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A mes enfants, A Nathalie 2 3
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Sommaire Noir et blanc... 7 Super Maman... 17 Le fruit de mes entrailles... 27 Le beau Danube bleu... 35 Les gens normaux... 41 Tout le monde peut se tromper... 49 L amour propre... 59 La danse de Matisse... 69 Personne n est parfait... 73 Laisser la violence s installer... 79 2 5
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Noir et blanc Je l ai retrouvée. Assise sur le tapis du salon, à coté de la petite lampe, pour ne réveiller personne au milieu de cette nuit noire, ça fait une heure que je cherche cette photo noir et blanc. C est drôle, je croyais me souvenir qu elle était en couleur. Il y a mon père tout en largeur qui me tient pratiquement d une main alors que j ai un mois à peine. Et derrière, il y a mon frère qui tient ma toute petite main dans la sienne et qui tend le cou pour être sûr d être bien sur la photo. Il semble heureux et fier de tenir ainsi sa toute petite sœur mais on voit au fond de son œil la pointe du «36.15 j existe» de sa préadolescence et l ombre infime d une jalousie pour celle qui prend déjà beaucoup trop de place dans la maison et dans le cœur de ses parents. Il y a aussi une autre photo, encore en noir et blanc alors que toutes les autres sont en couleur. Je dois avoir 3 ans, je suis assise sur les genoux de ma maman, en tailleur sur l herbe. Mon père est allongé et mon frère fait le kakou derrière. Une jolie photo d un dimanche en famille. 2 7
Un père presque noir, une mère plus que blanche et des enfants métisses qui vont chercher toute leur vie à choisir entre le blanc et le noir, le yin et le yang, le bien et le mal, papa et maman. Mon frère est mort cette nuit. Ça a commencé comme ça. En fait non, ça a commencé bien avant, mais hier soir, ça a commencé comme ça. Je donnais le bain aux enfants quand mon portable a sonné. J ai descendu les escaliers quatre à quatre en hurlant aux enfants de ne pas sauter dans la baignoire. Je pensais que c était encore mon cher et tendre qui allait raconter qu il était bloqué dans les embouteillages pour justifier son retard d une heure. J ai répondu d un «oui» vif qui voulait dire : «Tu commences à me faire vraiment chier, connard. Si tu crois que c est en te pointant tous les soirs à l heure du coucher que tu comptes élever tes enfants, va vraiment falloir envisager de te trouver un hôtel ailleurs.» J ai alors entendu un «Bonjour, je souhaite parler à Mademoiselle X» «Oui, c est moi», j ai répondu en m apprêtant à dire que je n avais pas le temps de répondre à des sondages, que je n avais pas envie de payer moins d impôts, que mes volets étaient neufs et que de toute façon, je n étais pas propriétaire. C est là qu elle s est présentée comme l infirmière de garde de l hôpital machin et qu elle m appelait de la part de mon frère. «Qu est-ce qu il a?» Ça, j en étais sûre qu il allait me retomber sur le coin du nez, celui-là, tôt ou tard et qu il allait me jouer 28
les violons pour s excuser de son attitude qui était due à untel ou unetelle. Ça faisait deux ans qu il avait disparu de la circulation. Enfin non, plus exactement, ça faisait deux ans qu on lui avait mis ses affaires et son chat sur le pallier de l appartement de ma belle-mère. C était avant sa mort (celle de ma belle-mère, pas celle de mon frère). Elle avait été placée en maison de retraite médicalisée parce qu elle était foutue de partout et qu elle avait perdu la tête. Quand on allait la voir, elle demandait toujours des nouvelles de son fils unique à mon mari. Moi, en revanche, sa «bru» comme elle disait, elle s est toujours souvenue de moi. Jusqu à la fin. Enfin bref, elle avait donc été placée et nous devions rendre son appartement dégueulasse aux HLM. Comme mon frère disait être malade à cause du taudis dans lequel il vivait, nous lui avions proposé d habiter là, le temps de rendre l appartement et de faire le ménage. Seulement, cette enflure avait changé les verrous, mis l EDF à son nom et refusait de nous rendre les affaires de la mémé en décidant subitement d être fâché à mort avec nous. A mort, oui Comme les HLM en avaient rien à foutre, il a fallu attendre qu il sorte pour faire changer à nouveau les serrures et le mettre à la rue et arrêter de payer cet appartement. C était pas joli-joli comme histoire. Je n étais pas super fière d avoir mis mon frère à la rue. Mais je n étais pas super fière non plus d avoir pour frère un 2 9