le drone : le laboratoire volant de demain L AutEuR patrice Huver Expert, naudet DB&a la France a promulgué en 2012 deux arrêtés pour encadrer la conception et l utilisation des drones, petits aéronefs qui connaissent un fort développement industriel en assurant diverses missions. Des applications pour l expertise peuvent se développer, tant les avantages sont nombreux. Le concept du drone remonte à la Première Guerre Mondiale. Alors que les États- Unis s attachent au développement du projet Hewitt-Sperry Automatic Airplane, George Clémenceau, président de la Commission sénatoriale de l Armée, lance le projet «Avions sans pilote» et le capitaine Max Boucher réussit à faire voler sur plus de cent kilomètres un avion Voisin BN3 avec un système de pilotage automatique. Dès 1920, des avions radiocommandés sont testés pour larguer des torpilles aériennes télécommandées par des ondes de télégraphie sans fil. C est donc sous l impulsion des militaires que les drones ont trouvé leurs premières applications. Initialement cantonnés aux tâches 3D «Dirty, Dull, Dangerous» (sales, monotones, dangereuses), ils ont rapidement conquis les domaines civil, professionnel ou ludique. Constitués d une plateforme (structure, motorisation, système de guidage ) et d une charge utile, les drones-hélicoptères, équipés de 4, 6 ou 8 rotors, connaissent aujourd hui un fort développement industriel en assurant des missions de plus en plus variées. Il en sera certainement de même pour les applications expertales, tant les avantages présentés par cette solution technique sont nombreux. Plus on prend de la hauteur et plus on voit loin. Proverbe chinois la réglementation encadre précisément l utilisation Des Drones en france La France fait figure de précurseur en Europe et dans le monde en ayant promulgué deux arrêtés le 11 avril 2012 relatifs à la conception des drones civils, aux conditions de leur emploi, aux capacités requises des opérateurs qui les emploient et à l utilisation de l espace aérien associé. C est, de plus, le seul pays à avoir formellement autorisé de manière «routinière» le vol à longue distance et hors de la vue du pilote (scénario S4). Cette réglementation fait l objet d une période d observation de 18 mois, elle est susceptible d évoluer fin 2013 début 2014. 14 pays européens ont depuis adopté une réglementation. Et la feuille de route européenne sur l instauration commune d une réglementation des drones civils a été officiellement transmise en juin 2013 à la Commission Européenne par le groupe de pilotage RPAS (Remotely Piloted Aircraft Systems) européen. Cependant, cette feuille de route prévoit un plan glissant qui s échelonnera sur 15 ans alors que, dans le même temps, le Congrès américain a imposé que l espace aérien américain soit ouvert d ici à octobre 2015 aux drones. Concrètement, d ici à cinq ans, plus de 10 000 petits drones devront sillonner le ciel américain alors qu ils seront dix fois moins en Europe (source : FAA, Eurocontrol). Sans réaction, l Europe risque donc de laisser filer la croissance annoncée exponentielle de ce marché pour lequel les États-Unis investissent près de 5 milliards de dollars par an. 4 n 93 1 er trimestre 2014
Drone RC X8. Avec l aimable autorisation de Drone RC et Novadem Les points essentiels de la réglementation française sont aujourd hui les suivants : les constructeurs doivent obtenir de la Direction générale de l aviation civile (DGAC) une attestation de conception de type, qui précise notamment la catégorie de l aéronef (de A à G voir tableau ci-dessous), la nature de l activité envisagée et le scénario de mission (S1 à S4) ; les opérateurs doivent figurer sur une liste établie par la DGAC qui mentionne notamment la nature de l activité, le scénario de mission (S1 à S4), le constructeur et le modèle d aéronef utilisé ; les télépilotes doivent avoir obtenu une certification officielle (formation théorique) et disposer d une DNC (déclaration de niveau de compétence) ; les autorisations de vol passent par le dépôt préa lable du Manuel d activité particulière (MAP) auprès de la Direction de la sécurité de l aviation civile. Les drones sont classifiés en six catégories distinctes selon leur masse au décollage et leur puissance. Les deux premières catégories (A et B) sont exclusivement dédiées aux loisirs et à la compétition et les catégories C à F aux travaux aériens. Synthétiquement : les catégories A et B ne sont pas autorisées pour un travail aérien ; les catégories C, D et éventuellement E regroupent les aéronefs utilisables pour la photo ou vidéo aérienne ; les catégories F et G regroupent principalement des drones à usage scientifique, civil ou militaire. La DGAC a également décrit et segmenté quatre scénarii de vols (voir tableau page suivante). Catégorie