L apprentissage par projet et l art de découvrir les liens entre les notions acquises : le point de vue d une étudiante

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L apprentissage par projet et l art de découvrir les liens entre les notions acquises : le point de vue d une étudiante Evelyne Brown-Dussault, étudiante en génie physique, Université Laval Résumé Depuis les réformes en éducation, on entend souvent parler de l apprentissage par projet. Comme cette approche d enseignement est très récente, on en sait très peu sur l impact qu elle peut avoir sur les élèves. Dans le but de donner un aperçu des retombées de cette méthode, je vous présente dans ce texte un projet réalisé dans le cadre des activités du club mathématiques du Cégep de Sherbrooke au printemps 2009. De plus, j expliquerai comment ce projet a pu m aider à consolider les notions que j avais acquises au cégep, en plus de me faire réaliser l importance de prendre goût aux cours que l on suit plutôt que de simplement chercher à performer. Introduction Le cégep est une période importante dans la vie de plusieurs jeunes adultes puisque c est à ce moment qu ils posent des gestes et font des choix qui auront un impact sur leur future carrière. Pour ceux qui font le choix d un programme préuniversitaire tel que Sciences de la nature, ils savent qu en fin de parcours, ce sera leur cote R qui déterminera à quels programmes universitaires ils auront accès, de sorte qu ils accordent souvent plus d importance à la performance qu à l apprentissage et la compréhension. Ceci est d autant plus vrai pour les mathématiques ; plusieurs notions étant abstraites, on peut avoir de la difficulté à saisir directement leur utilité. Ces cours sont ainsi souvent perçus comme des obstacles qu il faut surmonter pour avoir accès aux programmes contingentés. Pour plusieurs personnes (et je suis de celles-là), cette attitude peut être expliquée par le fait que fondamentalement, l être humain est porté au moindre effort. On prendra donc souvent le chemin le plus rapide ou le plus facile pour se rendre à destination et atteindre ses objectifs. c Association mathématique du Québec Bulletin AMQ, Vol. LII, n o 3, octobre 2012 13 Textes du 55 e congrès

Par exemple, dans le cas ci-dessus, la solution recherchée n est évidemment pas du tout celle présentée par l étudiant. Pourtant, la réponse donnée n est pas fausse, elle est juste plus simple que la bonne solution. C est une réponse qui demandait moins d efforts que celle attendue. Il ne faut pas penser qu il s agit d un cas unique, car dans la vie, on cherche souvent à minimiser le travail requis pour réaliser une tâche indésirable que ce soit résoudre un problème mathématique ou bien s atteler à des tâches ménagères. On peut alors se demander comment cette habitude de minimiser le travail s applique dans le cas d un étudiant au collégial (et même à l université) qui doit vivre avec les pressions associées à la performance et même temps avec la tentation de faire la fête avec ses collègues. Reformulée autrement, la question que je me suis posée lorsque je me suis retrouvée dans cette situation ressemblait à ceci : Comment puis-je maximiser mes notes tout en continuant d avoir le plus de temps possible pour mes loisirs? Cheminement Selon moi, la réponse à cette question était la compartimentation. Pour une session donnée, la matière apprise dans chaque cours était rangée dans une boîte. Chaque boîte ne touchait pas à ses voisines, c est-à-dire que les liens entre chacune étaient réduits au strict minimum pour éviter la confusion entre les différentes matières. Il valait mieux ne pas mélanger le contenu de différentes boîtes, car démêler les choses nécessite un temps précieux qui autrement pourrait servir à l obtention de meilleurs résultats académiques ou bien à favoriser une vie sociale. Souvent, lorsqu un cours était terminé, je rangeais la boîte dans un coin poussiéreux de mon esprit et j oubliais assez rapidement en quoi consistait son contenu. Bulletin AMQ, Vol. LII, n o 3, octobre 2012 14

