Carl Rogers et la Relation d Aide 1



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Transcription:

Carl Rogers et la Relation d Aide 1 Il ne paraît guère possible quand il est fait référence à la «juste distance» de ne pas évoquer la «relation d aide», cadre dans lequel cette question s est posée et se pose toujours même si à l heure actuelle l accompagnement d une personne remplace la notion de relation d aide. Le champ de la psychothérapie et de la psychanalyse implique aussi une relation d aide mais le plus souvent, les pratiques sont sous-tendues par d autres théories. C est en particulier dans le champ infirmier avec les soins palliatifs, l aide aux mourants et le champ du social, entre éducateur et personne suivie que la relation d aide, telle que définie par Rogers, a été à l origine la plus reprise. Les apports de Rogers n ont pas été sans influence non plus sur la pédagogie dite active. 2 Carl Rogers a développé sa conception de la relation d aide à partir de ses expériences et pratiques de psychologue, de formateur en «counseling», d enseignant universitaire, de ce qu il était en tant que personne et des résultats de recherches expérimentales menées par d autres (Balwin, Heiner, Quinn etc.) ; le but ultime du processus de développement est, pour Rogers, de devenir «une personne». Il décrit la pratique de la thérapie comme une sorte de prototype 3 pour toutes formes de relations interpersonnelles, transférable dans tous les domaines où la relation d aide peut exister, c est-à-dire, «[ ] des relations dans lesquelles l un au moins des deux protagonistes cherche à favoriser chez l autre la croissance, le développement, la maturité, un meilleur fonctionnement et une plus grande capacité d affronter la vie une appréciation plus grande des ressources latentes internes de l individu,ainsi qu une plus grande possibilité d expression et un meilleur usage fonctionnel de ces ressources». 4 Il a traité principalement de la relation d aide dans un cadre duel, même s il en fait état face à un groupe. I. Caractéristiques influant sur la relation d aide Carl Rogers a observé et identifié quelles caractéristiques produisent un effet positif dans la relation à l autre et les caractéristiques générant un effet inverse. 1 A partir du livre écrit par Carl Rogers, «On becoming a Person», publié en langue anglaise en 1961, et en langue française en 1968, Le développement de la personne, éditions Bordas, Paris, Dunod 2 in Le développement de la personne, op cit «En premier lieu on peut dire qu une connaissance authentique est plus facilement acquise quand elle est liée à des situations qui sont perçues comme des problèmes» «[ ] problèmes qui concernent son existence de telle sorte qu il distingue ceux qu il désire résoudre.» pages 207-207 3 op cit, «[ ] les relations thérapeutiques ne sont qu une forme des relations interpersonnelles, en général, et que les mêmes lois régissent toutes les relations de ce genre», P. 29 4 op cit, page 29.

Caractéristiques permettant une relation d aide génératrice de mieux : (ressenties par l aidé) Sentir le respect croissant de l aidant pour soi Dimension affective : sympathie, acceptation chaleureuse Confiance envers l aidant Sentiment d être compris par l aidant Sentiment d une considération positive inconditionnelle Sentir l intérêt réel et le désir de compréhension de l aidant Sentir l aidant «sensible à ses attitudes, à s intéressant à lui avec chaleur mais sans implication émotionnelle excessive». 5 Ressentir l aidant comme congruent, authentique Compter sur l aidant en tant que personne «réelle» Sentir que l aidant est axé sur les potentiels, centré sur lui aidé en tant que personne Sentir l empathie Caractéristiques nuisant à l efficacité de la relation d aide (manifestées par l aidant) Une sympathie trop grande Une attitude éloignée, trop distante Une relation impersonnelle Une absence d intérêt Des conseils directs et précis Une importance trop grande accordée au passé La non congruence L inconséquence (non respect des rendez-vous, retard ) 5 Résultats d une recherche de Fiedler, op cit P.33