A B C D E F G Dans tous les scénarii de vols, il est exigé avant toute opération : l obtention d une licence de pilote (partie théorique seulement) : pilote privé (PPL), pilote planeur ou ULM ; le dépôt et la mise à jour d un manuel d activité particulière (MAP); une déclaration de niveau de compétence du télépilote établie par l exploitant ; une déclaration de conformité de l aéronef (dans le cas d un appareil de série, cette déclaration peut être fournie par le constructeur) ; la démonstration du bon fonctionnement de tous les éléments de sécurité exigés en fonction du scénario de vol prévu (voir paragraphes suivants) ; la déclaration d activité de prise de vue aérienne selon le formulaire Cerfa 12546/01 ; Classification des drones Définition Aéromodèles de loisir ou de compétition de moins de 25 kg, propulsés par un moteur de puissance limité (exemple 15 kw pour un moteur électrique) ou captifs. Aéromodèles de loisir ou de compétition de plus de 25 kg ou qui ne respectent pas les critères de propulsion. Aéronefs captifs de moins de 25 kg qui sont utilisés pour un travail aérien (photo, vidéo, thermographie, observations, relevés etc.). Aéronefs utilisés pour un travail aérien d une masse au décollage inférieure à 2 kg (structure + charge). Aéronefs qui n appartiennent pas aux classes C et D, d une masse inférieure à 25 kg. Aéronefs d une masse inférieure à 150 kg. Aéronefs d une masse supérieure à 150 kg. n 93 1 er trimestre 2014 5
Scénario S1 S2 S3 S4 Scénarii des vols Vol autorisé Vol en vue directe du télépilote, hors zone peuplée, à une distance horizontale inférieure de 100 m du télépilote. Vol hors zone peuplée, à une distance horizontale maximale de rayon 1 km du télépilote et de hauteur inférieure à 50 m au-dessus du sol ou des obstacles artificiels, sans aucune personne au sol dans la zone d évolution. Vol en vue directe du télépilote, en agglomération ou à proximité d un rassemblement de personnes ou d animaux, à une distance horizontale maximale de 100 m du télépilote. Activité particulière (relevés, photographies, observations et surveillances aériennes) hors vue directe, hors zone peuplée et ne répondant pas aux critères du scénario S2. théorique (PPL, planeur, FCL, ULM, etc.) et de la déclaration de niveau de compétence (DNC) ad hoc, du MAP et de la déclaration de conformité de l exploitant à déposer auprès de la Direction de la sécurité de l aviation civile, à condition bien sûr d avoir préalablement obtenu auprès de la préfecture une autorisation pour l opération. Enfin, les articles 3.10.4.a et c interdisent que le drone évolue à moins de 30 mètres horizontalement de personnes autres que le pilote et l opérateur de la charge utile (le cadreur par exemple), sauf si l opérateur a défini une procédure en cas d incident, en a informé préalablement les personnes concernées, et a fait signer à chacune d elle une attestation stipulant qu elle a été informée. la demande d autorisation de vol au préalable en préfecture (tous les opérateurs en S3) ou à la DGAC (drone en S2 ou S4). Ainsi, même si vous maîtrisez à la perfection la commande de votre drone-jouet acheté à Noël dernier, n imaginez pas que vous pourrez utiliser librement à des fins professionnelles votre équipement, au risque d enfreindre la législation en vigueur. À titre d illustration, imaginons que vous souhaitiez réaliser des images d un silo endommagé en sa partie supérieure au cours de la prochaine réunion d expertise contradictoire que vous organisez. Il convient avant tout de rappeler que la fonction de votre drone, équipé d une caméra ou d un appareil photo, est ici de réaliser des «activités particulières» au sens de l article 3 de l arrêté du 11 avril 2012, autrement dit des relevés et des images. Supposons que le drone, pressenti pour réaliser le reportage photo, pèse moins de 2 kg, tout équipé, il entre dans la catégorie «aéronef télépiloté» de «catégorie D» (article 4). Il convient alors de se reporter à l annexe II de l arrêté qui définit les exigences applicables aux aéronefs télépilotés utilisés lors des activités particulières et aux personnes qui les mettent en œuvre, que ces activités particulières aient lieu dans le cadre d une transaction commerciale ou non. Dans la mesure où la prise de vue est réalisée au contradictoire et rassemble une dizaine de personnes à proximité du silo, le scénario S3 (Annexe II, 1.3) est à retenir, et fort heureusement, le scénario S3 et la catégorie D sont compatibles (Annexe II, 1.4.1)! Avant de décoller, il ne vous suffira donc plus que de vérifier que vous disposez bien du certificat d aptitude Des applications toujours plus nombreuses EDF-ENR, filiale d EDF, a complété ses moyens de supervision et de maintenance des toitures solaires avec des drones équipés