Riseo 2010-2 21. Eric Desfougères Maître de conférences à l Université de Haute-Alsace, C.E.R.D.A.C.C. EA 3992



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II.C.1)a) LA RESPONSABILITE

Transcription:

Obligation de sécurité et transport de personnes : un développement incontrôlé eu égard à la jurisprudence Safety Obligation and Transport of Persons: An Uncontrolled Development in Consideration of the Case Law Eric Desfougères Maître de conférences à l Université de Haute-Alsace, C.E.R.D.A.C.C. EA 3992 Résumé : Près d un siècle après avoir été dégagée, en 1911, par la jurisprudence, l obligation de sécurité résultat en matière de transport de personnes semble véritablement à un tournant. Après s être progressivement propagée à l ensemble des moyens de locomotion - même les plus insolites - et avoir été - après un certain nombre d atermoiements - circonscrite au seul déplacement proprement dit, les conditions permettant au transporteur de s en exonérer ont été singulièrement renforcées. Ce qui peut laisser présager, à plus ou brève échéance, un basculement vers un autre fondement de responsabilité, encore plus favorable pour les victimes de ce type d accidents. Summary : Near a century after having been drown in 1911, by the case law, the result safety obligation concerning transport of persons seems to be at its turning point. After having gradually propagated to all means of transport - even the most unusual ones - and having been - after a number of procrastinations limited the only movement strictly speaking, the conditions allowing the transporters to exempt themselves from this obligation were singularly strengthened. This can let augur, in a long or a short term, a failover towards another foundation of liability, even more favorable for the victims of this kind of accidents. 1. Assez paradoxalement et alors qu il consacre tout de même quatre articles 1 (1) au transport de marchandises, aucune disposition du Code Civil, ni dans sa version originelle de 1804, ni lors des multiples adjonctions intervenues depuis, n est centrée sur le transport de personnes 2 (2). La jurisprudence - au premier rang desquelles les chambres civiles de la Cour de Cassation - a donc pu bénéficier d une entière liberté pour lentement édifier tout un système d obligations pesant sur le transporteur vis-à-vis des passagers blessés ou des ayants droit de ceux qui seraient décédés. Dans un premier temps et tout au long du dix-neuvième siècle, les juges vont repousser toute idée de responsabilité civile contractuelle, en considérant précisément que l article 1784 du Code Civil sousentendait un dépôt, ce qui n était le cas que pour le transport de marchandises 3 (3). C est, dès lors, sur le seul fondement de la responsabilité civile délictuelle des articles 1382 et suivants que pouvait être envisagée une indemnisation du voyageur ou des ses proches, à condition, bien sûr de prouver une faute du transporteur. Le développement exponentiel du transport de masse ayant rendu cette situation pratiquement intenable, la vraie révolution juridique n interviendra cependant qu avec le 1 Articles 1782 à 1786 ayant posé le grand principe de responsabilité des transporteurs du fait des choses qui leur sont confiées et dont ils ont la garde. 2 Cf P. Delbecque L évolution du transport de passagers in Mélanges G. Viney, Paris : L.G.D.J. 2008 p. 307 et s. 3 Cf parmi les arrêts les plus explicites sur ce rejet Cass. Civ. 10 novembre 1884 (S. 1885.1.129 note C. Lyon-Caen prônant déjà une uniformisation des deux régimes de responsabilité). Riseo 2010-2 21

revirement total de jurisprudence opéré par l arrêt de la Chambre Civile du 21 novembre 1911 4 (4), intervenu en matière maritime et unanimement considéré comme l arrêt fondateur de l obligation de sécurité 5 (5), rapidement assimilée à l obligation de résultat. En s appuyant, cette fois, sur l article 1134, la Cour de Cassation affirme que l exécution du contrat de transport comporte pour le transporteur l obligation de conduire le voyageur sain et sauf, à destination. Obligation dont il ne peut se libérer qu en démontrant l existence d une cause étrangère à l origine de l accident. Une confirmation solennelle de ce véritable revirement jurisprudentiel interviendra, en matière ferroviaire, avec l arrêt du 27 janvier 1913 6 (6). 2. La plus belle preuve de réussite de cette construction prétorienne française semble bien être la reprise de fondements similaires dans toutes les grandes conventions internationales relatives au transport de voyageurs. On pense, naturellement, aux dispositions bien connues du transport aérien de l article 17 7 (7) de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929, en passe d être remplacée par l article 17-1 8 (8) de la convention signée à Montréal le 28 mai 1999 et entrée en vigueur progressivement à compter du 4 novembre 2003. Mais, on retrouve la même chose en transport ferroviaire avec le 1 de l article 26 9 (9) des Règles Uniformes concernant le transport international ferroviaire de voyageurs (RU-CIV) représentant l appendice A de la Convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF) signée à Berne le 9 mai 1980. Il en y irait pareillement pour les deux autres principaux modes de transport si la France avait ratifié l article 4 10 (10) de la Convention de Bruxelles du 29 avril 1961 et de l article 4 11 (11) de la convention d Athènes du 13 décembre 1974 pour le transport de passagers par mer et l article 11 12 (12) de la convention sur le transport international de voyageurs et de bagages par route (CVR) signée à 4 Zbidi Hamida ben Mahmoud c. Compagnie Générale Transatlantique (S. 1912.1.73 note C. Lyon-Caen et D. 1913.1 p. 249 avec note L. Sarrut, fervent défenseur de ce changement) pour un passager grièvement blessé par la chute d un tonneau mal arrimé lors d une traversée Tunis/Bône. 5 Cf J.-L. Hennepin La naissance de l obligation de sécurité, Gazette du Palais n spécial du 23 septembre 1997 pp. 1176/1183 nuançant tout de même singulièrement la nouveauté en retraçant toute l évolution de la responsabilité des transporteurs de personnes depuis le droit romain. 6 Mestelan (S. 1913.177 avec note C. Lyon-Caen et résumé des conclusions du procureur général L. Sarrut employant pour la première fois l expression obligation de sécurité). 7 «Le transporteur est responsable du dommage intervenu en cas de mort, de blessure, ou de toute autre lésion corporelle subie par un voyageur lorsque l accident qui a causé le dommage s est produit à bord de l aéronef ou au cours de toutes opérations d embarquement ou de débarquement». 8 «Le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l accident qui a causé la mort ou la lésion s est produit à bord de l aéronef ou au cours de toutes opérations d embarquement ou de débarquement». 9 «Le transporteur est responsable du dommage résultant de la mort, des blessures ou de toute autre atteinte à l intégrité physique du voyageur causé par un accident en relation avec l exploitation ferroviaire survenu pendant que le voyageur séjourne dans les véhicules ferroviaires, qu il y entre ou qu il en sort, quelque soit l infrastructure ferroviaire utilisée». 10 «Le transporteur sera responsable du préjudice résultant du décès ou de lésions corporelles d un passager, si le fait générateur du préjudice ainsi subi a lieu au cours du transport et est imputable à la faute ou négligence du transporteur, ou de ses préposés agissant dans l exercice de ses fonctions». 11 Rédigé en termes similaire à l article 4 de la Convention de Bruxelles du 29 avril 1961. 12 «Le transporteur est responsable du préjudice résultant de la mort, des blessures ou de toute autre atteinte à l intégrité physique ou mentale causées au voyageur par un accident en relation avec le transport et survenant pendant que ledit voyageur se trouve dans le véhicule ou pendant qu il y entre ou qu il en sort, ou survenant du fait du chargement ou du déchargement des bagages». Riseo 2010-2 22

