La dématérialisation du contrat d assurance : le cadre législatif et jurisprudentiel Colloque de l AJAR, mardi 4 décembre 2012 Jean- Sébastien Borghetti Professeur à l université Panthéon- Assas La dématérialisation n est pas un sujet neuf. Voilà déjà un certain temps que les juristes s intéressent à la dématérialisation, c est- à- dire à l affranchissement des supports matériels tangibles dans le domaine juridique. Le constat est maintenant bien établi que notre système juridique accorde de plus en plus de place à l immatériel. Il est courant de constater que les richesses correspondent de plus en plus à de biens immatériels, comme en témoigne notamment le droit des propriétés intellectuelles. En ce qui concerne le contrat, cependant, la dématérialisation ne date pas d hier. Certes, en droit romain, la conclusion du contrat passait en principe par l accomplissement d actes matériels concrets : le prononcé d une formule sacramentelle ou la remise d une chose, par exemple. Sous l Ancien droit, toutefois, l influence du droit canonique et l importance accordée à des notions telles que la conscience et la volonté ont eu pour effet de distendre le lien entre le contrat, ou en tout cas sa conclusion, et l accomplissement d actes particuliers. Ce divorce entre contrat et matérialité a été consacré en 1804 par notre Code civil, qui admet que le contrat se forme en principe par le seul échange des consentements, sans que celui- ci doive revêtir une forme particulière. C est le principe du consensualisme, que nous connaissons tous, mais dont nous oublions peut- être à quel point il est moderne : un accord de volonté suffit à obliger, même s il ne se matérialise par aucun acte, par aucun écrit, par aucune formule particulière. On a là une dissociation, qui a d ailleurs pu être critiquée comme irréaliste, entre la volonté de l homme, son esprit pourrait- on dire, et son corps. La volonté seule suffit pour former le contrat, sans aucune inscription physique, corporelle. Nous savons tous évidemment qu il existe des exceptions au principe du consensualisme : ce sont les contrats réels (qui se forment par la remise d une chose) et les contrats solennels (qui se forment par la rédaction d un écrit). Il n empêche que le consensualisme demeure le principe et la solennité l exception. Et le contrat d assurance, même s il est encombré d un formalisme informatif très lourd, suit le principe de droit commun : c est un contrat consensuel, qui ne requiert donc pas la rédaction d un écrit pour être conclu, comme a eu l occasion de le rappeler à plusieurs reprises la Cour de cassation. En ce qui concerne la conclusion du contrat, le sommet de la dématérialisation a donc été atteint dès 1804. La difficulté, comme nous le savons tous, est toutefois que cette dématérialisation relève pour partie du trompe- l œil. La raison principale tient aux nécessités de la preuve. Il est bien beau en effet de pouvoir conclure un contrat d un simple accord de volonté, par un échange de paroles ou même un hochement de tête. Mais, en cas de contestation, il va falloir prouver l existence du contrat et, plus délicat encore, son contenu. Comme le dit l adage latin, idem est non esse aut non probari : il revient au même de ne pas exister ou de n être pas prouvé. Or, dans le système du Code civil, l établissement de la preuve d un contrat, du moins en dehors du domaine commercial, passe en principe par la production d un écrit, revêtu de la signature des
parties. Et, bien évidemment, en 1804, l écrit ne se concevait que comme un objet physique, concrètement un morceau de papier. La dématérialisation du contrat au stade de la conclusion est donc démentie par la matérialité des instruments de preuve. Cet ancrage matérialiste s est encore trouvé renforcé, depuis les années 1970, par le développement du droit de la consommation et du formalisme informatif. De plus en plus, en effet, le législateur exige que la conclusion de certains contrats soit précédée par la fourniture à la partie jugée en position de faiblesse d un certain nombre d informations, destinées à garantir un consentement éclairé ; et cette fourniture doit se faire, très souvent, par la remise de documents écrits dont le contenu est détaillé par le législateur. Les assureurs en savent quelque chose, puisque l article L. 112-2 du code des assurances exige justement la remise à l assuré potentiel d une fiche d information, dont le contenu est précisément défini. Exigence de preuve et formalisme informatif entraînent donc un retour vers l écrit. Il en va d ailleurs de même du contenu de plus en plus complexe et sophistiqué de nombreux contrats : passé un certain niveau de complexité, en effet, il est bien évident qu il n y a pas d accord