d une caméra thermique. Ceux-ci sont utilisés pour détecter d éventuelles anomalies par thermographie aérienne, et plus particulièrement les points chauds. L analyse immédiate des images permet de déclencher, si nécessaire, des opérations de maintenance ciblées et rapide. En Guadeloupe, EDF effectue la maintenance préventive du réseau électrique insulaire (210 km de lignes haute tension à 63 kv), jusqu alors réalisée par l ascension des pylônes par des opérateurs, avec des drones radiocommandés. Ces derniers ont permis de réduire à quelques minutes une opération exigeant en moyenne une demi-heure par pylône, sans interruption du transport d électricité. Plusieurs sociétés de service proposent une inspection visuelle des pales de rotor d éolienne à l aide de drone hélicoptère, chaque dommage étant localisé et notifié dans un dossier d inspection. De même, l inspection régulière du Viaduc de Millau est aujourd hui assurée par un drone permettant de gagner en sécurité et en efficacité en remplaçant l utilisation de cordiste pour ce type de mission à plus de 250 m du sol. La durée de l inspection est ici divisée par quatre et gagne en qualité d expertise : 4 000 photos géo-référencées par pile du viaduc garantissent une cartographie précise des éventuelles pathologies de l ouvrage, une ouverture de fissure de 0,1 mm pouvant être détectée. 6 n 93 1 er trimestre 2014
Un drone fabriqué par une société française a été utilisé au printemps 2011 pour mesurer la radioactivité et prendre des images vidéo au-des sus de la centrale nucléaire de Fukushima après la catastrophe bien connue. Des projets toujours plus ambitieux Des chercheurs de l Université d Oklahoma travaillent à la mise au point d un drone à même d étudier les tornades frappant le pays entre sept cents et mille deux cents fois par an. En évoluant au cœur même des vents violents, il devra mesurer l humidité, la température, la vitesse du vent et sa direction, à l aide de capteurs et de sondes. L objectif du projet est d analyser le chemin que va parcourir la tempête et donc d évacuer au plus vite les populations menacées. Sa finalisation est prévue pour 2015. Inspection d un barrage : drone U130 Novadem. Avec l aimable autorisation de Drone RC et Novadem Et l assurance? Comme toute technique nouvelle, les drones sont générateurs de risques nouveaux. Outre les risques de dommages à l engin lui-même (dont l enjeu reste limité), il s agit essentiellement de risques de dommages causés à des tiers et pouvant engager la responsabilité de l expert. Ces risques sont principalement de deux types : les dommages matériels (et éventuellement immatériels consécutifs) causés directement par l engin lors des opérations de recueil de données (fausse manœuvre, mauvaise appréhension des conditions météorologiques ) ; les erreurs dans le recueil des données susceptibles d entraîner des conclusions erronées, elles-mêmes génératrices d éventuels préjudices immatériels. Le premier de ces risques relève de la garantie «RC Exploitation» alors que le second relève de la garantie «RC Professionnelle». Or les contrats RC contiennent traditionnellement, au titre de ces deux garanties, une exclusion de tous dommages causés par les appareils de navigation aérienne, catégorie dont relèvent sans conteste les drones, sauf dérogation particulière au contrat. L expert voulant utiliser personnellement cette nouvelle technologie devra donc prendre soin de contrôler les garanties de son contrat RC. Si nécessaire, il lui faudra obtenir de son assureur une dérogation visant à ne pas inclure les drones dans le périmètre de l exclusion des appareils de navigation aérienne. S il fait appel à un prestataire indépendant, peut-il se contenter de vérifier que ce prestataire est correctement assuré en exigeant de sa part une attestation d assurance (et en vérifiant les garanties souscrites )? Si pour le risque «Exploitation», la responsabilité incombe a priori au prestataire, gardien du drone, il n en reste pas moins que l opérateur, agissant sur directives de l expert, pourra toujours chercher à faire supporter à celui-ci une part de responsabilité. Par ailleurs, concernant la responsabilité du fait des données recueillies, celle-ci incombera beaucoup plus probablement à l expert. Mieux vaut donc (s ) assurer. n 93 1 er trimestre 2014 7
