La territorialisation par l'industrie automobile : proposition pour la compréhension du phénomène par une entrée systémique



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Transcription:

La territorialisation par l'industrie automobile : proposition pour la compréhension du phénomène par une entrée systémique 1. Technologie, production industrielle et mondialisation...1 1.1 Rationalisation...1 1.2 Décrochage à la française...2 1.3 Schéma général pour la territorialisation...4 2. Les stratégies des grandes entreprises...6 2.1 La trajectoire de PSA et la bifurcation de 2014...6 2.2 La mondialisation vue par Renault...8 2.3 Les firmes étrangères...9 3. Usines : trajectoires...10 3.1 Cadre général...10 3.2 Deux usines géantes pour le bastion historique de Peugeot...11 3.3 L'usine étouffée par la ville : le cas d'aulnay-sous-bois...13 Conclusion...14 Bibliographie...15 Depuis la forte croissance des échanges internationaux des années 1980, la plupart des firmes multinationales organisent leur chaîne de valeur de manière globale en fragmentant et en redistribuant à l échelle du monde leurs activités, un processus que Sturgeon & al. (2008) appellent intégration globale. Cette mutation est particulièrement développée dans l industrie automobile, l une des activités qui a le plus profondément renouvelé sa géographie productive depuis une décennie (Frigant, Layan 2009 ; Rodet-Kroichvili & al. 2014). Dans le monde entier, les industriels français avaient fabriqué 4,066 millions de véhicules en 1997 contre 6,448 en 2011. Ils ont fait régresser la production made in France d'environ 20%, et même de 50% si le pic de en 2004 est pris comme référence, mais ils l'ont fait prospérer mondialement d'environ 40% en une douzaine d'années. Par rapport à ces réalités, la géographie peut se concevoir comme un système explicatif à travers le processus de la territorialisation. Si Storper (2003) évoque lui aussi l'intégration globale, il souligne qu'en même temps et de manière contradictoire émerge une territorialisation fondée sur les spécificités. Pour lui, celles-ci résident dans le facteur travail, qui est construit sur un système de relations animé par des règles du jeu pas entièrement codifiées, avec de nombreuses externalités, et sur le facteur technologique, où il distingue les territoires forts de leurs capacités d innovation (ceux de la haute technologie) et ceux qui brillent par leurs capacités de différenciation (grâce à leur créativité). En fin de compte, la territorialisation dépend des ressources spécifiques d un lieu. Une activité se territorialise lorsqu elle valorise des ressources que l on obtient difficilement ailleurs. Le déclin de la production française invite à penser que les ressources locales n'ont plus guère de spécificités. Il convient d'expliquer pourquoi. 1. Technologie, production industrielle et mondialisation 1.1 Rationalisation Le taylorisme : Organisation Scientifique du Travail (OST), standardisation, massification. Puis le toyotisme : qualité totale (0 défaut, 0 panne, 0 délai, 0 stock, 0 papier). Et maintenant? Partons d'une annonce faite aux médias par le groupe PSA avec la plate-forme EMP2 (Document 1). Il s'agit d'un nouveau module destiné à plusieurs marques et modèles de voitures. Sa durée de vie industrielle sera probablement d'une quinzaine d'années. Il a été mis en production d'abord avec 1

la Citroën C4 Picasso à Vigo (Espagne), puis avec la Peugeot 308 à Sochaux dès 2013 ; elle est ensuite arrivée sur les lignes de fabrication de Wuhan (Chine) avec la Peugeot 408 II en 2014, enfin elle est utilisée dans d'autres usines à partir de 2015. Cette plate-forme a un triple objectif : la rationalisation, puisqu'elle remplace deux autres plates-formes et devrait assurer 50% de la production du groupe ; la durabilité, avec un poids de 560 kg (réduit de 70 kg) et des moteurs aux normes Euro 6 ; la permanence de l Île-de-France comme pôle de Recherche & Développement (R&D), puisque les 500 ingénieurs de Vélizy et La Garenne-Colombes (et Sochaux pour les essais) en ont assuré la conception et déposé ainsi 116 brevets. Document 1 : Présentation de la plate-forme EMP2 par le groupe PSA. Source : PSA, janvier 2015 Ainsi, la mondialisation agit comme la variable forçante, dont l'innovation technologique est la conséquence (Fig. 1). Le constructeur automobile doit s'adapter à un contexte et obéir à des règles qui ont rapidement évolué. Dans un univers concurrentiel global, il est nécessaire d'atteindre une taille critique, dont le niveau est sans cesse relevé, en rationalisant l'outil industriel et commercial. De leur côté, les impacts environnementaux ont fait émerger de nouvelles réglementations en matière de rejets, y compris récemment en Chine, le premier marché mondial pour les voitures neuves. Il s'agit par conséquent de fabriquer des voitures plus légères, donc moins consommatrices d'énergie, et de revoir partiellement ou entièrement la problématique de la motorisation. La division du travail se fait à l'échelle internationale, mais aussi nationale. Figure 1 : L'opportunité/contrainte et son feed back Mondialisation EMP2 1.2 Décrochage à la française En 2014, seules trois firmes ont produit chacune 10 millions de voitures environ (Toyota, VAG et GM). Les marques françaises sont loin derrière, avec 2,71 millions pour Renault et 2,9 millions pour Peugeot-Citroën. L'évolution contrastée de la France et de l'allemagne est saisissante de ce point de vue (Fig. 2). Entre 2000 et son pic historique de 2007, la production du Standort Allemagne a progressé de 12,4%, puis elle a chuté de 8,5% jusqu'en 2013. Entre 2000 et son pic historique de 2004, la plate-forme France a progressé de 9,5%, puis elle a chuté de 52% jusqu'en 2013. La courbe de la production allemande correspond peu ou prou aux variations de la conjoncture économique mondiale ; celle de la France est engagée dans un déclin structurel depuis le milieu des années 2000. 2

