REFLEXIONS PERSONNELLES SUR LA FORMATION DE TOUS LES ENSEIGNANTS Le grand Archimède se serait écrié, après avoir découvert les propriétés des leviers : «donnez-moi un point d appui et je soulèverai le monde!». Sans la prétention de vouloir me comparer au génial Archimède, je dirais volontiers «donnez-moi des enseignants bien formés et toute réforme pédagogique sera ou inutile ou facile à réaliser». Depuis des siècles, la question de la formation des éducateurs est posée sans qu aucune solution pertinente ne lui ait été trouvée. Les débuts de l Université ont été marqués par le fait que ce sont des domaines limités du Savoir de l époque qui se sont d abord installés : faculté de théologie, faculté de médecine, faculté de droit Et les institutions éducatives se sont ensuite, à quelques rares exceptions près, construites et modelées sur le modèle universitaire : on y enseigne les mathématiques, la langue maternelle, les sciences, les sciences sociales, la musique... Les programmes ne sont, en général, que l accumulation des programmes des différentes matières à enseigner. II est donc compréhensible que le (ou les) savoir(s) académique(s) aient toujours eu la priorité sur les autres aspects de l éducation. Pour beaucoup de nos contemporains, un professeur de mathématiques est encore, essentiellement, celui qui connaît bien les mathématiques. Nombreux sont ceux qui n ont pas entendu le cri lancé par Jean-Jacques Rousseau et que Claparède n a pas hésité à comparer à une révolution copernicienne, «Commencez par connaître vos élèves car, très assurément, vous ne les connaissez pas». En d autres termes, le Savoir était au centre du processus éducatif. Aujourd hui, on sait que le Savoir -tout nécessaire et indispensable qu il reste- ne suffit plus pour être enseignant; l important, pour l éducateur, c est d être capable de transmettre et de rendre assimilable par les élèves les connaissances et démarches psychologiques conduisant à une acquisition plus ou moins définitive. Et tous les beaux discours sur les échecs scolaires, sur la variation du niveau scolaire des élèves, sur le manque de motivation..., resteront sans effets tant que la question de la formation des enseignants -et de tous les niveaux et de toute discipline- n aura pas trouvé une solution pertinente et adéquate. C est sur cette question fondamentale que vont porter les quelques remarques personnelles suivantes. Les nouveaux rôles de l enseignant au XXI ieme siècle Pendant longtemps, l Educateur était le seul (ou presque) transmetteur de savoirs ; c était sa fonction essentielle. Au cours des temps la fonction éducative de l enseignant s est petit à petit transformée, diversifiée, enrichie ; mais l institution scolaire est restée (et même reste souvent encore!) un domaine «réservé» un peu isolée des rumeurs de la vie réelle. Après la fin de la dernière guerre mondiale, des enquêtes et études scientifiques précises ont mis en évidence les nouvelles fonctions qu étaient amenés à remplir les enseignants en fonction des évolutions de la société 1
- Transmission des savoirs - S assurer de la compréhension, de l assimilation, de l acquisition des connaissances présentées. - Evaluer des résultats : évaluation formative, évaluation sommative, évaluation clinique individuelle. - Jouer le rôle de «personne ressources» - Etablir des relations entre l univers scolaire, la communauté ambiante et la formation des adultes (parents en particulier) de la communauté. Sur ce plan on peut aussi dire que l éducation et l éducateur ont à jouer un quadruple rôle de trait d union entre le passé, le présent et l avenir, entre les individus, la communauté proche, la société et l Humanité, entre la formation générale et humaine et la formation technique et professionnelle, entre les savoirs naturels des élèves et les savoirs scientifiques et technique de leur époque. 1 - Fonction d aide à l orientation scolaire et, éventuellement, à l orientation professionnelle. Les formations pédagogiques de jadis, qui étaient essentiellement centrées sur la maîtrise des contenus, ne conviennent plus pour former des individus qui doivent répondre aux exigences que nous venons d énumérer. il est absolument nécessaire de reposer autrement le problème. II ne s agit pas de «rapiécer», c est-à-dire d ajouter quelques matières nouvelles aux programmes actuels ; il s agit de construire une nouvelle formation adaptée aux besoins d aujourd hui et susceptible de se modifier en fonction des nouveaux besoins qui vont apparaître. Notre proposition correspond à un tel type de formation. A quel moment devrait se situer une formation pédagogique? Une formation pédagogique authentique ne peut être organisée qu après une solide formation disciplinaire ou générale solide, et ceci quel que soit le niveau considéré (du niveau préscolaire au niveau de la formation des adultes) ; on ne peut pas entreprendre une formation pédagogique avec des ignorants. Cette affirmation est, pour nous, fondamentale. Les conditions de recrutement des élèves d un Institut de formation pédagogique doivent être définies avec précision et correspondre à un niveau académique nettement précisé. Quelles devraient être les volets principaux d une formation pédagogique 1 Rappelons la formule du Dr Decroly : «Une école pour la vie et par la vie». 2