possible, et donc pas de contrat, sans un document écrit qui précise clairement le contenu du contrat. Cette nécessité de l écrit, pour des raisons de preuve, d information et de détermination du contenu du contrat, paraît du même coup impliquer un retour vers la matérialité, puisque, traditionnellement, qui dit écrit dit papier. Nous savons cependant tous que cette «rematérialisation» est elle- même contrebalancée, depuis une vingtaine d années, par le développement des communications électroniques. L écrit est bien sûr nécessaire, plus que jamais, et on n a certainement jamais produit autant d écrits qu aujourd hui, mais c est la matérialité de l écrit que le développement des communications électroniques vient remettre en cause. L immense majorité des écrits que nous produisons aujourd hui sont d abord inscrits, créés, sur des supports électroniques, et ils sont de ce fait privés de toute matérialité, ou en tout cas de la matérialité du papier (même si ce qui se trouve sous forme électronique passe ensuite très souvent sous forme papier). Il n est pas besoin de s étendre ici sur les avantages de l écrit électronique : il permet tout d abord de faciliter la conclusion de contrats à distance, c est- à- dire hors la présence physique simultanée des deux parties. Certes, les contrats à distance existent depuis toujours, notamment grâce au mécanisme de la représentation et grâce au courrier. Mais l électronique permet bien sûr d amplifier et d accélérer la conclusion de tels contrats. Plus généralement, et même s il est difficile d avoir des chiffres, il est permis de penser que l électronique permet une augmentation du nombre de contrats. L autre grand avantage de l électronique tient à l économie de place : on peut stocker sur une clé USB le contenu d une bibliothèque papier, ce qui représente évidemment un avantage pratique considérable, surtout au prix où est le m 2. Il n est donc pas surprenant que l on assiste à un développement des contrats conclus par la voie électronique, ainsi qu à un développement de l archivage électronique. Cela pose cependant un certain nombre de questions sur le plan juridique. La principale est 2
tout simplement de savoir dans quelle mesure, juridiquement, l écrit peut s affranchir du papier et se passer de ce support matériel. Le législateur et, dans une moindre mesure, la jurisprudence, ont amorcé une transition du papier vers l électronique. Toutefois, cette transition pose un certain nombre de difficultés et elle est loin d être complète. Il convient donc, dans un premier temps, de revenir sur ce qui a déjà été fait en termes de dématérialisation de l écrit, avant de voir ce qui, demain, pourrait peut- être être fait. I. État actuel de la dématérialisation de l écrit Il importe de distinguer les cas où l écrit est requis à titre informatif des cas où il est requis à titre de preuve. A. L écrit informatif Le cas où l écrit est requis à titre informatif est celui qui pose le moins de difficultés. Si l essentiel est que le destinataire de l information la reçoive et puisse en prendre connaissance, on ne voit pas a priori pourquoi la communication de l information ne pourrait pas se faire par voie électronique. C est le raisonnement qu ont suivi l Union européenne et la France. Une ordonnance du 16 juin 2005, qui transpose pour partie une directive européenne, a introduit dans notre droit un certain nombre de dispositions visant à permettre que les informations requises pour la conclusion d un contrat puissent être transmises ou mises à disposition par voie électronique. Cette ordonnance a notamment introduit dans le Code civil de nouvelles dispositions, aux articles 1369-1 et suivants, qui consacrent ce principe (v. en particulier les art. 1369-2 et 1369-3). D autres dispositions plus spécifiques le déclinent dans les législations spéciales. L ordonnance a ainsi créé l article L. 112-2- 1 du code des assurances, extraordinairement peu lisible, mais qui prévoit en substance que les écrits devant être échangés ou fournis en vue de la conclusion d un contrat d assurance peuvent l être par voie électronique. Ce point paraît aujourd hui acquis et est confirmé par la nouvelle directive sur les droits des consommateurs (25 octobre 2011), qui n a d ailleurs pas encore été transposée en droit français. Une question se pose toutefois, qui tient à la preuve que l information a été fournie. Comment le débiteur de l information, en effet, peut- il établir qu il a bien transmis l information requise par la loi? En cas de contestation, c est en effet sur lui que pèse la charge de la preuve. Et, en l absence de remise des informations, ou en l absence de preuve de cette remise, les conséquences peuvent être considérables, comme le savent bien