Numéro du rôle : 4946. Arrêt n 65/2011 du 5 mai 2011 A R R E T



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Transcription:

Numéro du rôle : 4946 Arrêt n 65/2011 du 5 mai 2011 A R R E T En cause : la question préjudicielle concernant l article 15 de la loi du 1er mars 1958 relative au statut des officiers de carrière des forces terrestre, aérienne et navale et du service médical, ainsi que des officiers de réserve de toutes les forces armées et du service médical, posée par le Conseil d Etat. La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J. Spreutels et F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l arrêt suivant : * * *

2 I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n 203.944 du 18 mai 2010 en cause de Dirk Dobbelaere contre l Etat belge, dont l expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 juin 2010, le Conseil d Etat a posé la question préjudicielle suivante : «L article 15 de la loi du 1er mars 1958 relative au statut des officiers de carrière des forces terrestre, aérienne et navale et du service médical, ainsi que des officiers de réserve de toutes les forces armées et du service médical, tel qu il a été remplacé et modifié par l article 12 de la loi du 28 décembre 1990, par l article 12 de la loi du 20 mai 1994 et par l article 26 de la loi du 25 mai 2000, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec les articles 12, 23 et 182 de la Constitution, dans la mesure où cette disposition confère au ministre de la Défense nationale un pouvoir discrétionnaire pour refuser une demande de retrait temporaire d emploi pour convenances personnelles sur la base d exigences d encadrement et parce qu il n est pas satisfait aux conditions de rendement?». Des mémoires ont été introduits par : - Dirk Dobbelaere, faisant élection de domicile à 2970 Schilde, Wijnegemsteenweg 83-85; - le Conseil des ministres. Dirk Dobbelaere a également introduit un mémoire en réponse. A l audience publique du 26 janvier 2011 : - a comparu le colonel A. De Decker, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs E. De Groot et J. Spreutels ont fait rapport; - la partie précitée a été entendue; - l affaire a été mise en délibéré. Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l emploi des langues ont été appliquées. II. Les faits et la procédure antérieure Le 4 février 1998, Dirk Dobbelaere, officier de la force aérienne, a introduit une demande de démission du cadre des officiers de carrière, à partir du 1er septembre 1998 et, subsidiairement, une demande de retrait temporaire d emploi pour convenances personnelles pour une durée d un an à partir de la même date. Le 6 mai 1998, le ministre de la Défense nationale a refusé les deux demandes sur la base du fait que le requérant ne remplissait pas les conditions de rendement requises. Dirk Dobbelaere a introduit un recours en annulation de cette décision devant le Conseil d Etat, mais le recours a été déclaré irrecevable par l arrêt n 116.006 du 17 février 2003. En effet, par lettre du 3 septembre 1998, le ministre de la Défense nationale avait informé Dirk Dobbelaere qu il retirait la décision du 6 mai 1998 et qu il prenait une nouvelle décision de refus, motivée cette