Genève le 1 er mars 1973. Résulte bien de tout cela que le seul fait d être blessé ou, pire, d être tué à bord d un véhicule suffit à engager la responsabilité du transporteur. 3. Près d un siècle après sa genèse, l obligation de sécurité qui a essaimé, en outre, dans bon nombre d autres contrats commerciaux, à commencer par la vente 13 (13) paraît d autant plus à son apogée qu elle couvre désormais un maximum d hypothèses liées à l acheminement de personnes (I) et que parallèlement les possibilités pour le transporter de s en libérer se sont elles singulièrement réduites comme une peau de chagrin (II). I Le champ d application quasi-illimité de l obligation de sécurité en matière de transport de personnes 4. Ce sont non seulement toutes les formes de mobilité humaine qui sont couvertes (A) mais aussi les phases d accès aux différents véhicules (B). A) La généralisation progressive à tous modes de déplacement 5. Depuis sa période d affirmation, l obligation de sécurité-résultat n a eu de cesse de se propager à toutes les formes de transport de personnes, y compris les plus insolites. 1. La soumission logique à l obligation de sécurité-résultat des modes traditionnels de locomotion 6. Après son émergence en matière maritime et ferroviaire, dans les années 1911/1913, dès le début des années 1920, l obligation de transporter les voyageurs sains et saufs, est reprise à propos de passagers blessés dans des automobiles louées avec chauffeurs 14 (14). Avec les années 1930, on voit apparaître certaines affaires mettant en cause des tramways de la première génération 15 (15) et dans les années 1950, le métropolitain 16 (16), puis l autocar 17 (17). En matière routière, l arrêt de la Cour d Appel de Lyon du 22 mai 1935 18 (18) avait déjà clairement posé le principe qu un transporteur ne pouvait échapper à sa responsabilité en prouvant que le matériel était en parfait état et qu il avait pris toutes les précautions. A bien noter aussi que depuis la loi du 5 juillet 1985, les 13 T. Hassler Le point sur l obligation de sécurité, Les Petites Affiches 12 février 1997 p. 18 ; Y. Lambert-Faivre Fondement et régime de l obligation de sécurité, D. 1994 p. 81. 14 Cass. req. 31 juillet 1922 (S. 1922.1.324 reproduit avec deux autres arrêts en matière ferroviaire) pour une passagère victime de la collision entre un camion de l Etat et l automobile qu elle avait louée. 15 C.A. Grenoble 24 octobre 1930 (D. 1930 p. 595) - Cass. Civ. 7 mai 1935 (S. 1935 p. 206). 16 Cass. Civ. 4 mars 1950 (JCP 1950.8122). 17 Cass. Civ. 23 mai 1955 (D. 1955 p. 504). 18 S.1935, p. 234. Riseo 2010-2 23

accidents de véhicules terrestres à moteur (taxi, autocar, autobus, trolleybus et tramways circulant sur la voie publique) relèvent d un régime spécial de responsabilité(19) 19. 7. La responsabilité du transporteur maritime de personnes est également évoquée à l article 33 de la grande loi du 18 juin 1966 relative aux contrats d affrètement et de transport maritime 20 (20). 8. En matière aérienne, l article L. 322-3 du Code de l Aviation Civile issu dans sa version d origine de la loi du 2 mars 1957 21 (21) - continue de disposer qu en matière de transport de personnes, la responsabilité du transporteur est régie par les dispositions de la Convention de Varsovie. Ce qui fait indiscutablement peser sur eux une obligation de sécurité-résultat. Même si dans son arrêt relatif à des passagers de British Airways, domiciliés en France et s étant trouvés retenus en otages lors de l invasion du Koweït par l Irak, le 2 août 1990, la Cour de Cassation se fondant sur l article 1147 du Code Civil a pu parler d obligation de sécurité de moyens 22 (22). 9. Une nuance qui demeure importante, doit néanmoins être rappelée : l obligation de sécurité ne vise pas les transports gratuits pour lesquels la victime doit toujours prouver une faute du transporteur 23 (23). 10. Si initialement, seules les personnes unies à la victime par un lien de parenté ou d alliance pouvaient être indemnisées de leur dommage moral, la jurisprudence a très progressivement étendue cette faculté à la situation des fiancés 24 (24). Par contre, un tiers au contrat de transport, comme par exemple un élève blessé par un autre dans un autobus scolaire, n est pas fondé à se prévaloir de l obligation contractuelle de résultat pour appeler en garantie le transporteur 25 (25). 2. L extension pragmatique de l obligation de sécurité-résultat à des modes plus inhabituels de locomotion 11. Guidée par un souci de protéger au mieux toutes les victimes ou leur ayants droit en leur épargnant la charge de la preuve d une faute, la jurisprudence a retenu une conception - on ne peut plus large - du concept de transport de personnes et de la responsabilité y afférant. 19 V. J.-L. Fioux Transport routier de personnes, Paris : Delmas, 2007, p. 316 et s. et notre article Les incertitudes en matière civile après 20 ans de jurisprudence sur le champ d application de la loi du 5 juillet 1985 in JAC n 65 juin 2006. 20 «Le transporteur est responsable de la mort ou des blessures des voyageurs causées par naufrage, abordage, échouement, explosion, incendie ou tout sinistre majeur, sauf preuve à sa charge que l accident n est imputable ni à sa faute ni à celle de ses préposés». 21 En fait dès la loi du 31 mai 1924, les transporteurs aériens avaient été soumis au même régime de responsabilité que les transporteurs terrestres. 22 Cass. Civ. 1 ère 15 juillet 1999 (Revue Française de Droit Aérien et Spatial 1999 p. 353 ; H. GROUTEL «Escale à Koweït-City» in Responsabilité civile et administrative novembre 1999 p. 1 et note pp. 16/17 ; Droit et Patrimoine janvier 2000 p. 88 note F. Chabas). 23 Cass. Civ. 5 décembre 1958 (S. 1959 p. 52). 24 C.A. Colmar 8 décembre 1934 (S.1935.172). 25 Cass. Civ. 1 ère 2 mai 1989 (Bull. civ. I n 182, JCP 1989IV250, Journal des Notaires et Avocats 1989 p. 980). Riseo 2010-2 24