complète et idéale 2? On peut distinguer au moins cinq domaines fondamentaux : une formation théorique, une formation pratique (professionnelle), une formation générale, une pratique accompagnée, une formation continue. - Une formation théorique Sans nous étendre sur le détail de ce large programme, indiquons simplement les très grandes lignes tout en précisant que l importance relative de chacun de ces points est à établir dans chaque cas particulier: a) Une large initiation (et des contenus variables selon les niveaux de formation) à la psychologie-physiologie générale et génétique. b) Une étude des processus d apprentissage et de communication ; psycho-sociologie de la vie des groupes. c) Une étude de la structure et du fonctionnement des institutions académiques, publiques, «privées», religieuses. Problème de la laïcité. Problèmes du budget général et du budget de l établissement. Notions d économie de l éducation. Problèmes de démographie scolaire. d) Initiation à la recherche en sciences de l éducation. Initiation à la docimologie et à tous les problèmes de l évaluation. e) Aspects déontologiques: droits et devoirs réciproques des enseignants, des élèves, des parents, des institutions locales et nationales. Relations avec les diverses organisations qui s occupent d éducation. - Une formation pratique a) Etude à la fois historique et actuelle des différentes méthodes et techniques pédagogiques (à adapter selon les niveaux intéressés). b) Le passage du Savoir scientifique au Savoir à enseigner : la transposition didactique. Analyse des différents programmes (et selon les niveaux) dans cette perspective. c) Organisation de la vie d un groupe (groupe-classe), conduite d un groupe ; structuration d un groupe en sous-groupes ; problèmes des «leaders». La vie sociale au sein de l établissement; le travail en équipes des élèves et des enseignants. 2 Nous entendons par «formation pédagogique» toute activité préparatoire au métier d enseignement et permettant d exercer, dans de bonnes conditions, une fonction éducative. 3
d) Stages d observation (établissement, classes en action, participation à l animation de la vie scolaire...), stages de prise en charge (partiellement et limitée au début et de plus en plus longue au cours de l année de formation). - Une formation générale a) Histoire et philosophie de l éducation b) Sociologie de l éducation. Rô1e et place de l institution scolaire au sein de la société. c) Conférences sur l état actuel et les problèmes de la société et du monde contemporain. d) Formation psychologique afin de développer les attitudes éducatives de communication, de résistance à l agressivité, de recherche de solutions immédiates aux problèmes quotidiens rencontrés dans la conduite d un groupe... - Une pratique accompagnée a) Prise en charge complète de classes, au cours de l année qui suit la période passée à l Institut de formation pédagogique (3 ou 4 classes de niveaux différents), sous l accompagnement et la direction-conseil d enseignants chevronnés (on peut penser, pour une telle fonction à de récents retraités reconnus par la hiérarchie pédagogique pour leurs qualités d éducateurs). b) Validation finale de la formation. - Une formation continue 3 a) Dans la mesure où la vie de l institution scolaire est intimement liée à celle de la société, l évolution de la société implique celle de l institution scolaire. Un réajustement des principes, des méthodes et des techniques pédagogiques est constamment à rechercher. b) Les enseignants doivent aussi être initiés aux nouvelles techniques (informatique par exemple), tenus au courant des modifications de nos systèmes de valeurs et de connaissances (exemple de l apparition des «mathématiques modernes», des nouvelles façons d enseigner les langues...). Remarques finales 3 Citation de la Ligue internationale d Education nouvelle : «L éducation consiste à favoriser le développement aussi complet que possible des aptitudes de chaque personne, à la fois comme individu et comme membre d une société régie par la solidarité. L éducation est inséparable de l évolution sociale; elle constitue une des forces qui la déterminent. «Le but de l éducation et ses méthodes doivent donc être constamment révisés, â mesure que la science et l expérience accroissent notre connaissance de l enfant, de l homme et de la société». 4
La tâche est immense mais, comme le disait Goethe : «l excellent est tout juste assez bon pour l enfant». N oublions jamais que les Educateurs sont les constructeurs de l avenir. A bon ouvrier, maison solide. A enseignants bien formés, des générations solidement préparées à faire face, avec succès, aux défis de I avenir. Et je terminerai par cette affirmation de Gaston BACHELARD, que je voudrais voir inscrite au fronton de tous les établissements chargés de la formation des enseignants : Qui ne continue pas à apprendre est indigne d'enseigner. Gaston MIALARET Professeur émérite de l Université de Caen (France) Président d honneur du GFEN 5