Le régime juridique des autorisations de mise sur le marché des médicaments dérivés du sang et l éthique du don



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Transcription:

1 Pr. Rémi Pellet 3 septembre 2007 Rapport à Madame la Ministre de la santé Le régime juridique des autorisations de mise sur le marché des médicaments dérivés du sang et l éthique du don Introduction I. Les raisons d un rapport remis en urgence 1. La demande d explication de la Commission européenne Par lettre en date du 9 mars 2006, la Commission européenne a informé la France du fait que des laboratoires contestaient la conformité de l article L 5121-11 Code de la Santé Publique (CSP) aux dispositions de la directive communautaire 2001/83/CE. La Commission demandait à la France de lui faire parvenir ses commentaires et observations sur le sujet. L article L 5121-11 CSP dispose qu une «autorisation de mise sur le marché prévue ( ) ne peut être attribuée pour un médicament dérivé du sang que lorsqu'il est préparé à partir de sang ou de composants du sang prélevés» sans rémunération du donneur. «Toutefois, à titre exceptionnel, une autorisation de mise sur le marché peut, par dérogation, être délivrée à un médicament préparé à partir de sang ou de composants de sang» issu d un don rémunéré «si ce médicament apporte une amélioration en termes d'efficacité ou de sécurité thérapeutiques ou si des médicaments équivalents ne sont pas disponibles en quantité suffisante pour satisfaire les besoins sanitaires. Dans ce cas, l'autorisation de mise sur le marché est délivrée pour une durée de deux ans qui ne peut être renouvelée qu'en cas de persistance des conditions susnommées». L article 24 de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain dispose que : 1. «( ) l autorisation est valable pour cinq ans» 2. «l autorisation de mise sur le marché peut être renouvelée au terme des cinq ans sur la base d une évaluation du rapport bénéfice/risque effectuée par l autorité compétente de l Etat membre qui délivre l autorisation ( ) 3. «Une fois renouvelée, l autorisation de mise sur le marché est valable pour une durée illimitée, sauf si l autorité compétente décide, pour des raisons justifiées ayant trait à la pharmacovigilance, de procéder à un nouveau renouvellement quinquennal conformément au paragraphe 2». La France a répondu à la Commission par lettre en date du 12 mai 2006 en défendant la conformité des dispositions nationales critiquées à l ensemble du droit communautaire et spécialement aux directives s appliquant aux médicaments dérivés du sang.

2 2. Le débat au Parlement français Le Gouvernement a déposé le 3 mai 2006 un projet de loi qui avait pour objet principal de transposer la directive n 2004/27/CE modifiant la directive n 2001/83/CE précitée ainsi que d'habiliter le Gouvernement à adopter par voie d'ordonnance plusieurs mesures transposant ou complétant la transposition d'autres directives relatives aux produits de santé ou adaptant le code de la santé publique au droit communautaire. Le Gouvernement a déclaré l'urgence sur ce projet de loi qui ne comprenait aucune disposition tendant à modifier l article L 5121-11 CSP. C est au cours des débats sur le projet de loi que la députée rapporteure du projet devant la Commission des lois de l Assemblée nationale a proposé un amendement portant de deux à trois ans la durée d'autorisation de mise sur le marché de médicaments dérivés du sang issus de prélèvements rémunérés. La députée auteur de l amendement faisait valoir que «malgré les risques de rupture de stocks, nous avons en France un problème d éthique, puisque le don de sang n est pas rémunéré dans notre pays et que nos entreprises ne peuvent importer de sang dont le prélèvement a été rémunéré à l étranger». L amendement parlementaire a été adopté sans opposition à l Assemblée nationale, notamment parce que la durée des AMM délivrées aux médicaments dérivés du sang demeurait inférieure à la durée des AMM «ordinaires», un député, ancien ministre de la santé, ayant considéré qu un allongement de trois à cinq ans des AMM délivrées aux médicaments dérivés du sang «braderait les intérêts de nos laboratoires». Saisi du texte adopté par l Assemblée nationale, la commission des affaires sociales du Sénat a proposé d adopter sans modification non plus l article issu de l amendement parlementaire. La Fédération française des donneurs de sang bénévoles (FFDSB) avait alors fait connaître son opposition à la réforme et aux propos de la députée qui en était à l origine («( ) nous avons en France un problème d éthique ( )», cf. supra). Et c est au cours des débats en séance plénière que plusieurs sénateurs ont convaincu l ensemble de leurs collègues de supprimer l amendement critiqué tandis que le Gouvernement et la Commission des affaires sociales s en remettaient à la sagesse de la Haute assemblée. Les sénateurs qui ont défendu la suppression faisaient valoir plusieurs arguments : 1 Il convenait de résister à la pression de lobbys industriels ; 2 Le risque de pénurie en médicaments dérivés supérieure à deux ans n'existe pas ou est extrêmement faible et si une crise devait se produire elle «serait dans ce cas mondiale et immédiatement compensée par de nombreux produits qui se trouvent déjà sur le marché et dont l'utilisation n'est pas soumise à AMM» ; 3 L amendement mettait en cause le don gratuit et constituait «une brèche volontaire dans l'éthique française relative à la non-commercialisation de toute partie du corps humain» ; 4 Cette mesure rendrait la France dépendante des importations de produits sanguins ; 5 La mesure découragerait les donneurs de sang ;