12. Ainsi, un arrêt de la Cour d Appel de Grenoble du 15 mars 1921 26 (26) avait déjà fait peser l obligation de ramener sains et saufs les passagers sur un concessionnaire de grottes contenant un lac souterrain sur lequel une barque avait coulé. 13. A partir des années 1950-60, on voit apparaître la notion d obligation de sécurité, d abord dans l abstract 27 (27), puis dans le texte de certaines décisions 28 (28) relatives à des accidents de remonte-pente ou des télésièges 29 (29). En revanche, compte tenu de la participation active de l usager, il ne s agit que d une obligation de moyen lors des phases d embarquement et de débarquement 30 (30), comme pour les accidents de téléskis 31 (31) ou de tapis roulants. 14. C est aussi ce type d obligation qui a été retenue à l encontre d un exploitant de manège d autos tamponneuses 32 (32). 15. En matière aérienne, la notion globalisante d aéronef, définie par l article L. 110-1 du Code de l Aviation Civile comme tout appareil susceptible de s élever dans les airs et d y circuler, a facilement permis d imposer une obligation de résultat à l égard des pilotes 33 (33) d engins aussi divers que parapente, deltaplane, U.L.M. ou autre montgolfière et dirigeable, dans les hypothèses où le passager n a joué aucun rôle actif. Une fois encore, lors des phases de décollage ou d atterrissage, le rôle étant actif, l obligation n est que de moyen 34 (34). 16. Poussant à son extrême sa propre logique, la Cour de Cassation a même été jusqu à approuver les juges du fond qui avait retenu l existence d un contrat de transport entraînant une obligation de sécurité entre un propriétaire d ânes et les touristes du Cirque de Gavarnie 35 (35). Il en va autrement des promenades équestres assimilées à un sport dont le cavalier accepte les risques et qui ne font donc peser sur le club hippique qu une obligation de moyen et non de résultat 36 (36). 17. La même préoccupation peut expliquer également la volonté de prendre en charge les périodes précédant ou suivant immédiatement le voyage. 26 V. DP 1922.2.25, note A. Rouast. 27 Cass. Civ. 1 ère 8 octobre 1963 (S. 1964 p. 13). 28 Cass. Civ. 1 ère 8 octobre 1968 (D. 1969 p. 157 note J. Mazeaud) parlant d obligation déterminée de sécurité. 29 C.A. Chambéry 8 septembre 2004 (Gazette du Palais 12 février 2005 n spécial droit du ski note M. BODECHER) et plus généralement S. Tresallet et S. Marciali «Mineurs et remontées mécaniques» La Gazette du Palais 19 au 21 février 2006 pp. 21 et s. 30 Cass. Civ. 1 ère 4 novembre 1992 (Bull. civ. I n 227) pour les remonte-pentes ou Cass. Civ. 1 ère 10 mars 1998 (Bull. civ. I n 110) pour les télésièges, mais bien obligation de résultat pour un accident lors de la phase préliminaire au débarquement Cass. Civ. 1 ère 11 juin 2002 (Bull. civ. I n 166 ; note F. Chabas in Droit et Patrimoine septembre 2002 p. 103). 31 C.A. Grenoble 27 juin 2000 (JCP 2001IV1471) Cass. Civ. 1 ère 4 novembre 1992 (Bull. civ. I n 227 ; D. 1994 p. 45). 32 Cass. Civ. 1 ère 3 avril 1973 (Bull. civ. I n 127) et surtout Cass. Civ. 1 ère 12 février 1975 (D. 1975 p. 512 note P. Le Tourneau). 33 Cass. Civ. 1 ère, 21 octobre 1997 (Bull. civ. I n 287. D. 1998, jurisp. p. 271 note Philippe Brun ; D. 1999, Somm. Comm. p. 85 note A. Lacabats ; J.C.P. 1998 II 10103 note V. Varet ; Droit et Patrimoine 1998 p. 73 n 1870 note F. Chabas) et plus globalement nos articles Le baptême de l air, une pratique aux allures de transport aérien in Tourisme et Droit décembre 2006 n 83 pp. 28/31 et La responsabilité des accidents lors des baptêmes de l air in JAC n 70 janvier 2007. 34 V. sur cette distinction C.A. Poitiers 2 janvier 2003 citée par H. Groutel in Responsabilité civile et assurances 2006 p. 61 35 Cass. Civ. 1 ère 25 avril1967 (Bull. civ. I n 148). 36 Cass. Civ. 1 ère 26 avril 1963 (S. 1964 p. 33 note F. Tarabeux) et plus encore Cass. Civ. 1 ère 16 mars 1970 (Bull. civ. I n 103). Pour des confirmations plus récentes V. Cass. Civ. 1 ère 11 mai 1999 (Responsabilité civile et assurances septembre 1999 p. 25) ou C.A. Lyon 7 septembre 2000 (JCP 2001IV1087). Riseo 2010-2 25

B) Les tentatives successives d extension aux accidents hors déplacement 18. L obligation de sécurité a connu un élargissement continu 37 (37), ayant fait l objet de nombreux tâtonnements de la jurisprudence 38 (38), finalement tranchée depuis une quarantaine d années et laissant subsister une place restreinte pour la responsabilité délictuelle. 1. La levée des incertitudes relatives concernant le début et de la fin du contrat de transport de personnes 19. Initialement, on considérait, en matière ferroviaire, que c était la délivrance du billet qui formait le contrat de transport et donnait naissance à l obligation de sécurité, alors que pour les tramways ou autres véhicules publics où le prix du billet est perçu en cours de route, la conclusion ne se produisait qu au moment où les voyageurs étaient admis par les préposés de la compagnie à prendre place 39 (39). 20. Cela conduisait alors souvent les victimes et leurs conseils à agir simultanément sur les deux plans. Ainsi, pour l accident d une jeune voyageuse changeant de compartiment pendant un arrêt et ayant glissé au moment du départ sur le marche pied, la S.N.C.F., dans son pourvoi, reprochait à la Chambre civile de la Cour d Appel de Colmar détachée à Metz, d avoir fait une application simultanée de la responsabilité délictuelle et contractuelle. Mais, pour y répondre la Cour de Cassation se situait sur le seul terrain de la responsabilité contractuelle 40 (40). Dans une autre affaire, c est cette fois, une voyageuse ayant chuté dans l escalier d une station de métro, avant d avoir poinçonné son billet, qui avait invoqué sans succès le double fondement de responsabilité 41 (41). Les juges suprêmes invoquant alors, pour la rejeter en l espèce, l exécution du contrat de transport, sans pour autant encore en définir la notion. 21. C est dans ce contexte qu intervient une jurisprudence dite «de la gare Saint-Lazare», où il a été jugé dans un premier temps, que l obligation de sécurité n avait pas pris fin pour un accident survenu dans les dépendances d une gare dès lors que le voyageur devait comme conséquence du contrat de transport nécessairement les traverser 42 (42). 22. Puis, un premier changement s amorce lorsqu est rendu un arrêt majeur le 1 er juillet 1969 43 (43). Il est alors bien précisé que l obligation de conduire le voyageur sain et sauf à destination n existe que pendant l exécution du voyage et ne débute donc qu à partir du moment où 37 P. Eemein Transporteurs, veillez sur nous, D. 1962 chron. 1 et s. 38 R. Rodière Le régime légal de l obligation de sécurité due par les transporteurs à leurs voyageurs, JCP 1952I997. 39 Cass. Civ. 7 mai 1935 (op. cit.). 40 Cass. Civ. 1 ère 11 juillet 1960 (Bull. civ. I n 381) 41 Cass. Civ. 1 ère 12 février 1964 (C.J.E.G. 1964 pp. 302/305 note L. Renaud ; JCP 1964 II13650 note R. Rodière ; D. 1964 p. 368 note P. Esmein ; S. 1964 p. 209 note Plancqueel). 42 V. Cass. Civ. 1 ère 17 mai 1961 (Bull. civ. I n 254 ; S. 1961 p. 333; D. 1961 p. 532 ; JCP 1961II12217 bis). 43 S.N.C.F. c. Caramello (D. 1969 p. 640 note G. C.-M. ; JCP 1969 II16091 concl. Lindon). Riseo 2010-2 26