les assureurs : dans certains cas, en effet, le législateur prévoit que le délai de rétractation dont dispose la partie «faible» ne commence à courir qu à compter de la remise de l information, ce qui veut dire que la rétractation est toujours possible tant que l information n a pas été remise au créancier de celle- ci. On sait quelles ont été les conséquences de cette règle en matière d assurance sur la vie. Comment, dès lors, prouver la remise de l information? Le Code civil ne dit rien de très précis à ce sujet. Certaines législations spéciales, en revanche, sont plus précises. Ainsi, l article R. 112-3 du code des assurances dispose : «La remise des documents visés au deuxième alinéa de l'article L. 112-2 est constatée par une mention signée et datée par le 3
souscripteur apposée au bas de la police, par laquelle celui- ci reconnaît avoir reçu au préalable ces documents et précisant leur nature et la date de leur remise.» Par ailleurs, à propos de l assurance- vie, l article. L 132-5- 2 du même code dispose : «Avant la conclusion d'un contrat d'assurance sur la vie ou d'un contrat de capitalisation, par une personne physique, l'assureur remet à celle- ci, contre récépissé, une note d'information sur les conditions d'exercice de la faculté de renonciation et sur les dispositions essentielles du contrat.» Dans les deux cas, l assureur doit donc demander un récépissé, avec cette particularité que celui prévu à l article R. 112-3 figure sur le contrat lui- même. Mais, à chaque fois, le code semble envisager un récépissé papier, avec une signature manuelle du souscripteur. Or, comment faire lorsque le contrat est conclu à distance, par voie électronique? L article 1369-9 du Code civil dispose que «la remise d'un écrit sous forme électronique est effective lorsque le destinataire, après avoir pu en prendre connaissance, en a accusé réception.» On peut sans doute en déduire que l accusé de réception électronique peut tenir lieu de récépissé au sens de l article L. 135-2 du code des assurances. En revanche, il ne saurait remplacer la signature apposée sur le contrat qu exige l article R 112-3. Par ailleurs, que se passera- t- il si le destinataire de l information dénie l accusé de réception électronique qui lui est attribué? On touche là au problème fondamental posé par l écrit électronique : l attribution d un écrit électronique à une personne est en effet beaucoup plus délicate que celle d un écrit- papier. Dans le cas d un écrit- papier, la signature manuscrite permet d attribuer l écrit à son auteur avec une grande vraisemblance même si, bien sûr, des imitations de signature sont toujours possibles. Dans le cas de l écrit électronique, en revanche, la signature fait le plus souvent défaut. Mais cette question de la signature renvoie au problème de l écrit comme moyen de preuve, vers laquelle il convient maintenant de se tourner. B. L écrit probatoire Le droit français ne dispose pas d un corps de règles législatives cohérent sur la preuve (judiciaire). Le principe, en droit français, est toutefois que la preuve est libre, c est- à- dire qu elle peut se faire par tout moyen : écrit, témoignage, indices, présomptions, etc. En principe, touours, aucune force particulière ne s attache aux différents moyens de preuve et c est au juge (ou au jury) de décider de la valeur des différents éléments de preuve qui lui sont soumis, sur la base de son intime conviction. Il existe cependant un certain nombre d exceptions au principe de liberté de la preuve. L une des principales est celle posée à l article 1341 du Code civil. La formulation de ce texte est un peu datée, mais il dispose en substance que la preuve de tout acte créateur d obligations, c est- à- dire en pratique de tout contrat, doit être passée par écrit lorsque la valeur de cet acte est supérieur à une somme fixée par décret (actuellement 1.500 euros) et que l acte est invoqué à l encontre d une partie n ayant pas le statut de commerçant. Par ailleurs, en ce qui concerne plus particulièrement le contrat d assurance, la Cour de cassation interprète l article L. 112-3 du code des assurances de telle manière que la preuve du contrat d assurance, entre les parties, ne peut se faire que par écrit, indépendamment du montant du contrat et de la qualité des parties. Précisons tout de même que l écrit n est en fait exigé que pour la preuve de l existence et du contenu du contrat. L exécution du contrat, en principe, peut être prouvée par tout moyen. Mais quels sont les écrits qui permettent de faire preuve de l existence ou du contenu du contrat, au sens de l article 1141 du Code civil ou L. 112-3 du code des assurances? Le 4