3 6 Plus de transparence serait nécessaire : l'ampleur des AMM dérogatoires accordées dans le cadre actuel de la législation devrait être rendue publique. Pour sa part, le rapporteur de la Commission des affaires sociales a insisté sur le fait : 1 qu il n'était pas admissible d'affirmer que les parlementaires favorables à l allongement des AMM dérogatoires de deux à trois ans cédaient à la pression exercées par les laboratoires intéressés par la mesure ; 2 qu il fallait bien distinguer le don gratuit et la tarification systématique des produits qui en dérivent ; 3 que la France n était pas à l abri d un risque de pénurie de dons et ainsi d interruption d un certain nombre de traitements puisque les stocks sont parfois tout juste suffisants ; 4 qu il était question d assurer la continuité thérapeutique et non pas de chercher à condamner les donneurs de sang ; 5 qu il s agissait d éviter des formalités administratives inutiles si l'amm dérogatoire accordée pour seulement deux ans était systématiquement renouvelée à l'issue de ce délai dans des conditions à peu près équivalentes ; 6 le régime des AMM dérogatoires ne permet pas d éviter l'acquisition à l'étranger de certains produits dérivés du sang. Enfin, le ministre de la santé a surtout souligné les fait suivants : 1 Si, à l'assemblée nationale, il avait émis un avis favorable sur la disposition portant de deux à trois ans la durée des AMM, c était parce qu il savait pertinemment que celles-ci sont reconduites systématiquement et qu il était donc temps d'ouvrir un débat sur cette question ; 2 Qu il convenait de «ne pas laisser s'installer le moindre trouble sur les intentions du Gouvernement» lequel entend «rendre hommage aux donneurs qui sont engagés dans un combat pour la vie» ; 3 Qu il entendait lancer une mission afin de déterminer quelle serait en définitive la bonne durée pour les AMM. Du fait donc du consensus final en faveur de la suppression de l amendement allongeant la durée des AMM dérogatoires, la loi définitivement votée, devenue loi n 2007-248 du 26 février 2007, a maintenu la rédaction originelle de l article L 5121-11 CSP. 3. La mission d expertise Par lettre en date du 17 avril 2007, le ministre de la santé et des solidarités nous a confié le soin de remettre à son successeur, pour la fin de l année 2007, un rapport qui devait : - analyser «toutes les dimensions du régime actuel de l autorisation de mise sur le marché des médicaments dérivés du sang et de son devenir» ; - tenir compte en particulier «de la nécessité de sécuriser l approvisionnement en médicaments des patients français» ; - évaluer «s il y a lieu de préconiser des réformes» et en apprécier leurs «impacts éventuels en termes éthiques, institutionnels, juridiques et économiques». Cette mission correspond donc aux engagements que le ministre avait pris devant le Parlement.

4 4. La mise en demeure de la France par la Commission européenne Par courrier en date du 2 juillet 2007, la Commission européenne s est déclarée insatisfaite des réponses que la France lui avait adressées le 12 mai 2006 et l a mise en demeure de lui adresser «dans le délai de deux mois à compter de la réception» de sa lettre «des observations sur les mesures prises» par l Etat français «pour se conformer au droit communautaire». Comme c est l usage, le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) a demandé à la Commission un délai d un mois supplémentaire afin de tenir compte des difficultés posées par la période estivale. Cependant, du fait de l urgence, la Direction générale de la Santé nous a demandé de remettre notre rapport au début du mois de septembre et non plus à la fin de l année. II. Objet et limites de l expertise Malgré la brièveté du délai qui nous était laissé, nous avons pu rencontrer les représentants des principales institutions publiques et privées intéressées au sujet (cf. la liste jointe en annexe) avant de procéder à la rédaction de nos conclusions au cours du mois d août. Conformément à la mission qui nous avait été assignée, ce rapport propose une analyse des faits et du droit et préconise plusieurs réformes de nature à améliorer le régime des autorisations de mise sur le marché et à promouvoir le don du sang non rémunéré, dans l intérêt des patients et conformément à l éthique et aux exigences du droit communautaire. Mais, du fait de l urgence, ces analyses ont été préparées dans le but de servir également à la préparation de la réponse que le Gouvernement doit faire à la demande des autorités communautaires. Avant d étudier les arguments juridiques qui pouvaient être confrontés, nous avons examiné les motivations avancées par les laboratoires qui disent vouloir éviter aux patients un risque d interruption de l approvisionnement du marché français en médicaments dérivés du sang. Nous avons enfin réfléchi aux réformes susceptibles d être mises en œuvre si le régime des AMM dérogatoires devait être supprimé. III. Les conclusions et les propositions du rapport 1. Nos principales conclusions sont les suivantes : 1 Le système français de mise sur le marché des médicaments dérivés du sang résiste aux critiques qui le mettent en cause au nom de l intérêt des patients, mais sa gestion devrait être améliorée ; 2 A seule fin de protéger un principe éthique fondamental, la France devrait tenter de défendre la conformité du régime des AMM dérogatoires au droit communautaire ; 3 Parce que le risque de devoir abroger l article L 5121-11 CSP demeure sérieux, il faudrait créer au plus tôt les conditions d une véritable «concurrence éthique» sur le marché des médicaments dérivés du sang.

