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Transcription:

Numéro du rôle : 592 Arrêt n 59/94 du 14 juillet 1994 A R R E T En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 56, 1er, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, et l'article 76 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone, posées par le Conseil d'etat. La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges K. Blanckaert, L.P. Suetens, H. Boel, L. François, P. Martens, Y. de Wasseige, J. Delruelle, G. De Baets, E. Cerexhe et H. Coremans, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : * * *

2 I. Objet des questions préjudicielles Par arrêt n 43.520 du 29 juin 1993, en cause de Rudolf Pankert contre l'institut national d'assurance maladie-invalidité, le Conseil d'etat, section d'administration, VIe chambre, a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes : «1. L'article 56, 1er, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, est-il compatible avec les articles 6 et 6bis de la Constitution en tant qu'il prévoit que les arrêtés royaux et ministériels sont rédigés en français et en néerlandais, mais non en allemand? 2. L'article 76 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone est-il compatible avec les articles 6 et 6bis de la Constitution en tant qu'il prévoit seulement des traductions des textes législatifs et réglementaires, traductions arrêtées par le Roi, et que ces traductions ne se font que dans les limites des crédits budgétaires?» II. Les faits et la procédure antérieure Par requête du 30 juin 1992, Rudolf Pankert demande l'annulation du règlement du 1er juin 1992 modifiant l'arrêté royal du 24 décembre 1963 portant règlement des prestations de santé en matière d'assurance obligatoire contre la maladie et l'invalidité. Ce règlement a été pris par le comité de gestion du service des soins de santé en exécution de l'article 12, 4, de la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d'assurance obligatoire contre la maladie et l'invalidité. Devant le Conseil d'etat, le requérant prend un moyen unique de la violation des articles 6 et 6bis de la Constitution en ce que le règlement attaqué est publié en langues française et néerlandaise, mais non en langue allemande alors que les dispositions constitutionnelles précitées prohibent toute discrimination fondée sur la langue. Dans son arrêt du 29 juin 1993, le Conseil d'etat constate que le requérant conteste en réalité la compatibilité de l'article 56, 1er, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, avec les articles 6 et 6bis de la Constitution et que le requérant estime que l'article 76 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone ne peut assurer le respect des articles 6 et 6bis de la Constitution. Le Conseil d'etat décide, en application de l'article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, de poser à la Cour les questions préjudicielles précitées. III. La procédure devant la Cour L'expédition de la décision de renvoi est parvenue au greffe le 16 juillet 1993. Par ordonnance du 16 juillet 1993, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

3 Les juges-rapporteurs ont estimé qu'il n'y avait pas lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique. Par ordonnance du 5 août 1993, la Cour a décidé que l'instruction serait faite en néerlandais, conformément à l'article 63, 2, de la loi organique. La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 6 septembre 1993. L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 9 septembre 1993. A la demande écrite du Conseil des ministres du 21 octobre 1993, le président a, par ordonnance du même jour, prorogé le délai pour l'introduction d'un mémoire jusqu'au 16 novembre 1993. Ont introduit un mémoire : - R. Pankert, Stendrich 131, 4700 Eupen, par lettre recommandée à la poste le 18 octobre 1993; - le Gouvernement de la Communauté germanophone, Klötzerbahn 32, 4700 Eupen, par lettre recommandée à la poste le 21 octobre 1993; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 16 novembre 1993. Par ordonnance du 11 janvier 1994, la Cour a prorogé jusqu'au 16 juillet 1994 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu. Les mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 14 février 1994. Le Gouvernement de la Communauté germanophone a introduit un mémoire en réponse par lettre recommandée à la poste le 15 mars 1994. Par ordonnance du 21 avril 1994, le président L. De Grève a soumis l'affaire à la Cour réunie en séance plénière. Par ordonnance du 21 avril 1994, la Cour a déclaré l'affaire en état et a fixé l'audience au 10 mai 1994. Cette ordonnance a été notifiée aux parties et à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 21 avril 1994. A l'audience du 10 mai 1994 : - ont comparu :. R. Pankert, en personne;. Me J.P. De Bandt et Me R. Ergec, avocats du barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement de la Communauté germanophone;. Me W. Debeuckelaere, avocat du barreau de Gand, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs H. Coremans et Y. de Wasseige ont fait rapport;

