VEILLE. 6e révision LAI: comment le législateur entend supprimer drastiquement le nombre de rentes



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Transcription:

VEILLE 6e révision LAI: comment le législateur entend supprimer drastiquement le nombre de rentes Par Jean-Marie Agier et Philippe Graf, avocats spécialistes des assurances sociales et du droit de l assurance-invalidité. Les auteurs livrent une analyse critique du premier volet de la 6e révision de la LAI (entré en vigueur au 1er janvier de cette année), publié dans le journal Le Temps du mardi 10 janvier 2012. Janvier 2012 Avertissement: Le contenu de ce document n engage que leurs auteurs. ARTIAS - Rue des Pêcheurs 8-1400 Yverdon-les-Bains - Tél. 024 557 20 66 - Fax 024 557 20 67 - info@artias.ch - CCP 10-2156-5 - www.artias.ch - www.guidesocial.ch

Avec la sixième révision de la Loi fédérale sur l assurance-invalidité (LAI), dont la première partie, dite «révision 6a», est entrée en vigueur le 1 er janvier 2012, le législateur entend réduire ou supprimer 12'500 rentes d'invalidité «pondérées», soit l équivalent de 12'500 rentes entières, soit encore selon les statistiques de l AI les rentes touchées par environ 16'000 assurés. Afin d'atteindre cet objectif, le législateur a décidé d'user de deux moyens : 1) la «nouvelle réadaptation», qui devra permettre de réduire ou de supprimer 8'000 rentes pondérées en six ans et 2) «la révision des rentes par le biais des dispositions finales», qui entraînera la réduction ou la suppression de 4'500 rentes pondérées environ 5'000 rentes effectives en trois ans. 1. La «nouvelle réadaptation» Le législateur introduit dans la LAI un article 8a intitulé «nouvelle réadaptation des bénéficiaires de rente», selon lequel «Les bénéficiaires de rente ont droit à des mesures de nouvelle réadaptation [ ]». Et le législateur d'énumérer dans ce cadre une série de mesures de réadaptation qui, toutes, figuraient déjà dans l ancienne LAI, sauf celle qui consistera dans «l'octroi de conseils et d'un suivi aux bénéficiaires de rentes et à leur employeur». Pour avoir «droit» à des mesures de «nouvelle réadaptation» au sens de l'article 8a LAI, les bénéficiaires ne devront cependant pas en faire la demande à l'ai. En fait, l'ai va reprendre les 280'000 dossiers de ses assurés qui bénéficient d'une rente (chiffre valable en décembre 2010), pour voir si, en fait, il y a, chez chacun des bénéficiaires de rente dont elle rouvre le dossier, un potentiel de réadaptation qu'elle n'avait pas, à l'époque où elle avait octroyé une rente, vu. Et si l'ai arrive à la conclusion qu'à l'époque, elle n'avait pas vu un «potentiel de réadaptation» qu'elle voit maintenant, elle va, elle AI, inviter son assuré à suivre telle ou telle mesure de réadaptation, de telle ou telle durée. Des mesures de réadaptation auxquelles l'assuré devra se soumettre, puisque comme le disent les articles 7 alinéa 2 lettre e et 7b alinéa 1 er LAI, les prestations de celui ou celle qui ne se soumet pas à des mesures d'une nouvelle réadaptation «peuvent être réduites ou refusées, conformément à l'article 21 alinéa 4 de la Loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA)». a) Le mécanisme Pour les rentes de tous les rentiers AI chez qui un «potentiel de réadaptation» aura été reconnu par l office compétent, le compte à rebours sera lancé. S agissant d un «droit» d une nature un peu particulière, un invalide ne pourra refuser l octroi d une «nouvelle réadaptation» que sous peine de voir sa rente d invalidité réduite ou supprimée, sans autre examen. Pour les invalides qui accepteront de s y soumettre, dite «nouvelle réadaptation» pourra à la fin, c està-dire des mois, voire des années après son octroi aboutir soit à un échec, soit à une réussite. En cas d échec, la rente du bénéficiaire continuera d être versée, sans changement, tandis qu en cas de «réussite», sa rente sera réduite ou supprimée, après nouvelle évaluation de son taux d invalidité. Mais on ne comprend pas bien ce qui permettra, en la matière, de discriminer entre un échec 2