5 2. Nos principales propositions sont les suivantes : 1 Améliorer la gestion des stocks de tous les médicaments ayant obtenu une AMM, quelle que soit la durée de cette autorisation c est-à-dire quelle que soit l origine du produit, que le médicament ait été élaboré à partir de dons de sang rémunérés ou non ; 2 Proposer la création d un observatoire communautaire capable d éclairer l ensemble des Etats membres sur les causes réelles de l évolution du cours des médicaments dérivés du sang et spécialement le plasma, ou assigner cette nouvelle mission à une instance existante ; 3 Doter l Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) de prérogatives d investigation et de contrôle permettant d établir les causes de l évolution des cours mondiaux des produits dérivés du sang ; 4 Inscrire dans la loi l obligation pour le Laboratoire français du Fractionnement et des Biotechnologies (LFB) de satisfaire en priorité les besoins nationaux en tant que mission de santé publique ; 5 Modifier par la loi les statuts du LFB afin de rendre possible sa participation à la gestion de centres, installés à l étranger, de collecte de sang non rémunéré, sous la condition expresse, premièrement, que les procédures de contrôle demeurent effectuées à la fois par les centres de collecte et le LFB, deuxièmement, que les médicaments produits restent réservés aux marchés étrangers, sauf insuffisance de couverture des besoins nationaux par du plasma français ou insuffisance de médicaments sur le marché national ; 6 Poursuivre la réforme de la tarification des produits sanguins afin de donner toute garantie sur le fait que les tarifs ne contreviennent pas au principe de gratuité ; 7 Doter l AFSSAPS des moyens nécessaires au contrôle de la sincérité des déclarations des laboratoires sur la nature des dons à partir desquels les médicaments sont élaborés et, en cas de fraude, mettre à la charge des laboratoires concernés une partie du coût de ces contrôles ; 8 Autoriser par la loi les laboratoires à inscrire, sous le contrôle de l AFSSAPS, sur les boites et notices des médicaments dérivés du sang, un pictogramme indiquant que ces produits sont issus de dons de sang non rémunérés ; 9 Inviter le LFB, l Union européenne et les Etats membres à promouvoir cette forme de concurrence «éthique» entre les médicaments ; 10 Informer par l AFSSAPS les médecins prescripteurs des caractéristiques «éthiques» des médicaments afin que ces praticiens puissent s assurer que leurs patients consentent de façon éclairée à l utilisation des produits issus de dons rémunérés ; 11 Adresser au Parlement un rapport confié à une institution ou un expert indépendant afin de connaître et comparer les pratiques du don de sang en France et à l étranger. 12 Conduire une étude sur l opportunité de créer une filière «plasmaphérèse éthique» distincte de la filière don du sang.

6 Première partie Le système français de mise sur le marché des médicaments dérivés du sang résiste aux critiques qui le mettent en cause au nom de l intérêt des patients, mais sa gestion devrait être améliorée. Les laboratoires privés qui contestent le système français d AMM des médicaments dérivés du sang obtenu à partir de dons non rémunérés entendent obtenir la suppression de ce régime dérogatoire au droit commun organisé par la directive communautaire 2001/83/CE, en arguant, à titre principal, de la nécessité de «sécuriser l approvisionnement du marché des médicaments dérivés du sang» en supprimant «une discrimination préjudiciable aux patients comme aux industriels». Sur cette question, nos investigations ne nous permettent pas de conclure que les principes d organisation du système français de collecte (I) et de commercialisation (II) des produits sanguins et plasmatiques devraient être revus au motif que ce système ne permet pas de garantir la continuité des soins délivrés aux patients. Les assertions des laboratoires plaignants ne nous paraissent pas suffisamment étayées (III). En revanche, la gestion des stocks de médicaments dérivés du sang bénéficiant d une AMM, dérogatoire ou non, devrait être réformée afin de maintenir, en toute circonstance, la continuité des soins et le libre choix des prescripteurs et des patients entre les différents produits présents sur le marché. Cette réforme destinée d abord à satisfaire les besoins des patients serait de surcroît de nature à prévenir le risque de discrimination entre les laboratoires qui peut résulter d une mauvaise distribution des produits autorisés sur le marché français (IV). Enfin, il nous est apparu que l impératif de sécurisation de l approvisionnement en médicaments dérivés du sang justifie que la France veille à ne pas être trop dépendante à l égard de sociétés qui peuvent choisir de ne pas servir le marché français en priorité (Conclusions et propositions) * * *

7 I. Le système français est organisé sur la base d un principe éthique et d un principe de précaution 1. Le principe éthique : la non rémunération du don du sang préserve la dignité humaine. Le principe de la non commercialité des éléments du corps humain a été consacré très tôt par le législateur français. Ainsi, le premier texte d ensemble qui organise le système transfusionnel français, la loi n 52-854 du 21 juillet 1952, avait posé les principes suivants : - le sang humain et ses dérivés ne sont pas des médicaments : on ne saurait considérer comme un médicament une partie intégrante du corps humain ; - le sang humain n'est pas un bien «dans le commerce» ; - le don du sang doit être volontaire, bénévole et non rémunéré. Ce principe éthique de non commercialisation du corps humain qui est devenu en France l objet d un consensus politique jamais démenti avait été rappelé par la loi n 76-1181 du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d organes (dite loi Caillavet) dont l article 3 disposait que «sans préjudice du remboursement de tous les frais qu'ils peuvent occasionner, les prélèvements ( ) ne peuvent donner lieu à aucune contrepartie pécuniaire». Au milieu des années quatre-vingt le drame dit du «sang contaminé» a révélé les conséquences désastreuses des manquements à l éthique dans le domaine de la santé publique. Par ailleurs, le Comité consultatif national d éthique (CCNE) avait alors considéré dans son avis n 28 du 2 décembre 1991, que l assimilation des dérivés de sang à des médicaments était une atteinte au principe de non commercialité du corps humain. Or, c est dans ce contexte que la loi n 93-5 du 4 janvier 1993 a transposé la directive 89/381/CEE qui soumet les médicaments dérivés du sang au droit commun du médicament. La transposition de cette directive a pu avoir lieu sans débats passionnels parce que la loi a réaffirmé le principe suivant lequel, d une part, «la transfusion sanguine s effectue dans l intérêt du receveur et relève des principes éthiques du bénévolat et de l anonymat du don, et de l absence de profit ( )» (article L1221-1 CSP), d autre part que «Le prélèvement ne peut être fait qu'avec le consentement du donneur par un médecin ou sous sa direction et sa responsabilité. Aucune rémunération ne peut être allouée au donneur, sans préjudice du remboursement des frais exposés, dans des conditions fixées par décret» (article L1221-3 CSP ). Quelques mois après l adoption de la loi française, le Groupement européen d éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE) dont le rôle est de conseiller la Commission européenne, le cas échéant le Parlement européen et le Conseil des ministres, a considéré dans son avis n 2 du 12 mars 1993 sur les produits dérivés du sang ou du plasma humains que : «le respect de l'individu (droit à la vie, à l'intégrité physique; respect de la dignité humaine), qu'il soit donneur ou receveur, est à la base du principe éthique de non-commercialisation du corps humain en général et du sang en particulier.