il commence à monter dans le véhicule pour s achever quand il a fini d en descendre 44 (44), alors qu en dehors de ces deux opérations il ne s agit que d une obligation de moyen. La solution a ensuite été transposée aux accidents lors de la descente d autobus 45 (45) et même aux accidents au cours d opération d embarquement ou de débarquement en matière aérienne 46 (46). Ainsi, l obligation de sécurité ne saurait jouer à l encontre d une personne descendue du véhicule immobilisé entre deux stations et ayant chuté sur le verglas 47 (47). 23. On retrouve également cette inclusion des accidents pré ou post transport proprement dits dans les conventions internationales réglementant le transport de personnes 48 (48). S inscrivant dans la même philosophie, l article 5 du contrat-type en matière de transport routier de personnes tel qu il résulte de la rédaction du décret n 2008-828 du 22 août 2008 49 (49) rappelle bien la responsabilité du transporteur pour les accidents, lors des opérations de montée ou de descente de l autocar. Même pour les accidents de télésièges, les accidents lors des phases préliminaires semblent demeurer couverts par l obligation de résultat 50 (50), alors qu il ne s agit que d une obligation de moyen lors des opérations d embarquement ou de débarquement 51 (51). 24. Conscient des abus dénoncés par la doctrine comme cet éloquent dialogue du Professeur René RODIERE avec l indulgence 52 (52) - qui estimait alors que paradoxalement, les accompagnateurs étaient mieux protégés que les voyageurs proprement dits, la jurisprudence va toutefois, une nouvelle évolution fondamentale vingt ans plus tard. 2. La portion congrue réservée à la responsabilité délictuelle en matière d accident de transport de personnes 25. Suite à cette jurisprudence majeure, subsiste néanmoins, une place pour la responsabilité délictuelle en matière d accidents ferroviaires de personnes 53 (53). Ainsi, à l issue d une autre 44 Cass. Civ. 1 ère 15 novembre 1977 (JCP ed. CI 1978I6569) au sujet d une chute en glissant sur le marchepied mouillé lors de la descente. 45 Cass. Civ. 1 ère 29 mai 1979 (Bull. civ. I n 158). 46 Cass. Civ. 1 ère 18 janvier 1966 (Bull. civ. I n 38) - C.A. Paris 29 octobre 1992 (D. 1993 p. 446 note G. Legier). 47 Cass. Civ. 2 ème 10 mai 1991 (Bull. civ. II n 135 ; Nouveau répertoire Commaille 1991 p. 1455). 48 En matière ferroviaire article 26 1 des RU-CIV (V. Supra note 9), en matière aérienne article 17 de la Convention de Varsovie (V. Supra note 7) et désormais article 17-1 de La Convention de Montréal (V. Supra note 8) incluant toutes les deux les opérations d embarquement et de débarquement, en matière routière article 11 de la C.V.R. (V. Supra note 12) évoquant également les accidents lors du chargement et du déchargement des bagages. 49 V. notre commentaire Le renforcement de la sécurité lié à l adoption du premier contrat type en matière de transport routier de personnes in Revue de Droit des Transports 2009 Etudes n 1 pp. 12/14. 50 Cass. Civ. 1 ère 11 juin 2002 (Droit et Patrimoine septembre 2002 p. 103 note F. Chabas). 51 Cass. Civ. 1 ère 11 mars 1986 (Gazette du Palais 1986, 2, somm. p. 333 note F. Chabas). 52 Voyageurs veillez sur vous!, D. 1971 Chron. IV p. 45 et ss. et T. Hassler Le point sur l obligation de sécurité, op. cit. 53 F. Lafay Ceux qui m aiment prendront le train : de l irrésistibilité à l inexorabilité, le danger de l irresponsabilisation des victimes par l illimitation, Rev. Juridique Droit Prospectif 2004 pp. 185 et ss. et le Mémoire de Master 2 Droit de la Prévention des Risques et des Responsabilités de l Université de Haute Alsace soutenu le 3 septembre 2008 par J. Wanner La responsabilité civile du transporteur ferroviaire de personnes : la S.N.C.F. face à ses usagers, reproduit in JAC n 94 mai 2009 Riseo 2010-2 27

décision fondamentale en date du 7 mars 1989 54 (54), les accidents de quais 55 (55) y sont clairement soumis, alors qu ils étaient auparavant assujettis à une obligation de sécurité de moyens 56 (56). A fortiori, il en va de même des accompagnateurs 57 (57) munis, naguère de ticket de quai, qui restent eux sous son empire avec obligation de prouver une faute 58 (58). On peut aussi relever au fil de la jurisprudence quelques affaires rendues sur le fondement de l article 1382 du Code Civil, comme celle où fut retenu, à l encontre de la S.N.C.F., le fait que les portes de communication entre les voitures étaient verrouillées ce qui avait alors contraint la passagère à descendre sur le ballast de la gare où elle avait chuté 59 (59). 26. Enfin et surtout, le voyageur qui poursuit son voyage au-delà du lieu de destination figurant sur son billet 60 (60) ou celui qui est carrément démuni de tout titre de transport 61 (61) ne sont plus dans une situation contractuelle, donc couvert par l obligation de sécurité. C est alors généralement la responsabilité du fait des choses, fondée sur l article 1384 alinéa 1 qui s appliquera, la Cour de Cassation ayant alors bien pris soin de souligner que le fait d être dans une situation irrégulière ne suffit pas pour empêcher des rapports de tiers à gardien 62 (62). La S.N.C.F. ne peut pour s exonérer de sa responsabilité dans l accident d un voyageur qui descendait d un train dénier l existence d un contrat de transport s il n a fait l objet d aucun procès-verbal pour absence de titre de transport 63 (63). 27. Concomitamment, à ce premier phénomène visant à repousser à l extrême les frontières du domaine dans lequel trouve à jouer cette présomption de responsabilité, un second mouvement tout aussi puissant a abouti à rendre particulièrement difficile les possibilités offertes au transporteur de s en libérer. 54 Valverde c. S.N.C.F. (Bull. civ. I n 118, D. 1991.1 note P. Malaurie L accident de quai : obligation de sécurité pendant le transport ; Gazette du Palais 1989.2.632 note Paire et plus généralement C. Mascala Accidents de gare : le déraillement de l obligation de sécurité» D. 1991 p. 80 ou R. Nerac-Croisier «Soliloque sur la responsabilité du transporteur de personnes, D. 1995 p. 35). 55 Cass. Civ. 2 ème 13 mars 2003 (D. 2003 I.R. p. 866) pour une chute dans un escalator de gare. 56 V. Cass. Civ. 1 ère 23 février 1971 (J.C.P. 1971 IV 88). 57 Cass. Civ. 2 ème 27 février 2003 (Droit et Patrimoine juin 2003 p. 90 note F. Chabas). 58 C.A. Paris 29 mars 1977 (JCP1978II18922 note R. Rodière). 59 Cass. Civ. 1 ère 16 juillet 1980 (Bull. civ. I n 215). 60 Cass. Civ. 1 ère 12 décembre 1978 (Bull. civ. I n 386). 61 Cass. Civ. 2 ème 5 octobre 1988 (Bull. transports et Logistique 1989 p. 13) ; Cass. Civ. 1 ère 6 octobre 1998 (Bull. civ. I n 269 ; JCP G 1999 II10186 note Y. Aubrée ; Droit et Patrimoine février 1999 p. 104 note F. Chabas) au sujet d une personne montée sur le marchepied d un train et ayant chuté lors de l ouverture de la portière actionnée de l intérieur - Cass. Civ. 2 ème 15 mars 2001 (Droit et Patrimoine juillet-août 2001 p. 109 note F. Chabas) Cass. Civ. 2 ème 27 février 2003 (RCA 2003 comm. 96 ; D. 2003 I.R. 809) ou Cass. Civ. 2 ème 13 juillet 2006 (Bull. civ. II n 216 ; JCP 2006 I 1735 note F. Terre Laissez descendre! ; Responsabilité civile et assurances septembre 2006 p. 15). 62 Cass. Civ. 2 ème 5 octobre 1988 (Bull. civ. II n 189 et commentaire H. Groutel L accident subi par un voyageur de la S.N.C.F. démuni de billet, in Responsabilité civile et assurances, décembre 1988 p. 3 ; Gazette du Palais 1989 somm. p. 470 note F. Chabas). 63 Cass. Civ. 1 ère 15 mars 1965 (JCP1965II14221 note P. M.F. Durand). Riseo 2010-2 28