C était comme cela que les choses fonctionnaient dans ma tête quand j ai commencé le cégep. J ai longtemps pensé à tort que les cours de physique et de mathématiques étaient deux sujets bien distincts. Au secondaire, dans les cours de physique, on m avait présenté certaines méthodes mathématiques pour résoudre des problèmes appliqués ; je considérais donc qu utiliser ces méthodes était faire de la physique. Dans les cours de mathématiques, on m enseignait des méthodes logiques et des théorèmes élémentaires afin de faire des preuves ou de l algèbre, bref, j en déduisais que c était des mathématiques utiles seulement pour faire d autres mathématiques. Je croyais que des concepts comme les vecteurs restaient des concepts de physique, alors que le théorème de Pythagore était essentiellement mathématique. Ces notions ne s appliquaient que dans leur cours respectif. Cela dit, c est sans surprise que dans tous les examens que j ai faits à l université et au cégep, les problèmes les plus ratés par l ensemble de la classe étaient souvent ceux qui faisaient appel à des notions vues lors d une session précédente et qui n avaient pas été explicitement revues dans le cours. S attendre à ce qu un étudiant utilise, par exemple, la dérivation implicite (concept vu dans le cours Calcul différentiel) peut poser un problème si une question fait intervenir cette notion dans un cours de mathématiques ultérieur ou dans un cours d une autre matière. Cela même si ce concept était très bien maîtrisé lors du cours où il a été présenté. Un exemple fréquent de ce type de situation est l utilisation des intégrales dans le cours de physique Électricité et magnétisme. Ce cours semble être une bonne occasion de montrer aux étudiants à quoi ça sert les intégrales en les associant aux multiples applications en électromagnétisme. Malheureusement, les applications sont souvent limitées puisqu à peu près personne ne sait comment poser une intégrale bien que tous les étudiants aient suivi un cours de calcul intégral. Si on pose la question Si le champ électrique dans une sphère est donné par telle intégrale, quelle est la valeur du champ au point A?, le taux de réussite risque d être assez élevé. C est comme un exercice qu on a fait plusieurs fois en classe. Si par contre on demande plutôt Voici une sphère chargée, trouver le champ électrique au point A, le cheminement sera beaucoup plus difficile puisqu il faut d abord définir l intégrale correspondant au champ électrique, ce qui est rarement abordé dans le Bulletin AMQ, Vol. LII, n o 3, octobre 2012 15

cours de physique ou de mathe matiques. Pourtant, c est une occasion re ve e de faire des liens entre deux cours. Ce serait probablement le me me sce nario si par exemple, dans le cours Alge bre line aire et ge ome trie vectorielle, il y avait un proble me qui ne cessitait de re soudre une e quation diffe rentielle. Je suis certaine que plusieurs auraient de la difficulte, car cela n est pas une notion aborde e dans le cadre du cours. Me me entre deux parties de matie re d un me me cours, cela peut e tre difficile s il n y a pas de liens explicites entre les deux. Si le cours n est pas re capitulatif, apre s l examen on se donne souvent le droit d oublier de ce qu on vient de voir. Une fois termine l examen sur les se ries de Taylor, inutile de conserver une place pour cela dans son cerveau si on voit quelque chose de comple tement diffe rent apre s. Le projet Heureusement, a la fin de mon ce gep, j ai eu la chance de travailler a un projet qui allait m aider a de velopper des re flexes me permettant de faire des liens entre les notions que j avais acquises. De plus, a posteriori, il m a e te possible de faire un paralle le entre le cheminement re alise dans ce projet et les notions inte gre es dans le cadre des cours de mathe matiques obligatoires du programme de Sciences de la nature. Voici les grandes lignes du projet : essayer de mode liser un contro leur de vitesse intelligent qui serait en mesure d affronter, plus efficacement que peut le faire un e tre humain, des situations telles que celle illustre e ci-dessous. Cela consiste a essayer de de velopper un syste me permettant de contro ler les parame tres suivants d une voiture : acce le ration, de ce le ration, vitesse et distance avec la voiture pre ce dente. Afin de pouvoir e valuer diffe rents mode les, j ai de cide de simuler la situation suivante : au de part, deux voitures immobiles sont place es l une derrie re l autre et se pare es par une distance de cinq me tres. La premie re voiture acce le re pendant sept secondes, temps apre s lequel elle conserve une vitesse constante de 30 km/h. Le but du projet e tait donc d e laborer un mode le qui, une fois implante sous forme de contro leur intelligent dans la deuxie me voiture, permettrait a celle-ci de suivre l autre Bulletin AMQ, Vol. LII, no 3, octobre 2012 16

