Interview Dominique pour Claire 1- Que vous rappelez-vous de ces trois années? Vous avez dit à Claire : ce sont les trois plus belles années de mon enfance ; pouvezvous dire ce qui vous a plu dans cette classe? C'est vrai. Ce sont les trois plus belles années de mon enfance. J'ai eu un parcours de début d'école très chaotique, pensionnat, changement souvent d'école, des fois en cours d'année, perturbant, difficile. Quand on n'est pas un génie, on a tendance à vous mettre au fond de la classe. Quand je suis arrivée à Orly, je me suis trouvée avec Claire. Ce n'était plus la même chose, plus la classe classique; en petits groupes, on avait chacun une place. Bons ou mauvais élèves, elle essayait toujours de nous mélanger. Et aussi, même si on n'était pas bons, à ces yeux, on était toutes pareilles (que des filles: les deux premières années sauf à partir de la classe de neige où n a commencé à être mixtes), c'était mon ressenti. Ce qui était génial, on était une classe type (les inspecteurs qui passaient, ), on avait l'impression d'être quelqu'un. J'ai découvert avec Claire que j'étais une personne très manuelle. Elle m'a fait connaître la lecture, la musique classique et surtout tout ce qu'on a fait: crochet, tricot, broderies, sacs en cordes. On a fait tellement de trucs que c'était génial. Et en plus, Claire m'a fait aimé les maths; les maths modernes et maintenant je suis devenue une matheuse, je suis très chiffres. Elle m'a fait découvrir une chose: on pouvait être très intelligente sans être pour cela très instruite. L'instruction on se la fait au fil des années. Je suis devenue grâce à elle une personne très curieuse de beaucoup de choses. C'est une femme qui est extraordinaire, j'aurais voulu avoir une maman comme elle. En plus, avec Eddy, on a passé des moments avec Eddy, on n'était plus une classe, c'était presque comme une famille, entre la camaraderie, la découverte... que dans les classes classiques on n'avait pas. On avait beaucoup de chance. C'était en classes de CE2, CM1 et CM2. Avant, écoles catholiques, les bonnes sœurs, le coin du placard et la règle sur les doigts. Il n'y avait pas photo. Dans la classe, c'était moi la plus vieille car j'avais commencé l'école tard à cause de problèmes de santé et des problèmes familiaux, et un redoublement.
2- Est-ce que vous pensez que ça vous a marqué pour la suite? Qu'est-ce que vous pensez en avoir retiré? Par rapport à ce qu'elle m'a appris, pour ma vie professionnelle, j'ai appris la tolérance, la patience; J'ose laisser la chance aux faibles et je suis considérée comme un bon maître d'apprentissage à cause de ça. C'est surtout Claire qui ma l'a inculqué. Quand on a la patience, quand on est faible, on peut devenir un artiste au niveau de mon métier; Du coup, il y a une foule d'élèves qui veulent venir. 3- Qu'est-ce que ça vous fait dire pour et sur la société actuelle? Sur l'école? Etc. Joker... Je suis maître d'apprentissage pour des filles encore scolarisées et j'ai la chance d'avoir des petits enfants, notamment un qui a des difficultés et l'école c'est pas terrible. Si on avait suivi ce modèle là, on n'en serait pas là. L'instit ne fait pas son boulot à l'heure actuelle. Ils ont beaucoup de gamins. Quand je vois comment les enfants parlent à leurs parents, j'ai peur pour les enfants. Claire a participé au développement de votre estime de vous? C'est vrai. Une estime de moi que je n'avais pas avec une mère qui me voyait débile mentale et qui voulait me placer dans un établissement spécialisé. Une estime de moi que Claire m'a aidé à retrouver. Mon petit fils un peu dyslexique aurait adoré être avec Claire car il est très intelligent et il s'ennuie à l'école. J'avais une grande sœur qui a beaucoup poussé pour empêcher ma maman de me mettre dans un centre pour enfants handicapés qui était dans la même ville où nous habitions. Et quand je suis rentrée en sixième, c'est moi qui me suis occupée d'enfants handicapés. Claire nous a appris à être battantes. J'ai eu beaucoup de chances entre Claire et ma sœur, de me sortir de la cité et de me considérer comme une personne normale. Quand j'en parle, je vois toujours les petites fleurs roses, ça me donne du baume au cœur; dès que j'allais à l'école, j'étais aux anges. Et puis, j'aimais bien aussi aller chez Claire. Elle habitait la tour en face de chez moi, j'avais que le square à traverser.