4 - R. Pankert et les avocats ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré. La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour. IV. En droit - A - Mémoire de R. Pankert A.1.1. L'auteur du mémoire déclare, concernant la seconde question préjudicielle, que le principe d'égalité est violé lorsqu'il n'est pas publié également une version allemande d'une disposition légale, étant donné que la Constitution a reconnu l'existence de quatre régions linguistiques et de trois communautés. La Communauté germanophone ne constitue pas une minorité et les trois langues officielles sont traitées de manière équivalente à l'article 140 de la Constitution. Le fait qu'une version allemande n'est établie qu'ultérieurement et par une signature supplémentaire du Roi est en contradiction avec le principe d'égalité. La circonstance qu'il n'est procédé qu'à des traductions dans les limites des crédits budgétaires constitue également une violation du principe d'égalité : on ne saurait justifier qu'une disposition applicable à l'ensemble de l'etat fédéral soit, pour des raisons financières, exclusivement publiée dans deux des trois langues nationales. L'auteur du mémoire cite ensuite une série d'exemples de normes qui n'ont pas été publiées en allemand alors qu'elles intéressaient les citoyens germanophones. Il souligne les frais que doivent engager les personnes et les institutions pour obtenir des traductions non officielles qui n'ont aucune valeur en droit, en sorte que ces personnes ou institutions sont discriminées par rapport aux autres citoyens. A.1.2. Concernant la première question préjudicielle, l'auteur du mémoire souligne que la disposition figurant aujourd'hui à l'article 56, 1er, des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative était déjà contraire au principe d'égalité lorsqu'elle fut adoptée, étant donné qu'elle ignorait l'existence de la région de langue allemande. Mémoire du Gouvernement de la Communauté germanophone A.2. Le Gouvernement de la Communauté germanophone considère que tant l'article 56 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative que l'article 76 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Commu nauté germanophone contiennent un traitement inégal qui ne peut plus se justifier depuis 1983. Il résulte des révisions constitutionnelles de 1970 et de 1983 ainsi que de la loi du 31 décembre 1983 que la région de langue allemande et la Communauté germanophone sont placées au même niveau que les autres régions linguistiques et communautés. Par conséquent, la langue allemande s'est vu reconnaître le même statut juridique que les langues française et néerlandaise, de sorte que toutes les lois et arrêtés fédéraux devraient être établis dans les trois langues nationales.