tout en gardant une accélération, une décélération, une vitesse et un écart raisonnable avec elle. La vitesse a été choisie comme paramètre indépendant puisque c est le paramètre qu on contrôle réellement lorsqu on conduit une voiture. Le modèle proportionnel Habituellement mon premier réflexe lorsque je suis confrontée à un problème académique est de me poser la question suivante : Quelle est la matière que j ai dû apprendre avant d avoir à répondre à cette question? Répondre à cela limite beaucoup le domaine des réponses possibles. Par exemple, si la réponse était faire des intégrales, il y a de bonnes chances que cela soit la façon de résoudre le problème qui se présente... Si jamais il y avait une seconde solution au problème qui passait par une méthode complètement différente, jamais je ne l aurais trouvée. Le projet proposé m a cependant confrontée à une nouvelle réalité. C était un problème qui n était pas limité à un domaine de connaissances précis. Je ne pouvais pas me dire : Ben oui c est telle ou telle matière, je vais donc piger dans telle ou telle boîte. Tel un étudiant qui entre au cégep avec un certain bagage du secondaire, mon premier réflexe a donc été de me replier sur des notions simples et déjà acquises. Des notions simples que j étais certaine de bien maîtriser. Par exemple, dans le cours de calcul différentiel, on se base sur des notions de pente de sécante (des notions très bien développées au niveau secondaire) pour amener le concept de dérivée. Ce n est pas une mauvaise chose en soi puisque que pour apprendre de nouvelles notions, il faut d abord bien connaitre ses bases. C est aussi ce que j ai essayé en premier dans ce projet. J ai donc d abord utilisé le concept de la proportionnalité pour essayer de modéliser le problème. C était une notion élémentaire dont je pouvais voir directement l effet produit sur la situation proposée. Grosso modo, ce modèle proposait que la vitesse de la deuxième voiture soit proportionnelle à celle de la première voiture jusqu à l instant où les deux voitures atteignent la même vitesse. Le graphique ci-dessous présente les résultats obtenus. Bulletin AMQ, Vol. LII, n o 3, octobre 2012 17

Figure 1 Résultats pour le modèle proportionnel. La courbe bleue représente la vitesse de la voiture de tête alors que la courbe rouge représente la vitesse de celle qui tente de la rattraper à l aide d un contrôleur de vitesse. Il est possible de constater que le modèle a une efficacité limitée. Il est fonctionnel dans le sens où la deuxième voiture finit par avoir la même vitesse que la voiture qui la précède lorsque la vitesse de cette dernière devient constante. Par contre, en regardant l aire entre les deux courbes, qui correspond dans ce cas à la variation de la distance entre les voitures, on peut constater que la deuxième voiture accuse un retard qui va en augmentant pendant tout l intervalle de temps où sa vitesse augmente. Ce n est peut-être pas un si grand écart de distance (environ 17 mètres au total dans ce cas), mais cela dépend directement de la vitesse finale de la voiture de tête. Ce qui est plus problématique est que cette distance accumulée due au temps de réaction n est jamais corrigée par le modèle. Ce comportement du modèle n est pas idéal dans le sens suivant : si toutes les voitures agissaient de la sorte, elles risqueraient de se retrouver toutes à une très grande distance les unes des autres, ce qui causerait d autres problèmes associés à l espace limité aux intersections et sur les autoroutes. De plus, la variation de vitesse de la deuxième voiture change de façon très brusque lorsqu elle atteint la vitesse de l autre. Un changement brusque d accélération n est pas idéal puisque cela use prématurément les freins de la voiture et la route. Modèle proportionnel à la dérivée Tel que je l ai mentionné précédemment, en calcul différentiel on utilise un outil de base (pente de la sécante à une fonction) pour développer l outil plus puissant qu est la dérivée. De la même façon, avec un outil de base qui était simple (le modèle proportionnel), j ai essayé de développer un outil plus efficace. Je me suis dit que je pourrais aussi me servir de l information Bulletin AMQ, Vol. LII, n o 3, octobre 2012 18