8 Deux conséquences en découlent: - le don du sang devrait être volontaire, non rémunéré et anonyme ; - il devrait être interdit à quiconque de tirer profit du sang d'un donneur. Lorsque le sang est utilisé pour fabriquer des produits sanguins, ni le fournisseur ni le fabricant ne devraient pouvoir facturer plus que les frais effectivement engagés». C est pour défendre ce principe éthique et favoriser la fabrication de médicaments dérivés du sang à partir de dons non rémunérés que le législateur français a voulu limiter les hypothèses d importation de médicaments créés à partir de dons rémunérés, en instaurant un dispositif d autorisation de mise sur le marché limitée à deux ans dans les conditions prévues à l article L 5121-11 CSP. Ainsi, la loi du 4 janvier 1993 a démontré que le législateur français était capable de s émanciper de l avis trop rigoriste de son comité national d éthique 1 afin de transposer les directives communautaires sur les médicaments dérivés du sang dans la mesure où la France était bien en mesure de faire respecter le principe du caractère non rémunéré des dons du sang en limitant la commercialisation de produits non conformes à l éthique du don. En la matière, le législateur français a reçu un soutien important du juge constitutionnel. Ainsi, dans sa décision n 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 sur la loi relative au respect du corps humain et la loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, le Conseil constitutionnel a jugé que les «principes au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l'intégrité de l'espèce humaine ( ) tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine». Le lien entre le don non rémunéré du sang et le principe de dignité est important. Dans son avis n 21 du 13 décembre 1990, le CCNE avait considéré qu «il y va de la dignité de l être humain de ne pas tirer finance de son moindre amoindrissement physique même temporaire» et il jugeait nécessaire de donner «l interprétation la plus extensive possible à la notion de dignité du corps humain. L utilisation acceptée par atteinte, si faible soit-elle, à l intégrité corporelle ne saurait s accommoder d autres finalités que celle de la santé». Ultérieurement, dans son récent avis n 93 rendu le 17 novembre 2006 sur la commercialisation des cellules souches humaines et autres lignées cellulaires, le CCNE a considéré que si certains produits et éléments peuvent être commercialisés sans règles particulières, comme les cheveux ou le lait, c est qu «ils peuvent être séparés du corps humain sans intervention médicale ni dommage physique». Par ailleurs l article 21 de la Convention pour la protection des Droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, Convention dite d Oviedo sur les Droits de l'homme et la biomédecine du Conseil de l Europe, du 4 avril 1997, dispose que «le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit». 1 Dans son avis n 93 rendu le 17 novembre 2006 sur la commercialisation des cellules souches humaines et autres lignées cellulaires, le CCNE reconnaît explicitement que «les produits sanguins, après transformation, sont devenus des médicaments et sont l objet d une commercialisation». Le Président actuel du CCNE, le Professeur Didier Sicard, constatait en 2006 que «les produits stables sont devenus des médicaments et on a assisté au combat d arrière-garde des associations de donneurs, contre la transformation des produits stables en médicaments au nom de valeurs éthiques» : source : D. Sicard, Revue Transfusion Clinique et Biologique 13 (2006) 226 230

9 La charte des droits fondamentaux de l'union européenne proclamée solennellement à Nice par le Parlement européen, le Conseil et la Commission le 7 décembre 2000, dispose en son article premier que «La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée» et que «1. Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale. 2. Dans le cadre de la médecine et de la biologie, doivent notamment être respectés : - le consentement libre et éclairé de la personne concernée, selon les modalités définies par la loi, - l'interdiction des pratiques eugéniques, notamment celles qui ont pour but la sélection des personnes, - l'interdiction de faire du corps humain et de ses parties, en tant que tels, une source de profit, - l'interdiction du clonage reproductif des êtres humains». Par ailleurs, l article 52 de la Charte qui définit la «portée des droits garantis» dispose que «dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui». Or, la Charte des droits fondamentaux est devenue un élément d interprétation du droit communautaire : ainsi par exemple, un jugement du Tribunal de première instance communautaire s est appuyé sur la Charte pour définir certains principes fondamentaux concernant le droit à un recours effectif (TPI, 3 mai 2002, Jego-Quéré et Cie SA c/ Commission, aff. T-177/01) Dans ses arrêts CJCE 14 mai 1974, Nold, aff. 4/73, Rec. 491 et CJCE 13 décembre 1979, Hauer, afff. C-44/79, Rec. I p. 3727, la Cour de justice avait jugé que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont elle assure la protection. Or, CJCE a conféré au principe de protection de la dignité humaine la valeur d un principe général du droit communautaire. Ainsi dans l arrêt CJCE, 9 octobre 2001 Pays-Bas contre Parlement européen et Conseil de l Union européenne, affaire C-377/98, Rec. p. I-7079, la Cour a jugé qu il lui appartient «dans son contrôle de la conformité des actes des institutions aux principes généraux du droit communautaire, de veiller au respect du droit fondamental à la dignité humaine et à l'intégrité de la personne». Enfin, dans son avis n 19 du 16 mars 2004 sur les aspects éthiques des banques de sang du cordon ombilical, le GEE a souligné le fait que «le principe du respect de la dignité et de l intégrité humaines étaie le principe de non-commercialisation du corps humain». La consécration par le droit communautaire, le Conseil de l Europe et la juridiction constitutionnelle française du principe selon lequel la non-commercialité du corps humain contribue à préserver la dignité humaine est ainsi venue conforter la volonté du législateur français qui a entendu, par la loi du 4 janvier 1993, faire prévaloir les principes éthiques sur les intérêts mercantiles sans manquer à son obligation de transposer la directive communautaire relative aux médicaments dérivés du sang. Au principe éthique, la loi du 4 janvier 1993 a ajouté le principe de précaution.

