BIEN MANGER EN AQUITAINE : ENTRE PLAISIR ET SANTÉ



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Transcription:

BIEN MANGER EN AQUITAINE : ENTRE PLAISIR ET SANTÉ Rapport du CESER sur la prévention des risques liés aux pratiques alimentaires

Bien manger en Aquitaine : entre plaisir et santé La prévention des risques sanitaires liés aux pratiques alimentaires Avis Adopté en séance plénière le 20 octobre 2011

SOMMAIRE GÉNÉRAL Avis... 5 Rapport... 9 1 ère partie : Pratiques alimentaires : la santé, une préoccupation croissante entre plaisir et normes sociales... 15 2 e partie : Des politiques nutritionnelles aux effets inégaux... 69 3 e partie : Quelle prise en compte de la dimension «santé-nutrition» par les acteurs de l offre alimentaire?...121 4 e partie : «Manger en Aquitaine, plaisir et santé tout un programme!»...165 Conclusion... 175 3

Avis Une relation à l alimentation dominée par la nécessité et le plaisir mais de plus en plus marquée par des considérations en matière de santé et par des contraintes budgétaires (1) Hors temps de préparation des repas. L Aquitaine est une région particulièrement attachée à ses traditions gastronomiques et reste encore très marquée par le poids économique des activités et des emplois liés au secteur agroalimentaire. Ces caractéristiques sont à l origine de savoir-faire et de savoir-vivre spécifiques qui ont contribué à son image et à sa notoriété. Les relations de la population française à son alimentation ont profondément évolué depuis un demi-siècle. Perçue à la fois comme une nécessité et un plaisir, l alimentation est de plus en plus abordée quant à ses effets sur la santé. L acte alimentaire est un processus complexe dans lequel les dimensions sociales, culturelles, symboliques et subjectives (le plaisir, la convivialité ) jouent un rôle aussi important que l aspect strictement sanitaire. Par ses dimensions multiples, il occupe donc une place particulière dans la vie des individus et dans la vie collective, chaque Français y consacrant 13 à 17 années de son existence 1. L évolution récente des pratiques alimentaires met en évidence une place croissante des considérations en matière de santé. Elle est favorisée par une tendance à la «médicalisation» de l alimentation, elle-même entretenue par la modification des modes de vie, par les normes sociales (le culte de la minceur) et par les attentes croissantes sur la qualité/sûreté des produits alimentaires, en partie exacerbée par la succession de crises d origine alimentaire (viande aux hormones, ESB ou «vache folle», grippe aviaire, Escherichia Coli ). La santé est d ailleurs devenue l une des principales préoccupations dans la composition des repas : cette évolution se traduit entre autres par des modifications dans la typologie des mangeurs, avec l apparition de nouvelles pratiques alimentaires. Malgré ces évolutions, le «modèle» alimentaire traditionnel en France se maintient, caractérisé par un attachement aux valeurs de plaisir et de convivialité, la prise de trois repas quotidiens, avec une tendance marquée à la simplification de la structure de ces repas. Si l on constate une amélioration relative de l alimentation au regard des repères nutritionnels, les pratiques alimentaires restent encore majoritairement en décalage. Cela se vérifie notamment parmi les populations défavorisées, qui en auraient le plus besoin, faute d une information appropriée et du fait de contraintes diverses (financières, culturelles, de gestion du temps). Certains Aquitains rencontrent des difficultés d accès à une alimentation équilibrée, avec des budgets alimentaires restreints (3 à 5 par jour), quand ils ne se trouvent pas contraints de recourir à l aide alimentaire. Ainsi, 12,5 % des ménages vivent sous le seuil de pauvreté et jusqu à 20 % à 28 % des personnes seules et familles monoparentales. A ce propos, le CESER dénonce la réduction drastique en 2012 du soutien apporté par l UE en faveur de l aide alimentaire (passant de 480 M à 113,5 M ), mettant en difficulté les associations mobilisées en faveur des populations les plus nécessiteuses. Alors que les politiques publiques déployées au niveau régional en matière de nutrition/santé (ex : PNNS) reposent souvent sur les seuls aspects sanitaires, le CESER considère que leur définition nécessiterait une approche intégrant les autres dimensions de l acte alimentaire. Or, le constat établi sur les pratiques alimentaires souffre d une insuffisance de données relatives à leurs caractéristiques régionales. L analyse des risques et impacts sanitaires de l alimentation doit inciter au maintien de la plus grande vigilance, d une part compte-tenu de l accroissement tendanciel des situations de surcharge pondérale dans la population jeune et adulte, d autre part 5

