ANALYSE. La transition énergétique allemande à la recherche de son modèle

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Transcription:

La transition énergétique allemande à la recherche de son modèle Florence Chapuis et Nicolas Goldberg Souvent présenté comme un modèle, le programme allemand de développement des énergies renouvelables et de sortie du nucléaire (Energiewende) a obtenu des résultats spectaculaires, mais coûteux pour les ménages qui paient en moyenne 2 fois plus que leurs homologues de ce côté-ci du Rhin. Des aménagements ont ainsi été adoptés récemment par le gouvernement de Berlin. L analyse de l expérience allemande peut être profitable pour la France qui prévoit de voter cette année un programme de transition énergétique marqué par la croissance du renouvelable et la réduction de la part du nucléaire. Réputée pour être en avance dans le développement des énergies renouvelables, l Allemagne est souvent citée en exemple par les promoteurs d un mix énergétique plus «vert» et moteur de la compétitivité des entreprises. En effet, lancée dans un plan ambitieux soutenu par une grande majorité de la population malgré des augmentations annoncées du prix de l électricité, l Allemagne affiche aujourd hui des résultats en ligne avec ses objectifs de 80 % d électricité d origine renouvelable et la création de 400 000 emplois verts. Pourtant, cette image commence à se ternir outre-rhin : la facture d électricité des ménages a doublé en 15 ans et les champions nationaux de l énergie enregistrent leurs premières pertes depuis plus de 60 ans d existence. Suite à ces constats, les industriels allemands ont lancés plusieurs initiatives pour faire face à cette situation : à leur demande, une réflexion sur le «tournant énergétique» est à l étude pour trouver un mode de développement plus viable des énergies renouvelables. Alors qu en France des réflexions et des débats sont en cours sur une loi de transition énergétique, il parait essentiel d identifier les moyens de surmonter les obstacles et de définir un modèle de développement des énergies renouvelables adapté à notre écosystème et à l objectif ambitieux des 27 % d énergies renouvelables dans le mix électrique à horizon 2020. Comment l observation de la situation allemande peut-elle aider à dépasser le débat du «pour ou contre le nucléaire» et trouver ainsi un nouveau souffle? Dans un contexte de crise, comment faire évoluer le mode de financement des énergies renouvelables en limitant les impacts sur le pouvoir d achat et la compétitivité de nos entreprises? Quels sont les mécanismes déjà à l œuvre? Colombus Consulting propose un retour d expérience du modèle allemand et ses enseignements. 1. Dynamique régionale et fortes taxes, moteurs du renouvelable En Allemagne, l investissement énergétique est structuré autour de la notion «d autonomie énergétique régionale» des Länders. L organisation fédérale permet à chaque Land de développer sa propre stratégie énergétique, en mettant au second plan la cohérence 184

d ensemble du pilotage de la transition. En trente ans de décentralisation, les régions françaises disposent également d outils réglementaires et de la légitimité en matière d aménagement du territoire, voire de définition du mix énergétique. Les responsabilités, moyens et compétences opérationnels seraient à revoir si l on voulait aller plus loin dans leur implication dans la transition énergétique. Entre la France et l Allemagne, des similitudes existent sur le modèle financier Entre la France et l Allemagne, des similitudes existent toutefois sur le modèle financier, mais pas sur les montants. En effet, les consommateurs d électricité allemands et français paient une taxe pour financer l essor des énergies renouvelables, avec la particularité qu en France, cette taxe, la Contribution service public d électricité (CSPE), sert également à financer la péréquation tarifaire et les tarifs 7 % 8 % 14 % 6 % 4 % Photovoltaïque 27 % 35 % Tarifs sociaux Figure 1. CSPE 2014, coût total : 6,2 milliards d euros Source : site officiel de la CRE 1,60 % 0,80 % 5,50 % Photovoltaïque 19,20 % 24,70 % 48,30 % Biomasse Éolien Figure 2. EEG 2014, coût total : 20,4 milliards d euros Source : Eurostat, bdew 2013 185