3 fois non seulement sur la base du fait que le requérant ne remplissait pas les conditions de rendement, mais également sur la base du fait qu il y avait pénurie d officiers spécialisés en télécommunication au sein de la force aérienne. Le 20 octobre 1998, Dirk Dobbelaere a également introduit un recours en annulation de cette dernière décision devant le Conseil d Etat. Dans son cinquième moyen, il invoquait la violation, entre autres, des articles 10, 11, 12, 23 et 182 de la Constitution et des articles 15 et 21 de la loi du 1er mars 1958 relative au statut des officiers de carrière des forces terrestre, aérienne et navale et du service médical, ainsi que des officiers de réserve, de toutes les forces armées et du service médical. Selon Dirk Dobbelaere, les articles 15 et 21 de la loi du 1er mars 1958 sont à ce point imprécis qu ils sont incompatibles avec les articles 12, 23 et 182 de la Constitution. Il a demandé au Conseil d Etat de poser à la Cour une question préjudicielle à ce sujet. Le Conseil d Etat renvoie à l arrêt n 45/92 du 18 juin 1992, dans lequel la Cour a jugé non fondés les moyens pris de la violation des 10, 11 et 24 de la Constitution et dirigés contre l article 12 de la loi du 28 décembre 1990 modifiant certaines dispositions relatives aux statuts du personnel des forces armées et du service médical, qui avait remplacé l article 15 de la loi du 1er mars 1958. Le Conseil d Etat renvoie également à l arrêt n 39/2005 du 16 février 2005, dans lequel la Cour a estimé que l article 21 de la loi du 1er mars 1958 ne violait pas les articles 10 et 11, combinés ou non, avec les articles 12, 23 et 182, de la Constitution. Le Conseil d Etat constate que, dans l arrêt n 45/92, l article 15 de la loi du 1er mars 1958 a été contrôlé seulement au regard des articles 10, 11 et 24 de la Constitution. A la différence de l arrêt n 39/2005, qui portait sur l article 21 de la loi du 1er mars 1958, il n a pas été procédé, dans l arrêt n 45/92, à un contrôle au regard «des articles 10 et 11, combinés avec les articles 12, 23 et 182, de la Constitution». Le Conseil d Etat en déduit que la question relative à l article 15 de la loi du 1er mars 1958 que le requérant souhaite soumettre à la Cour n est pas identique aux moyens sur lesquels il a été statué dans l arrêt n 45/92. En outre, il est constaté qu ultérieurement à l arrêt n 45/92, l article 15 de la loi du 1er mars 1958 a été modifié par l article 12 de la loi du 20 mai 1994 et par l article 26 de la loi du 25 mai 2000. Pour ces motifs, le Conseil d Etat estime nécessaire de poser à la Cour la question préjudicielle mentionnée plus haut. III. En droit - A - A.1. Selon le Conseil des ministres, le législateur a, par l article 15 de la loi du 1er mars 1958, conféré au ministre de la Défense nationale un pouvoir discrétionnaire concernant l octroi ou non d un retrait temporaire d emploi pour convenances personnelles. Le pouvoir conféré n est toutefois pas illimité, puisque l exercice d un pouvoir discrétionnaire ne saurait entraîner une décision manifestement déraisonnable. Il ressortirait du texte de l article que lorsqu il juge d une demande de retrait temporaire d emploi, le ministre doit tenir compte de l intérêt du service. Dans l affaire soumise à la juridiction a quo, il s agissait d une décision de refus fondée sur deux motifs, à savoir qu il y avait trop peu d officiers spécialisés en télécommunication à la force aérienne et que le requérant ne remplissait pas les conditions de rendement. Chacun de ces deux éléments suffirait déjà en soi pour motiver une décision de refus. Selon le Conseil des ministres, le dernier motif est lié à une directive appliquée à l époque au sein du ministère de la Défense nationale pour juger des demandes de retrait temporaire d emploi. Selon cette directive, un officier de carrière qui avait bénéficié d une formation à l Ecole royale militaire aux frais de l armée devait en principe prester, à l issue de sa formation, un certain nombre d années de service avant de pouvoir obtenir un retrait temporaire d emploi. A.2. Le Conseil des ministres estime qu il ressort clairement de l arrêt de la Cour n 45/92 du 18 juin 1992 que la disposition en cause ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. A.3. En ce qui concerne les articles 12, 23 et 182 de la Constitution, le Conseil des ministres renvoie à plusieurs arrêts du Conseil d Etat, d où il ressortirait que, lorsque le ministre de la Défense nationale fait usage de son pouvoir discrétionnaire de manière légitime, il ne saurait y avoir de violation de la liberté individuelle, du