Code civil en prévoit deux : l acte authentique et l acte sous seing privé (ASSP). L acte authentique sera ici laissé de côté, car il ne joue en principe guère de rôle en matière d assurances. Reste l ASSP. Un acte sous seing privé, comme son nom l indique, est un acte revêtu de la signature des parties, cette signature servant à la fois à manifester le consentement des parties et à identifier celles- ci (art. 1316-4 du Code civil). L ASSP, comme l acte authentique (art. 1322), a une force probante particulière, qui ne dépend pas de l appréciation du juge : sous réserve que la signature ne soit pas désavouée par celui auquel on l attribue, l ASSP fait pleine foi de ce qu il contient (sauf de la date) et il n est pas possible de prouver contre un ASSP autrement que par un autre ASSP (ou acte authentique), ou éventuellement par un aveu ou un serment. Un témoignage, par exemple, ne peut donc être opposé à un ASSP. Une première question qui se pose, dès lors, est de savoir dans quelle mesure un écrit électronique peut valoir ASSP. Mais une seconde question est de savoir ce que vaut la copie électronique d un ASSP initialement sous forme papier. 1. L acte sous seing privé électronique Une loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l information, qui fait suite à une directive européenne du 13 décembre 1999 sur la signature électronique, a introduit dans le Code civil un certain nombre de dispositions sur l écrit électronique. L article 1316-1 du Code civil pose désormais un principe d équivalence entre l écrit sur support papier et l écrit sous forme électronique. C est ce qu on appelle parfois le principe de neutralité technologique : un écrit est un écrit, quel que soit son support. Toutefois, pour que l écrit électronique ait la valeur d un ASSP, l article 1316-4 requiert qu il soit revêtu d une signature électronique. Une telle signature, d après l alinéa 2 de ce texte, consiste «en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache.» Pour que l écrit électronique vaille ASSP et permette ainsi la preuve d un contrat d assurance, il faut donc qu il existe un procédé fiable d identification qui relie l acte à son auteur prétendu. En cas de contestation de celui- ci, c est évidemment à celui qui invoque la fiabilité du procédé de le démontrer. Mais qu est- ce qu un procédé fiable? La suite de l article 1316-4, alinéa 2, prévoit que «la fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu'à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l'identité du signataire assurée et l'intégrité de l'acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'état.» C est un décret du 30 mars 2001 qui est venu poser les conditions dans lesquelles la fiabilité de la signature électronique est présumée. On ne rentrera pas ici dans le détail de ce texte. Ce qu il suffit de dire, c est que ce décret soumet la signature électronique à un processus sécurisé de vérification, devant lui- même faire l objet d une certification. Or, en pratique, aujourd hui, il semble qu il n existe sur le marché aucun procédé de signature électronique répondant aux exigences posées par le décret. En tout état de cause, il est certain que les entreprises d assurance, et à plus forte raison la plupart des clients avec lesquels elles sont susceptibles de contracter, ne disposent pas aujourd hui de procédés de signature électronique dont la fiabilité peut être présumée aux termes de l article 1386-4 du Code civil. Dès lors, en pratique, si une entreprise d assurance conclut un contrat par la voie électronique avec un particulier ou une entreprise, en l absence de signature 5
électronique vérifiée par un procédé certifié, elle aura en général comme seul écrit émanant du souscripteur un email. Or, un email ne saurait constituer un procédé fiable d identification, car il est très simple de fabriquer un faux email (v. en ce sens CA Aix- en- Provence, 21 juin 2007, JD 2007-342109, qui refuse de reconnaître à un email même la valeur d un commencement de preuve par écrit). En conséquence, l assureur ne disposera pas d un ASSP à même de prouver l engagement du souscripteur. Cela ne veut d ailleurs pas dire que la preuve de l existence de l engagement soit alors impossible : en effet, l absence d ASSP pourra éventuellement être palliée par un commencement de preuve par écrit, complété par d autres éléments (art. 1347 du Code civil), ou encore par un aveu de l assuré. En pratique, d ailleurs, le problème sera rarement pour l assureur de prouver l existence du contrat. La difficulté sera plutôt de prouver le contenu de celui- ci, et notamment les exclusions de garantie. Or, en l état actuel des choses, compte tenu de l absence de recours à la signature électronique, il paraît difficile pour l assureur de faire la preuve du contenu du contrat d assurance autrement que grâce à un ASSP établi sur support papier. En d autres termes, en l état actuel des règles sur la signature électronique, la preuve du contenu du contrat par ASSP électronique ne paraît pas possible en pratique. 