5 Avant 1983, le fait que les lois et arrêtés ne fussent pas traduits et publiés en allemand pouvait, il est vrai, se justifier par la circonstance que la langue allemande et la Communauté germanophone ne disposaient pas encore d'un statut juridique équivalent; depuis 1983, il n'existe toutefois plus aucune justification pour ce traitement inégal. L'égalité de statut visée ci-dessus doit d'autant plus être prise en considération que depuis 1991 l'article 140 de la Constitution dispose que le texte de la Constitution est également établi en allemand. Le Gouvernement de la Communauté germanophone n'aperçoit aucune raison pour que ce principe ne soit pas applicable également aux lois, aux traités internationaux ou aux arrêtés royaux et ministériels. Quand bien même le souci du législateur d'éviter des frais et d'autres difficultés pratiques serait légitime - ce que conteste le Gouvernement de la Communauté germanophone -, les moyens utilisés seraient disproportionnés étant donné que le critère de distinction utilisé viole les principes fondamentaux de l'ordre juridique belge. La distinction méconnaît en effet l'égalité des trois communautés et des trois langues nationales ancrée dans la Constitution. Il ressort d'une comparaison des articles 59bis et 59ter de la Constitution, auxquels la loi du 31 décembre 1983 a donné exécution, que les statuts des trois communautés sont pleinement identiques. Les différences existantes sont uniquement imputables à des circonstances particulières et peuvent être considérées comme étant d'intérêt secondaire. Il résulte de la lecture des articles 3bis, 3ter et 140 de la Constitution que la langue allemande est mise sur un pied d'égalité avec les langues française et néerlandaise. Par ailleurs, il peut être inféré de l'article 129 de la Constitution que toutes les normes doivent être rendues accessibles en manière telle que tous les justiciables soient non seulement mis au courant de l'existence de ces normes mais soient en outre informés de leur contenu, objectif qui découle du reste du principe de la sécurité juridique. Le Gouvernement de la Communauté germanophone affirme que lorsque le Constituant et le législateur accordent à certains habitants le droit de s'exprimer en allemand, entre autres en matière administrative et judiciaire, ils leur reconnaissent également le droit de ne connaître et comprendre que cette langue, avec pour corollaire l'obligation de mettre à disposition des textes allemands qui traduisent de manière authentique la volonté du législateur. Par conséquent, des moyens suffisants doivent être disponibles à cette fin. L'article 76 de la loi du 31 décembre 1983 ne réalise cependant pas l'égalité d'accès à la loi : cette disposition ne garantit d'aucune manière que tous les textes qui intéressent les Belges de langue allemande soient traduits en allemand, et même lorsqu'une traduction est faite, elle n'est publiée qu'ultérieurement. Il résulte de l'égalité statutaire instaurée en 1983 entre les différentes communautés et régions linguistiques et du principe inscrit à l'article 129 de la Constitution que depuis cette année-là il doit exister une traduction allemande immédiate et officielle des normes de l'autorité centrale. Compte tenu du fait que cette obligation n'a été instaurée qu'en 1983, on peut admettre que les textes antérieurs à cette année ne doivent être traduits que progressivement. Selon le Gouvernement de la Communauté germanophone, l'obligation constitutionnelle de la publication des normes dans les trois langues nationales implique que les moyens financiers nécessaires soient mis à disposition. La circonstance que les traductions ne peuvent s'effectuer que «dans les limites des crédits budgétaires» a pour effet que, s'agissant des germanophones, la garantie d'un accès effectif aux normes est totalement insuffisante. Pour les textes antérieurs à 1983, le législateur aurait dû prévoir une obligation de résultat, tandis que les textes postérieurs à 1983 devraient être publiés directement en allemand, conjointement avec les deux autres langues nationales. Le Gouvernement de la Communauté germanophone observe qu'il en va déjà ainsi pour les dispositions de la Région wallonne et qu'il n'y a aucune raison de traiter différemment les normes de l'etat fédéral. Si la Cour devait néanmoins trouver une justification objective au fait que les normes adoptées depuis 1983 ne sont traduites qu'a posteriori, il faudrait admettre, à tout le moins, que la restriction relative aux «limites des crédits budgétaires» n'offre pas de garantie suffisante pour le fonctionnement permanent des services de traduction, lequel est évidemment indispensable pour assurer aux Belges de langue allemande un accès efficace et effectif aux règles de droit fédérales. En conclusion, il peut être affirmé que l'article 76 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone viole manifestement les articles 6 et 6bis de la Constitution dans la mesure où la restriction relative aux «limites des crédits budgétaires» offre une garantie totalement insuffisante pour l'accès effectif aux normes de l'etat fédéral et pour la connaissance effective de celles-ci. La justification avancée pour cette disposition ne saurait être considérée comme objective, adéquate et raisonnable puisqu'elle est uniquement fondée sur des difficultés d'ordre pratique et sur des questions d'opportunité. Cette justification est de surcroît incompatible avec les principes fondamentaux de l'ordre juridique belge et apparaît donc comme

6 disproportionnée. Mémoire du Conseil des ministres A.3. Le Conseil des ministres constate tout d'abord qu'il existe une inégalité dans la mesure où les Belges de langue allemande n'ont pas le même accès aux arrêtés royaux et ministériels que les autres Belges, qui peuvent connaître ces normes dans leur propre langue ou dans la langue de leur communauté. Le Conseil des ministres observe toutefois que la loi du 31 décembre 1983 élimine cette inégalité. Compte tenu du fait que la traduction en allemand des normes adoptées au niveau fédéral représente une charge de travail énorme, une réglementation a été mise au point qui entraîne un certain fractionnement et une différenciation. C'est ainsi que le texte allemand de la Constitution est à la fois un texte officiel et authentique, qu'il est tenu compte des germanophones dans le contentieux constitutionnel, que l'allemand peut se retrouver soit comme langue authentique soit sous forme de traduction officielle au niveau de la Communauté germanophone ou de la Région wallonne et que pour les autres normes il a été prévu un mécanisme de traduction qui est réglé au titre IX de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone. Il reste toutefois que la langue allemande n'est pas encore traitée sur le même pied que les langues française et néerlandaise. Selon le Conseil des ministres, ce traitement inégal peut cependant se justifier. Les Belges de langue allemande ne se trouvent pas, en effet, dans la même situation que les autres Belges, francophones ou néerlandophones. L'allemand n'est parlé que par une petite minorité de Belges et la région de langue allemande est beaucoup plus petite que les autres régions linguistiques. Cette différence objective explique que l'allemand ne soit considéré que depuis peu comme une langue officielle ou authentique au plan normatif et que la concrétisation du principe de l'égalité de l'allemand soit soumise à des restrictions qui trouvent leur origine dans la limitation des moyens budgétaires. Le Conseil des ministres rappelle que la Cour a déjà admis à plusieurs reprises que les restrictions budgétaires inspirées par le souci de maintenir en équilibre les finances publiques constituent un objectif pouvant justifier une différence de traitement. Le Conseil des ministres considère pour le reste que les moyens utilisés sont proportionnés au but visé, puisqu'il est vérifié et décidé, budget par budget, quels moyens peuvent être débloqués pour la traduction des lois, arrêtés et règlements. De plus, on a concrètement prévu certains moyens pour réaliser des traductions en allemand. Mémoire en réponse du Gouvernement de la Communauté germanophone A.4. Dans son mémoire en réponse, le Gouvernement de la Communauté germanophone expose en premier lieu que, du point de vue constitutionnel, l'allemand est l'une des trois langues nationales officielles, totalement assimilée aux deux autres langues nationales, tandis que la Communauté germanophone et la région de langue allemande sont mises sur un pied d'égalité avec les autres communautés et régions linguistiques. Le Gouvernement de la Communauté germanophone conteste ensuite l'affirmation du Conseil des ministres selon laquelle la distinction opérée au détriment des Belges de langue allemande en ce qui concerne l'accès au contenu des normes reposerait sur un critère objectif et présenterait un rapport raisonnable avec le but visé par la réglementation litigieuse.