et une réussite, sachant que l OFAS estime qu une «nouvelle réadaptation» est réussie pour autant que la capacité de gain se soit améliorée, cela sans égard au fait «que l assuré ait trouvé ou non un poste sur le marché primaire du travail». Dans l hypothèse, donc, où la «nouvelle réadaptation», «réussie», ne serait couronnée d aucun résultat effectif à savoir notamment d aucune signature d un contrat de travail durable par l assuré nouvellement réadapté, la capacité de gain résiduelle du bénéficiaire de rente serait réévaluée exactement comme elle avait été évaluée lors de l octroi initial de sa rente, soit de manière théorique, conformément aux articles 7 et 16 LPGA et 28a LAI, en tenant compte d un revenu d invalide fictif, soit le revenu que l assuré devrait, selon l AI, réaliser s il avait effectivement trouvé une «activité adaptée à son état de santé» ainsi qu à ses diverses «limitations fonctionnelles», activité pour laquelle il aurait été nouvellement réadapté, mais qu il ne trouve pas. Prenons l exemple de l assuré X, un ancien menuisier qui, devenu invalide après avoir exercé son activité habituelle pendant trente ans, serait au bénéfice d une rente AI depuis cinq ans. L office AI, ayant débusqué chez lui un «potentiel de réadaptation», lui octroie une «nouvelle réadaptation», sous la forme d une formation «d assistant de bureau» à poursuivre sur deux ans, laquelle débouchera sur un diplôme qui n est pas l équivalent d un CFC. Au bout de cette formation, l assuré en question, âgé de 55 ans, devra se lancer à la recherche d un emploi d assistant de bureau, sur le «marché du travail équilibré» encore une notion indéfinie. Si l assuré considéré ne trouve pas de place de travail, sa situation professionnelle n aura subi absolument aucune modification concrète. Malgré cette absence totale de modification concrète, l office AI aura, en contraignant l ancien menuisier à se former en qualité d assistant de bureau, créé artificiellement une «modification» des circonstances consistant dans une soidisant formation «nouvelle», dont personne ne parvient toutefois à tirer profit, donnant ainsi l impression que les conditions requises par l article 17 alinéa 1 er LPGA pour réviser la rente de l assuré X sont remplies. b) Procédure subséquente de révision de rente Une décision de rente entrée en force peut être révisée en cas de modification notable des circonstances. Tel est le principe de l'article 17 LPGA. Or, lorsque l'ai dira à l'un(e) de ses assuré(e)s bénéficiaire d'une rente qu'il ou qu'elle doit suivre des mesures de «nouvelle réadaptation», elle procédera en fait à une révision programmée du droit à la rente considérée, révision programmée pour la fin de la réadaptation dite nouvelle, cela alors qu'au moment où il sera pris une décision de mise en œuvre de mesures de «nouvelle réadaptation», il n'y aura eu, depuis la dernière décision d'octroi de rente, aucune modification notable des circonstances, mais seulement une appréciation par l'ai du «potentiel de réadaptation» de l'assuré autre que celle que l'ai avait faite à l'époque où elle avait octroyé la rente. Ainsi, le système de la «nouvelle réadaptation» de l'article 8a LAI déroge, sans le dire, au principe de l'article 17 LPGA, principe selon lequel il n'y a pas de modification de décision de rente possible sans qu'une modification notable des circonstances ait eu lieu depuis la décision en question. Or, déroger, dans la LAI, 3 -

