français sont venus pour «apprendre» et écouter ce qui leur vient de Chine, ils sont venus pour cela. C est globalement un mouvement «de la Chine vers l Occident». Les Occidentaux qui voyagent en Asie ou ailleurs visiter des structures qui exercent la MTC sont nombreux à s interroger sur les modalités de fonctionnement [5-7]. A la lecture des comptes rendus, il faut bien reconnaître que les pratiques, si elles se ressemblent, comportent quand même des différences selon les lieux, les populations concernées, les praticiens. Tout cela participe à mon sens, à une évolution «internationale et collaborative». Par ailleurs, à la question : «Y-a-t-il des services hospitaliers en MTC pour le suivi de femmes enceintes», la réponse à Beijing a toujours été : «Non, nous n en n avons pas, cela n existe pas». La réponse des Chinois rencontrés ici-et-là a été : «En raison de la politique de l enfant unique, les femmes préfèrent jouer la sécurité en consultant la médecine moderne». La réponse de Pr Hor a été : «L acupuncture obstétricale est une invention française,
2014, 13 (3) Florence Phan-Choffrut 233 cela n existe pas dans la tradition». Sur cette dernière réponse, je reste sur ma faim. En effet, il existe bien des Classiques spécifiquement dédiés aux pathologies ORL en MTC 2. Il y a ainsi à Beijing le très célèbre hôpital Tongren (Beijing Tongren Yiyuan, ) dans lequel sont traitées uniquement ces pathologies. Il existe également des textes anciens dédiés aux pathologies gynécologiques 3, mais il n y a pas de service spécialisé [8-10]. Les Chinois de la rue ont peut-être donné la meilleure explication. Conclusion Il y a donc lien de complémentarité entre ces deux évènements : Occident vers Chine et Chine vers Occident, il y a toujours à apprendre (à prendre). Conflit d intérêts : aucun D r Florence Phan-Choffrut Trésorière adjointe de l Apemect (Association pour la Promotion Européenne de la Médecine Chinoise Traditionnelle) 2 passage privé, parc Victor Hugo, 93500 Pantin * : phan-choffrut@wanadoo.fr Notes 1. A quand faire remonter la tradition? Peut-on (et dans quelle mesure) associer médecine traditionnelle et médecine actuelle? Au sein de la tradition y-a-t-il place pour le développement? Quelle est la limite entre développement et interprétation?... 2. Le Neijing (nombreux chapitres dont la théorie des cinq roues), le Zhou Bing Yuan Hou Lun de Chao Yuanfang en 600) (Traité Général de l Étiologie et de la Symptomatologie des Maladies), Jin Hai Jing Wei en 960 (théories des 5 roues et 8 contours, 81 maladies d ophtalmologie), le Shi Yi de Xiao Fang compilé par Wei Yilin en 1345 (Formules Efficaces et Testées par les Médecins depuis des Générations, dans lequel, entre autre, on y lit des prescriptions pour les maladies ORL), le Cheng Lou Yu Ya de Zheng Meijian, XVII e (ou Clé de Jade de la Chambre Secrète, traité de laryngologie) etc.. 3. Le Qian Jin Yi Fang de Sun Simiao (Supplément aux prescriptions valant mille pièces d or, VII e siècle), le Jing Xiao Chan Bao de Zan Yin (847-852, Trésors testés en obstétrique), le Wei Sheng Ji Bao ChanKe Bei Yao de Zhu Duanzhang en 1184 (ou Livre Médical Précieux sur l Usage de l Obstétrique à Domicile), le Furen Daquan Liangfang de Chen Ziming en1237, le Ji Yin gan Mu de Wu Zhiwang en 1620 (Ébauche des thérapeutiques des maladies de la femme), le Fu Ke ZhengZhi Zhun Sheng de Wang Qo en 1665 (Standards des diagnostics et thérapeutiques des maladies de la femme), les travaux de Fu Qing sur les Maladies des Femmes, Fu Qing Zhu Nü Ke (77 chapitres traitant des diagnostic et traitement des maladies en rapport avec l obstétrique et la gynécologie, 1827) ainsi que Chan Hou Bian (les soins du Post Partum, 43 types de maladies en rapport avec l obstétrique), Nu Ke Zheng Zhi Zhun Sheng de Wu zhiwang. Référence 1. Andrès G. L acupuncture française en Chine. Acupuncture & Moxibustion 2013;12(3):175-6. 2. Sautreuil P. Inauguration du Musée de la Médecine Traditionnelle en Occident et Colloque médical et anthropologique sur le développement de la MTC en Occident. Acupuncture & Moxibustion 2013;12(4):333-7. 3. Lepron PA. Jacques-André Lavier. Acupuncture & Moxibustion 2005;4(2):85-6. 4. Phan-Choffrut F. Consultations à Beijing en Juillet 2012. Acupuncture & Moxibustion 2012;11(3):215-9. 5. Phan-Choffrut F. Visite au service d acupuncture du China Medical Hospital, Taichung, Taiwan. Acupuncture & Moxibustion 2004;3(3):206-8. 6. Sautreuil P. Une visite à l hôpital Hamid Brahimi, à Alger. Acupuncture & Moxibustion. 2008;7(2):166-8. 7. Covin J, Gatineaud ME, Clément P, Huard-Giordano C. Des médecins acupuncteurs de l Asoformec en visite à l hôpital populaire de Tunxi. Acupuncture & Moxibustion 2013;12(3):246-9. 8. Gourion A, Roy JY. Principaux auteurs et ouvrages de la Médecine Traditionnelle de l antiquité à nos jours. Revue Française de MTC 1988;128:123-142. 9. Sapriel M, Stolzt P. Une introduction à la médecine chinoise, le corps théorique. Paris: Springer Verlag; 2006. 10. Roy JY. Auteurs et ouvrages de la médecine traditionnelle chinoise de l antiquité à nos jours. Mémoire d Acupuncture. Marseille 1988.