La société Novadem, basée à Aix en Provence, conçoit et réalise des drones spécialisés en s appuyant sur sa maîtrise de l ensemble des composants y compris l électronique de ses systèmes. Elle a expérimenté l utilisation de son drone U130 pour les applications d inspection et de sûreté nucléaire. Pour Pascal Zunino, président de Novadem, ce développement a permis de démontrer l efficacité du drone U130, équipé pour la circonstance d un radiamètre, à évoluer dans des milieux confinés et difficiles d accès. Une autre société française, spécialisée dans les contrôles non destructifs, développe un drone hélicoptère capable de réaliser des mesures par ultrason en vol. Le drone est équipé d une perche en fibre de carbone, à l extrémité de laquelle est fixée le capteur ultrason, articulée et équipée d aimants, pour garantir la stabilité de la tête pendant la prise de mesure. À l arrière de la perche est situé le système d injection de fluide couplant constitué d une seringue pressurisée commandée par logiciel, qui envoie le fluide vers la tête de mesure. L ensemble des mesures est transmis en temps réel vers la station de pilotage. Outre la prouesse de réaliser des mesures en vol fiables et répétitives, le second challenge de ce projet réside dans la réalisation d un équipement embarqué miniaturisé, puisque sa masse totale ne dépasse pas 0,5 kg. L utilisation d un drone dans un contexte d expertise présente en effet de nombreux avantages parmi lesquels : permettre une vue générale d un sinistre étendu (incendie, explosion, inondation ) peu de temps après sa survenance et une première vision des dommages ; allier rapidité d exécution et coût attractif. L analyse fine d un ouvrage d art ou d une éolienne ne demande que quelques heures avec un drone, sans aucune infrastructure, comparé à une durée qui se compte habituellement en jours avec la contrainte supplémentaire (tant en coût qu en Le drone : futur laboratoire volant de l expert Les applications pour l expertise sont nombreuses et présentent un intérêt certain : photographies aérienne haute résolution et macro, images visibles et infrarouges ; cartographie 3D géoréférencée ; mesures d hygrométrie, de température, de radioactivité ; analyseur de gaz et/ou polluant prise de prélèvement en hauteur (poussière, dépôt) ; scanning laser ; mesures d épaisseur. Pour Florent Marondon, président de Drone RC : «L inspection, le contrôle et l expertise par drone sont aujourd hui à leur stade embryonnaire, mais chaque jour, de nouvelles applications viennent renforcer une offre de plus en plus attractive». Avec l aimable autorisation de Drone RC et Novadem 8 n 93 1 er trimestre 2014
délai) d une mise en œuvre d échafaudages, de nacelles voire d hélicoptère ; de plus, dans le cas d une expertise contradictoire, la durée de ces examens se révèle proportionnelle au nombre de parties, chacune d elles souhaitant légitimement établir ses propres observations. Avec le drone, chaque partie reçoit les mêmes données aux mêmes moments grâce au retour au sol de l image qui se fait instantanément par liaison HF sur un écran LCD. L information temps réel partagée permet de respecter scrupuleusement les règles du contradictoire et d épuiser rapidement le débat technique portant sur les constats ; proposer une précision en adéquation avec les opérations d expertise. Équipés d un appareil photo numérique réflex professionnel, les drones offrent une image de résolution submillimétrique ; analyser les lieux à risques (possibilité d effondrement, concentration en gaz toxique, radioactivité ), sales ou difficiles d accès, immédiatement après le sinistre tout en laissant l opérateur et les parties en zone sécurisée ; de nombreuses sociétés spécialisées se sont développées sur le territoire national. Elles offrent des prestations complètes comprenant la location du drone avec son téléopérateur, prennent en charge tout l aspect réglementaire pour un coût journalier compris entre 1500 et 2500 (mise à disposition de matériel, d un télé-pilote et si besoin d un cadreur). Bien sûr, tout n est pas encore possible avec cette solution. Les drones industriels ne sont pas Atex (anti-explosion) et exigent des conditions météorologiques favorables (vent inférieur à 30 km/h, pas de forte pluie, visibilité correcte) quand ils sont amenés à évoluer en extérieur, même si les projets R&D en cours repoussent chaque jour ces limites. Il est donc fort probable que dans les mois qui viennent, chacun d entre nous soit spectateur (et pourquoi pas acteur!) du spectacle scientifique et technique offert par les drones au cours d une réunion d expertise. En conclusion, les drones sont d un intérêt certain pour l expertise, ils permettent soit une vision nouvelle des sinistres, soit des économies dans les investigations ou les réparations. Les offres des professionnels sont grandissantes et permettent une optimisation des coûts et des moyens à des prix maîtrisés. Toutefois, la réglementation est relativement stricte, et le recours à un professionnel semble devoir être recommandé pour garantir le bon respect des lois, et l absence de toute mise en danger d autrui. l Contrôle d un réacteur nucléaire : drone U130 Novadem. n 93 1 er trimestre 2014 9