2. Les copies électroniques Passons maintenant à la question du statut des copies électroniques d ASSP initialement établis sur support papier. Les dispositions du Code civil sur les copies d acte sont malheureusement tout sauf satisfaisantes. Deux articles du Code traitent des copies : l article 1334 et l article 1348. Le premier date de 1804 et n est en fait que la reprise de Pothier. Il prévoit que, tant que l original subsiste, l original peut toujours être exigé. Le problème de ce texte est qu il a été conçu pour les actes authentiques et qu il s inscrit dans une logique totalement étrangère au contexte qui est aujourd hui le nôtre, à l heure de la numérisation. Le deuxième texte, l article 1348, prévoit quant à lui dans son second alinéa que la règle qui exige la preuve par écrit, c est- à- dire par un acte authentique ou un ASSP, reçoit exception «lorsqu'une partie ou le dépositaire n'a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable.» Il est donc possible de produire une copie plutôt qu un original dès lors qu on n a pas conservé l original. En résumé, tant que l original existe, il peut être exigé (art. 1334), mais s il n existe plus, une copie peut être présentée (art. 1348). Et comme l article 1348, alinéa 2, ne pose aucune exigence quant aux conditions dans lesquels l original a disparu, il est tout à fait possible de faire disparaître volontairement l original pour ne conserver que la copie. Au demeurant, on sait que ce deuxième alinéa de l article 1348 a été adopté en 1980 sous la pression des banques, qui voulaient que la loi entérine leur pratique consistant à ne pas conserver les formules de chèque, mais seulement des copies sur microfilms. Le contexte technologique de l époque et la référence implicite au microfilm expliquent au demeurant la référence à la durabilité. La fin de l article 1348, alinéa 2, précise d ailleurs qu «est réputée durable toute reproduction indélébile de l'original qui entraîne une modification irréversible du support», ce qui ne nous apporte pas grand chose. La question essentielle, en pratique, est de savoir quels sont les modes de reproduction qui permettent une copie «fidèle». Jusqu à présent, la question s est surtout posée pour les photocopies. Malheureusement, trente ans après l adoption du 2 e alinéa de l article 6
1348, la jurisprudence n est toujours pas parfaitement claire. Certains arrêts ont en effet paru ne reconnaître aux photocopies que la valeur d un commencement de preuve par écrit. Les arrêts les plus récents de la Cour de cassation, au demeurant peu nombreux, paraissent heureusement admettre qu une photocopie peut constituer une copie fidèle et durable au sens de l article 1348, alinéa 2, et faire foi au même titre que l acte original sous seing privé, lorsque celui- ci a disparu. Or, comme la copie numérique paraît très proche de la photocopie, il est permis de penser, même s il n y a pratiquement pas de jurisprudence sur la question, qu une copie numérique peut faire preuve au même titre que l original sous seing privé, lorsque celui- ci a disparu. La copie, donc, peut faire preuve. Il est certain, en effet, que, en cas de litige, si une partie produit une copie numérisée et que l autre ne la conteste pas, cette copie pourra faire preuve au même titre que l ASSP original. Et le juge ne pourrait pas relever d office l absence de valeur probante de la copie. En revanche, si la partie à laquelle on l oppose conteste le caractère fidèle et durable de la copie, que se passe- t- il? Si l on en croit un arrêt de la Cour de cassation de 2000, qui paraît au demeurant tout à fait fondé, il appartient alors aux juges du fond, dans leur appréciation souveraine, de déterminer si la copie présentée est fidèle et durable, et donc si elle peut se substituer à un ASSP (v. notamment Civ. 1 re, 30 mai 2000, Bull. civ. I, n 164). Ce qui veut dire en pratique que la force probante de la copie électronique et son équivalence avec un écrit- papier est susceptible d être vérifiée au cas par cas par le juge, en cas de contestation de celui à laquelle on l oppose, ce qui est évidemment une source d insécurité juridique 1. Pour résumer, donc, il convient de distinguer l ASSP électronique de la copie électronique d un ASSP originellement sur support papier. Le premier suppose une signature électronique consistant en un procédé fiable d identification. Or, en l état actuel des choses, une telle signature n est jamais utilisée. En pratique, cela veut dire que l ASSP électronique ne peut pas être utilisé dans les