10 2. Le principe de précaution : la séparation organique des fonctions de collecte du sang, de transformation du plasma et de police sanitaire «L'affaire du sang contaminé» a révélé plusieurs failles dans le système de soins français et a notamment mis en évidence, en matière de transfusion sanguine, les risques liés à une confusion des rôles entre «le collecteur du sang» et le «transformateur/fractionneur» du produit. Aussi la loi de 1993 et les lois ultérieures ont-elles confié à trois personnes morales autonomes la responsabilité d exercer des fonctions distinctes : - le monopole de la fabrication de médicaments issus du fractionnement du plasma a été attribué à une structure unique, le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) ; - la collecte du sang et du plasma 2 était confiée aux établissements de transfusion sanguine réunis sous forme de GIP ou d associations, puis en 2000 à l Etablissement Français du Sang (EFS) ; - l édiction des normes de sécurité sanitaire revenait à l Agence Française du sang (AFS) puis, depuis 1998, de l Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). L ensemble du dispositif est placé sous le contrôle du ministère de la santé. Cette séparation des fonctions interdit au LFB d acquérir des centres de collecte de sang, comme peuvent le faire en revanche les laboratoires étrangers. L ordonnance n 2005-866 du 28 juillet 2005 qui a donné au LFB le statut de société anonyme a réaffirmé ce principe à l article L 5124-14 CSP qui dispose que : «( ) Une personne morale ayant pour objet l'activité de collecte de sang ou de ses composants ne peut pas détenir de participation directe ou indirecte dans la société anonyme "Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies" et dans les sociétés contrôlées par celle-ci au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce. La société anonyme "Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies" et les sociétés contrôlées par celleci au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce ne peuvent pas détenir de participation directe ou indirecte dans une personne morale ayant pour objet l'activité de collecte de sang ou de ses composants». Le rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n 2005-866 soulignait qu «au-delà de ce principe de précaution qui constitue une réelle garantie de sécurité sanitaire, la présence d'un collecteur de sang au sein de l'actionnariat du groupe LFB peut conduire à des conflits d'intérêts, que ce soit sur le plan financier ou pour la définition des orientations stratégiques. Ces dernières sont à l'opposé de l'intérêt du collecteur pour ce qui concerne le développement des biotechnologies, dont l'une des finalités est de réaliser des produits de substitution aux médicaments dérivés du sang». 2 Il convient de rappeler que le prélèvement de sang humain permet de produire deux catégories de produits à finalité thérapeutique : - les produits sanguins labiles (PSL) qui ont une durée de conservation limitée (plasma frais congelé, concentrés de globules rouges, et plaquettes) sont utilisés pour les transfusions, - les produits dérivés du sang qui ont un délai de péremption plus long, parfois de plusieurs années, servent à la fabrication de médicaments. Ils sont extraits du plasma par des techniques de fractionnement qui permettent d isoler des protéines dont les plus utilisées sont les immunoglobulines, les facteurs de coagulation (notamment les facteurs VIII pour le traitement de l hémophilie), l albumine.

11 II. La vente du plasma et des produits labiles obtenus à partir de dons non rémunérés n est pas une atteinte au principe éthique Comme nous l avons expliqué, les produits du corps humain sont par principe exclus du commerce (Code civil, article 16-1) et ne peuvent faire l objet d une cession à titre onéreux par les donneurs (CSP, L. 1211-4), notamment pour ce qui concerne le sang (CSP, articles L. 1221-1, L. 1221-3 et D. 1221-1). Cependant un prix de cession est attaché aux produits sanguins labiles (PSL) et leur distribution est assortie d un dédommagement pour couvrir les frais de préparation et de conditionnement. Cette pratique, que nous précisons plus loin, ne peut être en aucun cas considérée comme une atteinte au principe éthique de non commercialisation du corps humain. 1. Le travail justifie une rémunération. En effet, comme l a souligné le Comité consultatif national d éthique dans son avis n 21 du 13 décembre 1990 sur la non-commercialisation du corps humain, il convient de ne pas confondre la collecte du sang qui doit rester non rémunérée et «le travail d'observation, de prélèvement, d'analyse, de transformation» du sang et du plasma, qui lui peut être rémunéré : «Ce qui est en cause n'est plus un produit du corps humain, mais un dérivé sous forme de substance fabriquée. Par conséquent, à la phase de recueil du produit, succède celle de sa transformation. Ce qui fait l'objet d'un prix, ce n'est pas une part du corps humain, c'est le travail fourni et la substance qui en résulte». Dans son avis n 93 rendu le 17 novembre 2006 sur la commercialisation des cellules souches humaines et autres lignées cellulaires, le CCNE reconnaît explicitement que «les produits sanguins, après transformation, sont devenus des médicaments et sont l objet d une commercialisation», ce qui est une justification ex post, sur ce point, de la transposition de la directive de 1989 qui a conféré aux produits dérivés du sang et du plasma un statut de médicament 3. Le Comité ajoute que «le don de moelle est bénévole et gratuit, volontaire tout comme le don de sang de cordon. Le don de sperme et d ovocytes est également gratuit, mais les paillettes de sperme ont un prix de cession. Les embryons et les fœtus issus d une interruption de grossesse peuvent être donnés à la recherche scientifique après consentement, de façon anonyme et gratuite». Pour les organes, «( ) chez un donneur vivant, le don est volontaire et gratuit, mais il n est évidemment pas anonyme puisque le donneur appartient à une personne bien identifiée. Chez un donneur mort, les organes (foie, cœur, pancréas, intestin, cornée, rein, poumon, os, vaisseaux) sont prélevés chez le donneur en état de mort cérébrale selon les principes de la loi Caillavet de 1976. Le don est dans ce cas anonyme et gratuit. En dépit de leur rareté, les organes, qu ils soient prélevés sur des donneurs vivants ou des défunts, sont donc cédés gratuitement. Ils donnent lieu à une préparation complexe qui justifie pour l établissement un dédommagement des frais engagés (pour couvrir les coûts liés au prélèvement, au transfert, au transport et à la conservation du greffon, généralement assumés par un forfait). Seul le travail de conservation et de transformation du sang explique donc qu en application de l article L 1222-8 CSP «les recettes de l Etablissement Français du Sang sont constituées par ( ) les produits de la cession des produits sanguins labiles». 3 Cf. note précédente.