des pathologies associées à ces situations (maladies cardiovasculaires, diabète, dyslipidémies, cancers). Ainsi, chez les jeunes, 10 % à 15 % des enfants et adolescents souffrent d un surpoids et 3 % à 4 % sont obèses. 13,5 % de la population adulte régionale est atteinte d obésité, avec une nette aggravation au cours de la décennie écoulée 2. En dépit d une relative stabilisation du phénomène parmi les populations scolarisées, aucune diminution n est à espérer à court ou moyen terme. Dans le même temps, 160 000 Aquitains sont traités en affection longue durée pour des maladies cardio-vasculaires, près de 80 000 pour le diabète, en grande partie en raison de leurs pratiques alimentaires. De la même façon, l alimentation intervient comme facteur convaincant de survenance de certains cancers (voies aérodigestives, colorectaux, du sein, du foie ) 3. Malgré les progrès accomplis en matière d hygiène, de nouveaux risques alimentaires sont apparus avec des contaminations avérées de denrées alimentaires, entre autres par des substances chimiques dont les effets potentiels à long terme et croisés restent à ce jour, dans leur grande majorité, difficiles à mesurer. Certains comportements, notamment chez les jeunes, liés à des troubles (anorexie, boulimie) ou à des attitudes de rupture («binge drinking» 4 ), ne relèvent pas essentiellement du registre alimentaire. Ils traduisent avant tout un sentiment de désarroi psychologique, de déresponsabilisation et de mal-être, en réaction à certains paradigmes de la société (consumérisme, individualisme). Face à ces constats et risques, la pratique d une activité physique et sportive offre, avec l information et l éducation nutritionnelles, une réponse appropriée en terme de prévention mais ne concerne au mieux que la moitié des Aquitains (licenciés en club sportif et/ou pratiquant hors association). Des politiques publiques en matière d alimentation-santénutrition qui peinent à atteindre les populations les plus fragiles et qui appellent une meilleure organisation de leur mise en œuvre (2) +5,1 % par an en moyenne entre 1997 et 2009 (3) En Aquitaine, 90 000 personnes sont hospitalisées sous traitement en affection longue durée pour tumeur cancéreuse. (4) Cuite express (5) En matière d hygiène mais aussi de nutrition par application des recommandations du Groupe d Étude des Marchés de la Restauration Collective et Nutrition. Une large diversité de dispositifs publics aborde, de manière directe ou indirecte, les enjeux de prévention des risques nutritionnels ou liés à l alimentation : Programme National Nutrition Santé, Plan Obésité, Programme National pour l Alimentation, Plan National Alimentation-Insertion Toutefois, cette diversité ne supprime pas totalement la question de leur lisibilité, de l articulation entre les différents compartiments et niveaux de décision publique et, plus globalement, de gouvernance du système de prévention et de lutte contre les risques sanitaires liés à l alimentation (dont promotion des activités physiques). S agissant plus particulièrement du PNNS, le CESER souligne la difficulté de toucher les populations les plus exposées aux risques de surpoids et d obésité, notamment parmi les plus précaires ou défavorisées, même si des résultats tangibles de stabilisation du phénomène ont pu être constatés dans la population scolaire, particulièrement en Aquitaine. Ce constat pose plus généralement le problème des inégalités en matière de santé et la nécessité de les combattre. On relève une amélioration récente de la prise de conscience autour de ces problématiques par les collectivités territoriales en région, dont témoignent plusieurs initiatives, d une part sous l effet des nouvelles exigences législatives et réglementaires 5 et d autre part de la pression sociale en termes de sûreté et de qualité de l alimentation. L évolution des compétences et des interventions des collectivités territoriales en restauration scolaire offre une bonne illustration de cette prise de conscience en Aquitaine. 6

Une implication récente des acteurs de la chaîne alimentaire en matière de santé-nutrition, avec des développements probables liés à l évolution de la réglementation et des attentes sociétales. Cependant, cet ensemble de dispositifs publics doit composer avec un déficit d engagement des différents acteurs privés et publics de la chaîne alimentaire en Aquitaine, en partie dû à un défaut d information. En effet, on constate de manière générale une intégration croissante de la dimension santé-nutrition dans la stratégie de l offre alimentaire. Celle-ci reste néanmoins accessoire ou du moins très inégalement répartie entre les différents acteurs concernés. Dans un contexte économique difficile et incertain, les exigences récentes en matière de santé et de nutrition constituent de nouveaux défis, sinon de nouvelles opportunités, pour les producteurs et transformateurs agroalimentaires. Ces opportunités pourraient notamment aboutir à une meilleure rémunération de ces opérateurs tout en rétablissant un lien plus direct avec le consommateur final, lequel consacre une part de plus en plus réduite de son budget aux dépenses alimentaires (11,5 % des dépenses totales). En Aquitaine, certains opérateurs ont entrepris des démarches de progrès allant à la fois dans le sens d une réponse aux attentes actuelles de la société ou des consommateurs et d une meilleure préservation des intérêts économiques des producteurs agroalimentaires. Toutefois, des obstacles subsistent en matière d approvisionnement en produits «bio» et/ou de qualité. Ils incitent à de nouveaux partenariats au niveau local et alimentent de nouveaux projets, en partie générés par la demande des collectivités en restauration collective. Ces nouvelles attentes entretiennent aussi les stratégies de la grande distribution, dont l implication tient pour beaucoup dans une forme d opportunisme commercial, voire parfois mercantile (70 % des 163 milliards de dépenses alimentaires annuelles étant réalisés en grandes surfaces alimentaires), tout en favorisant parallèlement l émergence et l expansion de formes alternatives de distribution en circuits courts et/ou de proximité (ex : 132 AMAP en Aquitaine, mais aussi e-commerce). Le CESER souligne les enjeux spécifiques pour les acteurs publics et privés de la restauration collective en région (marché estimé à 331 millions ), appelés à intégrer les nouvelles exigences nutritionnelles et d approvisionnement, avec une nécessité d adaptation des compétences des personnels de restauration. De leur côté, les consommateurs restent soumis à une intense pression publicitaire avec une influence directe sur leurs pratiques alimentaires. Face à cela, les engagements volontaires des professionnels de l agroalimentaire et de la publicité d une part et les moyens mobilisés par les dispositifs publics d autre part peuvent paraître dérisoires. Que pèsent en effet des engagements parfois symboliques face aux investissements publicitaires des annonceurs du secteur agroalimentaire 6 et aux politiques promotionnelles des grandes surfaces alimentaires? «Bien manger en Aquitaine : entre plaisir et santé» (6) 2,4milliards d euros en 2010 dont 1,67 milliard d euros en publicité télévisuelle. Face à ces constats, le CESER insiste sur quatre séries d enjeux : - Enjeux de santé publique, compte-tenu de la persistance sinon de l aggravation de certains risques ou facteurs de risques en lien avec l alimentation dans la population régionale. - Enjeux économiques, à la fois en raison des difficultés croissantes pour un certain nombre de ménages à accéder à une alimentation équilibrée, d un déséquilibre de la rémunération entre opérateurs de la chaîne de production agroalimentaire et des coûts de traitement des maladies associées à l alimentation et aux pratiques alimentaires. - Enjeux sociaux et culturels, en raison du constat des inégalités de santé au détriment des populations les plus défavorisées, des nécessités de sensibilisation et d information dès le plus jeune âge, de formation et d adaptation des compétences des personnels de la restauration collective. 7