7 La distinction quantitative entre les Belges de langue allemande, d'une part, et les Belges francophones et néerlandophones, d'autre part, ne constitue pas, selon le Gouvernement de la Communauté germanophone, une distinction objective dès lors qu'elle est contraire aux principes fondamentaux de l'ordre juridique belge, à savoir la mise sur pied d'égalité par la Constitution des différentes communautés et régions linguistiques. En outre, le Gouvernement de la Communauté germanophone souligne que la différence de traitement litigieuse concerne en premier lieu une catégorie d'individus, à savoir les Belges germanophones. Le droit d'accès, dans leur langue nationale, aux normes qui leur sont applicables est un droit individuel qui revient à tous les Belges sans distinction et qui ne peut donc dépendre de l'importance quantitative du groupe auquel appartiennent les individus. Le Gouvernement de la Communauté germanophone souligne aussi que le but des dispositions contestées - la recherche de l'équilibre des finances publiques - ne peut porter atteinte aux principes fondamentaux de l'ordre juridique belge, ce qui est le cas en l'espèce étant donné que les dispositions en cause vont à l'encontre de l'égalité des communautés et régions linguistiques, du principe selon lequel chaque Belge doit avoir accès au droit fédéral dans la langue nationale officielle qui est la sienne et, enfin, du principe selon lequel nul n'est censé ignorer la loi. Une conséquence des règles susdites est que les normes fédérales doivent être rendues accessibles dans les trois langues nationales, de manière à garantir également le principe fondamental de la sécurité juridique. Le Gouvernement susdit considère donc que le principe de proportionnalité n'est pas respecté. Le Gouvernement de la Communauté germanophone conclut dès lors que les normes de l'etat fédéral doivent être publiées en allemand ou qu'une traduction officielle ultérieure - possédant donc une validité juridique - doit à tout le moins être réalisée. - B - B.1. L'article 56, 1er, alinéa 1er, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, dispose : «Les arrêtés royaux et ministériels sont rédigés en français et en néerlandais». L'article 76, 1er, 1, de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone, remplacé par l'article 16 de la loi du 18 juillet 1990, dispose : «Dans les limites des crédits budgétaires, le commissaire d'arrondissement compétent pour la région de langue allemande est chargé : 1 d'établir et de diffuser la traduction officielle en langue allemande des lois, décrets, ordonnances, arrêtés et règlements;». L'arrêt de renvoi soulève la question de savoir si les habitants de la région de langue allemande sont ou non discriminés par rapport aux habitants des autres régions linguistiques en ce qu'il n'existe pas de texte allemand authentique des règles de droit fédérales ou, s'il est répondu négativement à cette question, en ce que des traductions de ces règles de droit ne sont établies que dans les limites des crédits budgétaires.