4 droit au libre choix d une activité professionnelle, de l interdiction du travail forcé et du droit des militaires à un règlement légal de leurs droits et obligations (arrêts n os 81.120, 81.351, 81.381, 81.491, 83.543, 83.680, 84.359 et 84.378). Le Conseil des ministres renvoie également aux arrêts n os 106/2002 et 3/2003, dans lesquels la Cour a estimé que l article 27 de la loi du 25 mai 2000 instaurant le régime volontaire de travail de la semaine de quatre jours et le régime du départ anticipé à mi-temps pour certains militaires et modifiant le statut des militaires en vue d instaurer le retrait temporaire d emploi par interruption de carrière, qui accorde au ministre de la Défense nationale, en matière d octroi d une interruption de carrière, un pouvoir identique au pouvoir que lui attribue la disposition en cause, n était pas contraire aux articles 10 et 11, combinés ou non avec les articles 12, 23 et 182, de la Constitution. A.4.1. Selon Dirk Dobbelaere, les motifs qui figurent formellement dans les décisions administratives ne sont pas toujours les motifs réels. Il estime que le Conseil d Etat ne tient pas suffisamment compte des motifs réels. La protection juridique étant déficiente, il serait absolument nécessaire que le législateur donne des directives concernant l obtention ou non d un retrait temporaire d emploi. En outre, cette matière serait connexe au régime des démissions, qui doit également être réglé par la loi. A.4.2. Dirk Dobbelaere souligne que la disposition en cause a été modifiée, avec effet rétroactif, par l article 26 de la loi du 25 mai 2000. Cette loi aurait constitué une partie d un plan de réforme visant à réduire le personnel de l armée. Précédemment, la réglementation relative au retrait temporaire d emploi était appliquée, selon Dirk Dobbelaere, pour maintenir des personnes dans le statut de militaire : le ministre refusait d accorder la démission, mais octroyait toutefois un retrait temporaire d emploi. La loi du 16 mars 2000 relative à la démission de certains militaires et à la résiliation de l engagement ou du rengagement de certains candidats militaires, à la fixation de la période de rendement et à la récupération par l Etat d une partie des frais consentis par l Etat pour la formation et d une partie des traitements perçus pendant la formation a donné aux militaires la possibilité de démissionner volontairement, même lorsqu ils ne remplissent pas les conditions de rendement, pour autant qu ils payent dans ce cas une certaine somme. Il constate que depuis cette loi, il ne semble plus y avoir de problèmes concernant l encadrement et concernant les conditions de rendement non remplies. Il lie ce fait à la réglementation relative à «la valeur de rachat». Il souligne que sa demande de démission a finalement été acceptée après l entrée en vigueur de la loi du 16 mars 2000. Il pense que le ministre a attendu cette entrée en vigueur pour pouvoir faire dépendre cette démission du paiement d une certaine somme. A.5. Dirk Dobbelaere critique la décision prise à son égard par le ministre de la Défense nationale en 1998, sur la base du fait que les conditions de rendement n étaient pas réglées par la loi. Il est vrai que ces conditions figuraient dans la loi du 20 mai 1994 relative aux statuts du personnel de la Défense, mais les dispositions en question n ont pas pu entrer en vigueur, par suite des arrêts de la Cour n os 81/95 et 23/96. Ce n est qu avec la loi du 16 mars 2000 qu une réglementation claire a été instaurée. Bien que la loi du 25 mai 2000 eût un effet rétroactif, ce n est pas le cas, selon Dirk Dobbelaere, de la loi du 16 mars 2000, ce que la Cour aurait confirmé dans son arrêt n 28/2002 du 30 janvier 2002. En renvoyant à une directive ministérielle, le Conseil des ministres reconnaît du reste lui-même que les conditions de rendement n avaient pas de fondement légal en 1998. A.6.1. Dirk Dobbelaere estime que sont en cause la liberté individuelle, le développement personnel et le droit de propriété, tels qu ils sont garantis, entre autres, par la Convention européenne des droits de l homme. Pour cette raison également, il appartiendrait au législateur, conformément à l article 182 de la Constitution, d élaborer une réglementation dans le domaine du retrait temporaire d emploi. L absence d une telle réglementation permettrait au ministre de la Défense nationale d élaborer lui-même une réglementation en matière de démission et de prendre des décisions ayant de lourdes conséquences pour le statut des militaires. Lorsque le ministre refuse une demande de retrait temporaire d emploi en raison du fait que les conditions de rendement ne sont pas remplies, il impose de facto le respect de ces conditions en matière de démission au militaire concerné. Dirk Dobbelaere renvoie à cet égard aux arrêts de la Cour n os 81/95 et 23/96. A.6.2. Il estime enfin que la jurisprudence contenue dans l arrêt n 39/2005, dans lequel il a été jugé que l article 21 de la loi du 1er mars 1958 était conforme à la Constitution, doit être revue et que les arrêts du Conseil d Etat auxquels le Conseil des ministres fait référence ne comportent qu une appréciation superficielle, puisqu ils ont été pris dans le cadre du référé administratif.

5 - B - B.1. Au moment où la décision attaquée devant la juridiction a quo a été prise, l article 15 de la loi du 1er mars 1958 relative au statut des officiers de carrière des forces terrestre, aérienne et navale et du service médical, ainsi que des officiers de réserve, de toutes les forces armées et du service médical (tel qu il a été modifié par l article 12 de la loi du 28 décembre 1990, par l article 12 de la loi du 20 mai 1994 et - avec effet rétroactif - par l article 26 de la loi du 25 mai 2000) disposait : «Les officiers qui le demandent peuvent être retirés temporairement de leur emploi par le Ministre de la Défense nationale pour convenances personnelles. Tout retrait temporaire d emploi ou toute prolongation est sollicité pour une durée de trois, six, neuf ou douze mois. Sauf pour motifs exceptionnels à apprécier par le Ministre de la Défense nationale, la durée de tous les retraits temporaires d emploi sur propre demande ne peut dépasser au total douze mois au cours de la carrière de l officier. En cas de mobilisation ou en période de guerre, les officiers ne peuvent pas obtenir un retrait temporaire d emploi à leur demande. Il en est de même pour les officiers qui en période de paix se trouvent dans la sous-position en engagement opérationnel ou sont mis sur préavis en vue de cet engagement. Les retraits temporaires d emploi accordés à la demande prennent automatiquement fin, sans préavis, en période de guerre ou en cas de mobilisation. En période de paix, les retraits temporaires d emploi accordés à la demande peuvent, dans des cas exceptionnels et pour autant que le besoin en personnel ne puisse être rencontré d aucune autre manière, être retirés en cas d engagement opérationnel ou de mise sur préavis en vue de cet engagement». B.2. La juridiction a quo demande si la disposition en cause est compatible avec les articles 10 et 11, combinés ou non avec les articles 12, 23 et 182, de la Constitution en ce qu elle confère au ministre de la Défense nationale le pouvoir discrétionnaire de refuser une demande de retrait temporaire d emploi pour convenances personnelles sur la base d exigence d encadrement et parce qu il n est pas satisfait aux conditions de rendement. Il ressort des faits et de la motivation de l arrêt de renvoi qu il est plus précisément demandé à la Cour si le pouvoir conféré au ministre de la Défense nationale est compatible avec les articles de la Constitution mentionnés dans la question, en ce que ceux-ci réservent au législateur le