Figure 2 : Contraste franco-allemand. Production de voitures et de véhicules commerciaux. 7 6 Millions de véhicules Allemagne 5 4 France 3 2 1 0 Données : Organisation Internationale des Constructeurs Automobiles, OICA Une firme peut se sentir débordée par l'ampleur de la mondialisation. Elle renonce alors à faire de grands investissements, elle rémunère ses actionnaires tant qu'il reste des «bijoux de famille», elle appelle l'état à son secours, et elle sait qu'elle finira par être rachetée par un concurrent, ce qui soldera son histoire. Ou bien, elle voudra devenir un global player, un joueur global, et elle définira alors sa stratégie pour pouvoir rejoindre ce club. Document 2 : TOP 13 MONDIAL PAR PAYS en 2014, millions de véhicules produits, croissance 2000-2010 données OICA, CCFA Rang 2014 1980 1 Chine 2 États-Unis 3 2000 2014 1er semestre 2015 2010 Croissance 2000-2010 2,07 18,26 +782% 23,72 12,09-1 6,38 12,79 7,76-39% 11,66 6,10-2 Japon 7,38 10,14 9,62-5% 9,77 4,65-3 4 Allemagne 3,52 5,52 5,9 +7% 5,9 3,08-4 5 Corée du Sud 3,11 4,27 +37% 4,52 2,32-5 6 Inde 0,8 3,56 +345% 3,84 2,05-6 7 Mexique 0,3 1,93 2,34 +21% 3,36 1,81-7 8 Brésil 0,98 1,68 3,38 +101% 3,14 1,27-9 9 Espagne 1,03 3,03 2,39-21% 2,4 1,45-8 10 Canada 0,85 2,96 2,07-30% 2,39 1,09-9 11 Russie 1,2 1,4 +16 % 1,89 0,73-12 12 Thaïlande 0,41 1,64 +300 % 1,88 0,93-11 13 France 3,35 2,29-32% 1,82 1,03-10 2,94 3

1.3 Schéma général pour la territorialisation En rebondissant sur une publication antérieure (Woessner 2010), il est possible de tracer le cheminement qui aboutit à une production territoriale (Fig. 3). En tant que phénomène, la mondialisation interpelle les acteurs français. Les firmes, l État et les collectivités locales et régionales se positionnent à travers un champ de représentations et affirment des stratégies données qui auront des impacts territoriaux. Il est exclu de pouvoir connaître la manière exacte dont les stratégies sont définies car elles relèvent du secret commercial ou se jouent derrière le paravent des cabinets politiques. Mais il est possible de comprendre les données principales de ces stratégies a posteriori lorsqu'on en mesure les effets dans les territoires. Figure 3 : Du global au local Stratégie de la firme Variable forçante : la mondialisation Stratégie de l État Stratégie des collectivités? La mondialisation perçue comme une contrainte?? La mondialisation perçue comme une opportunité Territoire hostile : enclosure Territoire has been Territoire suiviste Territoirearchétype Il en résulte quatre situations territoriales. Dans le cas de l'enclosure, les mouvements d'opposition à une forme donnée d'industrialisation proviennent d'une opposition politique. Celle-ci se fonde sur des mouvements nimbystes relayés par des collectivités et qui conduisent in fine les industriels à trouver des lieux plus accueillants pour leurs projets. Ce cas de figure est rare en France mais on peut citer deux exemples au moins : - Sur la Seine, l'usine Renault de Flins (Yvelines) passe progressivement d'un site manufacturier à un centre plus technologique fondé sur la voiture électrique. Depuis 2009, le Grand Prix de France de Formule 1 est rayé du calendrier du championnat du monde des conducteurs. Renault avait alors souhaité construire un circuit sur d'anciens champs d'épandages face à son usine, circuit qui aurait servi de piste d'essai, aurait permis de retrouver le Grand Prix et d'organiser de nouvelles épreuves sportives pour des voitures électriques (cf. en 2014, le Grand Prix de Pékin). Mais rien n'a été construit à Flins à cause de l'opposition des nimbystes riverains et des écologistes qui souhaitaient voir se développer une agriculture bio sur le terrain disponible. - Dans les années 2000, la firme Daimler (Mercedes, Smart) cherchait un terrain d'essai d'endurance hivernale pour ses voitures, ses autocars et ses poids lourds. Elle pensait l'avoir trouvé dans le haut Jura, mais le projet avait soulevé un tollé qui avait rapidement conduit Mercedes à s'implanter à Rovaniemi (Finlande). Par rapport à ces événements ponctuels, le scénario du territoire has been est une menace autrement plus sérieuse. Si Renault n'a renoncé à aucun site en France, la fermeture de Vilvoorde (Belgique) en 1997 avait marqué les esprits. En outre, sur la Diagonale continentale, l usine Matra de Romorantin (Loir-et-Cher) fabriquait l'espace pour Renault depuis 1984. A l origine, en 1964, Matra Sports (groupe Lagardère) avait repris un constructeur artisanal de voitures de sport, René Bonnet, puis séduit Renault avec son concept de monospace ; Matra réalisait la carrosserie en matière plastique et fibre de verre sur un châssis acier, et l assemblage de l Espace avec une 4