- Enjeux en termes de connaissance et d organisation du système de gouvernance des politiques publiques, qui intéressent la recherche scientifique (sciences sociales, médecine, agronomie, écotoxicologie), le dispositif de gestion, d information et d évaluation des politiques publiques mises en œuvre. Les préconisations formulées par le CESER s adressent à l ensemble des opérateurs publics et privés en région, expliquant de ce fait leur grande diversité. Elles pourraient s inscrire dans le cadre des programmes ou plans en vigueur ou en cours de définition (volets régionaux du PNNS n 3 et du Programme National pour l Alimentation notamment). Elles comprennent 4 objectifs : 1) Diminuer les risques sanitaires (ou les facteurs de risques) associés à l alimentation et aux pratiques alimentaires, par la promotion et la diffusion des «bonnes pratiques», par la poursuite des efforts d amélioration qualitative de la chaîne alimentaire pour une alimentation plus sûre (réduction des traitements phytosanitaires, développement d une agriculture à «haute valeur environnementale» et «bio», démarches de progrès et engagements nutritionnels dans les IAA ). Le CESER préconise en outre le renforcement de la promotion de la pratique d activités physiques (dont développement des actions sport-santé) et une action sur les facteurs d environnement (aménagement des locaux de restauration collective, développement de jardins familiaux ou solidaires, infrastructures de déplacements ). 2) Mettre à profit les opportunités liées aux attentes de la société dans les stratégies des acteurs de la chaîne alimentaire. Le CESER propose une série de mesures relatives à l implication des acteurs dans la mise en œuvre des politiques de santé et d alimentation, au rétablissement d un lien plus direct et de confiance avec les consommateurs, à la structuration du système d approvisionnement en produits locaux et/ou «bio», à une contribution à la lutte contre la pauvreté alimentaire, à l appui au développement de l innovation technologique et de l innovation sociale et à une déclinaison de la thématique «nutrition-santé-forme» pour le tourisme régional. 3) Développer le savoir et l information, par une meilleure approche des pratiques alimentaires des Aquitains et leur évolution, par une meilleure évaluation des effets potentiels de certains risques alimentaires et de leur combinaison, par une meilleure circulation de l information sur la thématique alimentation-santé-nutrition (dont plate-forme numérique régionale, maison de l alimentation, communication événementielle ). 4) Favoriser les synergies et une meilleure gouvernance du système régional alimentation-santé-nutrition, d une part avec la mise en place d une instance régionale de concertation et d échanges et d autre part en évaluant et en rendant compte des bilans d application des programmes d action en région. Par ce travail, le CESER a l intention de contribuer à la sensibilisation sur les questions essentielles soulevées par un problème majeur de santé publique. L alimentation constitue en effet un déterminant clé de la santé. Il insiste néanmoins sur les autres dimensions qui caractérisent l acte alimentaire en termes de plaisir et de partage. AVIS ADOPTÉ A L UNANIMITÉ Le Président, Luc PABŒUF 8

Bien manger en Aquitaine : entre plaisir et santé La prévention des risques sanitaires liés aux pratiques alimentaires Rapport présenté par le rapporteur général Christian SAUVAGE Au nom de la Commission «Cadre de vie et solidarités» présidée par Maurice TESTEMALE

SOMMAIRE Introduction...13 1 re partie : Pratiques alimentaires : la santé, une préoccupation croissante entre plaisir et normes sociales...15 1.1 L acte alimentaire : un acte complexe aux multiples dimensions...16 1.1.1 Approche de la dimension anthropologique de l alimentation...17 1.1.2 Place de l alimentation dans la vie et le budget des ménages...19 1.2 L évolution des pratiques alimentaires...21 1.2.1 Les types de profils alimentaires...25 1.2.2 L organisation, la structure des repas et leur composition...28 1.2.3 Approche de l équilibre alimentaire et de la consommation de produits recommandés...32 1.2.4 Approche de quelques caractéristiques régionales...41 1.3 Risques de santé liés à l alimentation et troubles alimentaires...43 1.3.1 Un accroissement préoccupant des situations de surpoids et d obésité...43 1.3.2 Des conséquences en termes de maladies chroniques et dégénératives...47 1.3.3 Autres risques liés à l alimentation...54 1.3.4 Troubles ou maladies alimentaires et conduites addictives...60 1.3.5 Sédentarité et activité physique...62 2 e partie : Des politiques nutritionnelles aux effets inégaux...69 2.1 Le Programme National Nutrition Santé et ses applications en région...70 2.1.1 Du PNNS1 au PNNS3, quel bilan retenir de l expérience?...70 2.1.2 Application du PNNS2 en Aquitaine...72 2.1.3 Vers un PNNS n 3 (2011-2015)...82 2.2 Les autres politiques de santé en lien avec l alimentation...87 2.2.1 Le Plan obésité 2011-2013...87 2.2.2 Les autres plans thématiques dans le domaine sanitaire...89 2.3 Les autres politiques sectorielles intéressant la relation alimentation-santé...90 2.3.1 Le Programme National pour l Alimentation...91 2.3.2 Le Plan National Alimentation-Insertion...97 2.3.3 La contribution des activités physiques et sportives...98 2.4 Une implication inégale mais croissante des collectivités territoriales...99 2.4.1 La participation des collectivités aux plans et programmes nationaux...100 2.4.2 L expérience d autres collectivités non labellisées au PNNS...107 2.4.3 Quelle place pour la thématique nutrition dans la prise en compte des préoccupations de santé par le Conseil Régional d Aquitaine?...114 2.5 La politique européenne dans le domaine de la nutrition et de la sûreté alimentaire...117 3 e partie : Quelle prise en compte de la dimension «santé-nutrition» par les acteurs de l offre alimentaire?...121 3.1 Entre sûreté, sobriété et performance : un triple défi pour les acteurs agroalimentaires...122 3.1.1 Santé-nutrition : une nouvelle opportunité pour les agriculteurs aquitains...123 3.1.2 Santé-nutrition-environnement : une source d innovation pour l industrie agroalimentaire régionale...127 3.2 Santé-nutrition : quelle place dans les stratégies de distribution des produits alimentaires?...130 3.2.1 Réelle implication ou simple récupération par les acteurs de la grande distribution?...131 3.2.2 Circuits courts et de proximité : à la recherche d un rétablissement des liens entre producteurs agroalimentaires et consommateurs...136 3.3 La restauration collective face aux nouvelles exigences nutritionnelles et d approvisionnement...139 3.3.1 L approche «nutrition» par les acteurs de la restauration collective concédée...140 3.3.2 Le casse-tête de l approvisionnement en produits locaux et/ou biologiques dans la restauration collective...145 3.3.3 Sensibilisation, formation, valorisation des expériences et des initiatives : un enjeu pour les professionnels de la restauration collective...152 3.4 Entre messages de recommandations nutritionnelles et matraquage publicitaire : consommateur pris entre raison et pulsion...155 3.4.1 Des engagements qui pèsent peu face aux stratégies marketing et aux investissements publicitaires des annonceurs...156 3.4.2 Allégation santé / nutrition : information ou manipulation des consommateurs?...160 10

