La protection juridictionnelle des libertés fondamentales : proposition de financement Par Frédéric Forgues, Avocat au Barreau de Paris INTRODUCTION Les libertés fondamentales s entendent de l'ensemble des droits subjectifs primordiaux de l'individu, assurés dans un Etat de droit, c'est- à- dire dans un système qui caractérise un régime démocratique. On distingue principalement les droits inhérents à la personne humaine (égalité, liberté, etc.) et ceux qui en découlent (droit de vote, égalité devant l emploi, etc.), les droits sociaux (protection de la santé, enseignement gratuit, etc.), et les droits dits «de troisième génération» énoncés dans la Charte de l environnement qui consacre la notion de développement durable. Sources. Les libertés fondamentales sont consacrées par des textes tant nationaux qu internationaux. Les sources nationales comprennent notamment la Déclaration des droits de l Homme et du citoyen («DDHC»), les Préambules des constitutions de 1946 et de 1958, ainsi que la Charte de l environnement. Les principales initiatives internationales sont constituées de la Déclaration universelle des droits de l Homme, de la Déclaration universelle des droits de l Enfant et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l Homme («CESDH»). La France est une nation dite «moniste» en ce sens qu elle fait prévaloir le droit international de façon immédiate en droit interne, dès la ratification d un traité ou d une convention. o Recours garantissant le respect des libertés fondamentales. Sous certaines conditions de fond et de forme, plusieurs voies de recours sont ouvertes aux justiciables qui estiment que des dispositions légales portent atteinte à leurs droits et libertés. On distingue essentiellement :
Ø le contrôle de constitutionnalité : il s agit d un examen a priori exercé par le Conseil constitutionnel qui vérifie la conformité à la Constitution des lois, des traités ou des engagements internationaux ; Ø le recours devant la Cour européenne des droits de l Homme : celle- ci, après épuisement des voies de recours internes, est compétente pour condamner un Etat membre qui violerait une disposition de la CESDH ; Ø la question prioritaire de constitutionnalité («QPC») : dans un litige en cours, une question peut être renvoyée devant le Conseil constitutionnel qui déclare conforme à la Constitution ou non une disposition législative ; Ø le recours en révision : en matière pénale, la cour de révision peut faire annuler une condamnation à la suite de la découverte d un fait nouveau. EXEMPLE DE RECOURS o Recours devant la CEDH : la liberté d expression des journalistes. Haldimann et autres c/. Suisse, Deuxième Section, 24 février 2015, requête n 21830/09 Tout récemment, la Cour européenne des droits de l Homme a considéré que la Suisse avait violé l article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l Homme sur la liberté d expression qui dispose : «toute personne a droit à la liberté d expression. Ce droit comprend la liberté d opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu il puisse y avoir ingérence d autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d autorisations.». L affaire concernait la condamnation de quatre journalistes pour avoir enregistré et diffusé l interview réalisée en caméra cachée d un courtier en assurance privée, dans le cadre d un reportage télévisé destiné à dénoncer les mauvais conseils délivrés par les courtiers en la matière.
Pour la première fois, la CEDH a alors été saisie d une requête concernant l utilisation de caméras cachées par des journalistes dans le but de sensibiliser le public à un sujet d intérêt général, la personne enregistrée n étant pas visée personnellement mais en tant que représentant d une catégorie professionnelle. La Cour a observé d emblée que le thème du reportage réalisé, à savoir la mauvaise qualité du conseil délivré par des courtiers en assurances privées (et par conséquent la protection du droit des consommateurs), concernait un débat qui était d un intérêt public très important. La Cour a ensuite constaté que, même si le courtier pouvait raisonnablement croire au caractère privé de l entretien, le reportage litigieux ne se focalisait pas sur sa personne mais sur certaines pratiques commerciales mises en œuvre au sein d une catégorie professionnelle. La Cour a également rappelé que la garantie de l article 10 de la CESDH offerte aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d intérêt général, était subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi sur la base de faits exacts et fournissent des informations «fiables et précises» dans le respect de la déontologie journalistique. La Cour note à cet égard que la véracité des faits présentés par les requérants n a jamais été contestée. En conséquence, la Cour a estimé que l ingérence dans la vie privée du courtier, qui a renoncé à s exprimer sur l entretien, n était pas disproportionnée par rapport à l intérêt du public à être informé des malfaçons alléguées en matière de courtage en assurances. Enfin, la Cour a jugé que, même si les peines pécuniaires infligées étaient relativement faibles, la sanction prononcée par le juge pénal pouvait avoir pour effet d'inciter la presse à s abstenir d exprimer des critiques et ce même si les requérants n ont pas été privés de la possibilité de diffuser leur reportage. o Recours en révision : annulation de la condamnation pour viol de l ancien maire de Vence