contenue dans le concept de dérivée (qui physiquement dans ce cas-ci représente l accélération) pour essayer d obtenir un contrôleur de vitesse plus efficace. Il s agit donc d essayer de contrôler la vitesse de la voiture en fonction de son accélération. Le graphique suivant présente un exemple d un tel essai. Figure 2 Résultats pour le modèle proportionnel à la dérivée. Il est possible de constater qu il y a une certaine amélioration par rapport au modèle précédent puisque la variation de vitesse de la deuxième voiture est en quelque sorte amortie lorsque sa vitesse est proche de celle de la voiture en tête (autour de 7 secondes, on observe que la vitesse se met à osciller). Cependant, cette correction n est quand même pas souhaitée, puisque cela induit des variations de vitesse qui changent toujours de signe (accélération, décélération, accélération, décélération...). Ce n est pas idéal, ni pour la voiture, ni pour ses occupants et non plus pour les autres conducteurs sur la route. De plus, ce modèle ne corrige pas l écart entre les deux voitures qui augmente avec le temps. Modèle proportionnel à l intégrale Au cégep, le cours de calcul intégral demande de bien maîtriser les notions acquises dans le cours de calcul différentiel, afin d être en mesure d évaluer l aire sous la courbe d une fonction ainsi que de déterminer une primitive. C est un retour sur ce qui s est fait dans le passé. Il faut donc s assurer de comprendre ce qu on a fait pour ensuite être capable de développer des connaissances et de nouvelles méthodes. Un point important à mentionner à ce stade, c est qu avant d arriver à cette partie du projet il était très rare que j aie été confrontée à un problème où il était nécessaire, pour sa résolution, à la fois Bulletin AMQ, Vol. LII, n o 3, octobre 2012 19

de dériver et d intégrer. Bref, la majorité des problèmes auxquels j avais fait face dans mes cours de mathématiques était du genre : trouver la dérivée de x, trouver la primitive de sin(x) ou bien résoudre tel ou tel système d équations. Appliquer successivement plusieurs notions acquises n est pas une habitude qu il était nécessaire de développer. Comme je n étais pas habituée à résoudre un problème en utilisant des notions rencontrées dans deux cours différents, j ai simplement essayé d appliquer une notion acquise dans un autre cours que celui de calcul différentiel. Le modèle qui a donc été élaboré par la suite a donc été un modèle qui corrigeait la vitesse de la voiture de façon proportionnelle à la distance entre les deux voitures et donc proportionnelle à l aire entre les courbes. Le graphique ci-dessous présente les résultats de la simulation de ce modèle. Figure 3 Résultats pour le modèle proportionnel à l intégrale. Ce graphique montre qu au début, la deuxième voiture accumule un certain retard relativement à la voiture de tête, mais qu à un moment donné, elle effectue une forte accélération sur un cours laps de temps afin de rattraper la première voiture, puis décélère brusquement. Ce modèle est donc en mesure de corriger l écart entre les voitures, mais on retrouve toujours le problème des variations brusques de vitesse qu il y avait dans le cas du modèle proportionnel à la dérivée. En fait, selon ce que l on peut observer dans le graphique, ces variations semblent encore plus importantes que dans le modèle proposé précédemment. Somme toute, aucun des trois modèles développés ne corrigeait complètement le problème proposé. Utiliser la dérivée amortissait la décélération, mais laissait un très grand écart entre les voitures. Ceci pouvait être corrigé en utilisant l aire sous la courbe, mais dans ce cas il y avait d importantes variations de vitesse. Que faire? Bulletin AMQ, Vol. LII, n o 3, octobre 2012 20