4 e partie : «Manger en Aquitaine, plaisir et santé, tout un programme!»...165 4.1 Diminuer les risques sanitaires (ou facteurs de risques) associés à l alimentation et aux pratiques alimentaires...167 4.1.1 Promouvoir et diffuser les «bonnes pratiques»...167 4.1.2 Poursuivre les efforts d amélioration qualitative pour une alimentation plus sûre...168 4.1.3 Renforcer la promotion des pratiques d activités physiques...169 4.1.4 Agir pour un environnement plus favorable...169 4.2 Mettre à profit les opportunités liées aux attentes de la société dans les stratégies des acteurs de la chaîne alimentaire...169 4.2.1 Impliquer les acteurs dans la mise en œuvre des politiques de santé et d alimentation...170 4.2.2 Rétablir un lien plus direct et de confiance avec les consommateurs...170 4.2.3 Structurer le système d approvisionnement en produits locaux et/ou «bio»...170 4.2.4 Contribuer à la lutte contre la pauvreté alimentaire...171 4.2.5 Favoriser l innovation technologique et l innovation sociale...171 4.2.6 Nutrition-santé-forme : un atout pour le tourisme en région...171 4.3 Développer la connaissance et l information...172 4.3.1 Mieux cerner les pratiques alimentaires des Aquitains et leur évolution...172 4.3.2 Mieux évaluer les effets potentiels de certains risques alimentaires et de leur combinaison...172 4.3.3 Favoriser la circulation de l information sur la thématique alimentation-santé-nutrition...173 4.4 Favoriser les synergies et une meilleure gouvernance du système régional alimentation-santé-nutrition...173 4.4.1 Mettre en place une instance régionale de concertation et d échanges...174 4.4.2 Évaluer et rendre compte des bilans d application des programmes d action en région...174 Conclusion...175 Glossaire et index des sigles...176 Bibliographie...179 Quelques liens hypertextes pour approfondir...183 Personnes auditionnées ou ayant contribué aux travaux de la Commission, remerciements...187 Composition de la Commission «Cadre de vie et solidarités»...189 Déclarations en séance plénière du CESER le 20 octobre 2011...191 11

INTRODUCTION Par décision de son Bureau en date du 21 janvier 2010, le Conseil Économique, Social et Environnemental d Aquitaine a décidé de se mobiliser sur la question de la prévention des risques sanitaires liés aux comportements alimentaires en Aquitaine, en s attachant tout particulièrement aux pratiques alimentaires et troubles addictifs associés chez les jeunes. Cette décision est le résultat d un travail intermédiaire d analyse de plusieurs propositions d auto-saisine portant sur les questions de santé formulées dès janvier 2008 7. Le choix opéré a consisté à privilégier l approche préventive des problèmes de santé en lien avec l alimentation, en considérant les conséquences de l évolution des modes de vie sur la santé (urbanisation, sédentarisation ) et, malgré les progrès accomplis dans le domaine médical, l aggravation de certains problèmes sanitaires associés aux pratiques et à l évolution de l offre alimentaires (situations de surpoids et d obésité, aggravation des risques de maladies chroniques telles que le diabète, les maladies cardio-vasculaires et dégénératives ). Ce constat préoccupant a justifié au niveau national une mobilisation spécifique, notamment à travers le Programme National Nutrition Santé, dont la deuxième édition est arrivée à terme fin 2010 ou encore plus récemment à travers le Plan alimentation lancé par le Ministère de l Agriculture et de l Alimentation. Cette évolution s est parallèlement accompagnée d une sensibilité si ce n est d une anxiété croissante de la population vis-à-vis de l alimentation et d une «médicalisation» de celle-ci, renforcées en partie par l impact de certaines crises sanitaires. L Aquitaine n échappe pas à ces constats de portée générale, d autant que cette question prend dans cette région un relief particulier compte-tenu de l importance de ses savoir-faire agroalimentaires, de son patrimoine et de ses traditions gastronomiques qui participent d un savoir-vivre encore bien présent. Car l acte alimentaire est un acte complexe qui ne saurait se réduire à la seule dimension nutritionnelle de l alimentation. Pour le CESER Aquitaine, ce travail recouvre de multiples enjeux : Le premier enjeu du lien alimentation-santé est de portée purement sanitaire et touche à la prévention de certains risques pour les populations concernées. Le second enjeu est de nature sociale ou socio-culturelle, compte tenu par exemple d un risque avéré plus élevé parmi les populations les plus défavorisées ; en effet, l accès à une alimentation diversifiée, saine ou équilibrée mais aussi à l exercice d une activité sportive peut être en partie déterminé par des conditions de revenus ou d existence, outre les facteurs culturels et générationnels. Le troisième enjeu est de nature économique ; en effet, la prévention de maladies dues à une mauvaise alimentation permettrait d éviter certaines dépenses de santé relevant parfois de traitements lourds. Le dernier enjeu porte sur la gouvernance et sur la manière d associer l ensemble des parties prenantes potentiellement concernées à l objectif de prévention des risques liés à l alimentation. (7) Intéressant la santé des Aquitains au sens large, la prévention dans le domaine sanitaire, la prévention des comportements addictifs chez les jeunes, la qualité de l alimentation et les conséquences du vieillissement. Pour traiter cette question, le Bureau du CESER Aquitaine a confié la réalisation du travail à la Commission «Cadre de vie & solidarités», laquelle a retenu une méthodologie de traitement de ce sujet autour de trois aspects principaux : 13