mécanique Renault ; mais en 2002 Renault a transféré le nouvel Espace, entièrement en métal, dans son usine de Sandouville (Seine-Maritime). Après avoir compté jusqu à 2.600 salariés, l usine de Romorantin a fermé ses portes. La faillite «laisse un bassin d emploi totalement sinistré. Les inquiétudes sont nombreuses : pour le personnel tout d abord avec une dernière vague de presque 950 licenciements, pour la ville de Romorantin qui voit disparaître un quart de son budget avec la taxe professionnelle, pour le tissu économique tout entier qui subira le contrecoup de la diminution de population et de la disparition du plus gros client de la région», écrit alors la Chambre de Commerce et d Industrie Loir-et-Cher. Quant à PSA, on relève deux fermetures : le site de La Rochelle-Périgny, ex-usine Simca entre les années 1960 et 1996, et, en 2014, l'usine d'aulnay-sousbois, dont les Citroën C3 sont désormais assemblées en Slovaquie principalement. De fait, le scénario has been est d'abord discret. Peu de sites ont été fermés. La production des usines est progressivement réduite, et on y supprime des lignes de fabrication. Rennes-La Janais est passée de trois lignes à deux en 2009 et de fait l'avenir du site est aujourd'hui sur la sellette. En 2011, Douai est passé de deux lignes à une ligne. C'est aussi le cas de Poissy et de Mulhouse en 2015. Les établissements concernés se retrouvent ainsi dans des sites surdimensionnés, cherchent à vendre ou à louer une partie de leurs bâtiments et terrains aux collectivités, ou à accueillir d'autres entreprises hors automobile. Le déclin n'est pas une certitude, puisqu'un benchmarking réussi créera un territoire dénommé suiviste : en adaptant localement les recettes qui ont fonctionné ailleurs, on reproduira plus ou moins complètement une structure territoriale permettant de rester dans la course. Depuis la diffusion du taylorisme, l'industrie automobile française a connu une longue histoire suiviste. André Citroën visite les usines Ford à Detroit en 1912 et fabrique la première voiture française de série, la Citroën Type A, à partir de 1919. Louis Renault, qui a lui aussi fait le voyage à Detroit en 1911, lance sa première chaîne de montage à Boulogne-Billancourt en 1922. La Peugeot 201 est la première sochalienne à être fabriquée en série à partir de 1929. Dans l'après-guerre, l'amérique fascine et le plan Marshall favorise la recherche du rendement et de la productivité (Lamard, Belot 2007). Dans les années 1980, l'étalonnage se fait par rapport au Japon, avec le toyotisme, les cercles de qualité, les cinq zéros (défaut, papier, panne, délai, stock) et la rationalisation de la soustraitance. En même temps arrivent les technopôles, Silicon Valley en tête. C'est le moment où les conceptions commerciales venues des écoles de commerce et du marketing des États-Unis l'emportent sur celles des ingénieurs. De même, l'outil informatique est souvent adapté depuis le monde des avionneurs (les logiciels de Dassault, par exemple) pour la conception des maquettes numériques et les échanges d'informations avec les sous-traitants. En corollaire, il est frappant de voir PSA suivre VAG (Volkswagen) dans sa stratégie de localisation vers la Chine (VAG est à Shanghai en 1984, PSA à Wuhan en 1996), la Slovaquie (VAG à Bratislava en 1991, PSA à Trnava en 2006), la Russie (à Kaluga, VAG en 2006 et PSA en 2010)... Enfin, le scénario optimal du territoire-archétype a existé en France vers 1900, lorsque le pays était le premier producteur mondial d'automobiles. Aujourd'hui, cet archétype se situe en Allemagne (du sud), au Japon et peut-être en Corée du Sud. Les éléments qui composent le système sont les suivants : le pays doit être fier de sa culture technologique ; ses métropoles réfléchissent à la ville et aux mobilités de demain ; la taille critique des industries est atteinte par la mondialisation, marché chinois en tête. Les relations entre ces éléments sont stratégiques : les constructeurs peuvent compter sur des sous-traitants puissants technologiquement et commercialement, prêts à essaimer avec eux sur les nouveaux marchés, comme Bosch en Allemagne ou Denso au Japon ; les transferts de technologie se font grâce à des fondations mi-publiques mi-privées (en Allemagne, Fraunhofer pour la recherche fondamentale, Steinbeis pour la R&D) ; l État a une politique industrielle favorable (typiquement, l'absence de limitation de vitesse sur de nombreuses autoroutes en Allemagne) ; du point de vue financier, les investissements sont pensés dans le long terme et les actionnaires ne sont pas perçus comme des rentiers qu'il faut satisfaire même lorsque l'année a été 5