II. Quelques concepts développés par Carl Rogers La congruence : La congruence décrit une correspondance exacte entre le vécu de l expérience, sa perception consciente et la façon de communiquer qui en dépend. Ce n est pas quelque chose que l on décide mais quelque chose qui se met en place en fonction de ce que l on est et qui se travaille tout au long de la vie. «J entends par ce mot que mon attitude ou le sentiment que j éprouve, quels qu ils soient, seraient en accord avec la conscience que j en ai. Quand tel est le cas, je deviens intégré et unifié, et c est alors que je puis être ce que je suis au plus profond de moi-même». 6 La congruence est perceptible par l autre, consciemment ou inconsciemment. Il y a concordance entre le message communiqué verbalement et l expression corporelle, les microattitudes de la communication non verbale. La congruence n est possible que si l authenticité est présente. Cette perception de la congruence contribue au sentiment de confiance et de sécurité que peut éprouver une personne aidée face à l aidant, facilite la communication entre deux personnes. La considération positive inconditionnelle Eprouver un réel et profond respect, ressentir vraiment des sentiments positifs vis-à-vis de l autre sans crainte, quels que soient ses sentiments, éprouver de la confiance face aux capacités de l autre à résoudre ses propres problèmes participent à la considération positive inconditionnelle et sont des attitudes favorisant les chances de changement. «C est un vrai succès quand nous pouvons apprendre dans certaines relations ou à certains moments de ces relations qu il nous est permis en toute sécurité d éprouver de l intérêt pour autrui et d accepter d être lié à lui comme à une personne pour qui nous avons des sentiments positifs» 7. Cette acceptation de l autre tend vers la totalité, vers l inconditionnel, même quand l attitude semble désapprouvable. L aidant travaille sa capacité à accueillir toutes les facettes de l autre. 6 op cit, p.39. 7 op cit, p.41.

La compréhension empathique Rogers la définit comme une compréhension intérieure, exacte du monde de l autre. «Sentir le monde privé du client comme s il était le vôtre, mais sans jamais oublier la qualité du «comme si» - telle est l empathie» 8 L intégration du «comme si» ne laisse pas place à la confusion entre ce qui est de soi et ce qui est de l autre dans l empathie. En ce sens, elle pourrait caractériser une «juste distance» entre soi et autrui, à la fois capacité de comprendre de l intérieur la singularité d autrui et cette capacité à ne pas la confondre avec la sienne. Cette compréhension empathique permet de comprendre les sentiments, les références, les valeurs de l autre, de ne pas douter de la parole de l autre, d adapter une communication orale témoignant de cette compréhension (reformulation aidante, ton de la voix qui exprime le partage ). C est la disposition qui permet d entrer dans le cadre de référence de l autre. III. La posture de l Aidant selon C. Rogers Apprendre à s écouter soi-même : C est la prise en compte du ressenti, de l éprouvé face à l autre, acceptation de sa propre imperfection condition essentielle aux yeux de Rogers pour que la relation devienne réelle, riche, vivante, signifiante. Pour lui, plus l aidant est en capacité de s écouter, plus il sera animé par le désir d écouter vraiment l autre, dans ce qu il est et plus il acceptera l autre tel qu il est (et non tel qu il voudrait qu il soit). C est en s écoutant soi-même que se développe la congruence. C est aussi par cette capacité à faire confiance à son expérience, à son sentiment interne sur ce qui est «juste», à ce qui n est plus de l ordre de l intellectuel mais du senti que l aidant agit sagement 9. Authenticité : être vraiment soi-même C est en étant au plus près de soi, de ce que l on est profondément, au plus près de l intime et du personnel que quelque chose de l ordre du général peut paradoxalement être sollicité. Evoquant des communications auprès d étudiants ou de collègues, Rogers précise : «En 8 op cit, P.204 9 Carl Rogers qualifie cette appréciation d organismique c est-à-dire que l individu, en tant que totalité psychophysique incluse dans l environnement, peut sentir, ressentir que telle situation, action, attitude répond à un besoin d actualisation face à ce qu il est et face à ce qu il pourrait être.