- une approche générale et, autant que possible, régionale de l évolution des pratiques alimentaires et des risques sanitaires associés, en tenant compte de la situation particulière de certaines populations (jeunes, populations précaires ou défavorisées), - une approche des activités susceptibles de concourir à une amélioration de la prévention des risques dans ce domaine, s agissant notamment de l offre alimentaire (de la production à la distribution) et des activités physiques, - une approche des politiques publiques développées tant au plan national que régional, incluant les grandes politiques d État et leur déclinaison régionale d une part (Programme National Nutrition Santé, Plan Alimentation ) et les politiques conduites par les collectivités territoriales en Aquitaine d autre part. L établissement de ce rapport s est appuyé à la fois sur l exploitation du contenu des auditions qui se sont déroulées entre septembre 2010 et juillet 2011, sur un travail de veille et d analyse documentaire (rapports et enquêtes officielles, études et articles scientifiques) et sur des éléments d enquête menée auprès d un échantillon de collectivités en région. La Commission a préféré retenir le concept de «pratiques alimentaires» à celui de «comportements alimentaires», souvent employé dans nombre de travaux portant sur le thème de l alimentation. Ce choix répond à un postulat de distance quant à l usage du concept de «comportement» et aux théories déterministes associées, dites behaviouristes ou comportementalistes. NOTA Les parties du rapport figurant en encadré et caractères italiques correspondent à des témoignages de retour d expérience recueillis lors des auditions en Commission. Les parties du rapport en encadré et caractères gras, figurant à la fin des trois premiers chapitres, correspondent à une analyse synthétique de leur contenu. Une liste de sigles utilisés dans le rapport est accessible en fin de document.

1 ÈRE Partie PRATIQUES ALIMENTAIRES : LA SANTÉ, UNE PRÉOCCUPATION CROISSANTE ENTRE PLAISIR ET NORMES SOCIALES L acte alimentaire est un acte complexe. L approche des pratiques alimentaires et des risques sanitaires auxquels elles peuvent exposer ne doit pas laisser penser que seule la dimension sanitaire serait déterminante. L objet de ce chapitre est de mettre en évidence cette complexité et les différentes dimensions qui concourent aux pratiques alimentaires. L alimentation varie selon les individus, les groupes sociaux auxquels ils appartiennent. Elle varie aussi dans le temps (selon l âge, la saison, l heure de la journée ) et dans l espace (à domicile, au travail, en vacances ou lors de sorties ). La nécessité de cette approche globale de l alimentation afin de mieux comprendre l impact des pratiques alimentaires sur la santé a clairement été affirmée par plusieurs interlocuteurs entendus dans le cadre de ce travail et ressort dans de nombreux travaux d expertise. De fait, les facteurs déterminants les choix alimentaires (et les activités physiques), ou encore ceux influençant le poids des individus, sont très nombreux, comme en attestent les schémas ci-après : Déterminants de l activité physique et des choix alimentaires Facteurs sociétaux, politiques et législatifs Ethnie Microenvironnement et facteurs interpersonnels Gouvernement Système de presse Staut socioéconomique Médias et presse Temps de loisirs Facteurs culturels Famille Amis et pairs Logement Offre de loisirs sédentaires Accessibilié des équipements de loisirs Facteurs biolopgiques et génétiques Image de soi Véhicule de transport Facteurs individuels Plaisir Valeurs Voisinage parcs, centres récréatifs, chemins pedestres Âge Connaissances, croyances Sexe Facteurs psychologiques Centres commerciaux et commerces Cité Communautés Lieu de travail Sécurité du voisinage Écoles Restauration collective Collectivités territoriales Horaires de travail Criminalité Programmes scolaires et système éducatif Industrie du sport et des loisirs Urbanisation et politique de transport Source : Simon C. Prévention de l obésité. La Revue du praticien, 2005, vol.55, n 13 : p.145-1460. Baromètre Santé Nutrition 2008, INPES 2009 15

Toile causale des facteurs influençant la problématique du poids Facteurs internationaux Facteurs nationaux/régionaux Facteurs de la communauté Facteurs individuels Population Globalisation des marchés Industrialisation Médias et marketing Politiques d éducation Politiques de transport Politiques d urbanisation Politiques de santé Politiques alimentaires Politiques familiales Politiques culturelles Politiques économiques Transport public Sécurité Aménagement urbain Disponibilité et accessibilité alimentaires Publicité et médias Revenus Occupation Déplacements Loisirs Activités sportives Alimentation Image corporelle Génétique Dépense d énergie Apport alimentaire Prévalence des problèmes reliés au poids : obésité et préoccupation excessive à l égard du poids Source : Groupe de travail provincial sur la problématique du poids (GTPP). Les problèmes reliés au poids au Québec : un appel à la mobilisation. Montréal : ASPO, 2004 : 23p. Baromètre Santé Nutrition 2008, INPES 2009 En France, ces comportements obéissent à un modèle alimentaire (ensemble de règles, perceptions, symboles ) qui reste relativement stable depuis le début du 20 e siècle et organisé autour de 3 repas quotidiens. Ce modèle traditionnel a bien sûr évolué, notamment sous l effet des changements survenus dans les modes de vie contemporains. Ces changements font partie des facteurs d émergence ou de développement de certaines maladies ou problèmes de santé, plus ou moins directement liés à l alimentation et aux pratiques alimentaires. Par conséquent, il est apparu nécessaire d aborder dans cette partie les pratiques alimentaires des Français dans toute leur complexité, avant de traiter plus spécifiquement des risques sanitaires associés et des dispositifs destinés à en limiter les effets. 1.1 L acte alimentaire : un acte complexe aux multiples dimensions Au cours de son existence, chaque Français mange entre 75 000 et 100 000 fois, ce qui représente entre 13 et 17 ans de son existence. En moyenne, il passe un peu plus de 2 heures à table chaque jour, soit environ 60 000 heures au cours de son existence. A ce temps passé à se nourrir, il faut ajouter celui consacré à la préparation des repas, presque aussi important pour celles ou ceux qui en ont la charge. Ce simple éclairage temporel ne saurait rendre compte de l importance de l acte alimentaire dans la vie des individus. Il répond tout d abord à un besoin physiologique et nutritionnel fondamental. Toutefois, vouloir se limiter à cette seule dimension n offrirait qu une vision très partielle et tronquée de ce qui se joue dans l acte alimentaire et dans l approche des comportements qui lui sont associés. Car manger n est pas que se nourrir ou qu absorber des aliments aux seules fins d assouvir un besoin physiologique. 16