à la LPGA, cela est possible, mais à la condition sine qua non, comme le dit l'article 1 al. 1 er LAI, qu'il soit, dans telle ou telle disposition de la LAI, dit «expressément» que l'on déroge, avec telle ou telle disposition de la LAI, à telle ou telle disposition de la LPGA. c) Conséquence d'une dérogation à la LPGA non expresse Si la loi spéciale déroge à la LPGA sans le dire expressément, la dérogation devra, le plus logiquement du monde, rester lettre morte. Dès lors, contre une décision de réduction ou de suppression de rente AI intervenant après une «nouvelle réadaptation», l'assuré devra pouvoir, devant un tribunal, faire valoir, avec des chances raisonnables de succès, le point de vue selon lequel il n'y a pas, dans son cas, de réduction ou de suppression de rente possible, faute de dispositions dans la LAI prévoyant qu'en cas de mesure de «nouvelle réadaptation», l'on peut déroger au principe de l'article 17 LPGA. d) Mise en œuvre pratique La question se pose de savoir comment l'ai va faire, aujourd'hui, pour découvrir des «potentiels de réadaptation» qu'elle n'avait pas, à l'époque, vus. Cette question mérite d'être posée, puisque le législateur se propose, grâce au système de la révision après «nouvelle réadaptation», d'économiser pour l'équivalent de 8'000 rentes. Or, à cette question, ni le Conseil fédéral et ni l'office fédéral des assurances sociales n'apportent de véritable réponse, sauf à laisser entendre qu'avec la part des deux cents nouveaux collaborateurs qu'il leur reviendra, les 24 offices AI de Suisse pourront mener, pour ce qui est de l'examen du «potentiel de réadaptation» des 280'000 bénéficiaires de rentes environ que l on compte aujourd'hui, procéder à des analyses beaucoup plus approfondies que celles qu'ils avaient pu mener jusqu'à ce jour, des analyses qui devraient permettre, en outre, de mettre en œuvre des mesures de réadaptation nouvelle dans des milliers et des milliers de cas, cela pour arriver en six ans nous explique le Conseil fédéral dans son message (FF 2010 1647) à créer des capacités de travail nouvelles et substantielles chez un nombre de bénéficiaires de rentes dont les prestations totalisées équivaudront à 8'000 rentes entières. 2. La révision des rentes par le biais des dispositions finales Cette révision est celle des cas de rentes en cours qui ont été, comme le dit le chiffre II lettre a des dispositions finales de la révision 6a, «octroyées en raison d'un syndrome sans pathogénèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique». Le premier alinéa du chiffre II desdites dispositions transitoires dit que ces rentes-là «seront réexaminées dans un délai de 3 ans à compter de l'entrée en vigueur de la présente modification», précisant in fine, pour satisfaire à l'exigence de dérogation expresse que pose l'article 1 alinéa 1 er LAI, que «la rente sera réduite ou supprimée, même si les conditions de l'article 17 alinéa 1 er LPGA ne sont pas remplies». 4 -

Ainsi, le législateur a repris, pour toutes les rentes en cours, la présomption que le Tribunal fédéral a, au fil du temps, établie concernant les syndromes «sans pathogénèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique», présomption qui veut que ces syndromes ne soient en principe pas des troubles de la santé invalidants. En effet, le Tribunal fédéral n'ayant posé telle présomption qu'en mars 2004, avec son fameux ATF 130 V 352, il y a aujourd'hui des rentes en cours qui sont versées à des personnes qui n'y ont, selon ladite jurisprudence, pas droit. Ces rentes, il n'était pas possible de les réduire ou de les supprimer sans une modification de loi, modification en laquelle consiste le chiffre II lettre a des dispositions finales de la révision 6a. Quant à la justification de cette présomption, selon laquelle les syndromes en question ne peuvent pas entraîner d'incapacité de travail et de gain durables, le Conseil fédéral et l'office fédéral des assurances sociales se réfèrent toujours à la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle il faut, pour ces maladies «sans pathogénèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique», partir du principe que l'assuré pourrait surmonter leurs effets, ce moyennant un effort de volonté tenu pour «raisonnablement exigible». Mais quelles sont les maladies visées par le chiffre II lettre a des dispositions finales de la révision 6a? L'Office fédéral des assurances sociales nous dit qu'il s'agit, «selon la jurisprudence actuelle du Tribunal fédéral, des tableaux cliniques suivants: les troubles somatoformes douloureux, la fibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique, l'hypersomnie, la