rapports entre assureurs et particuliers ou petites entreprises. Quant à la copie électronique d un ASSP originellement sur support papier, elle a a priori même valeur probante que l original lorsque celui- ci a disparu, même si cette disparition est le fait du contractant. Cela étant, cette valeur probante est subordonnée au caractère fidèle et durable de la copie et, en cas de contestation de ce caractère par celui auquel on oppose la copie, il appartiendra au juge du fond d apprécier souverainement l existence ou non de ce caractère. Il existe donc un décalage assez net entre la généralisation du recours à l électronique dans notre société et la place relativement restreinte que lui fait le droit, notamment sur le terrain de la preuve. Il est probable, cependant, que nous assisterons tôt ou tard à une évolution sur ce point. Il nous faut donc voir ce qu elle pourrait être. 1 Une autre question qui se pose est de savoir comment prouver contre une copie (le cas échéant numérique) reconnue fidèle et durable. Faut- il un autre écrit sous seing privé ou équivalent, ou la preuve peut- elle se faire par tous moyens? La doctrine est partagée sur ce point et la jurisprudence n en dit rien. Il me semble que, en toute rigueur, il faudrait n admettre la preuve contre une copie fidèle et durable que par un mode de preuve ayant même foi, c est- à- dire un écrit sous seing privé ou équivalent. Cela étant, il importe de distinguer la preuve de l existence ou du contenu de l acte, d une part, de la preuve du caractère (non) fiable et durable de la copie, d autre part, celle- ci pouvant quant à elle être apportée par tout moyen. 7
II. Les perspectives d évolution Les développements seront beaucoup plus brefs sur ce point, ne serait- ce que parce que l auteur de ces lignes n est pas Mme Soleil. Il existe actuellement des projets de réforme du droit des obligations, qui incluent le droit de la preuve. Nul ne sait, à vrai dire, si la réforme va avoir lieu, mais elle paraît plus probable aujourd hui qu elle ne l a jamais été. Il faut donc voir brièvement ce que nous réservent les projets de réforme, avant de dire deux mots de ce qui, à plus long terme, pourrait influer sur l évolution de notre droit. A. Les projets de réforme du droit des obligations Il existe en France deux projets doctrinaux de réforme : le projet Catala et le projet Terré. Sur l écrit informatif, ces projets n ont pas vocation à modifier l état actuel du droit. En revanche, ils nous intéressent ici en ce qu ils traient de la preuve des obligations, et donc de celle des contrats. Ni l un ni l autre, à vrai dire, n envisagent de révolution. En particulier, ils restent tous deux fidèles à notre système de preuve, en ce que celui- ci exige un écrit pour prouver l existence et le contenu des actes juridiques en matière civile, au- delà d un certain montant. Par ailleurs, les deux projets ne modifient pas les règles sur l ASSP électronique, et notamment ce qui concerne la signature électronique. En fait, il n y a qu un point sur lequel ces projets semblent de nature à apporter du nouveau : c est au sujet des copies électroniques. Le projet Catala, à vrai dire, est particulièrement conservateur. Il reprend l actuel article 1334, selon lequel l original peut toujours être exigé en lieu et place de la copie tant qu il subsiste (art. 1301). Il reprend aussi la règle de l actuel article 1348, alinéa 2, et il est même un peu plus restrictif, puisqu il prévoit que : «En cas de perte du titre original, la copie fidèle et durable d un acte sous seing privé peut suffire à en prouver l existence» (art. 1304). Il abandonne donc simplement la présomption de fidélité attachée actuellement aux reproductions indélébiles de l original entraînant une modification irréversible du support. Mais il subordonne la recevabilité de la copie à la preuve de la perte de l original, ce qui paraît exclure qu un professionnel puisse produire une copie numérisée après avoir volontairement détruit l original, ce qui est évidemment problématique. Par ailleurs, ce projet ne dit malheureusement rien de la manière dont doit être appréciée la fidélité et la durabilité de la copie. Sur cette question de la copie, le projet Terré, qui n a pas encore été officiellement publié, mais dont la teneur est déjà connue, est plus audacieux. Il dispose : «La copie fiable a la même force probante que l original. La fiabilité est laissée à l appréciation du juge. Néanmoins, est réputée fiable la copie exécutoire ou authentique d un écrit authentique. // Si l original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée» (art. 178). La notion de copie fiable est donc substituée à celle de copie fidèle et durable. Cela paraît une excellente chose, car la durabilité ne paraît pas être un critère vraiment pertinent. Quant à la fidélité, elle ne peut véritablement s apprécier qu en confrontant l original à la copie, mais si l on peut opérer cette confrontation, c est que l on dispose de l original et que l on n a donc pas vraiment besoin de la copie. Au contraire, la notion de fiabilité, qui renvoie plutôt au procédé utilisé pour opérer la copie, paraît pertinente. Il est d ailleurs remarquable que ce soit cette notion de fiabilité qui est utilisée dans plusieurs instruments internationaux relatifs au commerce électronique, et notamment dans la convention des Nations unies sur l utilisation des communications électroniques dans 8