pareil cas, j ai presque toujours découvert que le sentiment qui me paraissait le plus intime, le plus personnel et par conséquent le plus incompréhensible pour autrui s avérait être une expression qui évoquait une résonance chez beaucoup d autres personnes». «Ce qui est le plus personnel est aussi ce qu il y a de plus général». 10 La capacité à être au plus près de soi est un facteur de possible changement pour l autre, quand dans les relations, l aidant est sans «masque» ni «façade». L authenticité donne de la congruence. Etre vraiment soi-même c est être par delà les façades, les «je devrais», ce qu on attend de nous, ce qui fait plaisir à l autre, c est tendre vers sa propre direction, vers une ouverture sur la complexité qui nous habite, vers une acception de soi et de l autre, vers une confiance en soi et en l autre 11, dans un mouvement, une fluidité perpétuelle. C est être son expérience. Comprendre le cadre de référence de l autre L aidant s efforce, face à la personne, de «[ ] percevoir son expérience ainsi que la signification, le sentiment, la sensation et la «saveur» qu elle a pour lui». 12 Comprendre l autre signifie sortir des réactions habituelles de jugement, d évaluation sur ce qui est normal, raisonnable, estimable, juste, faux à nos yeux, sur une convocation spontanée avec ce que nous penserions, ressentirions, ferions si nous étions dans la même situation. L autre est différent de soi et la prise en compte de cette différence est essentielle dans ce type de relation. «[ ] j ai fini par reconnaître que ces différences qui séparent les individus, le droit pour chacun d utiliser son expérience comme il l entend et de lui donner la signification qui lui paraît juste, tout cela représente le plus riche potentiel de la vie». 13 Comprendre l autre c est «entrer dans son cadre de référence» 14. Cette compréhension n est ni aisée ni sans risque, même si elle est toujours enrichissante pour les deux. Cette compréhension n est possible que si l aidant ouvre la voie d une communication permettant à l autre de l exprimer. Rogers va encore plus loin dans cette position en affirmant la nécessité d accepter l autre tel qu il est, ce qui est aussi une démarche difficile. 10 Op cit, page 24 11 op cit, pages 125 à 131 12 op cit, page 4 13 op cit, page 19. 14 op cit, page 17.

Accepter l autre «Tout être est une île, au sens réel du mot, et il ne peut construire un pont pour communiquer avec d autres îles que s il est prêt à être lui-même et s il lui est permis de l être. Ainsi ce n est que lorsque je puis accepter un autre, ce qui signifie spécifiquement que j accepte les sentiments, les attitudes et les croyances qui constituent ce qu il y a de réel et de vital en lui, que je puis l aider à devenir une personne». 15 Permettre à l autre d être ce qu il est provoque le changement selon Rogers, alors qu habituellement, nous sommes animés par le désir d agir sur les autres dans un sens qui nous semble bon, d apprendre aux autres ce qui à nos yeux est important, de les amener à sentir et à penser comme il le faudrait. Nous sommes aussi habitués depuis l enfance à attribuer une valeur au comportement, paroles, attitudes de l autre en fonction de ce que l on est ; nous jugeons acceptable, bien, mal à partir de nos propres catégories. Accepter l autre équivaut à accepter de ne pas faire interférer nos catégories, à ne pas juger l autre même dans son for intérieur, ce qui est un travail très difficile. Accepter l autre, c est l accepter dans son essence. Ne jamais représenter une menace pour l autre Rogers considère que les individus peuvent se sentir très vite menacés dans la relation à l autre ( à partir du jugement qu il soit bon ou mauvais, des renforcements positifs ou négatifs manifestés à propos d attitudes ou de paroles etc.). C est quand l aidé se sent en sécurité avec l aidant qu il peut alors affronter ses propres problèmes. Considérer l autre du point de vue de son potentiel La façon dont je considère l autre va induire des potentialités ou des limites à son développement. C est ainsi que l attitude va venir confirmer un devenir ou des difficultés. «Si j accepte l autre comme quelque chose de figé, déjà diagnostiqué et classé, déjà formé par son passé, je contribue ainsi à confirmer cette hypothèse limitée. Si je l accepte comme un processus de devenir, alors je fais ce que je peux pour confirmer ou réaliser ses potentialités.» 16 15 op cit, page 19. 16 Op cit, page 44.