médiocre ; le patronat compte de nombreux membres issus du rang, où l'apprentissage professionnel joue un rôle déterminant ; une forte culture de la négociation assure à la fois la paix sociale dans les établissements et des accords sont conclus avec des partenaires soit technologiques, soit géographiques. A l'évidence, l'innovation apparaît d'abord comme le fruit d'une tradition industrielle et d'un contexte sociologique donnés. Cette réflexion peut s'appliquer au cas des deux constructeurs français, PSA et Renault. Ils ont suivi une trajectoire relativement différente depuis que la mondialisation est à l'ordre du jour. Leurs racines ne sont pas les mêmes non plus : Renault est une entreprise fondée à Paris par un fils de grands commerçants et autodidacte de génie en mécanique. La firme est nationalisée en 1945 puis progressivement privatisée à partir de 1990. Elle a longtemps été un symbole de la lutte ouvrière et des conquêtes sociales. Peugeot est une entreprise familiale depuis 1810, née par la volonté de JeanPierre, meunier, teinturier et métallurgiste à Hérimoncourt (Doubs) et de confession protestante. Le siège social s'était implanté avenue de la Grande Armée à Paris en 1964. Peugeot a racheté Citroën en déconfiture en 1976 et Simca-Chrysler en 1978. Restée attachée à sa tradition familiale, elle avait toujours empêché toute tentative de nationalisation. 2. Les stratégies des grandes entreprises 2.1 La trajectoire de PSA et la bifurcation de 2014 Dès 2010, le groupe PSA a pris conscience de son manque d'internationalisation, ce que pointait le rapport Sartorius en septembre 2012 (Sartorius 2012). En 2014, PSA s'est retrouvé dans une impasse financière qui l'a conduit à redéfinir sa stratégie (Fig. 4). Dans son histoire récente, PSA connaît une période flamboyante avec Jacques Calvet, son PDG de 1983 à 1997, qui sort d'abord le groupe du marasme financier grâce à la 205 («un sacré numéro» disait la publicité), puis qui veut faire du groupe le numéro 1 en Europe devant Volkswagen. Comptant sur ses trois marques Peugeot, Citroën et Talbot (ex Simca), la famille Peugeot refuse toute alliance globale de peur de perdre son indépendance et le PDG se limite à des actions au coup par coup avec Renault, Fiat, Mitsubishi... Alors que les 404 et 504 bâchées sillonnaient les routes africaines, Peugeot se détourne de son usine du Nigeria ; celle de Wuhan, malgré le partenariat avec Dongfeng, souffre de sous-investissements chroniques et de difficultés relationnelles avec les autorités chinoises ; en Iran, Khodro devient un partenaire à partir de 1990. Puis Jean-Martin Folz connaît l'ère de la 206, la voiture la plus vendue dans l'histoire du groupe ; en 2002, il ouvre l'usine de Kolin (République tchèque) en partenariat avec Toyota pour les petites voitures. En 2007, Christian Streiff n'a toujours pas les mains libres par rapport à la famille Peugeot et son accident cérébral ouvre une crise de succession à un très mauvais moment ; Philippe Varin prend les commandes en 2009. Faute de taille critique, PSA apparaît fragilisé à partir de la crise de 2008 et accumule alors 7,5 milliards de pertes jusqu'à la fin de 2014. Il faut vendre le logisticien maison, GEFCO, aux chemins de fer russes (RZD), ainsi que le siège social de l'avenue de la Grande Armée à un investisseur immobilier anglo-saxon. En 2013, la General Motors (GM) acquiert 9% du capital de PSA dans le but de collaborer avec Opel, une marque elle aussi mal en point et dont l'usine de Bochum, dans la Ruhr, a fermé en 2014. Cette alliance contraint PSA à renoncer à l'iran, qui, depuis, continue à fabriquer des Peugeot avec des pièces de contrefaçon chinoises. De même, alors que BMW commençait à s'implanter dans l'usine de Mulhouse pour la fabrication de petits moteurs à essence, GM exige et obtient la fin de la coopération avec les Munichois. On «découvre» en outre que le capital de PSA est mal verrouillé par la famille Peugeot et qu'il pourrait subir une OPA hostile. En septembre 2013, PSA établit un plan de sauvetage, le «Nouveau contrat social», pour ses 73.000 salariés français. La firme s'engage à produire 1 million de voitures en France en 2016 et à y réaliser 75% de son activité R&D. L'usine d'aulnay-sous-bois est fermée dans la foulée. Les salaires sont totalement gelés en 2014, partiellement en 2015 et 2016, 6

les primes sont rabotées, la mobilité intersites des salariés est mise en place, tout comme la flexibilité du temps de travail. La logique d'un territoire français has been devient patente. Figure 4 : Rupture de trajectoire pour PSA en 2014 Scénario des années 1980 à 2014 Variable forçante : la mondialisation Jusqu en 2014: réticences Echec de la stratégie des années 1990 : devenir n 1 en Europe devant VAG La France, territoire has been Aulnay fermé en 2014 Rennes-La Janais moribond Scénario enclenché à la fin de 2014 Dongfeng Peugeot Citroën Automotives Alliance PSA, DongFeng, État français La France, territoire suiviste Centres de R&D Shanghai 2008 Shenzhen 2014 Mais ce scénario est remis en cause grâce à la pression externe. La clé du changement de stratégie se trouve en Chine. En décembre 2013, Mary Barra devient PDG de la GM. Elle décide de recentrer son groupe sur l'asie et revend 7% des actions de PSA à des investisseurs institutionnels. Les accords techniques ne sont pas remis en cause entre Opel et PSA. La route est ouverte en Chine pour un accord SAIC-GM et Dongfeng-PSA. A la surprise générale, le 1er janvier 2014, Carlos Tavares, n 2 démissionnaire de Renault, entre au conseil de surveillance de PSA. Le 18 février naît le «lion à trois têtes», DPCA, Dongfeng Peugeot Citroën Automotive. L État français, Dongfeng et la famille Peugeot disposent désormais chacun de 14% du capital, avec 3 milliards de capitaux injectés. La banque Santander (Espagne) rachète pour 1 milliard Banque PSA Finance. Pour la première fois depuis 1810, la famille Peugeot perd le contrôle de l'entreprise. Louis Gallois (ex SNCF, ex Airbus) prend la direction du Conseil de surveillance à la place de Thierry Peugeot, qui était présent depuis les années 1980 et qui inspirait la stratégie du groupe depuis 2002. A la tête de l'entreprise, Carlos Tavares succède à Philippe Varin en juin ; «cash is king» et «back to the race» sont ses deux aphorismes préférés. En 2015, PSA ouvre une 4e usine en Chine, à Chengdu (Sichuan) ; pour PSA, le marché chinois dépasse désormais le marché français en importance. En attendant le retour escompté aux bénéfices en 2015, il faut continuer à servir le roi «cash» en entrant sur des marchés à haut risque géopolitique. PSA annonce des partenariats au Venezuela, un pays dont le gouvernement veut «mener une guerre économique contre la bourgeoisie parasitaire et l'impérialisme», et qui fixe le prix des voitures neuves et d'occasion, ainsi qu'au Nigeria, avec le montage de la 301 dans l'usine de Kaduna en panne depuis l'arrêt de la 504 en 2005. En Russie, l'usine de Kaluga tourne au ralenti en 2014/2015. Enfin, autre remise en cause historique, en octobre 2014, Mahindra & Mahindra (Inde) prend 51% du capital de Peugeot Scooter, dont l'usine française se trouve à Valentigney, dans le pays de Montbéliard. Néanmoins, une page est tournée. Le groupe veut développer une stratégie globale, augmenter et rationaliser sa production. Dongfeng, le 2e assembleur d'automobiles en Chine derrière SAIC, sera peut-être le partenaire global qui manquait à PSA. Deux centres R&D ont été ouverts en Chine, le premier à Shanghai en 2010 et le second pour la marque DS à Shenzhen en décembre 2014. La marque DS devrait assurer un renouveau du haut de gamme en Chine principalement, où elle vise 6 % de parts de ce marché en 2016. En France, la production s'achemine vers un étiage et ne devrait plus guère baisser, à moins que l'espagne et l'europe centrale ne fassent concurrence aux sites hexagonaux. Il reste à trouver des technologies pour la voiture propre et sans conducteur. Citroën lance sa voiture électrique le 7 décembre 2015. Peugeot importe et badge une Mitsubishi électrique. Ainsi en est-il d'une industrie suiviste. 7