12 2. La gratuité du don fonde le caractère non lucratif de la transfusion sanguine L Etablissement Français du Sang (EFS) vend les produits labiles aux établissements de soins, à condition toutefois de ne pas en tirer de bénéfice, et vend le plasma au LFB, à un tarif de cession qui est fixé ni par l EFS ni par voie contractuelle mais par un arrêté ministériel, en application de l article 1221-9 CSP. La cession des produits sanguins n a donc pas pour effet de transformer la transfusion sanguine en une activité commerciale lucrative. La Cour des comptes, dans son rapport de 2005 sur l évolution de la transfusion sanguine, l a bien résumé : «La gratuité du don fonde le caractère non lucratif de la transfusion sanguine». L EFS ne poursuit aucun objet lucratif, il ne peut et ne doit rechercher le profit. Il participe à la gestion d un service public administratif. La Cour ajoute que «dans un avis du 20 octobre 2000, le Conseil d Etat a considéré que la nature de l activité, le monopole, la tarification unilatérale des produits sanguins labiles (PSL) par la puissance publique ainsi que l obligation d assurer l autosuffisance nationale éloignent le fonctionnement de l EFS de celui d une entreprise. Il ajoutait que les principes qui soutiennent depuis 1952 l organisation de la transfusion sanguine l anonymat des dons, l absence de profits et la nature philanthropique du geste des donneurs renforcent la qualification administrative de ce service public. Cette appréciation a eu pour conséquence de confier au juge administratif le règlement des contestations des donneurs ou des receveurs engagées postérieurement au 1 er janvier 2000». III. Le système français autorise des dérogations au principe éthique et au principe de précaution mais dans le seul intérêt des patients Le système français d AMM dérogatoires est mis en cause par les laboratoires qui adhèrent à l AMDSA et au PPTA mais également, comme le LFB, au Leem. L AMDSA se présente elle-même comme «l association des entreprises des médicaments dérivés du sang et analogues (AMDSA) qui regroupe les principaux fabricants privés de médicaments dérivés du sang et analogues recombinants opérant en France : Baxter BioScience, Octapharam, CSL Behring. Ces trois membres représentent 25 médicaments en France utilisés dans le traitement de maladies rares et graves, dont quelques uns n ont pas d équivalent sur le marché français. La majorité des produits de l AMDSA sont donc complémentaires de ceux fabriqués par le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) ( ). L AMDSA est affiliée à l association internationale PPTA (Plasma Protein Therapeutics Association)» 4. Le syndicat des entreprises pharmaceutiques, le Leem (Les entreprises du médicament), insiste sur le fait qu il n entend pas prendre position sur un sujet qui oppose deux de ses adhérents : après avoir 4 Cette présentation est contestée par le LFB qui observent que ses concurrents «offrent 25 spécialités de 6 types différents de médicaments dont seuls les facteurs anti-hémophiliques recombinants et à ce jour des immunoglobulines normales par voie sous-cutanée, ne sont pas distribués par le LFB qui lui, au contraire et à lui seul, met à disposition huit médicaments différents qui n ont pas d équivalent sur le marché français (Immunoglobuline antitétanique, anti-d, anti-hépatite B IV et IM, Alpha-1 antitrypsine, Facteur Willebrand pur, Facteur IX plasmatique et Facteur XI)».