6 pouvoir de déterminer le statut des militaires et de limiter la liberté individuelle, en particulier du libre choix d une activité professionnelle. B.3. L article 182 de la Constitution dispose : «Le mode de recrutement de l armée est déterminé par la loi. Elle règle également l avancement, les droits et les obligations des militaires.» La détermination de la manière dont et des conditions dans lesquelles un militaire peut être retiré temporairement de son emploi relève de la réglementation des droits et obligations des militaires. B.4.1. En attribuant au pouvoir législatif la compétence de régler les droits et obligations des militaires, le Constituant a voulu éviter que le pouvoir exécutif règle seul la force armée. L article 182 de la Constitution garantit ainsi que cette matière fera l objet de décisions prises par une assemblée délibérante démocratiquement élue. Bien que l article 182 de la Constitution réserve ainsi, en cette matière, la compétence normative au législateur fédéral - qui doit en régler les éléments essentiels -, il n exclut pas qu un pouvoir d exécution limité soit laissé au pouvoir exécutif fédéral. Une telle délégation n est pas contraire au principe de légalité pour autant que l habilitation soit définie de manière suffisamment précise et porte sur l exécution de mesures dont les éléments essentiels sont fixés préalablement par le législateur. B.4.2. Selon la disposition en cause, le ministre de la Défense nationale peut, sauf dans un certain nombre de situations particulières (mobilisation, guerre, sous-position d engagement opérationnel ou mise sur préavis en vue de cet engagement), retirer temporairement de leur emploi les officiers qui le demandent pour convenances personnelles. Il convient d examiner si cette habilitation demeure dans les limites indiquées en B.4.1.

7 B.5. La disposition en cause ne confère pas de compétence réglementaire au ministre de la Défense nationale mais lui attribue un pouvoir discrétionnaire, en fonction duquel il doit rechercher un équilibre entre l intérêt de l armée et celui du militaire concerné. Cette attribution par la loi d un pouvoir de décision individuel à un ministre n équivaut pas à une délégation de la compétence réglementaire. L article 182 de la Constitution ne s oppose pas à ce que soit attribué à un ministre un pouvoir de décision lui permettant d examiner chaque demande de retrait temporaire d emploi et d apprécier celle-ci par rapport aux besoins de l armée, entre autres en matière d encadrement, qui peuvent évoluer en fonction des circonstances et qui, dans certaines de celles-ci, peuvent justifier que soient prises des décisions dictées également par la volonté de «rentabiliser» pendant une certaine période la formation offerte aux militaires aux frais de l Etat. B.6. Bien qu une telle attribution de compétence au ministre implique un large pouvoir d appréciation, elle n est pas incompatible avec les articles 10 et 11, combinés avec l article 182, de la Constitution, puisque la disposition en cause, lue dans son ensemble, indique de manière suffisamment claire qu en prenant sa décision, le ministre doit avoir en vue le bon fonctionnement des forces armées et motiver sa décision en tenant compte de l intérêt du service. Il ne saurait davantage être déduit de la disposition en cause que le législateur aurait autorisé le ministre à méconnaître le principe d égalité et de nondiscrimination. Le juge compétent peut apprécier, dans chaque cas particulier, si le ministre fait de la compétence qui lui a été attribuée un usage conforme à la loi, de sorte que les intéressés bénéficient d une protection juridique adéquate. B.7. Le contrôle au regard des articles 10 et 11, lus en combinaison avec les articles 12 et 23, de la Constitution, n aboutit pas à une autre conclusion en ce qui concerne le respect du principe de légalité. B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

8 Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L article 15 de la loi du 1er mars 1958 relative au statut des officiers de carrière des forces terrestre, aérienne et navale et du service médical, ainsi que des officiers de réserve de toutes les forces armées et du service médical, tel qu il a été modifié par les lois des 28 décembre 1990, 20 mai 1994 et 25 mai 2000, ne viole pas les articles 10 et 11, lus ou non en combinaison avec les articles 12, 23 et 182, de la Constitution. Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l audience publique du 5 mai 2011. Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux M. Bossuyt