LES GAZ ANESTHÉSIANTS ET LA POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE JEAN-CHARLES LEVESQUE, M.D. ANESTHÉSIOLOGISTE HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR DE MONTRÉAL



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Transcription:

LES GAZ ANESTHÉSIANTS ET LA POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE JEAN-CHARLES LEVESQUE, M.D. ANESTHÉSIOLOGISTE HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR DE MONTRÉAL INTRODUCTION: À l'aube du troisième millénaire, l'humanité fait face à plusieurs grands défis. Lutter contre la pollution atmosphérique est l'un de ces défis. Les conséquences de ne pas le faire seraient nombreuses: effet de serre et réchauffement global de la planète, changements climatiques, destruction de la couche d'ozone stratosphérique, pertes d'écosystèmes fragiles, fonte des calottes glacières, montée du niveau de la mer, etc. Les gaz anesthésiants sont des polluants atmosphériques. Autant le protoxyde d'azote (N 2 O) que les agents halogénés contribuent soit à l'effet de serre ou à l'amincissement de la couche d'ozone stratosphérique. L'impact polluant de chacun peut être étudié séparément. LE PROTOXYDE D'AZOTE (N 2 O): Le protoxyde d'azote est surtout un gaz à effet de serre. Parmi les "gaz traces" causant l'effet de serre, le protoxyde d'azote a une contribution relative à l'effet de serre de 5%. Les autres gaz traces sont le dioxyde de carbone avec une contribution de 60%, le méthane avec 15% et l'ozone troposphérique de 8%. Les CFC-11 et CFC-12 ont des contributions relatives à l'effet de serre de 4 et 8% respectivement 1. La stabilité des liaisons chimiques du protoxyde d'azote est à l'origine de son fort pouvoir absorbant dans l'infrarouge. Le protoxyde d'azote est donc inquiétant en raison de son potentiel d'absorption (200 fois celui du CO 2 ) et de son extraordinaire longévité (demi-vie de 150 ans) 2! Lorsque l'on tient compte de son temps de dégradation dans l'atmosphère, le protoxyde d'azote présente un potentiel de réchauffement par effet de serre de trois cents fois supérieur à celui du dioxyde de carbone.

Depuis des milliers d'années, la concentration atmosphérique du protoxyde d'azote était stable à environ 270 ppm (parties par milliard en volume: 1 X 10-9 ). Depuis un siècle et demi, les activités humaines (dont le développement de l'anesthésiologie moderne!) ont contribué à hausser cette concentration à 315 ppm. Cette concentration atmosphérique est actuellement en hausse de 0.3% annuellement. En l'an 2000 au Québec, 7,3% des émissions de gaz à effet de serre étaient sous forme de N 2 O. Les sources anthropiques du protoxyde d'azote sont nombreuses. Au Canada, l'agriculture est la principale source d'émissions anthropiques de protoxyde d'azote (52%). L'industrie (27%) et le secteur de l'énergie (16%) sont les autres sources d'importance. On estime à 3% la contribution relative de l'utilisation médicale (anesthésique) du protoxyde d'azote dans les émissions anthropiques de N 2 O au Canada, soit 500,000 tonnes équivalentes de CO 2 par an. Le protoxyde d'azote est aussi responsable de l'amincissement de la couche d'ozone stratosphérique. L'inertie de ce gaz lui permet de se hisser jusqu'aux couches de la stratosphère (15 à 60 km en altitude) et c'est là qu'il sera détruit soit par photolyse ou par réaction avec l'oxygène réactive (O - ). Un des produits de ces réactions sera le monoxyde d'azote (NO). Le NO catalyse la destruction de l'ozone stratosphérique en oxygène moléculaire (O 2 ). N 2 O + O - 2NO 2NO + 2 O 3 3 O 2 + 2 NO Net: 2 O 3 3 O 2 Ozone oxygène LES HALOGÉNÉS: Les halogénés sont des gaz moins polluants que la croyance populaire peut le laisser croire. Langbein 3 et Brown 4 ont évalué le potentiel polluant de nos gaz halogénés. À l'aide d'une expérimentation sophistiquée en laboratoire, ils ont démontré que les demi-vies atmosphériques des halogénés sont de

l'ordre de 5 à 7 ans en moyenne. Selon le modèle de Langbein, moins de 20% des halogénés pénétreront dans la stratosphère. Lorsque comparé à un CFC-12 (ayant une valeur de 100%), le potentiel d'effet de serre des halogénés est de 3.8% en moyenne; la valeur individuelle la plus élevée étant celle du Desflurane (14%). Cependant, une courte longévité dans l'atmosphère et la production mondiale relativement faible de ces gaz, résultent en une contribution globale à l'effet de serre de 0.03%. Lorsque comparé à un CFC-11 ayant une valeur de 100, le potentiel d'amincissement de la couche d'ozone stratosphérique (PACO) pour les gaz halogénés est calculée comme suit: PACO Gaz Brown Langbein CFC-11 100 100 Halothane 36 156 Enflurane 2 4 Isoflurane 1 3 Desflurane 0 0 Sévoflurane 0 0 N 2 O 15 La présence de brome dans la structure moléculaire de l'halothane est responsable de son PACO élevé; le brome étant à lui seul de 50 à 80 fois plus puissant que le chlore pour catalyser la destruction de l'ozone. L'absence de chlore et de brome dans la structure moléculaire du Desflurane et du Sévoflurane, les rend inoffensifs en présence d'ozone stratosphérique d'où leur valeur de PACO nulle. Jean-Charles Levesque, md Anesthésiologiste Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal

RÉFÉRENCES: 1. H. Rodhe "A comparison of the contribution of various gases to the greenhouse effect" Science, 8 juin 1990, 248: 1217-1219. 2. Claude Villeneuve et François Richard "Vivre les changements climatiques L'effet de serre expliqué" Édition MultiMondes 2001, pp 18-22. 3. T. Langbein "Volatile anaesthetics and the atmosphere: Atmospheric lifetimes and atmospheric effects of halothane, enflurane, isoflurane, desflurane and sevovlurane". British Journal of Anaesthesia, 82 (1): 66-73 (1999). 4. Bronw AC. "Tropospheric Lifetime of Halogenated Anaesthetics" Nature, 1989, 41: 635-7. 5. Logon M. Farmer JG. "Anaesthesia and the Ozone Layer" British Journal of Anaesthesia, 1989, 63: 645-7. 6. Sherman SJ. "Nitrous Oxide and the greenhouse effect" Anesthesiology, 1988, 68: 816-7. 7. Waste Anesthetic Gases ASA Information for management in Anesthetizine Areas and the post-anesthesia Care Unit (PACU). 8. G. Paolo Novelli + Bonetti "Closed circuit anesthesia: preservation of the environment" Applied cardiopulmonary Pathophysiology, 5 (suppl 2): 69-71. 9. Thomas Max. "Pollution of the environment and the workplace with anesthetic gases" Int. Anesthesiol Clin, 2001 Spring 39 (2): 15-27. 10. J.A. Boum "Low-Flow Anaesthesia: the reussible and judicious use of inhalation anaesthetics" Acta Anaesthesiol Scand, Suppl 111, 1997, pp 264-267.

11. Inventaire canadien des gaz à effet de serre (Gouvernement du Canada). 12. Festy B. "Les oxydes d'azote: des polluants atmosphériques majeurs?" Annales pharmaceutiques françaises, Vol 5, No 4; 1997, pp 143-53.