neurasthénie, les troubles dissociés de la motricité, de la sensibilité et de la réceptivité, et les distorsions de la colonne cervicale (coup du lapin)». L office fédéral précise pour le surplus que ne seront «pas touchées en revanche par cette réglementation les pathologies pour lesquelles un diagnostic peut être posé clairement à l'aide d'examens cliniques ou psychiatriques. Ainsi, des tableaux cliniques tels que dépression, schizophrénie, troubles compulsifs, troubles du comportement alimentaire ou troubles de la personnalité» resteront couverts par l AI. a) Divorce complet d'avec la médecine Toutes les rentes octroyées «en raison d'un syndrome sans pathogénèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique» et actuellement en cours seront ou ont déjà commencé d'être réexaminées au vu des quatre critères, dits de Foerster, que le Tribunal fédéral a posés pour le trouble somatoforme douloureux dans son ATF 130 V 352, lesquels sont: «1) des affections corporelles chroniques ou un processus maladif s'étendant sur plusieurs années sans rémission durable, 2) une perte d'intégration sociale dans toutes les manifestations de la vie, 3) un état psychique cristallisé, sans évolution possible au plan thérapeutique, marquant simultanément l'échec et la libération du processus de résolution du conflit psychique (profit primaire tiré de la maladie), ou enfin 4) l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de l'art et de mesures de réhabilitation, cela en dépit de la motivation et des efforts de la personne assurée pour surmonter les effets des troubles somatoformes douloureux». 5 -

Mais ces quatre critères du Tribunal fédéral ne sont pas des critères médicaux. En fait, ce critères ne se recouvrent que très partiellement avec les critères de la médecine, et les médecins le disent clairement, jusque dans les revues de droit 1. b) Droit à des mesures de réadaptation Est-ce qu'un assuré aura droit à des mesures de réadaptation professionnelle, lorsque sa rente aura été supprimée parce qu'octroyée pour une maladie réputée ne pas être invalidante? L'alinéa 2 du chiffre II lettre a des dispositions finales de la révision 6a prévoit qu'«en cas de réduction ou de suppression de sa rente [pour cause de maladie «sans pathogénèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique»], l'assuré a droit aux mesures de nouvelle réadaptation au sens de l'article 8a». Quant à l'alinéa 3 des mêmes dispositions, il stipule que, «durant la mise en œuvre des mesures de réadaptation, l'assurance continue de verser la rente à l'assuré, mais au plus pendant deux ans à compter du moment de la suppression ou de la réduction de rente». Enfin, l'alinéa 4 du chiffre II lettre a des dispositions finales de la révision 6a prévoit que les assurés «qui ont 55 ans au moment de l'entrée en vigueur de la présente modification ou qui touchent une rente depuis plus de 15 ans au moment de l'ouverture de la procédure d'examen» ne verront pas leur droit à la rente être réexaminé, quand bien même la rente qu'ils reçoivent a été octroyée «en raison d'un syndrome sans pathogénèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique». c) Droit et non droit Pour ce qui est de la réduction ou de la suppression des rentes octroyées «en raison d'un syndrome sans pathogénèse et étiologie claires et sans constat de déficit organique», le législateur a dit ce qu'il fallait qu'il dise par rapport au principe de l'article 17 LPGA, puisqu'il a écrit que la réduction ou suppression de rente interviendra «même si les conditions de l'article 17 alinéa 1 er LPGA ne sont pas remplies». En même temps, avec les dispositions finales en question, le législateur a dégradé le caractère général et abstrait de la LAI. Pour ce qui est de la «maladie» qui, d'après l'article 4 alinéa 1 er LAI, peut conduire à une invalidité, le législateur exclut en effet de cette notion, par le biais du chiffre II lettre a des dispositions transitoires de la révision 6a, les maladies qui consistent en un «syndrome