II L exonération quasi-impossible de l obligation de sécurité en matière de transport de personnes 28. Avant même l émergence en 1911 de l obligation de sécurité, fort classiquement, les cas d imprudence de la victime 64 (64) (A) du fait d un tiers ou de force majeure 65 (65) (B) présentaient déjà un caractère exonératoire de la responsabilité civile délictuelle du transporteur. Mais, tous n ont eu de cesse de voir diminuer leur admission par les juges. A) La restriction progressive de la faute de la victime 29. Si dans un premier temps, il n était pas rare de voir un transporteur échapper à sa responsabilité du fait du comportement reproché à la victime, la jurisprudence, en la matière, semble s être notoirement tarie. 1) Une limitation de responsabilité initialement admise 30. Les diverses conventions applicables au transport international de personnes limitent toutes sauf en matière routière en des termes quasi-similaires la responsabilité du transporteur en cas de faute du passager 66 (66). Ainsi pour écarter la responsabilité de compagnies aériennes au sujet de passagers décédés suite à des malaises en vol, dans plusieurs décisions, les juges ont considéré pudiquement qu il ne s agissait pas d un événement extérieur à la personne de la victime 67 (67). 31. Au nombre des cas d imprudence, - de plus en plus rarement - retenus parmi la jurisprudence relativement ancienne, on peut d abord relever, de manière générale, le fait de tenter 64 Cass. Civ. 10 novembre 1884 (op. cit.) concernant un passager tué après avoir été percuté par un train en traversant une voie pour regagner la porte de sortie de la gare. 65 C.A. Paris 11 janvier 1908 (S. 1908.2.244) à propos d un déraillement d origine criminelle. 66 En matière ferroviaire b du 2 de l article 26 des RU-CIV, en matière aérienne article 21 de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 : «Dans le cas où le transporteur fait la preuve que la faute de la personne lésée a causé le dommage ou y a contribué, le tribunal pourra conformément aux dispositions de sa propre loi, écarter ou atténuer la responsabilité du transporteur», auquel se substitue progressivement l article 20 de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 : «Dans le cas où il a fait la preuve que la négligence ou un autre acte ou omission préjudiciable de la personne qui demande réparation ou de la personne dont elle tient ses droits a causé le dommage ou y a contribué, le transporteur est exonéré en tout ou en partie de sa responsabilité à l égard de cette personne, dans la mesure où cette négligence ou cet autre acte ou omission préjudiciable a causé le dommage ou y a contribué. Lorsqu une demande en réparation est introduite par une personne autre que le passager, en raison de la mort ou d une lésion subie par ce dernier, le transporteur est également exonéré en tout ou en partie de sa responsabilité dans la mesure où il prouve que la négligence ou un autre acte ou omission préjudiciable de ce passager a causé le dommage ou y a contribué. Le présent article s applique à toutes les dispositions de la convention en matière de responsabilité, y compris le paragraphe 1 de l article 21.» En matière maritime article 5 de la Convention de Bruxelles du 29 avril 1961 : «Si le transporteur établit que la faute ou la négligence du passager a causé sa mort ou ses lésions corporelles, ou y a contribué, le tribunal peut, conformément aux dispositions de sa propre loi, écarter ou atténuer la responsabilité du transporteur». 67 T.G.I. Paris 21 février 1986 (Revue Française de Droit Aérien et Spatial 1986 p. 105) - Cass. Civ. 1 ère 29 novembre 1989 (Bull. civ. I n 373) - T.G.I. Lyon 13 janvier 1994 (Revue Française de Droit Aérien et Spatial 1994 p. 463) - C.A. Paris 5 mars 1999 (Revue Française de Droit Aérien et Spatial 1999 p. 225) et dans la même affaire T.G.I. Paris 27 mars 1997 (Revue Française de Droit Aérien et Spatial 1997 p. 360) - C.A. Aix-en-Provence 6 novembre 2002 (Revue Française de Droit Aérien et Spatial 2002 p. 412) et dans la même affaire T.G.I. Marseille 3 septembre 1997 (Revue Française de Droit Aérien et Spatial 1998 p. 146). Riseo 2010-2 29

de monter dans un train en marche 68 (68) ou à l inverse de descendre avant l arrêt total du véhicule 69 (69). D une manière plus spécifique, on peut noter le fait pour une personne impotente d avoir perdu l équilibre après avoir omis de se tenir aux barres d appuis et d avoir choisi de rester sur la plate-forme d un tramway de la première génération 70 (70), le fait pour un jeune voyageur d un train de s être tenu debout devant une portière à la glace baissée en s appuyant d une seule main contre la paroi du wagon 71 (71). La S.N.C.F. a aussi été exonérée pour l accident survenu à un voyageur, frappé d une certaine surdité, écrasé par une locomotive circulant haut le pied dès lors que l arrivée du convoi avait bien été signalée par une sonnerie et deux coups de sifflet 72 (72). Dans une truculente affaire locale, la Cour d Appel de Colmar 73 (73) a admis une exonération partielle suite à la chute d une religieuse, de forte corpulence, relativement âgée et lourdement chargée qui n avait pas respecté les panneaux enjoignant de prendre place au début du train et n avait sollicité aucune aide pour descendre alors que sa voiture était en dehors du quai. Un des derniers cas en date d exonération retenue semble résulter d un arrêt de l Assemblée plénière du 14 avril 2006 74 (74), en matière délictuelle, à propos d un corps sans vie retrouvé entre le quai et la voie d une gare desservie par la R.A.T.P., la chute ne pouvant s expliquer que par une action volontaire de la victime en état de détresse. 32. Un manquement à l obligation de sécurité sera, en revanche, retenu lors de la chute d un passager descendant d un train par une portière s ouvrant à l aplomb d un passage à brouette, la hauteur inhabituelle rendant alors l accident prévisible 75 (75). Pareillement, pour une voyageuse et sa fille qui s étaient endormies et n étaient pas descendues au terminus et avaient chuté en voulant descendre alors que le train redémarrait. La Cour de Cassation tout en se basant sur l article 1147 du Code Civil et donc la responsabilité contractuelle - relevant alors la faute de la S.N.C.F. qui ne s était pas assurée qu il ne restait plus de voyageurs avant de conduire le train sur une voie de garage 76 (76). Pas davantage d exonération pour la S.N.C.F. faute d avoir établi une faute imprévisible et irrésistible pour un voyageur dont le manteau avait été coincé, par une brusque fermeture des portes, lors de sa descente 77 (77). 33. La jurisprudence a aussi longtemps admis qu on puisse alors avoir un partage de responsabilité, par exemple pour un voyageur tombant alors qu il se trouvait sur le marchepied au 68 Cass. Civ. 1 ère 9 mars 1977 (D. 1977 p. 260) C.A. Orléans 25 septembre 2000 (Responsabilité civile et assurances avril 2001 p. 16 note L. Grynbaum). 69 Cass. Civ. 1 ère 9 février 1972 (Bull. civ. I n 43) pour une femme âgée descendue d un autobus de la R.A.T.P. immobilisé dans la circulation. 70 C.A. Grenoble 24 octobre 1930, op. cit. ou assez proche pour le fait d être monté en surcharge et d être debout sur le marchepied V. Cass. Civ. 7 mai 1935 (op. cit.). 71 C.A. Paris 20 juin 1934 (S. 1934.2.72). 72 Cass. Civ. 1 ère 6 juin 1962 (Bull. civ. I n 296). 73 C.A. Colmar 13 mars 1973 (JCP 1974II17749 note R. Rodière). 74 Bull. AP n 5, D. 2006 Jur. 1577 note P. Jourdain et plus généralement Laurent Bloch Force majeure : le calme après l ouragan?, Responsabilité civile et assurances juin 2006 p. 5. 75 Cass. Civ. 1 ère 12 décembre 1977 (JCP ed. CI 1978I7008). 76 Cass. Civ. 1 ère 4 avril 1978 (JCP ed. CI 1978I6644). 77 C.A. Paris 18 février 2008 (JurisData n 2008-368303 ; Revue de Droit des Transports 2008 comm. 231 Christophe Paulin). Riseo 2010-2 30