(8) «Étude Individuelle National des Consommations Alimentaires 2» (INCA2) - Rapport 2006-2007, AFSSA, septembre 2009. (9) Cf. «Nourrir de plaisir : régression, transgression, transmission, régulation?» Cahiers de l OCHA n 13 sous la direction de Jean-Pierre CORBEAU, novembre 2008. (10) Ce paragraphe est largement extrait de l ouvrage «Penser l alimentation» du sociologue Jean-Pierre CORBEAU, (Édition Privat, 2002) (11) Cf. auditions de M. ÉTIEVANT chef du département alimentation humaine de l INRA du 21 septembre 2010 et de M. Jean-Pierre CORBEAU, professeur de sociologie à l Université de Tours le 10 février 2011. (12) «Manger aujourd hui» Jean-Pierre POULAIN Éditions Privat, 2001. (13) «Penser l alimentation» Jean-Pierre CORBEAU, Jean-Pierre POULAIN Éditions Privat, 2002. 1.1.1 Approche sociologique et anthropologique de l alimentation D après l étude INCA2 conduite par l AFSSA 8, 30 % des adultes (18 ans et plus) et 13 % des adolescents (11-17 ans) s intéresseraient «beaucoup» à leur alimentation. Si l on considère ceux qui s y intéresseraient au moins «un peu», cela représenterait 75 % des adultes et 60 % des adolescents. D après la même étude, le plaisir constituerait le premier motif d intérêt envers l alimentation (pour 85 % des adultes et 75 % des adolescents), avant la forme (79 % des adultes, 72 % des adolescents), le plaisir de cuisiner soi-même (78 % des adultes, 61 % des adolescents), la découverte (64 % des adultes, 67 % des adolescents), la connaissance du mode de fabrication des aliments (49 % des adultes, 26 % des adolescents) et les régimes (42 % des adultes, 35 % des adolescent(e)s). Ces quelques données témoignent de la diversité des intérêts, de la perception et des dimensions associées à l alimentation chez les Français. Manger est un acte humain total, ainsi que certains sociologues et anthropologues l ont qualifié, c est-à-dire un acte qui comporte des dimensions psychologiques, sociales, culturelles et symboliques fondamentales. Manger, c est se faire plaisir, éprouver en mangeant des sensations agréables (liées au goût, à l odorat ), qui confèrent à l acte alimentaire une valeur émotive ou affective. L acte alimentaire est aussi un acte social dans la mesure où le repas est le plus souvent partagé avec d autres, famille, amis, collègues de travail. Dans leur quotidienneté et répétitivité, les pratiques alimentaires participent à la construction des identités sociales. Manger c est donc un moyen d incorporer à la fois le soi et le non-soi, de construire, renforcer ou modifier symboliquement son identité en s inscrivant dans des traditions (culturelles, religieuses, éthiques) ou des groupes plus affectifs (région, famille, amis). Source de plaisirs 9, l acte alimentaire est aussi une prise de risques qui peut exprimer un désir de transgression, de modification des répertoires ou des codifications alimentaires protégeant des empoisonnements réels ou imaginaires 10. L alimentation est le premier apprentissage social du très jeune enfant. Elle est de ce fait au cœur du processus de socialisation primaire et constitue plus largement le support d un système de communication permettant à des groupes sociaux de se différencier. Depuis plusieurs décennies, une autre dimension a pris de l importance dans l alimentation : la santé 11. Si les préoccupations sanitaires liées à l alimentation ont toujours existé, elles ont pris une importance croissante notamment depuis le milieu du 20 ème siècle, sous l effet d une norme sociale et esthétique de la minceur, qui s est peu à peu imposée dans une société devenue une société d abondance de l offre alimentaire. Parallèlement, l alimentation s est peu à peu médicalisée. Dans la période récente, cette «médicalisation» a été favorisée en raison du développement des problèmes de surpoids et d obésité dans les sociétés occidentales. Elle amène à privilégier la dimension fonctionnelle et la raison sanitaire dans les pratiques alimentaires au détriment des autres dimensions et raisons qui dictent les choix et comportements des mangeurs (le plaisir, la culture, l identité, le symbolique). Car, et c est bien là l une des principales difficultés des politiques nutritionnelles, les décisions alimentaires ne sont pas réductibles à des choix purement individuels ni guidées par des décisions exclusivement rationnelles : «La conception d un mangeur libre de ses choix et seul devant ses aliments est totalement réductionniste L acte alimentaire et les goûts sont soumis à de très fortes déterminations sociales et les modalités cognitives de construction des choix sont multiples.» (Jean-Pierre POULAIN) 12 et «Manger est un acte dans lequel s expriment les désirs d un mangeur socialement et culturellement défini.» (Jean-Pierre CORBEAU) 13. 17

Autrement dit, le mangeur est à la fois libre et surdéterminé et c est la complexité qui caractérise les décisions alimentaires, dictées aussi bien par des besoins physiologiques, que par des effets d appartenance à des groupes sociaux, à des cultures ou à des univers alimentaires et par des mécanismes psychologiques où s expriment les désirs et les goûts du mangeur. La tendance observée à la «médicalisation» de l alimentation est générale dans les pays occidentaux mais elle semble moins marquée en France où subsiste un assez fort attachement aux valeurs hédonistes et culturelles liées à l alimentation, même si de plus en plus de Français accordent une attention accrue à la dimension fonctionnelle et nutritionnelle de leur alimentation (75 % des Français en 1997 et 89 % en 2007 pensent que leur alimentation a une influence sur l état de santé selon le Credoc) 14. Ainsi, pour plus d un cinquième d entre eux, l alimentation doit avant tout être un moyen de prévenir les problèmes de santé. Cette perception de la dimension «santé» rattachée à l alimentation est aussi à mettre en parallèle avec le vieillissement de la population, dans la mesure où cette perception est plus fréquente parmi les populations âgées. L acte alimentaire est l expression d une imbrication étroite entre l imaginaire et le rationnel, au sein duquel la relation entre le mangeur et l aliment le conduit à gérer plusieurs sortes d ambivalence (plaisir/déplaisir, santé/maladie, vie/mort) et faisant intervenir plusieurs formes de rationalité : rationalité en finalité (recherche de santé, esthétique, spirituelle, économique, hédonique), rationalité en valeur c est-à-dire liée à une légitimité (charismatique, traditionnelle, rationaliste ou scientifique, bureaucratique). Pour approfondir les informations apportées au tout début de ce chapitre, le baromètre «santé-nutrition» 2008 établi par l Institut National de Prévention et d Éducation pour la Santé (INPES) livre de précieuses indications sur les représentations associées à l acte alimentaire chez les Français. Pour plus d un quart de ces derniers 15, l acte alimentaire est considéré avant tout comme «une chose indispensable pour vivre». Cette représentation de l alimentation est plus fréquemment évoquée chez les hommes et domine notamment parmi la génération des 35-45 ans et les personnes ayant un niveau d études inférieur au bac. Représentation de l acte alimentaire, selon le sexe (en pourcentage) Une chose indispensable pour vivre 27,2 24,1 Un plaisir gustatif 21,9 23,8 Un moyen de conserver la santé Un bon moment à partager avec d autres 17,4 19,1 21,5 23,4 Une contrainte 1,1 2,2 Rien de particulier 9,0 9,3 (14) «Du discours nutritionnel aux représentations de l alimentation» Cahier de recherche n 252 - CREDOC, décembre 2008 (15) Population de 26 à 75 ans. Source : Baromètre Santé Nutrition 2008, INPES 2009 0 5 10 15 20 25 Hommes Femmes 30 % 18