C'est pourquoi, ce qu'elle faisait, je l'ai un peu reproduit avec mes apprenties. Je veux aussi les sortir de leur petit monde, les pousser à voir autre chose, je les ai emmenées en vacances, elles n'avaient jamais quitté la France, je leur ai fait quitter la France. Nous sommes aller à Marrakech au Maroc, je veillais sur elles comme une maman en second ou une grande sœur. Avec d'autres, nous sommes aller au Mondial de la Coiffure à Paris, je leur ai fait découvrir Paris, et aussi la gastronomie. Elles ont appris qu'on pouvait, aussi, bien manger. C'est autre chose. Faut pas rester confiné dans la pédagogie classique, voir autre chose permet de s'ouvrir. Ça évite la routine, donne le punch, c'est ma pédagogie à moi. Elles ont toutes eu leurs examens, c'est ce que je recherchais. Il y en a déjà qui se sont installées et sont devenues à leur tour maîtres d'apprentissage. Je ne sais pas si elles ont fait comme moi à leur tour... C'est aussi une question de caractère, je suis assez souple, parfois autoritaire mais surtout très patiente. Je rentre dans ma 39 année de métier. Je suis dans la coiffure depuis 1973. Quand on nous donne la possibilité, on est des fonceurs. «Quand on a la passion de quelque chose, il faut aller dans son rêve» disait Claire. Quand on veut, on peut. Alors que les autres disaient que je ne serais pas capable. Et du coup, tout ce que j'ai voulu, je l'ai eu. C'est un peu comme une petite revanche par rapport aux autres. Ma sœur disait:«par rapport aux autres tu as fait ton petit bonhomme de chemin.» Et j'ai fait ce qui me passionnait et à l'heure actuelle je suis toujours passionnée par ce que je fais. Et j'ai eu de la chance dans ma vie professionnelle, j'ai rencontré des gens passionnés qui m'ont dit: «vas-y fonce!». Dont un petit monsieur, Alexandre de Paris (le coiffeur des têtes couronnées) qui nous a tellement parlé de sa passion et qui, en nous tapant sur l'épaule disait: «S vous êtes passionnés, allez-y foncez, vous ferez des belles choses.». Claire c'est une femme extraordinaire. Elle n'a pas changé, quelques rides en plus mais elle n'a pas changé. Souvent les messages qu'elle reçoit, c'est mon mari qui les écrit car pour moi, internet ce n'est pas humain.
Moi, je suis manuelle et puis... pédagogue, assistante sociale, psychologue... Quand j'ai des clientes qui ne vont pas, je les emmène toutes ensemble au resto, au bowling. L'ordinateur a tendance à faire des gens seuls. J'aime bien que les gens soient bien autour de moi. J'avais organisé un voyage avec des gens qui sont seuls, des mères célibataires, de gens qui n'ont jamais voyagé, j'aime rire, ça leur permet d'oublier leurs soucis. Je suis un peu déçue de ne pouvoir y aller. J'aurais bien voulu retrouver des copines. J'ai commencé à travailler à 15 ans et demi. J'ai été maman très jeune, à 18 ans. J'ai deux filles. Une de 36 ans, qui a vécu 10 ans en Australie et qui est revenue depuis 2 ans seulement. Elle a deux enfants, un garçon de 10 ans et une fille qui aura 8 ans ce samedi 19 novembre. Et une fille de 30 ans qui termine juste ses études de kiné. Après avoir fermer la porte du salon de coiffure, Dominique me le montre, et me dit: «Tout ça, c'est en grande partie grâce à Claire et vous lui direz que je la remercie avec un grand M. Je l'adorais cette femme.»