moment du départ du train, les contrôleurs se voyant reprocher de ne pas avoir tout fait pour lui permettre de trouver son wagon 78 (78). Il en allait de même pour un passager ayant glissé sur le marchepied humide une nuit d hiver, sans se tenir solidement à la rampe 79 (79) ou pour l imprudence d un père qui avait chuté en aidant à remonter son enfant qu il avait laissé descendre quelques secondes avant le départ d un train 80 (80). 2) Des conditions draconiennes dernièrement renforcées 34. Toutefois, s il a toujours été admis que la faute de la victime n exonérait le transporteur que si elle présentait les caractères de la force majeure 81 (81), à savoir imprévisible, irrésistible et insurmontable, un pas supplémentaire a été franchi avec un arrêt, abondamment commenté, du 13 mars 2008 82 (82) ayant posé le principe que lorsque tel était le cas, cela ne pouvait qu entraîner une exonération totale. La Cour a, de surcroît, bien pris soin de noter que la gravité de la faute était sans incidence. C est conformément à cette logique qu a été retenue une responsabilité totale de la S.N.C.F. après la mort d un jeune qui chahutait en faisant une rotation sur la barre d appui située au centre du marchepied, et rendue humide par la pluie 83 (83). Sur le plan juridique, comme le soulignait l avocat général Domingo, admettre l exonération aurait abouti à un retour de la théorie de cause exclusive aujourd hui abandonnée, le comportement de la victime n étant qu un élément causal, aux côtés du système de fermeture des portes. 35. Avant ces décisions majeures, la Cour de Cassation avait préparé le terrain - de manière extrêmement technique en relevant le fait que le système de fermeture des portes du train rendait possible la descente d un voyageur pendant un court laps de temps entre les cinq à six secondes suivant le départ et le moment où il parvient à une vitesse de sept kilomètres/heure, ce qui empêche une exonération totale 84 (84). On peut d ailleurs relever au passage que la deuxième chambre civile 78 Cass. Civ. 1 ère 31 mars 1965 (Bull. civ. I n 236). 79 Cass. Civ. 1 ère 19 juin 1973 (Bull. civ. I n 212). 80 Cass. Civ. 1 ère 2 juin 1970 (Bull. civ. I n 185). 81 Cass. Civ. 1 ère 29 mai 1979 (op. cit.) et surtout Cass. Civ. 1 ère 26 juin 1990 (Bull. civ. I n 181 ; JCP G 1990 p. 327 ; D. 1990 IR p. 327 ; Gazette du Palais 27 janvier 1991 p. 31) et Cass. Civ. 1 ère 21 octobre 1997 (Bull. civ. I n 188). 82 Cass. Civ. 1 ère 13 mars 2008 (Bull. civ. I n 76 ; D. 2008 p. 920 note I. Gallmeister ; Rev. de droit des transports 2008 comm. 96 C. Paulin ; D. 2008 Jur. 1582 note G. Viney et Pan. 2894 obs. P. Brun ; RTD civ. 2008 p. 312 obs. P. Jourdain ; JCP 2008II10085 note Paul Groser ; JCP 2008I186 obs. Stoffel-Munck ; RCA 2008 Etude n 6 obs. Hocquet-Berg et comm. 159 obs. F. Leduc ; LPA 6 août 2008 note C. Quezel-Ambrunaz Portée de l absence d exonération partielle du transporteur terrestre de personnes en raison de la faute de la victime ; N. Bouche L obligation de sécurité et la faute de la victime, LPA 25 août 2008 p. 8). 83 Cass. Ch. Mixte 28 novembre 2008 avec notre commentaire Encore une étape pour rendre plus difficile l exonération de la S.N.C.F. suite à un accident de passager inconscient, in JAC n 91 février 2009, Revue Droit des Transports 2009 comm. 1 note C. Paulin, obs. I. Gallmeister, D. 2008 p. 3079, note P. Grosser La S.N.C.F. et la faute de la victime : les voies de l exonération totale JCP G 2009 II 10011, note J.-P. Bugnicourt Rejet de la force majeure : la responsabilité de la S.N.C.F. a-t-elle encore des limites? Lamy droit civil 2009 p. 22). 84 Cass. Civ. 2 ème 23 janvier 2003 (Bull. civ. II n 17 ; D. 2003 p. 2465 note V. Depadt-Sebag La place de la condition d imprévisibilité dans l établissement de la force majeure). Riseo 2010-2 31

de la Cour de Cassation compétente pour les cas de responsabilité délictuelle fait preuve de la même sévérité 85 (85). 36. Suite à la sévérité résultant de ces récentes évolutions, une partie de la doctrine 86 (86) a déjà osé un parallèle avec le système instauré par la loi du 5 juillet 1985 en matière de victimes d accidents de la circulation 87 (87). Rappelons qu alors, seule la faute inexcusable de la victime, voire la faute intentionnelle pour les personnes de moins de 16 ans, de plus de 70 ans ou atteintes initialement d une incapacité permanente d au moins 80 %, est de nature à exonérer de sa responsabilité le conducteur du véhicule terrestre à moteur, tel que par exemple un chauffeur de bus. La faute d imprudence ne revêtant pas les caractères de la force majeure, seule la faute qualifiée d intentionnelle pourrait ouvrir la voie d une exonération du transporteur de personnes. 37. De plus, l absence de défaillance des agents du chemin de fer et de vice du matériel ne suffisent pas à démontrer que le fait de la victime soit la cause exclusive et étrangère au transporteur, de l accident 88 (88). La faute de la victime ne sera pas plus exonératoire lorsqu elle se fonde exclusivement sur des éléments de preuve émanant de la S.N.C.F., tels qu une déclaration de l agent préposé à la sécurité du train et des données techniques sur les avertissements sonores et la fermeture des portes fournies par la société 89 (89) ou sur la simple déclaration d un témoin 90 (90). 38. Parallèlement, les juges admettent, avec la même parcimonie, tous les moyens libératoires de la responsabilité du transporteur de personnes. B) L admission rarissime des autres causes d exonération 39. Au renforcement des prescriptions permettant de retenir le rôle d une autre personne que la victime dans la commission de l accident, s est naturellement ajoutée une disparition presque totale des hypothèses liées à des phénomènes extérieurs. 85 V. les arrêts cités Supra note 60. 86 Notamment F. Rome S.N.C.F. : rien n est imprévisible, ni irrésistible, D. 2007 Edito p. 1129 ; J. Ha Ngoc Quelles causes d exonération pour le transporteur terrestre de passagers?, Rev. de droit des transports 2008 Focus n 58 ; H. Groutel Exonération de la S.N.C.F. : toutes les voies sont fermées, RCA 2007 repère 2 et surtout la note P. Groser sur l arrêt Cass. Ch. Mixte 28 novembre 2008 op. cit ou G. Viney La responsabilité du transporteur terrestre de personnes en cas de faute de la victime, note sous Cass. Civ. 13 mars 2008, D. 2008 p. 1582, repris in Revue des Contrats 2008 pp. 763 et s. préconisant un régime uniforme pour toutes les victimes d accidents terrestres). 87 V. notre article Les incertitudes en matière civile après 20 ans de jurisprudence sur le champ d application de la loi du 5 juillet 1985, in JAC n 65 juin 2006. 88 Cass. Civ. 9 mars 1942 (Gazette du Palais 1942 p. 206) au sujet d un passager retrouvé mort après être tombé d un train en marche alors qu il s était étendu sur une banquette la tête contre la portière. 89 Cass. Civ. 1 ère 2 avril 1996 (Bull. civ. I n 170). 90 Cass. Civ. 1 ère 29 mai 1979 (Bull. civ. I n 158). Riseo 2010-2 32