2.2 La mondialisation vue par Renault Par rapport à PSA, la stratégie de Renault a été nettement plus agressive en s'insérant d'emblée dans la mondialisation (Fig. 5). La firme de Billancourt a connu des échecs, d'abord avec l'aventure AMC aux États-Unis, puis avec la fusion Renault-Volvo, et enfin en voyant VAG racheter le tchèque Škoda qu'elle convoitait, qui lui était pourtant proche par des liens techniques anciens. Mais aujourd'hui, son PDG Carlos Ghosn incarne à lui seul la mondialisation : d origine libanaise, il est né en 1954 à Porto Velho au Brésil ; polytechnicien, il travaille pour Michelin en France, en Amérique latine et aux États-Unis ; puis il rejoint Renault en 1996 où il est rapidement surnommé cost killer, prend la direction de Nissan en 2000, une entreprise qu'il sauve de la faillite en enfreignant notamment le tabou de l'emploi à vie garanti par la grande entreprise japonaise, avant de diriger Renault en 2005, puis Renault-Nissan en 2014. Figure 5 : La mondialisation vue par Renault Stratégie de croissance principalement externe Variable forçante : la mondialisation 1999 2000 2007 2008 2010 : : : : : achat de Nissan et de Dacia achat de Samsung achat d Avtovaz partenariat avec Mahindra partenariat avec Mercedes 2010-2016 plan Drive the Change : du volume du cash des synergies des voitures 100% électriques La France, territoire suiviste, quoique : Zoé à Flins, 2013 R&D : Guyancourt, Bucarest, Chennai Silicon Valley Selon le cas, Renault pratique la croissance interne en créant des sites en propre (en Amérique latine) ou qui sont gérés avec un partenaire local (Oyak en Turquie, Khodor et Pars en Iran ; Mahindra en Inde ; en Chine, Sanjiang en 1992 puis Dongfeng en 2016). Ou bien, Renault peut préférer la croissance externe en rachetant, au minimum en contrôlant, des entreprises dont les fleurons sont à présent Nissan, Samsung, Dacia et Avtovaz (Lada). Autre solution, Renault a passé un accord de production avec Mercedes en Europe comme au Mexique. Tous les marchés émergents ne sont pas couverts puisque Renault reste discret dans les Pays d Europe Centrale et Orientale (PECO), exception faite de la Slovénie avec l usine de Novo Mesto, et de la Roumanie avec sa filiale Dacia. Outre la partie manufacturière, Renault ouvre également des centres d ingénierie exotiques. Ainsi, celui de Bucarest emploie environ 3.000 personnes en 2009 (contre 15.000 au Technocentre de Guyancourt dans les Yvelines). Bucarest se charge du développement mondial de toute la gamme Logan et, de plus en plus, travaille sur des programmes spécifiquement Renault ; toujours à Bucarest, Renault a également ouvert un centre de design ; et depuis 2009 la piste d essais de Titu effectue une partie des crash tests du groupe. Des développements similaires ont commencé près de l'usine de Chennai (ex Madras) en Inde. Dans le monde, on observe un mélimélo d'éléments Renault, Nissan, Samsung, Dacia et Smart avec des voitures griffées différemment selon les marchés. Ainsi, lancée en 2008, une voiture comme la Renault Koleos est fabriquée en Corée du Sud sur la base du savoir-faire de Nissan au Japon ; et la Sandero fabriquée par Dacia est d origine brésilienne. Carlos Ghosn en personne insiste sur la nécessité de produire sur le marché lui-même ; il avance que la différenciation culturelle du monde reste une réalité, ce qui implique de fabriquer des produits spécifiques au contact de la clientèle potentielle. Mais il en résulte une menace pour les sites de production en France. Pour trois Clio IV fabriquées à Bursa (Turquie), un exemplaire est fabriqué en France. Toutefois, décidé à devenir leader mondial de la voiture électrique, Renault fait travailler un millier d'ingénieurs sur cette problématique à Guyancourt, lance en 2011 les fabrications à Flins (Yvelines) et les moteurs à Cléon (Seine-Maritime) dans une logique de proximité. Mais en fin de compte le résultat français de Renault est très proche de celui de PSA, 8