IV. Utilité et limites de la conception rogérienne Il nous semble que la conception rogérienne présente une utilité pour une attitude participant à «la juste distance» et à l efficacité pour une relation professionnelle visant à accompagner autrui à partir de : la notion d empathie; la notion de congruence, qui n est jamais acquise et qui demande un vrai travail ; sa vision humaniste, philosophique et fondamentalement positive de la personne humaine, de la prise en compte d un potentiel toujours là chez quelqu un ; sa vision d un processus de changement toujours possible : la personne aidée peut changer si elle reconnaît chez l aidant des attitudes qu elle pourra se manifester ensuite à elle-même : si elle se sent écouter, elle sera en mesure de s écouter ellemême, si elle sent un certain degré d affection, elle pourra se regarder elle-même avec affection etc. ; la place d autrui en tant qu expert ; «C est le client lui-même qui sait ce dont il souffre, dans quelle direction il faut chercher, ce que sont les problèmes cruciaux et les expériences qui ont été profondément refoulées» 17.Ce retournement de position en ce qui concerne «l expertise» a été repris par la suite par d autres courants et utilisé dans d autres champs (la consultation en ethnopsychiatrie, l analyse des pratiques selon Livia Scheller [la naïveté du sosie], la relation infirmier/soigné ). L aidant, l accompagnateur est lui aussi «expert», non pas du contenu qui appartient au sujet mais dans la façon dont il va aider l autre à accoucher et agir son projet de vie le postulat que le fond de l être humain est naturellement positif : «[ ] le centre, la base la plus profonde de la nature humaine, les couches les plus intérieures de sa personnalité, le fond de sa nature animale, que tout ceci est naturellement positif, est un fondement socialisé, dirigé vers l avant, rationnel et réaliste» 18 l importance d un intérêt sincère centré sur l autre la recherche de compréhension du cadre de référence de l autre (permet la distinction entre soi et l autre, une des conditions de la «juste distance») en étant centré sur l autre, en l écoutant «activement» et en utilisant la reformulation. l importance d apprendre toujours sur soi-même à travers les interactions avec autrui 17 op cit, page 11. 18 Op cit, page 74 ; en ceci, Rogers (avec Maslow et d autres peu nombreux) s oppose complètement à la conception freudienne de la nature humaine.

Mais elle n est pas sans danger quand elle fait appel aussi fortement à la propre subjectivité de l aidant comme «guide» de sa pratique avec l autre. Il est alors nécessaire, à nos yeux, de disposer de sérieux bagages, diplômes et de supervision si l on ne veut pas jouer les apprentis sorciers avec autrui et basculer dans quelque chose d autre. Carl Rogers n a pas échappé à des critiques de manipulation, d influence sur autrui Les techniques actuelles de développement personnel, les mouvements «new-age», le coatching etc. utilisent certains des concepts rogériens par exemple. Pour Rogers, la professionnalisation participe au maintien d une certaine distance entre soi et l autre qu il considère du même ordre que la réserve ou la relation impersonnelle. Ce point de vue nous semble discutable dans le cadre de la juste distance que nous traitons. De même, la considération positive inconditionnelle nous semble poser un problème dans la mesure où la juste distance à être avec l autre se situe dans un cadre professionnel où missions et règles existent nécessairement. Si elle est effective en thérapie, elle nous semble devoir être nuancée dans un autre cadre. Il nous paraît indispensable de mettre d abord l accent sur une méthodologie rigoureuse mais non rigide ; sur une attitude humaine favorisant l ouverture et la co-construction de sens ; sur l éthique dans le cadre du travail avec autrui. V. Conclusion La conception rogérienne est un tout, indissociablement liée à la personne qu était Carl Rogers 19. Il est toujours difficile, face à une telle cohérence entre personne et conceptions, d en extraire certains concepts sans l attitude générale très personnelle qui les porte. 19 «Je soupçonne fortement que la relation personnelle d aide optimale est celle qui est créée par une personne d une grande maturité psychologique. En d autres termes, ma capacité de créer des relations qui facilitent la croissance de l autre comme une personne indépendante est à la mesure du développement que j ai atteint moimême.» op cit, p.45.