13 rappelé que «d une manière générale le Leem souhaite la mise en œuvre en France d un environnement réglementaire pour le médicament conforme au droit communautaire, de manière à éviter des disparités avec les autres Etats membres», le syndicat ajoute qu il «soutient le principe européen d encouragement du don volontaire, librement consenti et non rémunéré» et conclut que «compte tenu du contexte particulier du marché français des médicaments dérivés du sang (le LFB ayant le monopole de fractionnement du plasma français, vs. les autres laboratoires qui commercialisent des médicaments dérivés du sang issu de plasma français rémunéré ou non), le Leem laisse à ses adhérents leur libre arbitre quant à la question posée et ne saurait prendre position pour telle ou telle orientation quant au maintien des conditions actuelles de l AMM des médicaments dérivés du sang». Dans la lettre qu ils nous ont adressée, les responsables du PPTA et de l AMDSA écrivent que «l approvisionnement en plasma de haute qualité à l échelle mondiale provient approximativement à 65% de dons du plasma compensés/indemnisés (dons pour lesquels le donneur reçoit en moyenne une compensation forfaitaire de 20-25 par don dans le but de compenser le temps passé et les frais de déplacement) et à 35% de dons de plasma dits bénévoles, mais pour lesquels certains avantages sont accordés aux donneurs en guise de compensation (ex. un jour de congé etc.)». Il convient sans doute d ajouter que la plupart de ces laboratoires installés à l étranger, qui ont ainsi recours à des dons rémunérés, contrôlent directement ou indirectement un nombre important de centres de collecte. Ces laboratoires dérogent ainsi, pour la plupart, à la fois au principe éthique de non rémunération des dons et au principe de séparation des fonctions autour desquels le système français est construit. Or, malgré ces pratiques opposées aux deux principes constitutifs du système français, les médicaments dérivés du sang produits par ces laboratoires peuvent obtenir des autorisations de mise sur le marché français délivrées par l AFSSAPS. Ainsi l article L 5121-1 CSP dispose explicitement que les AMM dérogatoires doivent être délivrées lorsque «le médicament apporte une amélioration en termes d'efficacité ou de sécurité thérapeutiques ou si des médicaments équivalents ne sont pas disponibles en quantité suffisante pour satisfaire les besoins sanitaires». Ces dispositions ont été conçues dans le seul but de concilier la défense de l éthique du don et la nécessité de garantir en toute circonstance la continuité et la diversité des soins. Et, de fait, les autorités françaises ont toujours été en mesure, depuis 14 ans que la loi s applique, de garantir l approvisionnement des établissements hospitaliers tout en diversifiant les produits offerts au choix des praticiens de santé et à leurs patients et malgré les «tensions» qui ont pu survenir sur le marché national et au niveau mondial. Par ailleurs, des lois récentes, nº 2004-806 du 9 août 2004, nº 2007-248 du 26 février 2007 et nº 2007-294 du 5 mars 2007, ont défini à l article L 5124-6 CSP les modalités selon lesquelles les laboratoires sont tenus d informer l AFSSAPS d une menace de rupture d approvisionnement afin que les autorités puissent prendre les mesures de nature à garantir la continuité des soins 5. 5 Ainsi, l article L 5124-6 CSP dispose que «L'entreprise pharmaceutique exploitant un médicament ou produit ( ) qui prend la décision d'en suspendre ou d'en cesser la commercialisation ou qui a connaissance de faits susceptibles d'entraîner la suspension ou la cessation de cette commercialisation en informe au moins six mois avant la date envisagée ou prévisible l'agence française de sécurité sanitaire des

14 Nous portons donc une appréciation positive sur la capacité du système français à répondre aux besoins des patients dans le respect des exigences éthiques du don non rémunéré. 1. Le système français permet d éviter les ruptures d approvisionnement en suspendant temporairement l application du principe éthique a) Le principe La responsabilité de prévenir une crise de pénurie est partagée entre plusieurs acteurs. Comme la Cour des comptes l a souligné dans son rapport de 2005, le LFB «doit approvisionner en priorité le marché national au détriment de contrats conclus avec des partenaires étrangers» à partir des médicaments qu il produit. Il s agit d une obligation imposée par son actionnaire aujourd hui quasiexclusif, l Etat français (auquel s ajoutent quatre fédérations de donneurs de sang détentrices chacune de un euro du capital du LFB Biomédicament de 150 millions d euros), et à laquelle nous proposons de donner un fondement légal (cf. infra). Mais le laboratoire national n est pas toujours en mesure de satisfaire toutes les demandes. Aussi les établissements de santé peuvent-ils également acheter des médicaments dérivés du sang qui ont obtenu une AMM «ordinaire» parce qu ils ont été produits par des laboratoires ayant exclusivement recours, pour les médicaments en question, à du sang issu de dons non rémunérés. Par ailleurs, la législation a également prévu la possibilité pour les établissements de santé d acquérir des médicaments ayant obtenu une AMM dérogatoire élaborés à partir de sang rémunéré. Lorsqu une demande d AMM dérogatoire est présentée par un laboratoire, l AFSSAPS doit prendre en compte le critère «quantitatif» qu est le niveau de la demande par rapport à l offre : en effet, comme nous l avons rappelé, la loi autorise des AMM de deux ans pour des produits obtenus à partir de dons de sang rémunérés «si des médicaments équivalents ne sont pas disponibles en quantité suffisante pour satisfaire les besoins sanitaires». Ce dispositif est critiqué par le PPTA et l AMDSA. produits de santé si ce médicament est utilisé dans une ou des pathologies graves dans lesquelles elle ne disposerait pas d'alternatives disponibles sur le marché français. La cessation de commercialisation ne peut intervenir avant la fin du délai nécessaire pour mettre en place les solutions alternatives permettant de couvrir ce besoin. Ce délai est fixé par l'agence en accord avec l'entreprise, dans la limite de six mois après la notification, sauf circonstances exceptionnelles. Si le médicament n'est pas utilisé dans une ou des pathologies graves dans lesquelles elle ne disposerait pas d'alternatives disponibles sur le marché français, la notification doit avoir lieu au plus tard deux mois avant la suspension ou l'arrêt de commercialisation. En cas d'urgence nécessitant que la suspension ou l'arrêt intervienne avant le terme des délais fixés ci-dessus, l'entreprise en informe immédiatement l'agence en justifiant de cette urgence. Elle doit en outre informer l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de tout risque de rupture de stock sur un médicament ou produit sans alternative thérapeutique disponible, dont elle assure l'exploitation, ainsi que de tout risque de rupture de stock sur un médicament ou produit dont elle assure l'exploitation, lié à un accroissement brutal et inattendu de la demande. Lorsque le médicament est utilisé dans une ou des pathologies graves dans lesquelles elle ne disposerait pas d'alternatives disponibles sur le marché français, l'entreprise apporte à l'agence sa collaboration à la mise en place de solutions alternatives permettant de couvrir ce besoin et des mesures d'accompagnement nécessaires. L'entreprise pharmaceutique exploitant un médicament ou produit ( ) informe immédiatement l'agence de toute action engagée pour en retirer un lot déterminé».

