PELAYO P., U.F.R.-E.P.S., Université de Lille II BALLESTER L., GUERRIN F., Laboratoire de Médecine et Ergonomie Expérimentales, Service d Explorations Fonctionnelles Respiratoires - CHU de Lille. TEST PROGRESSIF DE NAGE ET EQUILIBRE ACIDO-BASIQUE DANS LE SUIVI DE L'ENTRAINEMENT CHEZ LE NAGEUR DE COMPETITION INTRODUCTION Le suivi et le contrôle de l'entraînement en natation reposent essentiellement pour l'entraîneur sur des repères chronométriques. La détermination de la lactacidémie et de l'équilibre acido-basique semble donner pour de nombreux auteurs une réponse intéressante quant à l'estimation de la forme réelle du nageur, mais la lactacidémie d'effort maximale seule ne permet pas une telle évaluation. La courbe lactacidémie-vitesse, en raison de la détermination de la lactacidémie à différentes vitesses, semble refléter plus globalement l'état de forme du nageur. La difficulté à établir cette courbe représentative et à en suivre son évolution au cours de la saison sportive nous a incités à rechercher avec la collaboration des nageurs de la section compétition du Lille Université Club, et à proposer un test simple, facile à utiliser, motivant pour le nageur et ne perturbant que très peu l'organisation de l'entraînement. 1 - SUJETS Dix nageurs ont été explorés durant la saison sportive hivernale 1984-1985. Cinq garçons (âge moyen 19 ans 1 mois + ou - 2 ans 4 mois) et cinq filles (âge moyen 17 ans + ou - 2 ans 10 mois) pratiquant la natation à un niveau interrégional, national et international pour deux d'entre eux, et s'entraînant en moyenne 7 + ou - 2 séances par semaine, ont été explorés. Deux d'entre eux ont participé aux Championnats du Monde universitaires (1985 - KOBE, JAPON) avec l'équipe de France de relais 4 x 100 m. NL (5ème en finale), les autres se situaient entre la 1ère et la 30ème place au niveau national et la 1ère et la sème place au niveau régional de leur catégorie d'âge respective. Outre l'entraînement en piscine, ils ont bénéficié d'une pratique physique complémentaire destinée à un renforcement musculaire général, à l'amélioration des coordinations motrices, au développement des capacités aérobies et à l'amélioration de la souplesse.
2 - TESTS EN PISCINE Le test en piscine a consisté à proposer une épreuve de nage dans la spécialité du nageur à 3 niveaux d'effort, estimés à 80, 90 et 100 pour 100 des possibilités du sujet. Après un échauffement standard de 800 m., il s'agissait de nager 3 séries de 4 x 50 m. avec 10 secondes de récupération entre chaque 50 m., chaque série étant séparée de la suivante par 6 minutes de récupération passive (position assise). La première série était nagée à une vitesse imposée correspondant à 90 pour 100 de la vitesse réalisée en compétition; la seconde à une vitesse de compétition et la 3ème série au maximum des possibilités du nageur. Cinq prélèvements capillaires profonds ont été réalisés à la pulpe du doigt (300 µl) au repos puis 3 minutes après l'arrêt de chacun des trois 200 m. et 12 minutes après le dernier exercice. Ces temps furent déterminés au cours d'études précédentes (PELAYO, BALLESTER, DELERUE, 1985) qui ont montré une lactacidémie maximale de la 3ème à la sème minute de récupération et, en ce qui concerne le dernier prélèvement, une lactacidémie abaissée reflétant l'aptitude du sujet à cataboliser et à compenser son acidose métabolique après l'effort, ce qui est un reflet de l'état du nageur, et de son niveau d'entraînement. 3 - EXAMENS BIOLOGIQUES Les ph, PcO 2 et PcCO 2 ont été déterminés sur chaque échantillon sanguin à l'aide d'un analyseur de gaz du sang (Corning 178, Blood Gases Analyser). La lactacidémie a été mesurée par la technique de NOLL (Coffret LactatesBoehringer). 4 - EXAMENS AU LABORATOIRE Au cours de la saison, poids et taille ont été contrôlés périodiquement ainsi que capacité vitale et VEMS par spirométrie et courbes débitvolume. 5 - PROTOCOLE EXPERIMENTAL Le choix des dates des tests a été dicté par l'organigramme des compétitions sportives de la saison hivernale 1984-1985 (tableau 1) et le planning annuel d'entraînement choisi par les entraîneurs. RESULTATS Le tableau II nous donne des indications sur le profil des dix nageurs choisis (sexe, âge, spécialité, données anthropométriques et respiratoires). Les résultats biologiques (tableau III) consécutifs à un effort correspondant à la vitesse maximale réalisée au cours des différents tests mettent en évidence la grande variabilité interindividuelle. Celle-ci mise en évidence dans les études antérieures (PELAYO,
BALLESTER et DELERUE, 1975) est en effet inhérente à chaque nageur en fonction du sexe, de l'âge, du niveau de pratique et du degré d'entraînement. Pour chaque nageur ont été tracées les courbes représentatives de la variation de la lactacidémie en fonction de la vitesse de nage. L'interprétation et l'analyse cas par cas s'imposent pour les mêmes raisons que précédemment. A titre d'exemple, trois cas représentatifs de l'évolutivité de l'ensemble sont ici présentés. CAR...C. (tableau IV) est un nageur de 22 ans, confirmé, au sortir d'une longue carrière nationale et internationale. L'objectif principal de sa saison avait été fixé vers une sélection aux Championnats Universitaires en mai. Ce nageur, étudiant, a préparé sa session d'examen de février et s'entraînait de façon irrégulière et lactique jusqu'au mois de mars. Le déplacement de la courbe lactacidémie-vitesse vers le haut et la gauche témoigne de ce manque d'entraînement (figure 1). Si le travail anaérobie lui a permis de maintenir son niveau de performance, la récupération est moins bonne en raison d'un entraînement aérobie insuffisant. Fig. 1 : CAR... C (-- test du 11-12-1984) (- - - test du 19.03.1985)