les contrats internationaux. Le projet Terré précise en outre que la fiabilité est laissée à l appréciation du juge en cas de contestation. Cela correspond à l état de la jurisprudence en ce qui concerne la fidélité et la durabilité de la copie, pour autant que l on puisse en juger, mais cela va mieux en le disant. Il existe donc deux projets doctrinaux de réforme, dont l un paraît préférable à l autre en ce qui concerne les copies. On sait que le ministère a rédigé un projet sur le régime de l obligation, qui inclut le droit de la preuve, mais il n a pas encore été rendu public. On ne peut qu espérer que le projet ministériel suivra sur ce point- là le projet Terré. Même si la réforme a lieu et qu elle suit le projet Terré, cependant, il n y aura pas de révolution. B. A plus long terme A plus long terme, que pourrait- il se passer? Cela est difficile à dire, mais il peut être intéressant de regarder ce qui se passe à l étranger, car peut- être certains systèmes juridiques sont- ils en avance sur nous. Il est malheureusement impossible de dresser un tableau complet de ce qui se passe à l étranger. La comparaison est d autant plus délicate que les règles et les modes de preuve ne sont pas partout les mêmes. En Angleterre et aux États- Unis, en particulier, il n y a pas comme chez nous de prépondérance de principe de la preuve écrite. L écrit n ayant pas, juridiquement, de valeur probante particulière, la question de l écrit électronique et de la copie électronique s y pose de manière très différente de chez nous. Dès lors, il est difficile de transposer les solutions en vigueur dans les pays de common law aux systèmes civilistes. Même dans les systèmes civilistes, d ailleurs, les variations peuvent être importantes d un système à l autre en ce qui concerne les règles de preuve. J ai regardé un peu le droit allemand, par exemple, mais il est difficile d y trouver des exemples très pertinents pour nous, d autant que les règles sur la signature électronique sont déjà partiellement harmonisées du fait de la directive du 13 décembre 1999. J ai aussi regardé le droit québécois, qui possède une loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information, et dont le nouveau code civil intègre la problématique de l électronique. Les solutions adoptées là- bas ne sont cependant pas d une clarté évidente, et elles ne paraissent pas sensiblement plus simples que celles que nous aurions en France, du moins si les solutions du projet Terré étaient adoptées. En l état actuel de la technologie, en fait, il paraît difficile de réunir à la fois les avantages de la dématérialisation et la relative certitude que procure aujourd hui l écrit papier ou alors, il faut recourir à des processus d authentification complexes et coûteux, qui annihilent en quelque sorte les avantages que l on attend de l immatériel, à savoir la souplesse, la rapidité et l économie. Il est d ailleurs intéressant de voir qu il existe des travaux assez volumineux de la CNUDCI (Commission des Nations Unies pour le droit commercial international) sur l écrit électronique, mais qui n offrent pas de solution miracle pour sortir de la quadrature du cercle. Il est probable, en fait, que les ouvertures viendront de l évolution des technologies. Aujourd hui, la signature électronique reste rare et chère. Mais peut- être de nouveaux procédés permettront- ils demain de la généraliser : procédés biométriques, tablettes permettant la signature manuscrite, etc. Cela simplifierait et sécuriserait évidemment considérablement le recours à l écrit électronique, notamment à des fins probatoires. Nous n en sommes pas encore là, cependant. Et même si nous devions assister à de tels développements, cela ne résoudrait pas toutes les questions que les juristes pourraient se poser. Une question, en 9
particulier, reste largement en suspens : celle de savoir sur qui doit peser le risque de la défaillance, toujours possible, des procédés techniques utilisés et qui forment le support de l écrit électronique. Nous ne sommes donc pas au bout de nos peines. 10