1. La réitération des prescriptions permettant de retenir le fait d un tiers 40. Cette cause d exonération classique de la jurisprudence française, en matière de responsabilité civile, se retrouve aussi consacrée par les textes en transport ferroviaire international de voyageurs 91 (91). 41. L hypothèse de base paraît être celle du voyageur d autobus blessé en perdant l équilibre suite à un coup de frein brutal occasionné pour éviter un autre usager de la route 92 (92), même si celui-ci n a pas été identifié. Solution ensuite transposée pour les trolleybus 93 (93). Mais, là encore on retrouve fortement affirmée l exigence d imprévisibilité de l accident 94 (94), expliquant que cette cause d exonération ne pourra que très rarement jouer en milieu urbain. En l absence de collision, certains juges d appel ont même pu considérer que la cause directe de la chute de la passagère était le coup de frein brutal du chauffeur de l autobus 95 (95). Les magistrats de la Cour de Cassation allant jusqu à s appuyer sur le procès-verbal de police pour apprécier la distance approximative entre l autobus et l automobile évitée 96 (96). Pour qu il y ait exonération, il faut de surcroît que soit caractérisée une faute du conducteur de cette dernière 97 (97). 42. Le fait d un tiers doit de surcroît être insurmontable, tout en constituant la cause exclusive du dommage. On peut cependant noter dans des affaires assez anciennes, un certain nombre de fluctuations d appréciation concernant les jurisprudences relatives à des attentats contre des trains, assimilés à des faits d un tiers 98 (98). Dans ce qui semble être la dernière affaire en date, en la matière, la Cour de Cassation a censuré la Cour d Appel de Colmar qui avait écarté la responsabilité de la S.N.C.F. malgré l existence d un billet anonyme de menace adressé au chef de gare d un lieu proche de l attentat 99 (99). 43. Mais, cela peut aussi recouvrir les hypothèses d agressions de passagers lors d envahissement de véhicules de transport en commun par des intrus 100 (100). Pour les cas de bousculades par d autres passagers voulant descendre, la Cour de Cassation a censuré un jugement du Tribunal civil de la Seine qui avait considéré que s il s agissait bien d événements prévisibles, ils 91 V. c du 2 de l article 26 des RU-CIV précisant que le transporteur ferroviaire est déchargé de sa responsabilité : «Si l accident est dû au comportement d un tiers que le transporteur, en dépit de la diligence requise d après les particularités de l espèce, ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier, une autre entreprise ferroviaire n est pas considérée comme un tiers, le droit de recours n est pas affecté.». 92 Cass. Civ. 30 septembre 1940 (S. 1940 p.117), Cass. Civ. 1 ère 19 octobre 1964 (JCP1965II14220 note J. Bigot). 93 Cass. Civ. 1 ère 3 mai 1977 (JCP ed. CI 1977I6165). 94 Cass. Civ. 30 novembre 1960 par opposition à T.G.I. de la Seine 2 mai 1960 (S. 1961 p. 142), Cass. Civ. 8 janvier 1964 (Bull. civ. I. n 22). 95 C.A. Paris 17 décembre 1974 (D. 1975 p. 521 note Ch. Atias-Letremy) arrêt censuré par Cass. Civ.1 ère 24 mai 1976 (Bull. civ. I. n 198). 96 Cass. Civ. 1 ère 9 décembre 1975 (Bull. civ. I. n 362). 97 Cass. Civ. 1 ère 21 février 1978 (Bull. civ. I. n 72). 98 V. par exemple Cass. Civ. 12 janvier 1948 (JCP 1948II4344 note R. Prieur) qui rejette l imprévisibilité dans le cas de l éclatement d un engin explosif en pleine vague d attentat des trains en direction de l Espagne, durant la guerre civile dans ce pays. 99 Cass. Civ. 1 ère 26 janvier 1971 (Bull. civ. I n 27). 100 Cass. Civ. 1 ère 7 novembre 1955 (JCP 1955II9019) pour l irruption de dockers dans un tramway marseillais ou un plus récent à propos d une bande de jeunes dans le métro Cass. Civ. 1 ère 3 juillet 1974 (JCP G 1975II17919 note R. Rodière). Riseo 2010-2 33