Après le 2ème test, CAR...C. a repris un entraînement à dominante aérobie avant de s affûter pour les épreuves de sélection universitaire début juin. Il a fait brillamment partie du relais 4 x 100 m. NL français terminant à la 5ème place des Championnats du monde universitaires à KOBE (Japon) en septembre 1985. L'entraîneur du jeune MAC... B. avait axé sa saison sur un travail de demi-fond et fond. Durant la saison d'hiver 1984-1985, il a parcouru un kilométrage important, en utilisant un mode de travail de type aérobie (tableau V). Le déplacement de la courbe lactacidémievitesse vers le bas et la droite traduit l'importance du travail foncier accompli. La non-progression de la courbe lactacidémie-vitesse vers le haut témoigne du choix délibéré par l'entraîneur vers un entraînement de type aérobie aux dépens d'un entraînement de type anaérobie, tout en bénéficiant d'une progression chronométrique motivante. Au décours d'une période d'affûtage de courte durée, il pulvérisa ses records personnels aux championnats nationaux (fin mars 1985) (fig. 2). Fig. 2 : MAC-.. B (-- test du 1 1.12.1984) (- - - test du 19.03.1985)
La jeune GOR... K. (13 ans) avait abordé l'entraînement de compétition durant la saison précédente. A raison de 4 à 5 entraînements par semaine, elle parcourait en moyenne 17 kilomètres par semaine, en effectuant un travail à prédominance aérobie (tableau VI). La courbe lactacidémie-vitesse se déplace vers la droite et le haut et témoigne d'une progression sensible dans tous les domaines. Fig. 3 GOR... K (-- test du 18.12.1984) (- - - test du 20.03.1985)
DISCUSSION Ce test progressif de nage a été mis au point avec la collaboration des nageurs et entraîneurs du Lille Université Club, se rapprochant dans sa phase finale d'un effort réel d'un 200 m. en compétition sans en présenter le stress comparable à celui de la distance complète de compétition. Il fut bien accepté par les nageurs car les temps réalisés sur ce type d'épreuve «cassée» furent meilleurs que ceux réalisés au cours de réunions officielles. Il apporte un esprit d'émulation entre les nageurs, leur permettant de s'auto-évaluer, tout en donnant à l'entraîneur une base chronométrique fidèle des possibilités physiques du nageur à cet instant. Les nageurs et entraîneurs se sont servis des résultats de ces tests pour construire une stratégie d'allure de course sur 200 m. en compétition. Les lactacidémies obtenues après ces tests semblent bien être le reflet fidèle des efforts fournis par le nageur. De plus, les valeurs des pics lactiques plasmatiques à ce test sont comparables à celles obtenues après des efforts en compétition de ces mêmes nageurs. Il semble évident que seuls les résultats intra-individuels doivent être comparés, superposés ou discutés pour chaque cas, ce qui exclut les discussions inter-individuelles en raison de leur grande variabilité et du petit nombre de nos observations. Dans cette discussion intra-individuelle, les variations des courbes lactacidémiesvitesse semblent être en relation d'une part avec l'état de forme présent du nageur et, d'autre part, avec le type d'entraînement séparant les deux tests. Toutefois, en raison de sa nature, ce test implique la parfaite coopération du nageur, l'intégration de l'environnement médical qui est nécessaire à ce contrôle, et la programmation de ce test dans le plan d'entraînement du nageur. Pour une analyse comparative plus aisée des courbes lactacidémie-vitesse, il semble nécessaire d'imposer l'allure pour les deux premières séries grâce à un «lièvre». Quoi qu'il en soit, en dépit des variabilités interindividuelles, et de non respect d'allure, les résultats de ces tests montrent une bonne reproductibilité, ce qui pourrait permettre une étude longitudinale tout au long de la carrière du nageur.
CONCLUSION Le test progressif de nage avec évaluation de l'équilibre acidobasique, étudié chez des compétiteurs, a permis d'évaluer les répercussions physiologiques au décours de cycles d'entraînement à différentes dominantes aérobie et anaérobie. L'évolution des courbes lactacidémie-vitesse peut permettre la modulation de la programmation de l'entraînement en fonction de la date des objectifs fixés et de faire une prévision des résultats chronométriques en compétition. En raison des résultats qu'il peut apporter et de sa facilité d'organisation, il nous semble utile d'introduire ce test dans le suivi individualisé de l'entraînement du nageur de compétition.. Octobre - Novembre : Reprise de l'entraînement Préparation physique générale Travail en capacité aérobie. Première quinzaine de décembre : Eliminatoires inter-clubs Préparation de la compétition (Affûtage) 1ER TEST. Mi-décembre, mi-février : Entraînement foncier en puissance aérobie et capacité anaérobie lactique. Fin février-mars : Préparation des Championnats de France toutes catégories et critériums nationaux cadets (Affûtage) 2EME TEST Tableau I : PROTOCOLE EXPERIMENTAL Tableau II : RESULTATS PHYSIOLOGIQUES
Tableau III : RESULTATS BIOLOGIQUES Tableau IV :CAR.. C - NAGEUR DE SPRINT PEU ENTRAINE ENTRE LES DEUX TESTS. Tableau V :MAC-.. B. - NAGEUR DE FOND ENTRAINE ENTRE LES DEUX TESTS.
Tableau VI :GOR... K. 13 ANS, ABORDANT L'ENTRAINEMENT DE HAUT NIVEAU
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