avec une forte diminution des volumes fabriqués et un haut de gamme à la dérive. Contrairement à PSA, Renault est puissant mondialement, avec Nissan présent en Chine et aux États-Unis, est actif sur des marchés profitables comme les 4X4 ou la gamme de luxe Infinity, et compte de plus en plus sur Dacia, champion de la voiture à bas prix. En cumulant les marques du groupe, Renault a vendu 8,27 millions de véhicules en 2014 (Nissan 5,1, Renault 2,63, Dacia probablement 0,6, Avtovaz (Lada) 0,535, Samsung environ 0,13), ce qui le place au 4e rang mondial. Les synergies et les plates-formes communes aux marques sont de plus en plus nombreuses. Enfin, la petite usine de Dieppe (Seine-Maritime) mérite une mention particulière. Spécialiste des carrosseries en plastique, elle a fabriqué des Alpine Renault jusqu'en 1995, un modèle qui revient en 2016. Elle a aussi monté des Espace lorsque ce modèle était en pleine gloire, puis a travaillé pour l'anglais Catterham, qui est quasiment un artisan de la voiture de sport. Elle assemble les voitures électriques de Bolloré (Autolib à Paris). 2.3 Les firmes étrangères Il reste une question à poser à propos de l'implantation de firmes étrangères, peu nombreuses et relativement récentes. A l'époque du Général de Gaulle, il était exclu que des voitures américaines soient assemblées en France. Seules des usines de boîtes de vitesse avaient été implantées à Bordeaux par Ford (une usine vendue à l'allemand ZF en 2009, puis à nouveau à Ford en 2011) et à Strasbourg par la GM (une usine reprise par le belge Punch Powerglide, partenaire de ZF, en 2013). Les grandes firmes établissent usuellement une long list de pays qui pourraient convenir à leurs attentes, puis en déduisent une short list par éliminations successives. Pour l assemblage de la Smart produite à partir de 1997, la France était en concurrence avec l ex-rda et la République tchèque ; en France même, l Ouest atlantique avait été éliminé au profit de la Lorraine, une région proche des deux centres décisionnels des deux partenaires de Smart, à savoir Mercedes à Stuttgart et Swatch à Bienne (Suisse alémanique). A proximité d un carrefour autoroutier, le site lui-même était éligible à des primes destinées à la reconversion du bassin houiller lorrain, dont il est contigu sans y être, ce qui garantissait un terrain vierge de pollution industrielle. La Smart peine depuis les origines à être un succès commercial ; à partir de 2014, l'accord passé avec Renault permet de produire la Fortwo III sur une base commune avec la Twingo III, ainsi qu'une Smart Forfour dans l'usine Renault de Novo Mesto (Slovénie) ; et des Renault Kangoo deviennent des Mercedes Citan Doc 3 : La stratégie Toyota. Source : RW, Entre Rhône et Rhin n 41, janvier 2003. Deeside 1989 : moteurs Burnaston 1989 : Corolla, Avensis Bruxelles : siège social et ingénierie Cologne 2002 : Formule 1 Walbrzych Onnaing 2001 : (Waldenburg) 2005 Yaris Kolin 2005 : entrée de gamme avec PSA Sophia-Antipolis : design DRESDE E GN MA ALLE Va llé e de O POL de vitesses Toyota en 2005 MTS DES G DECIN l'e lb e voie ferrée pour le transport EANTS international combiné (accords de Genève de 1991) MDALA Istanbul : Aventis, Corolla BOLESLAV E55 E65 PRAGUE E50 E WALBRZYCH GN moteurs et boîtes usine Skoda en 1923 UE LIQ UB E REP HEQU TC E67 KOLIN usine PSA-Toyota 0 Izmir 2003 50 km Contrairement à Smart, Toyota n'occupe pas une niche de marché. Depuis 1999, son usine d'onnaing, près de Valenciennes, est entièrement dédiée à la Yaris. Elle avait initialement profité d'aides publiques considérables puisque le Valenciennois était alors le seul territoire hexagonal à disposer d'un maximum d'aides européennes grâce à l'objectif 1 de l'époque. Le site est bien relié 9

aux usines Toyota de Burnaston (Midlands) et de Deeside (Galles) grâce au tunnel sous la Manche, ainsi qu'aux nombreux fournisseurs du Nord et de la Belgique, sans compter le siège social de Toyota pour l'europe implanté à Bruxelles. L'usine bénéficie de la haute technologie du premier constructeur mondial : depuis 2012, la Yaris est la seule voiture hybride électricité / essence fabriquée en France. Elle est en outre le véhicule le plus produit du pays, devant les Peugeot 308 (Sochaux) et 2008 (Mulhouse). 3. Usines : trajectoires 3.1 Cadre général Doc 4 : Pour les poids lourds : Renault Trucks ex-renault depuis 2001 près de Lyon (Vénissieux, SaintPriest, Bourg-en-Bresse), à Limoges et près de Caen (Blainville-sur-Orne). Iveco à Annonay (Ardèche) ex-iribus depuis 2013 (filiale de Fiat basée à Londres). Heuliez a disparu en 2013. Nouvel entrant : Bolloré pour l'électrique dans l'usine PSA de Rennes. Voiturettes (sans permis B mais AM) : un marché dominé par Aixam (Isère, Savoie) et Driveplanet (Microcar à Nantes et Ligier à Magny-Cours dans la Nièvre). Doc 5 : Les usines d'assemblage en Europe. Source : Paris Sorbonne M1 TLTE, 2013 10

Doc 6 : Embarquement de Dacia Docker sur un navire roulier à TangerMed (Maroc). RW mai 2013. 3.2 Deux usines géantes pour le bastion historique de Peugeot Sochaux est la 2e usine de France et Mulhouse la 5e. (1. Airbus à Toulouse, 3. Michelin à Clermont-Ferrand, 4. Renault à Guyancourt, 6. Eurocopters à Marignane). Le site de Sochaux / Montbéliard, compagny town Les gains de productivité sont inéluctables : dans l usine Peugeot-Citroën de Sochaux, «en 1996, pour produire 1200 voitures par jour, en 2 X 8, il y avait 8235 ouvriers embauchés en Fabrication. Fin mai 2003, pour produire 1765 voitures par jour auxquelles s'ajoutent les 1400 fabriquées le week-end et celles produites la nuit, il n'y avait plus que 5914 ouvriers de fabrication embauchés et plus de 3200 intérimaires», écrit Lutte Ouvrière [N 1824 du 18 juillet 2003]. 11