L'ancien maire de Vence, Christian Iacono, avait été condamné en 2009 pour viol sur son petit- fils qui était ensuite revenu sur ses accusations. Le 6 février 2014, quatorze ans après le début de son «calvaire», la cour de révision a annulé sa condamnation à 9 ans d emprisonnement pour le viol de son petit- fils qui s était depuis rétracté. Il sera rejugé à partir du 16 mars 2015 lors d un troisième procès devant la cour d assises du Rhône. La cour de révision a notamment retenu que l expert psychologique avait conclu à des troubles de la personnalité pouvant conduire à mentir, que Gabriel Iacono avait commencé à douter de la réalité des accusations qu il portait avant même le procès d assises de février 2011, et que la cour d assises n avait été informée ni des accusations d abus sexuels que Gabriel Iacono avait portées contre un camarade de classe, ni du non- lieu prononcé par le juge des enfants au motif que la réalité des accusations n était pas avérée. L ensemble de ces éléments nouveaux a conduit la cour de révision à annuler la condamnation de Christian Iacono, estimant crédible le fait que son petit- fils ait menti. Depuis 1945, seuls 10 condamnés ont été acquittés au terme d une procédure de révision, dont une seule fois, en 2011, dans une affaire de viol 1. o Référé- liberté : les carences de Pôle Emploi portent atteinte au droit à l emploi. TA Paris, 11 sept. 2012, n 1216080/9 Le tribunal administratif de Paris a décidé de faire droit à la requête présentée contre Pôle emploi par un demandeur d emploi qui n a eu, malgré des demandes formelles et répétées, que trois rendez- vous et une proposition de formation en trois ans, sans que jamais son projet d accès personnalisé à l emploi ne soit actualisé. Pour la première fois, une juridiction administrative, dans sa formation de référé, considère que les manquements de Pôle emploi aux dispositions de l article L. 5312-1 du Code du travail portent atteinte au droit d obtenir un emploi consacré par l alinéa 5 du 1 Loïc Sécher a été acquitté en 2011 à l'issue de son procès en révision, voyant définitivement annuler sa condamnation à 16 ans de réclusion pour viol.
Préambule de la Constitution de 1946, caractérisant par là même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale au sens de l article L. 521-2 du Code de justice administrative. Après avoir constaté que le requérant se trouvait dans une situation financière précaire relevant d une situation d urgence, le tribunal a ordonné une mesure de référé- liberté en enjoignant Pôle emploi d effectuer des entretiens et d assurer l accompagnement du demandeur d emploi dans ses recherches. SUGGESTIONS FINANCIERES Du point de vue juridictionnel, les avocats détiennent le monopole d exercice des activités de conseil juridique et de rédaction d actes sous seing privé. Toutefois, le ministère de l avocat n est pas toujours obligatoire. Les honoraires de l avocat sont à la charge du client, leur montant étant librement fixé par convention. Dans le cadre des procédures d urgence (garde à vue, comparution immédiate, etc.), un avocat, dont l intervention est réglée par l Etat, peut être affecté à un justiciable pour sa défense. Les personnes les plus modestes peuvent bénéficier de l aide juridictionnelle. En France, le nombre d avocat a augmenté de 42% en 10 ans. Au regard du travail qu un avocat doit fournir, tant en volume qu en temps ou en investissement intellectuel, et compte tenu d une fiscalité et des charges lourdes qu il doit supporter, il n apparait guère réaliste d exiger d un avocat sérieux qu il travaille pour moins de 150 H.T de l heure. L'on ne peut en outre connaître et défendre sérieusement un dossier sans y passer au moins une vingtaine d'heures. L'étiage des honoraires se situe donc à 3 000 HT. Leur montant peut atteindre 15 000 ou 20 000 s'agissant de recours plus complexes (CEDH, révision). Nous préconisons dès lors la solution suivante : tout justiciable non éligible à l aide juridictionnelle souhaitant faire valoir ou défendre judiciairement une liberté fondamentale pourrait remplir un dossier administratif à déposer, accompagné des pièces requises, auprès de la structure ad hoc chargée de dispenser l aide au justiciable. Celle- ci, qui pourrait être composée d un confrère, d un magistrat honoraire
et d un universitaire statuerait sur les mérites de la requête à déposer par ledit justiciable. En cas d avis favorable, elle adresserait au candidat une liste de confrères préalablement référencés par ses soins en fonction de la matière concernée (5, par exemple). L avocat choisi in fine par le requérant établirait alors un devis de ses diligences estimées. Ce confrère pourrait le cas échéant être co- désigné par le justiciable aux côtés de son conseil habituel (dont les émoluments resteraient toutefois à la charge exclusive du requérant). Une fois le devis avalisé par le bureau ad hoc, le conseil choisi pourrait alors agir de manière adéquate. Il serait envisageable qu il s adjoignît les compétences d étudiants volontaires participant au programme par l intermédiaire de leur université ou de leur école dans leur domaine de spécialité (droit, économie, médecine, sciences, etc.). Une enveloppe annuelle de 150 000 permettrait de traiter et de financer une vingtaine de cas.