Modèle basé sur des combinaisons linéaires Puisque les modèles basés sur l intégrale ou la dérivée n apportaient pas une solution parfaite, je me suis tournée vers le troisième cours de mathématiques que j ai suivi au cégep : Algèbre linéaire et géométrie vectorielle. Tel qu on nous l enseigne dans ce cours, un espace peut être décomposé en composantes de base. Il faut donc prendre les bases qu on a construites précédemment pour édifier une solution efficace et unique. En faisant ce projet, je me suis rendue compte que ceci était une notion très importante que je n avais pas saisie lorsque j ai suivi le cours. C est donc en réfléchissant sur les notions d algèbre linéaire que j ai vraiment compris l importance de faire des liens entre les différentes notions qu on connaît et qu un vrai problème peut rarement se résoudre en n appliquant qu une seule théorie ou méthode. J ai ainsi décidé de faire un modèle basé sur une combinaison linéaire des 3 autres modèles précédents. Figure 4 Résultats pour le modèle utilisant une combinaison linéaire. Le résultat obtenu semble meilleur que les précédents, l écart entre les voitures est très minime et les variations de vitesse de la voiture ne sont pas trop brusques. C est exactement ce qu il fallait. Conclusion/Épilogue Lors de ma première année à l université (un an après avoir fait le projet), j ai eu à faire un cours de mathématiques dans lequel le premier examen a la réputation d être très difficile. Cet examen portait sur les nombres complexes et les équations différentielles séparables. Voici une question typique qui a été ratée par la majorité de la classe : Bulletin AMQ, Vol. LII, n o 3, octobre 2012 21

E trangement, ce qui a pose des difficulte s dans cette question n est pas d avoir a re soudre des e quations diffe rentielles se parables (ce a quoi la majorite des e tudiants s attendaient puisque le cours portait sur cela). En fait, se parer les e quations n aurait pas e te un proble me pour la majorite des e tudiants puisque cette matie re e tait toute fraı che dans leur cerveau, c est pluto t le fait de demander de faire une approximation, qui est une notion aborde e dans un autre cours qui a fait en sorte que les re sultats a cette question (qui valait 30% de l examen!) ont e te de sastreux. Au bout du compte, seulement 22 e le ves sur 79 ont re ussi l examen (je rappelle que la note de passage a l universite est seulement de 50% heureusement) et la moyenne e tait de 41%. Ce n e tait pourtant pas si difficile comme question, mais malheureusement, le fait d avoir a utiliser des notions d un autre cours pour ramener le proble me a un cas connu semble avoir pose un proble me a plusieurs personnes... C est une des raisons pour laquelle je crois que l approche par projet doit e tre inte gre e dans les cours au ce gep sans toutefois abolir l enseignement conventionnel (comme un cours magistral). Un projet, bien construit par un professeur, peut aider a e liminer les barrie res qui existent entre les boı tes dans notre esprit et cre er des liens entre les e le ments qui ont e te vus lors des cours magistraux. C est seulement lorsque j ai commence a faire des liens entre les diffe rents concepts mathe matiques (ainsi qu entre les diffe rentes matie res) que j ai vraiment de couvert la beaute derrie re les sciences, ce qui me permet aujourd hui de mieux appre cier ce que j apprends. Ceci est d autant plus important en mathe matiques a cause du grand nombre de notions abstraites, des me thodes et des multiples questionnements du type pourquoi on fait c a?. Je trouve qu un projet va donner un sens et une utilite aux me thodes vues dans un cours en associant les notions aborde es en classe a des e le ments ne cessaires a la compre hension et a la re solution d un proble me beaucoup plus complexe ou me me a l e laboration d une the orie. Contrairement a l enseignement conventionnel qui demande souvent a l e tudiant de faire une se rie d exercices sans contexte, comme faire l inte grale de vingt fonctions diffe rentes ou bien re soudre dix syste mes d e quations, apprendre via un projet inscrit les me thodes et connaissances dans un contexte plus global. Cela aide a de velopper des habilete s permettant de savoir quoi et comment faire en solidifiant les notions acquises lors du cours the orique. De plus, cela aide aussi a de velopper des re flexes amenant a savoir quand et pourquoi appliquer une me thode. D ailleurs, un projet demande aux e tudiants de faire Bulletin AMQ, Vol. LII, no 3, octobre 2012 22