Doc 8 Des rumeurs tenaces circulent sur la fermeture d une ou plusieurs usines Peugeot-Citroën, rumeurs régulièrement démenties par les directeurs des sites. Lors du lancement de la première 308, plusieurs exemplaires de ce modèle ont été exposés dans la principale rue commerçante de Mulhouse, ainsi «mis en valeur par une exposition de photos traitant du travail des ouvriers mulhousiens. Peugeot Citroën tenait à marquer, par cette exposition, le lien qui l unit à cette ville dans laquelle elle est présente depuis plus de 40 ans» [L Alsace, 21 septembre 2007, cahier région, p. 22]. Quant à l usine de Sochaux, elle obéit à une problématique spécifique en tant qu implantation historique incarnant la marque Peugeot depuis 1912. «Même si Sochaux n est plus qu un centre de production parmi vingt-six autres, l exception sochalienne est toujours vivace dans les esprits de ceux qui fabriquent comme de ceux qui achètent. Les journalistes commentant «la dernière de Sochaux», même si cette dernière n est plus conçue et fabriquée dans le Doubs, témoignent de l existence de ce mythe», écrivent les historiens (Belot, Lamard 2007, cf. p. 10). Autrement dit, à supposer que la rationalité économique ne favorise plus le nord-est français au profit des délocalisations, la firme PSA restera-t-elle à Sochaux au nom d un lien symbolique? Vers l'est, on voit s'étirer Technoland 1 (au sud de l'autoroute A36) et 2 (le long du canal du Rhône-au-Rhin). Quelle est la problématique de localisation pour les sous-traitants? - S'installer sur le site de l'assemblier (Smartville à Hambach) ou à proximité immédiate (Renault-Sandouville, PSA Rennes, PSA Technoland). - S'installer dans une région dotée d'assembliers : le Nord-Picardie, la Basse-Seine. - S'installer au barycentre entre assembliers : la région de Strasbourg. - Être en mesure d'accompagner les assembliers à l'international. Le site de Mulhouse - Un élément de la «Ruhr alsacienne» lors de l'expansion des années 1960, fondée sur les transports fluviaux, ferroviaires puis autoroutiers, et la reconversion de Mulhouse dont le textile et 12

les constructions mécaniques déclinaient. - Un pic vers 14.000 salariés dans les années 1980/1990 et plus de 400.000 véhicules/an, lors de l'âge d'or de la 205 puis de la 206. La seule forge de tout le groupe PSA (une activité que Renault a vendue à des sous-traitants). - Le déclin : passage à une seule ligne de fabrication en 2014 (au lieu de deux). Fin 2015 : 6.200 salariés + environ un millier d'intérimaires, avec de bons résultats commerciaux pour la 2008 et des résultats mitigés pour les Citroën C4 et DS4. Prévisions de production vers 250.000 véhicules/an. - Une cathédrale dans le désert? Peu de sous-traitants à proximité. Pas de R&D. Mais un excellent site logistique. Doc 9 3.3 L'usine étouffée par la ville : le cas d'aulnay-sous-bois En 1878, Amédée Bollée présente une voiture et un omnibus à vapeur à l'exposition universelle de Paris. En 1862, Beau de Rochas avait déposé un brevet pour le moteur à explosion à quatre temps, utilisé par Gottlieb Daimler en poste fixe, vendu à Carl Benz en1884 ainsi qu'à Panhard et Levassor en 1889, qui commercialise les premières voitures à essence à Paris en 1891. Toute une série d'innovations suivent, comme le carburateur de Fernand Forest, les pneumatiques de Michelin (1891, Clermont-Ferrand). Louis Renault débute en 1896 à Boulogne-Billancourt. Avant 1914, la France produit la moitié des voitures vendues dans le monde et compte 155 constructeurs. Le département de la Seine compte le quart des voitures françaises à lui seul. Un clin d œil au futur : en 1899, sur la route d'achères (aujourd'hui dans les Yvelines), la Jamais Contente électrique du Belge Jenatzy est la première voiture à dépasser les 100 km/h. On a donc une pépinière d'ingénieurs qui gravitait dans le monde de la construction mécanique, du chemin de fer, de l'aviation (Louis Blériot fabriquait des phares de voitures). André Citroën et Louis Renault étaient polytechniciens, camarades de promotion en 1898. La crise des années 1930 balaie la plupart des constructeurs. Survivent ceux qui investissent dans l'innovation et qui adoptent les règles du taylorisme. Louis Renault, André Citroën, Jean-Pierre Peugeot voyagent aux États-Unis, notamment à Detroit, et en adaptent les méthodes avec succès. Seul Citroën fait faillite, piégée par l'avant-gardisme flamboyant de son fondateur, et est repris par 13