La deuxième représentation associée à l acte alimentaire est celle du «plaisir gustatif» (évoqué en première citation dans 23 % des cas), plus particulièrement chez les jeunes adultes et les personnes disposant d un niveau d études supérieures et de bons revenus (au moins 1500 par unité de consommation et par mois). Ainsi les cadres sont deux fois plus nombreux que les ouvriers à associer d abord l alimentation au plaisir gustatif. Une part équivalente des Français associe l alimentation à un moyen de conserver la santé, cette représentation étant dominante parmi les générations de plus de 45 ans mais aussi chez les adolescents (12-16 ans) et les femmes. Les enquêtes réalisées par l INPES révèlent que ces dernières sont au cœur de la problématique «santé-nutrition». Ceci s explique à la fois en raison du fait que les femmes ont conservé un rôle nourricier au sein du foyer familial, mais également par la pression sociale de la minceur et de l apparence physique qu elles subissent plus fortement, enfin par leur intérêt plus marqué pour les questions de santé et de prévention. Pour une part un peu plus modeste (18 %), l acte alimentaire est assimilé à un «bon moment à partager avec d autres» et seulement 1,6 % des Français considèrent l acte alimentaire comme une contrainte. De la même façon, l acte culinaire (ou faire la cuisine) est perçu par 92 % des Français d abord comme une manière de manger sainement (notamment chez les plus de 55 ans) et comme un acte convivial (91 %). C est ensuite une source de plaisir (pour 82 % des personnes et de façon plus marquée chez les femmes). Un peu plus des deux tiers des Français considèrent que faire la cuisine est un moyen de faire des économies. Environ la moitié assimile aussi l acte culinaire à une obligation voire à une corvée pour près d un quart des Français (notamment parmi les hommes et les ouvriers). Le succès grandissant de certaines émissions télévisées traitant de la cuisine (ou de l acte culinaire) témoigne certainement d un regain d intérêt à ce niveau 16. Dans cette perception de l alimentation, les effets d âge ou de génération paraissent déterminants, de même que ceux liés aux caractéristiques socio-économiques des ménages, les plus âgés par exemple étant plus sensibles à la dimension santé. Un autre élément déterminant dans les pratiques alimentaires des Français est le facteur économique. Si la dimension hédoniste de l alimentation s est affirmée dans les représentations, celles associées à la santé et au budget ont enregistré les plus fortes progressions au cours des dernières années. (16) Exemples : «Top Chef» sur M6, «Masterchef» sur TF1, «Côté cuisine» sur France 3, «un dîner presque parfait» sur M6. 1.1.2 La place de l alimentation dans la vie et le budget des ménages Le temps consacré à l acte alimentaire occupe une place non négligeable dans la vie des Français, comme en témoignent les quelques chiffres présentés au début de cette partie. Les enquêtes et études sociologiques démontrent également l importance de l alimentation dans la vie sociale (ne serait-ce que par le partage des repas, en convivialité ou en commensalité) et les représentations qui lui sont rattachées témoignent du rôle essentiel qu elle remplit dans la construction de l identité des individus. Toutefois, pour une part actuellement croissante de la population, l accès à l alimentation et plus encore à une alimentation diversifiée reste problématique. En France, on estime à 3,2 millions le nombre de personnes ayant recours à l aide alimentaire de manière passagère ou permanente, signe de la persistance d inégalités sociales en matière d alimentation dans notre pays. Le sentiment d insécurité alimentaire, c est-à-dire de restriction ou de limitation, touche 19