preuve d un peu de créativité (par exemple en associant des notions qui en premier lieu semblent être très différentes, mais qui dans les faits se complètent très bien) et aide à développer un esprit de synthèse. Avant de faire des projets, je pensais que la créativité était un talent que possédaient les personnes qui étaient douées en dessin, en peinture, en musique, etc. Or, comme je n étais pas très douée dans ces disciplines, je croyais que je n étais pas une personne créative. Faire un projet au cégep m a fait découvrir que ce n était pas du tout le cas, on peut et il faut faire usage de créativité en science, c est une qualité absolument nécessaire pour toute personne qui se dirige vers une carrière scientifique, que ce soit dans le domaine de la santé, en ingénierie ou en sciences pures. Découvrir cet aspect de la science pourrait sans doute convaincre plus de filles de choisir des domaines d études plus appliqués, comme l ingénierie. Ce genre d approche m a aussi ouvert l esprit face aux sciences. Avant, j avais comme objectif de réussir le mieux possible afin de m ouvrir le plus de portes possible pour ma future carrière. Ce que je voyais en classe n étaient que des méthodes que je devais être en mesure de maîtriser pour passer un cours. C est à partir du moment où j ai eu à apprendre via un projet que j ai vraiment commencé à m intéresser à ce que je faisais. Non seulement cela donnait un sens aux notions que je voyais en classe (à quoi ça peut réellement servir, quelles notions différentes est-ce que je peux combiner pour arriver à un but, etc.). Cela m a aussi fait réaliser à quel point il y avait des liens entre les choses que j apprenais (même si elles semblaient très différentes) et à quel point il y avait des possibilités de combinaisons de notions qui pourraient déboucher sur des innovations intéressantes. Bref, je crois qu intégrer l apprentissage par projet dans les cours de mathématiques ne peut qu aider les étudiants à mieux apprendre et apprécier les notions qui leur sont enseignées. Certes, certains étudiants peuvent voir cela comme une attaque personnelle puisque cela bouleverse leur organisation interne, mais s ils décident de tenter l expérience avec une attitude positive, ils peuvent y découvrir une facette extraordinaire des mathématiques et des sciences. Pour l instant, il est clair que la principale contrainte qui empêche les étudiants de découvrir cette dimension des mathématiques est le grand souci de la performance imposé par notre système compétitif. Proposer un projet fait souvent en sorte que les étudiants ont une attitude négative et réticente envers le cours, car cela les force à travailler et à réfléchir là où ils ne s attendent qu à simplement avoir à appliquer une méthode. C est dommage, car c est lorsqu on s investit dans un projet en mathématiques et qu on découvre des liens entre des notions qui en apparence ne semblent pas reliées, ou bien lorsqu on utilise des méthodes acquises dans le cadre de deux cours très différents pour résoudre un problème unique, qu on a réellement l impression de faire des mathématiques. Remerciements J aimerais remercier M. Nicolas Pfister, qui a supervisé le projet et avec qui j ai eu énormément de plaisir à travailler. Bulletin AMQ, Vol. LII, n o 3, octobre 2012 23