sans pathogénèse ni étiologie claires», là où cette exclusion n'a, pourtant, aucune justification médicale. Il fallait, de la part du législateur, une certaine audace pour revenir sur ce qui est un principe cardinal du droit administratif, principe qui est que, pour des raisons 1 P. ex.: MARELLI R., Am Scheideweg von Medizin und Recht, Jusletter du 10 octobre 2011). Récemment, un médecin responsable d un Centre d'observation médicale de l'ai (COMAI) celui de Suisse centrale en l occurrence a même conseillé publiquement à ses confrères qui sont chargés d'expertiser des assurés de l AI, de se prononcer, dans leurs rapports d'expertise, non seulement sur la base des critères 1 à 4 de l'atf 130 V 352, mais également sur la base de leurs critères à eux, de médecins (JEGER J., Tatfrage oder Rechtsfrage? Abgrenzungsprobleme zwischen Medizin und Recht bei der Beurteilung der Arbeitsfähigkeit in der Invalidenversicherung. Ein Diskussionsbeitrag aus der Sicht eines Mediziners (2. Teil), SZS/RSAS 55/2011, pp. 580 et ss). 6 -

de sécurité du droit, il n'est pas possible de modifier une décision entrée en force, sans une modification notable, depuis cette entrée en force, des circonstances. D'autre part, pour ce qui est de la «nouvelle réadaptation» de l'article 8a de la LAI, il convient de constater qu'elle n'a rien de nouveau. Si l'ai en vient, aujourd'hui, à octroyer à un bénéficiaire de rente une mesure de «réadaptation nouvelle», c'est uniquement parce qu'elle porte aujourd'hui, sur le «potentiel de réadaptation» de son assuré, qui est toujours, aujourd'hui, ce qu'il était à l'époque, un autre regard que celui qu'elle portait à l'époque. En d'autres termes, l'instrument de la «nouvelle réadaptation» de l'article 8a LAI est là simplement pour permettre une révision du droit à la rente qui, autrement, ne serait, selon les principes généraux du droit administratif, pas possible. D'où un défaut de cohérence entre l'article 8a de la LAI et l'article 17 LPGA, un défaut de cohérence qui est évident, puisque le droit de l'assuré bénéficiaire d'une rente à des mesures de «nouvelle réadaptation» reviendra, quoique les circonstances du cas n'auront pas changé, à nier le droit de l'assuré au maintien d'une décision d'octroi de rente entrée en force. Il aurait pourtant été tout à fait intéressant que l'ai propose, aux assurés bénéficiaires de rentes, des mesures de réadaptation qu'elle ne leur avait pas proposées jusque là. Mais la condition de la mise, ensuite, en œuvre de telles mesures aurait dû, alors, être que l'assuré fût d'accord avec leur octroi. De plus, la condition de la réduction ou de la suppression, subséquente à ces mesures, de la rente de l assuré en question aurait dû être que les mesures de réadaptation nouvellement mises en œuvre eussent abouti, en fin de compte, à la réalisation d'un revenu excluant effectivement le droit à une rente, ou à une partie de rente, et non, comme c'est désormais le cas, à une réévaluation du degré d invalidité en fonction d un revenu d'invalide non pas réalisé mais bien plutôt extrapolé à partir de tel ou tel tableau dressé par l'office fédéral des statistiques. Une solution qui eût tant soit peu correspondu à ce qui précède aurait par ailleurs donné tout son sens à la «prestation transitoire» des articles 32 et 33 LAI nouveaux, des articles qui, dans le système de la «nouvelle réadaptation» tel qu'imaginé par le législateur, n'auront presque jamais l'occasion de s'appliquer. En somme, les deux instruments en lesquels consistent tant la «nouvelle réadaptation» que «la révision des rentes par le biais des dispositions finales» permettront aux offices AI, par le biais de deux critères indéterminés et abstraits «potentiel de réadaptation», d une part, et «syndrome sans pathogénèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique», d autre part de créer à volonté, des motifs artificiels de révision de rentes d ores et déjà octroyées, ce dans des cas dans lesquels ne sera intervenu strictement aucun changement dans la réalité des faits. 7 -