8 B.2. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. B.3. Le droit pour l'habitant de la région de langue allemande d'avoir accès à la législation fédérale dans sa propre langue est inscrit à l'article 76 précité de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone. Cet article contient toutefois une double limitation : d'une part, l'accès à la législation n'est assuré que par la mise à disposition de traductions et non d'un texte allemand authentique et, d'autre part, les traductions officielles ne sont établies que «dans les limites des crédits budgétaires». La Cour doit examiner s'il existe une justification suffisante pour chacune de ces restrictions. B.4. La question de savoir s'il résulte du principe d'égalité que les habitants de la région de langue allemande ont le droit de disposer d'un texte allemand authentique des lois, arrêtés et règlements fédéraux ne concerne pas seulement l'accès à la législation pour le sujet de droit, mais a aussi un rapport immédiat avec l'organisation et le fonctionnement des institutions impliquées dans l'activité normative.

9 Le droit pour un habitant de la région de langue allemande d'avoir accès aux textes législatifs et réglementaires fédéraux dans sa propre langue n'implique pas nécessairement l'existence de textes authentiques. Que les textes français et néerlandais soient authentiques tandis que les textes allemands sont des traductions officielles, tient à l'organisation même des institutions fédérales. Exiger l'existence d'un texte authentique en allemand des lois, arrêtés et règlements fédéraux rendrait nécessaire une réorganisation des structures et du fonctionnement du système fédératif belge. La différence repose donc sur un critère objectif qui la justifie raisonnablement. Les articles de loi qui font l'objet des questions préjudicielles ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution (anciens articles 6 et 6bis) en tant qu'ils ne prévoient pas l'existence d'un texte authentique en allemand des lois, arrêtés et règlements fédéraux. B.5.1. L'article 76, 1er, de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone, remplacé par l'article 16 de la loi du 18 juillet 1990, charge le commissaire d'arrondissement compétent pour la région de langue allemande d'établir et de diffuser la traduction officielle en langue allemande notamment des lois, arrêtés et règlements fédéraux, mais «dans les limites des crédits budgétaires». Il ne se déduit d'aucune disposition constitutionnelle ou législative ni d'aucun principe général de droit que l'absence de traduction officielle, en langue allemande, des lois, arrêtés et règlements priverait ceux-ci de force obligatoire à l'égard des habitants de la région de langue allemande.

10 Toutefois, le principe d'égalité serait méconnu si pour une catégorie de citoyens belges l'accès aux textes fédéraux législatifs et réglementaires était rendu plus difficile par l'impossibilité de pouvoir les lire dans leur propre langue. Si les termes «dans les limites des crédits budgétaires» étaient interprétés comme autorisant la limitation arbitraire du nombre de traductions par le refus d'attribuer les crédits budgétaires nécessaires, les articles 10 et 11 de la Constitution (anciens articles 6 et 6bis) s'en trouveraient violés car l'accès des habitants de la région de langue allemande aux dispositions législatives et réglementaires fédérales serait ainsi limité d'une manière déraisonnable. B.5.2. Il ressort toutefois des travaux préparatoires de l'article 16 précité de la loi du 18 juillet 1990 que le principe de la traduction des textes légaux et réglementaires en langue allemande a été accepté (Ann. parl., Sénat, 4 juillet 1990, p. 2490; Doc. parl., Chambre, 1989-1990, n 1254/2, p. 8). L'ajout du membre de phrase «dans les limites des crédits budgétaires» est justifié par «l'impossibilité d'accomplir à court terme une tâche aussi importante» (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n 927-3, p. 3). L'article 76, 1er, 1, de la loi du 31 décembre 1983, remplacé par l'article 16 de la loi du 18 juillet 1990, doit donc être interprété comme imposant une obligation effective d'établir dans un délai raisonnable une traduction en langue allemande de tous les textes légaux et réglementaires émanant de l'autorité fédérale. B.5.3. Comme la réserve relative aux limites des crédits budgétaires ôterait toute portée normative à la disposition critiquée si elle était prise à la lettre et ne se justifie que par l'importance de l'arriéré, cette réserve doit être entendue comme relative aux seuls textes antérieurs à la date d'entrée en vigueur de l'article 16 de la loi du 18 juillet

1990, c'est-à-dire le 1er janvier 1989; ces textes doivent être traduits progressivement en fonction de l'importance qu'ils présentent pour les habitants de la région de langue allemande. 11 Par contre, pour ce qui est des textes postérieurs à cette date, leur traduction doit être systématique et suivre leur publication au Moniteur belge, étant entendu que le commissaire d'arrondissement dispose du délai nécessaire pour établir et diffuser cette traduction.

12 Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - l'article 56, 1er, alinéa 1er, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution; - l'article 76, 1er, 1, de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone, tel qu'il est interprété en B.5, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 14 juillet 1994. Le greffier, Le président, L. Potoms L. De Grève