15 Leurs observations ne nous paraissent pas suffisamment argumentées. b) Des critiques insuffisamment étayées Les responsables de PPTA et AMDSA arguent des faits suivants : 1 «Depuis plusieurs années, des pénuries récurrentes en médicaments dérivés du plasma sont observées en France ( ). 2 «l approvisionnement optimal d un pays en médicaments dérivés du plasma dépend bien entendu du nombre de laboratoires ayant des produits enregistrés sur le marché. Or, sur les sept sociétés membres de la PPTA en Europe (Baxter, CSL Behring, Octapharma, Biotest, Grifols, Kedrion et Talecris) seules trois sont actives en France alors que sept sont actives en Allemagne ainsi qu en Italie, pour six en Angleterre à titre de comparaison ( ) 3 «en France, dans une réponse à une question parlementaire du député Denis Jacquat, le ministre de la santé et des solidarités mentionne la situation, désormais quasi permanente, de pénurie mondiale pour les approvisionnements en immunoglobulines», confirmant les éléments ci-dessus». Ces arguments ne nous ont pas convaincu, pour les raisons suivantes : 1 Les laboratoires requérants n explicitent pas assez leur démarche et leurs motivations. En effet, s il n est pas douteux que la demande mondiale de plasma est supérieure à l offre, logiquement les laboratoires ne doivent avoir aucune difficulté à vendre leurs produits dans les Etats, fort nombreux, où la législation est moins restrictive qu en France. Or le PPTA et l AMDSA se plaignent des conditions que la France leur impose. Et leur combat juridique n est certainement pas motivé par le seul désir d éviter à la France une pénurie. Il faut donc en conclure que les laboratoires cherchent à pénétrer le marché français afin d y trouver des conditions de rémunération de leurs médicaments supérieures à celles qu ils pourraient obtenir ailleurs. Cette stratégie commerciale est licite et économiquement justifiée de la part de sociétés à but lucratif. Il serait juridiquement inopérant de lui opposer des considérations éthiques. En revanche, nous nous sommes demandé, légitimement croyons-nous, si elle n aurait pas quelques rapports avec les «pénuries récurrentes» dont les laboratoires font état. L examen attentif des documents qui nous ont été transmis par les différentes parties ne nous a pas permis d établir la cause objective des difficultés d approvisionnement que la France a pu connaître. Nous pouvons seulement observer que la dernière «crise» : 1 s est produite au moment où les laboratoires portaient plainte auprès de la Commission européenne contre le système français (cf. supra) ; 2 a cessé après que les autorités françaises ont relevé le prix d achat des immunogobulines, comme le montre la chronologie précise des faits : - Le 25 avril 2006 la société Baxter SA a adressé un «Courrier destiné à l ensemble des professionnels de santé (Prescripteurs et Pharmaciens des Hôpitaux)» afin de les informer «en accord avec l Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (Afssaps)», des difficultés d approvisionnement que ce laboratoire rencontrait concernant la Endobuline 50 mg/ml (immunoglobuline humaine normale) et qui «se répercutaient sur ses capacités de livraison pour 2006». Selon la société

16 Baxter cette situation résultait des «fluctuations de la disponibilité de plasma pour le fractionnement, et d une augmentation générale des besoins en immunoglobulines» ; - Le 11 juillet 2006 l AFSSAPS a adressé aux établissements de santé une «proposition de hiérarchisation des indications des immunoglobulines humaines intraveineuses (igiv) en situation de tension forte sur les approvisionnements pour le marché français» ; - Le 19 juillet 2006 l'amdsa a déclaré dans un communiqué de presse qu'elle souscrivait pleinement à l'initiative prise par l'afssaps ; - Le Journal officiel du 28 septembre 2006 publie un avis informant que les tarifs de responsabilité de toutes les immunoglobulines ont été augmentés de cinq euros par gramme ; - La crise a apparemment disparu après cette augmentation tarifaire et ne s est pas reproduite depuis lors. Nous ne nous aventurerons pas à interpréter cette chronologie des faits, la coïncidence entre le dépôt de la plainte et le début de la crise, d une part, l arrêt de la crise d approvisionnement avec l augmentation des tarifs, d autre part, pouvant assurément n être que fortuite. Et nous présumons la bonne foi de toutes les parties intéressées. Nous constatons qu il existe au sein de l AFSSAPS deux comités de suivi de l approvisionnement en médicaments dérivés du sang et recombinants qui sont informés mensuellement par les laboratoires de l ensemble des données relatives à l approvisionnement (stocks, distribution, commandes non honorées, allocations prévisionnelles) des spécialités médicales commercialisées sur le territoire national français. Il faut donc se féliciter d une telle collaboration entre les laboratoires, d une part, et, d autre part, les institutions publiques et privées représentées dans ces comités de suivi. Cependant, ces comités de suivi ne sont pas en mesure de contrôler les causes des évolutions des marchés de médicaments dérivés du sang. Aussi, concluons-nous à la nécessité de doter l AFSSAPS de prérogatives d investigation et de contrôle permettant d établir les causes de l évolution des cours des produits dérivés du sang, afin d éclairer les pouvoirs publics. Ce mécanisme de contrôle pourrait d ailleurs s inscrire dans un dispositif communautaire (cf. infra nos propositions conclusives). 2 Le fait que certaines sociétés aient renoncé à proposer leurs produits sur le marché français alors qu elles sont présentes sur d autres pays européens (Italie, Angleterre, Allemagne) ne prouve pas que ces entreprises se soient heurtées à une législation discriminatoire mais bien plutôt sans doute qu elles n ont pas été en mesure de proposer des médicaments élaborés à partir de dons non rémunérés concurrents de ceux du LFB. Autrement dit, c est parce que la France a su préserver, au sein du service public administratif de la transfusion sanguine (cf. supra), l existence d un laboratoire capable de produire en quantité suffisante des médicaments élaborés à partir de dons non rémunérés que certains laboratoires ont renoncé à demander une autorisation de mise sur le marché français pour leurs médicaments élaborés, au moins partiellement, par des dons rémunérés. Au demeurant, cette concurrence «éthique» n a certainement pas pénalisé les laboratoires puisque la situation mondiale d une demande supérieure à l offre leur garantit d autres marchés.