La transition énergétique allemande à la recherche de son modèle sociaux. Son équivalent allemand, l Erneuerbare Energien Gesetz (EEG) sert exclusivement à financer l essor du renouvelable. En conséquence, en 2013, plus de 20 milliards d euros de taxes ont servi à financer les énergies renouvelables en Allemagne, contre seulement 4 milliards sur les 6,2 milliards d euros de CSPE en France. Bien évidemment, ces taxes influent sur le prix payé par les consommateurs. En Allemagne, les différences de traitement sont considérables : les 2 000 entreprises électrointensives allemandes, responsables de la moitié de la consommation d électricité du pays, sont exonérées de la taxe EEG alors que les ménages et les PME en paient la totalité. Ce choix stratégique vise à ne pas pénaliser la compétitivité de ces entreprises à l international, particulièrement précieuse dans le modèle économique allemand. Ainsi, en Allemagne, l effort de financement est essentiellement porté par les particuliers : pour une consommation annuelle de 3 500 kwh (correspondant à un foyer de 3 personnes), la facture atteint 260 par mois, soit le double de 1998 en raison des taxes multipliées par 3. Selon la comparaison faite par le Trésor public en novembre 2013, un foyer français paierait 139 pour le même niveau de consommation, soit presque moitié moins. Ces hausses et cette répartition des coûts ne sont d ailleurs pas passées inaperçues en Europe. Le commissaire européen en charge de l Énergie, Günther Oettinger, déclarait ainsi en 2013 que le coût de l électricité en Allemagne devait trouver un équilibre, notamment pour les ménages, et appelait l Allemagne à trouver un compromis sur le développement des énergies renouvelables. 2. Tarifs d achat des renouvelables revus à la baisse Soucieux de «briser cette dynamique des coûts», le ministre de l Économie et de l Énergie, Sigmar Gabriel, a donc proposé en début En Allemagne, l effort de financement est porté par les particuliers d année 2014 une réforme de l Energiewende, le «tournant énergétique». Pour des questions de légalité, les droits acquis des installations existantes ainsi que l accès prioritaires des énergies renouvelables aux réseaux seront maintenus et les tarifs de rachat «historiques» ne seront pas rétroactivement révisés. Ce principe, existant également en France, est primordial pour garantir aux constructeurs la pérennité de leurs investissements et conserver la confiance du marché. En revanche, pour les installations à venir, les règles pourraient évoluer. Le tarif de rachat va ainsi être revu à la baisse, pour passer en moyenne de 170 /MWh à 120 / MWh et les subventions de certaines technologies, désormais considérées comme matures, seront progressivement diminuées. Par ailleurs, des objectifs annuels d installation seront fixés par décret. Chaque année, la puissance installée qui dépassera ces objectifs bénéficiera d un tarif de rachat revu à la baisse pour contrôler le déploiement des énergies renouvelables et en maîtriser les coûts. Enfin, un dégrèvement progressif des exonérations des industries électro-intensives pourrait être mis en place. Cette piste ne sera cependant pas étudiée avant le mois d août 2014, après qu un accord avec Bruxelles ait été négocié. Recommandée par la plupart des instances régulatrices nationales, la généralisation des appels d offres pour le renouvelable devra encore attendre. Toutefois, la puissance installée chaque année sera bien limitée puisque seule une quantité limitée de puissance pourra avoir accès au tarif de rachat maximum. Si ces réformes sont encourageantes pour le coût du renouvelable et la facture des ménages, elles sont toutefois insuffisantes selon les énergéticiens nationaux. E.ON et RWE en particulier estiment que la rentabilité de leurs actifs ne sera pas assurée, notamment du fait de l absence de rémunération des installations conventionnelles (fioul, gaz, charbon) en période d inactivité. Le renouvelable bénéficiant d un accès prioritaire au réseau, les énergies conventionnelles, comme le gaz, le charbon ou le nucléaire, 186