(17) Sont considérées comme pauvres au sens monétaire les personnes percevant moins de 60 % d un revenu médian (soit 950 par mois pour 1 personne en 2008). (18) Cf. «Le sentiment de devoir s imposer des restrictions sur son budget - Évolution depuis 30 ans en France» - CREDOC Cahier de recherche n 253, décembre 2008. (19) «L alimentation, entre tensions économiques et exigences des consommateurs» - Synthèse de l étude - CREDOC, 3 ème édition des Entretiens de Rungis, 23 septembre2008. 20 une population bien plus large. Rappelons ici que le droit à l alimentation est reconnu comme un droit fondamental inscrit notamment dans la Déclaration Universelle des Droits de l Homme (art. 25.1) et dans le Pacte International des Droits Économiques, Sociaux et Culturels (art. 11). D après les informations fournies par le dernier Baromètre santé-nutrition (INPES, 2008), «les difficultés économiques que connaît la France actuellement ont déjà un impact mesurable sur les consommations alimentaires des ménages, en particulier des plus précaires.». Il y a en France 8,2 millions de pauvres, soit 13,5 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté 17. En Aquitaine, le revenu disponible médian par unité de consommation est de 18 700 et 12,5 % de la population aquitaine vit sous le seuil de pauvreté, sachant que ce taux masque des disparités socio-territoriales (28,4 % des ménages monoparentaux, 21 % des femmes seules, 20 % des hommes seuls, 15 % des ménages vivant en zones rurales). En 2009, les ménages français ont dépensé 163 milliards pour l alimentation (non compris : alimentation hors domicile), soit 11,5 % de leurs dépenses totales de consommation. L enquête 2006 de l INSEE sur le budget des familles révélait que l alimentation représentait près de 17 % du budget total et près de 22 % en y ajoutant la restauration hors domicile. Cela représentait une dépense annuelle moyenne de 5 910 dont 4 590 pour les seuls produits alimentaires (hors restauration). Dans le Sud-Ouest, la consommation alimentaire des ménages était de 5 556 dont 4 329 en produits alimentaires. Cette approche des dépenses alimentaires fait apparaître des écarts de consommation alimentaire selon les catégories sociales. Ainsi, le volume des dépenses alimentaires des cadres était 1,6 à 1,7 fois plus important que celui des ouvriers et employés. Cet écart est moindre pour les achats de produits alimentaires (1,3 à 1,5 fois) et beaucoup plus marqué pour la consommation alimentaire hors foyer (2,6 fois plus élevée). Depuis 1998, les prix à la consommation des produits alimentaires ont progressé de +25 % et ceux de la restauration hors foyer de +29 %. Au cours des dernières décennies, le sentiment de restriction a crû dans toutes les catégories de la population sauf parmi les catégories les plus aisées ou à hauts revenus, pour lesquelles il a diminué significativement 18. Ainsi, la conjugaison entre l augmentation des prix alimentaires, qui reste d actualité en 2011, et les effets sociaux de la crise ont entraîné des arbitrages en défaveur de l alimentation et une sensibilité aux prix de plus en plus forte 19, confirmée par les données issues du Baromètre santé-nutrition 2008. Le sentiment de devoir s imposer des restrictions dans le domaine alimentaire concernerait globalement plus du quart de la population, mais près de la moitié des chômeurs et des familles monoparentales ou encore près du tiers des jeunes et étudiants. Une enquête conduite en 2010 par l institut CSA pour le compte des Banques Alimentaires révèle que plus des deux tiers des bénéficiaires de l aide alimentaire sont des femmes et 70 % disposent de revenus nets inférieurs à 1 000 par mois (près d un quart ayant un revenu net mensuel inférieur à 500 ). Près de la moitié de ces personnes ont recours à l aide alimentaire depuis 2 ans et plus. Les dépenses contraintes (notamment loyer et charges locatives) pèsent lourdement sur leur budget. Parmi eux, de plus en plus de travailleurs sont poussés vers l aide alimentaire à cause de la précarité de leur emploi (86 % des bénéficiaires ayant un emploi sont à temps partiel) ou en raison de la faiblesse de leurs ressources (cas de retraités ayant des difficultés à prendre en charge leurs dépenses de maladie). Dans un grand nombre de cas, la séparation ou le divorce sont, avec la perte d emploi, les principales causes des difficultés rencontrées. Pour ces personnes en situation de grande précarité, les sommes allouées à l alimentation représentent 3 à 5 par jour, le minimum nécessaire pour une alimentation respectant les apports nutritionnels conseillés étant de 3,5 selon l INSERM.

Ces éléments de contexte socio-économique sont loin d être neutres du point de vue des pratiques alimentaires et de leurs conséquences sanitaires. Preuve en est, le taux d obésité est 2 à 3 fois plus élevé parmi la population des ménages à faibles revenus (18 % à 19 % parmi les foyers percevant moins de 1 200 par mois) que chez les plus aisés (5 % à 9 % pour les foyers disposant d un revenu mensuel supérieur à 3 000 ). 1.2 L évolution des pratiques alimentaires Au cours des dernières décennies, les pratiques alimentaires des Français ont évolué sous l effet conjugué de plusieurs facteurs, sans remettre fondamentalement en question le «modèle alimentaire» français. (18) Cf. «Le sentiment de devoir s imposer des restrictions sur son budget - Évolution depuis 30 ans en France» - CREDOC Cahier de recherche n 253, décembre 2008. (19) «L alimentation, entre tensions économiques et exigences des consommateurs» - Synthèse de l étude - CREDOC, 3 ème édition des Entretiens de Rungis, 23 septembre2008. La notion de «modèle alimentaire» recouvre tout un ensemble d aspects sociotechniques (corps de connaissances et de technologies) et symboliques, à savoir : - l espace du mangeable, c est-à-dire celui des aliments choisis par des groupes sociaux et considérés comme comestibles parmi l ensemble des produits végétaux et animaux naturellement disponibles, - le système alimentaire, soit l ensemble des structures technologies et sociales relatives à la collecte, à la transformation des aliments et à leur préparation, - l espace du culinaire, autrement dit les opérations techniques, symboliques et rituels participant à la construction de l identité alimentaire d un produit naturel pour le rendre consommable, - l espace des habitudes de consommation, soit l ensemble des rituels qui accompagne l acte alimentaire, - les temporalités alimentaires, liées à l âge ou à la génération, à la saison ou au rythme journalier des prises de repas, - l espace de différenciation sociale, c est-à-dire les caractéristiques identitaires propres à chaque groupe humain qui diffèrent selon les cultures ou, au sein d un même ensemble culturel ou d une même société, entre groupes sociaux. Le modèle alimentaire français traditionnel se caractérise par sa structuration autour de 3 repas quotidiens. Du point de vue historique, ce modèle n est pas si ancien, puisqu il est apparu au cours du 19 ème siècle et s est ensuite imposé au 20 ème siècle. A la base, il est hérité du repas «à la russe», dans lequel tout le monde mange la même chose et où les plats se succèdent les uns après les autres, adopté vers la fin du 18 ème siècle car poussé par le mythe égalitaire de la Révolution Française et jugé beaucoup moins élitiste. Chez les élites de l époque, le système des 3 repas quotidiens pré-existait (déjeuner le matin, dîner le midi et souper le soir) et la notion de «petit-déjeuner (à la fourchette)» apparaît aussi vers la fin du 18 ème siècle. Ce modèle est repris par la bourgeoisie montante au cours du 19 ème siècle. Par la suite, les horaires de prise de repas se sont décalés. La situation était beaucoup plus diversifiée dans les milieux populaires, à la fois plus dépendante d un rapport à la nécessité et marquée par des pratiques régionales. Les institutions républicaines (École, Armée, Hôpital) vont jouer un rôle essentiel dans la diffusion et l homogénéisation d un modèle alimentaire national. 21