Michelin. Dès lors, la production se regroupe à Paris et dans la première couronne, à Sochaux, à Lille (Peugeot) et à Lyon (les poids lourds de Marius Berliet). Dès ses origines, l industrie automobile européenne s était donc développée dans les métropoles ou dans des régions urbaines à fort potentiel technologique. L histoire se lit toujours à travers les localisations des usines mères de Mercedes-Benz à Sindelfingen et Porsche à Untertürkheim, deux banlieues de Stuttgart. Stuttgart, les Midlands, le pays de Montbéliard, la banlieue de Turin (usine de Mirafiori) ou Mlada Boleslav (Prague) restent autant de bastions historiques. Mais beaucoup de sites originels ont totalement disparu, chassés par la croissance urbaine, comme l usine Renault de Billancourt fermée en 1992 (Ile Seguin), le Quai de Javel (1915-1974) et Levallois-Perret de Citroën (usine fermée en 1988 avec la fin de la production de la 2CV), le Lingotto de Fiat à Turin, ou encore l'usine ZIL de Moscou... Les sites ainsi enfrichés sont requalifiés avec aisance (Jardins Citroën) ou dans la douleur (Ile Seguin, où le projet R4 de Jean Nouvel est toujours bloqué). Au nord de Paris, l'usine PSA d'aulnay-sous-bois stoppe sa production (Citroën C3) en octobre 2013 et elle continue avec des pièces de rechange jusqu'en 2014. Le 22 novembre 2015, le site est est repris par le futur centre technique des trains du Grand Paris Express, plus un poste de commandement pour les lignes 16 et 17. Plusieurs centaines d'emplois y sont attendus. Doc 10 Conclusion Ainsi, les deux grands groupes français ont suivi deux stratégies différentes. La responsabilité et le comportement des dirigeants ainsi que des hommes d'état et de la haute fonction publique face à la mondialisation est d'importance. Attachée à sa souveraineté, la famille Peugeot n'avait pas voulu nouer d'alliance stratégique avec un grand constructeur, ce qui a amené la firme au bord du gouffre en 2014. Au contraire, Renault était entré rapidement dans la problématique de la mondialisation et avait en outre pris un risque marketing réussi avec le concept Dacia. Mais à ce jour, le résultat pour la plate-forme de production hexagonale est à peu près le même pour les deux groupes, qui ont largement délocalisé leur production. Si l'on voulait ce qui n'est pas avéré repartir de l'avant en France, il faudrait réduire les coûts de la production, et innover sur les 14

thématiques de la voiture zéro émission et circulant sans conducteur en toute sécurité. Ceci suppose de lourds investissements, donc une remise en cause du capitalisme de rente. Mais davantage encore, il faudrait mettre en œuvre une vision systémique qui associe tous les acteurs présents sur la scène des mobilités. En 2015 par exemple, les juristes allemands étudient la question ardue des responsabilités pour les voitures sans conducteur et le gouvernement fédéral prépare pour elles l'autoroute A9 Berlin-Munich (Digitales Testfeld Autobahn) afin de pouvoir mener des tests dans des conditions de circulation réelle, et cela avec quel but? «Weltspitze sein können», donc être à la pointe du monde, et ne pas se faire dépasser par Google, selon le ministre fédéral des transports. La faiblesse systémique française est d'autant plus étonnante que les élites des secteurs privés et publics sortent souvent des mêmes moules via les grandes écoles et que leur carrière les fait fréquemment passer du secteur privé au secteur public. De même, depuis les années 2000, la politique des Pôles de compétitivité ainsi que celle des grappes vise explicitement à favoriser les clusters, c'est-à-dire le partage des informations et la proximité des acteurs publics, privés et académiques au sein d'un même territoire. Un mystère français? Un autre mystère concerne le renoncement à la voiture de prestige alors qu'au niveau global la France jouit d'une forte image dans l'industrie du luxe. Il faut remonter aux années 1970 pour trouver la dernière représentante nationale sur ce marché avec la Citroën SM. Depuis, les Allemands avec Mercedes, BMW, Audi et Porsche se sont imposés sur la scène mondiale, tout comme les constructeurs japonais qui ont créé des marques «maison» de luxe (Lexus, Acura, Infinity...). Le haut de gamme français a disparu avec l'arrêt de la Renault Vel Satis, de la Peugeot 607 et ceux, annoncés, des Citroën C5 et C6. En ce sens, la création de la marque DS par PSA est un signe de non-renoncement, tout comme les retours des Espace et Alpine chez Renault. Néanmoins, la question reste ouverte : pourquoi des investissements n'ont-ils pas été faits alors que les créateurs français sont légion et que les technologies en informatique, en matériaux, en imagerie, en nouveaux carburants sont fortement portés par les Pôles de compétitivité en Ile-de-France, Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Rhône-Alpes et Alsace-Franche-Comté? L'épiphénomène Bugatti vient conforter cet état de fait : la firme de Molsheim (Bas-Rhin) a été achetée par VAG et assemble une voiture vendue 1,3 million d'euros... Tant que ces mystères ne seront pas résolus, la France restera au mieux un territoire suiviste, mais elle glisse déjà vers la situation d'un territoire has been avec une forte contraction de la production depuis 2005. Les accords passés entre les firmes et l'état visent à freiner le déclin de la production jusque vers 2018-2020. Aucune visibilité n'est apparente au-delà. Grave pour les comptes de l'économie nationale et de l'emploi, ce fait ne semble pas avoir d'importance pour des entreprises qui prospèrent désormais à l'international. Bibliographie FRIGANT V., LAYAN J-B. (2009) - Modular production and the new division of labour within Europe : the perspective of French automotive parts suppliers, European Urban and Regional Studies, Vol.16 (1), p. 11-25. LAMARD P., BELOT R. (2007) - Peugeot à Sochaux, Panazol, Lavauzelle, 372 p. RODET-KROICHVILI N., HEIM S., WOESSNER R. (2014) - «Internationalisation de la recherche et développement : quelles stratégies des constructeurs automobiles dans l espace esteuropéen et méditerranéen?», Revue de la régulation, 15/2014, http://regulation.revues.org/10695. SARTORIUS É. (2012) Rapport à Monsieur le Ministre du Redressement Productif sur la situation du groupe Peugeot Citroën, Paris, Conseil Général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des Technologies, 39 p. STORPER M. (2003) - Territories, Flows and Hierarchies in the Global Economy, in BARNES T., PECK J., SHEPPARD E., TICKELL A. (dir.), Reading economic geography, Oxford, Blaxkwell, 479 p. 15

STURGEON T., VAN BIESEBROECK J., and GEREFFI G. (2008) - Value Chains, Networks and Clusters: reframing the global Automotive Industry, Journal of Economic Geography, 8 (3), p.297321. WOESSNER R., 2010, «Les conditions de la territorialisation», Revue d'économie Régionale et Urbaine n 4, Paris, Armand Colin, cf. p. 669-687. 16