ne pouvaient être empêchés et évités par la R.A.T.P 101 (101). Elle juge dans le même sens dans une affaire concernant la S.N.C.F. 102 (102). Elle a, dans une décision plus récente, censuré une Cour d Appel qui sur le terrain délictuel avait retenu l exonération, en soulignant que la victime, sans titre de transport, avait été poussée dehors par un autre passager alors que la S.N.C.F. ne pouvait surveiller le comportement de chaque voyageur et n était pas dans l obligation d installer un système de verrouillage empêchant l ouverture des portes avant l arrêt complet du train 103 (103). A propos d une voyageuse s étant fait dépouiller de ses bijoux, elle rejette l irrésistibilité en estimant que si la S.N.C.F. ne peut filtrer toutes les personnes qui accèdent aux voitures, la présence de contrôleurs en nombre suffisant présente un caractère dissuasif 104 (104). Cependant, étant donné qu on n exige pas la prévention absolue, les commentateurs ont toutefois pu parler d obligation de résultat atténuée 105 (105). On trouve aussi un certain nombre d affaires portant sur des passagers agressés par d autres, événements qui, généralement, ne sont plus 106 (106) considérés comme imprévisible pour le transporteur, faute de rondes et de contrôle des titres de transport 107 (107). Une des plus tragiques et des plus médiatisées étant le meurtre, le 14 décembre 1999, d une passagère endormie du Calais- Vintimille conduisant alors à une condamnation pour la S.N.C.F. qui se voyait reprocher l absence de système anti-incursion dans ses voitures couchettes à une obligation de sécurité renforcée 108 (108). 44. Mais, la S.N.C.F. demeure responsable de l accident d un voyageur heurté sur le quai par un chariot tiré par un autre voyageur, le fait d un tiers étant alors assez curieusement écarté 109. 2. La raréfaction des cas de force majeure 45. Il s agit traditionnellement de la survenance d évènements extérieurs au transporteur de personnes et présentant un caractère imprévisible, inévitable et insurmontable. Des rapprochements peuvent être là encore - effectués avec les formules utilisées dans les conventions internationales 101 Cass. Civ. 1 ère 22 mars 1960 (JCP 1960II11770 note R. Rodière, D. 1961 p. 701 note Radouant). 102 Cass. Civ. 1 ère 29 octobre 1975 (Bull. civ. I n 302). 103 Cass. Civ. 2 ème 15 mars 2001 op. cit. 104 Cass. Civ. 1 ère 3 juillet 2002 (Bull. civ. I n 183 ; D. 2002 p. 2631 note J.-P. Gridel ; Droit et Patrimoine novembre 2002 p. 101 note F. Chabas). 105 Ibid. 106 V. pour un arrêt ancien ayant admis cette cause d exonération Cass. Civ. 1 er août 1929 (D.P. 1930 p. note L. Josserand). 107 V. Cass. Civ. 1 ère 12 décembre 2000 (Bull. civ. I n 323, D. 2000 p. 2230 note P. Jourdain La rigueur de l obligation de résultat pesant sur la S.N.C.F. : l agression d un voyageur n est pas un cas de force majeure exonératoire contestant le caractère évitable et faisant remarquer que de toute manière la victime aurait sans doute pu bénéficier d une indemnisation auprès du Fonds d Indemnisation des victimes des actes de terrorisme et d autres infractions ; H. Groutel La S.N.C.F. estelle responsable des aggressions de voyageurs?, Responsabilité civile et assurances mars 2001 p. 4 ; D. 2001 p. 1650 note C. Paulin Responsabilité du transporteur en cas d agression d un voyageur : le contenu de l obligation de sécurité ; Droit et Patrimoine mars 2001 p. 100 note F. Chabas). 108 V. les différentes décisions rendues dans cette affaire : T.G.I. Cambrai 23 janvier 2003 avec commentaire C. Lienhard Train de nuit : la S.N.C.F. doit garantir la sécurité des voyageurs in JAC n 32 mars 2003, C.A. Douai 10 novembre 2004 avec commentaire C. Lienhard Non respect de l obligation de sécurité, confirmation de la responsabilité de la S.N.C.F. après un assassinat in JAC n 50 janvier 2005, Cass. Civ. 1 ère 21 novembre 2006 avec commentaire C. Lienhard S.N.C.F. et agression mortelle in JAC n 74 mai 2007 ; D. 2007 AJ. 15, obs. I. Gallmeister). 109 Cass. Civ. 1 ère 19 octobre 1964 (JCP1965II14220 note J. Bigot). Riseo 2010-2 34

en matière ferroviaire 110 (110) ou routière 111 (111). Aboutissant sensiblement aux mêmes conséquences, en matière aérienne sous le régime de la Convention de Varsovie du 19 octobre 1929, l article 20 offrait une possibilité d exonération si le transporteur prouvait qu il avait pris toutes les mesures pour éviter le dommage ou qu il était dans l impossibilité de les prendre. Ce qui pouvait par exemple jouer pour un passager ayant chuté, en plein vol, en raison de turbulence en ciel clair 112 (112). 46. On peut relever ainsi toute une série d arrêts rendus le 30 juin 1953 113 (113) relatifs à un déraillement ayant fait seize morts et quarante-trois blessés suite à un sabotage lors des grandes grèves de cheminots de novembre/décembre 1947 dans lesquels la Cour de Cassation a considéré que la S.N.C.F. demeurait responsable car elle devait, vu le climat social de l époque s attendre à ce genre d actes. Alors qu ultérieurement, l explosion d une bombe dans un train des Chemins de Fer algériens pendant la guerre d indépendance, a bien été considérée comme un cas de force majeure, étant donné l impossibilité de déterminer précisément les lieux, heures et moyens de réalisation de la menace terroriste 114 (114). 47. Pour une passagère blessée par la projection d un caillou entré par la glace entrouverte, étant donné qu il n était pas exclu que cette pierre provienne d un organe défectueux de la machine, l exonération pour cause étrangère est écartée 115 (115). 48. Pas d imprévisibilité pour un train précipité dans un précipice, alors que la colonie de Madagascar subissait de violentes pluies depuis plusieurs semaines et que des éboulements s étaient déjà produits dans la région 116 (116). Même raisonnement poursuivi en Métropole pour un déraillement causé par un éboulement de talus prévisible du fait du phénomène géologique naturel de vieillissement de la paroi 117 (117) ou un rocher s étant écrasé sur un autocar à la Réunion 118 (118). Une des dernières exonérations relative aux conditions climatiques bien que non directement liée à l obligation de sécurité - paraît se rapporter au cas d un candidat n ayant pu se présenter à un examen, suite à un retard, lié à une rupture d alimentation électrique, dû à des orages locaux, donc imprévisibles et irrésistibles, la Cour soulignant au passage l insouciance de la victime qui avait pris un train devant arriver seulement une demi-heure avant le début de l épreuve 119 (119). 110 V. a du 2 de l article 26 des RU-CIV précisant que le transporteur ferroviaire est déchargé de sa responsabilité : «Si l accident a été causé par des circonstances extérieures à l exploitation ferroviaire que le transporteur, en dépit de la diligence requise d après les particularités de l espèce, ne pouvait pas éviter». 111 V. article 11-2 de la C.V.R. du 1 er mars 1973 : «Le transporteur est déchargé de cette responsabilité si l accident a eu pour cause des circonstances qu un transporteur, en dépit de la diligence requise d après les particularités de l espèce, ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier». 112 T.G.I. Pointe-à-Pitre 22 mai 2003 (Revue Française de Droit Aérien et Spatial 2004 p. 93). 113 V. Observations in JCP 1953II7764 114 C.A. Oran 16 mai 1958 (S. 1959 pp. 12/14 note R. Rodière) 115 Cass. Civ. 1 ère 29 novembre 1960 (Bull. civ. I n 520) 116 Cass. Civ. 1 ère 19 février 1964 (Bull. civ. I n 98) 117 Cass. Civ. 1 ère 26 février 1974 (Bull. civ. I n 69) 118 T.G.I. Saint-Denis de la Réunion 2 avril 1973 (JCP 1974II17664 note R. Rodière) 119 C.A. Bourges 10 novembre 1993 (JurisData n 1993-047869) Riseo 2010-2 35

49. A l aube du vingt-et-unième siècle, on ne peut, évidemment, que souscrire au fait que le passager apparaisse mieux protégé que jamais contre tous les éventuels accidents pouvant survenir lors de ses déplacements. Souhaitons, toutefois que la construction prétorienne qui y a abouti et qui semble être allée jusqu aux frontières de ce qui paraissait concevable, sans dénaturer l ensemble du système juridique sur lequel repose toute la responsabilité civile, n ait pas pour corolaire qu après en avoir été en 1911 un des initiateurs, le transport de personne n en devienne, un jour prochain, le fossoyeur 120 (120). 120 V. C. Bourayne Accidents aériens et maritimes, vers une responsabilité désincarnée?, Revue Française de Droit Aérien et Spatial 1996 p. 341 relevant la tendance à l adoption de lois françaises prévoyant une indemnisation des victimes déconnecté de toute faute ; V. aussi le Mémoire de Master 2 Droit de la Prévention des Risques et des Responsabilités de l Université de Haute Alsace soutenu le 3 septembre 2008 par J. Wanner La responsabilité civile du transporteur ferroviaire de personnes : la S.N.C.F. face à ses usagers reproduit in JAC n 94 ou P. Delbecque L évolution du transport de passagers, op. cit. p. 312. Riseo 2010-2 36