doivent s effacer lorsque les énergies renouvelables produisent afin qu un maximum «d électricité verte» soit injectée sur le réseau. Si le principe est louable (il permet de maximiser le rendement des énergies renouvelables), il n en est pas moins pénalisant pour les autres énergies qui, étant pourtant moins chères, deviennent des poids morts pour leurs exploitants. La rentabilité des installations de production d énergies conventionnelles est ainsi fortement touchée par la priorité donnée aux énergies renouvelables sur le réseau. 3. Le défi de la rentabilité pour les énergies conventionnelles Structurellement, les énergies renouvelables ne sont pas vendues sur les marchés car leur tarif est fixé par un prix de rachat garanti. Ce mécanisme a deux principales conséquences. La première : une grande partie de l énergie est achetée en priorité en dehors des marchés ; les centrales vendant leur énergie sur le marché de gros ont ainsi été délaissées et ont vu leur temps d utilisation chuter de 6 000 à 500 heures par an dans le cas de certaines centrales à gaz. La seconde : de moins en moins d électricité est achetée sur les marchés de gros. La baisse du prix de l énergie est ainsi renforcée sur ce marché puisque le rapport offre/demande n est pas représentatif des réels échanges. Dans le cas de l Allemagne, les prix ont été divisés par 2 : en passant de 80 /MWh à 40 /MWh, les prix du marché de gros suffisent à peine à couvrir les coûts d exploitation des centrales d appoint, pourtant indispensables à la sécurité du réseau lorsque les énergies renouvelables, intermittentes, ne produisent pas. Déstabilisant ainsi le marché, la production massive d énergie renouvelable injectée prioritairement sur le réseau a eu des conséquences visibles : enregistrant leurs premières pertes depuis plus de 60 ans d existence, les principaux énergéticiens allemands, E.ON et RWE, ont annoncé leur intention de fermer plus de 10 GW de puissance et accompagnent leurs efforts de réduction des coûts de vastes plans La généralisation des appels d offres pour le renouvelable devra encore attendre de licenciements, dans la continuité de ceux décidés suite à la sortie du nucléaire. Outre l emploi, la sécurité du réseau est aussi mise à mal : fermer l équivalent de sept EPR supplémentaires n est pas sans conséquence pour le réseau. Le cas allemand n est d ailleurs pas isolé en Europe : en France et dans d autres pays, les prix bas et la faible utilisation de certains moyens de production ont conduit par exemple GDF-Suez à mettre sous cocon plusieurs installations, estimant que leur temps d utilisation ne permettait pas de justifier économiquement leur exploitation. Pour remédier à la sécurisation du réseau, la France pourrait cette fois servir d exemple. En Allemagne, plusieurs industriels et énergéticiens ont demandé que soit étudiée la mise en œuvre d un mécanisme de capacité, comme celui qui entrera en vigueur en France en 2015. Ainsi, les capacités installées, participant à la sécurité du réseau mais ne pouvant pas vendre leur énergie sur le marché en raison de la concurrence du renouvelable, pourraient trouver une autre source de revenus et éviter les mises sous cocon. En complément d un éventuel marché de capacité, et c est là une grande innovation des adaptations de l Energiewende, il est prévu que les énergies renouvelables passent désormais l épreuve du marché. En effet, les installations de plus de 500 kw devront vendre directement leur électricité sur le marché, la différence avec le tarif de rachat garanti leur étant rendu à l aide d une prime. Ce seuil de puissance sera ensuite abaissé à 250 kw en 2016 et à 100 kw en 2017. Cette expérience sera intéressante à suivre et pourrait être étudiée dans le cadre de la réflexion sur la loi de transition énergétique en France : les énergies seront intégrées au marché tout en bénéficiant d une prime pour assurer leur rentabilité, ce qui est une première malgré les multiples appels à intégrer les énergies renouvelables sur le marché depuis de nombreuses années. À long terme, ce mécanisme pourrait permettre d anticiper la «parité réseau» prévue en 2020, où les énergies renouvelables auront le même coût que les énergies conventionnelles. 187

La transition énergétique allemande à la recherche de son modèle Ces innovations règlementaires sont encourageantes pour l avenir du renouvelable et la trajectoire des prix de l électricité. Néanmoins, pour résoudre la problématique dans son ensemble, le développement des réseaux est incontournable : une plus grande utilisation du stockage et des réseaux intelligents pourraient limiter le coût des investissements à engager et à répercuter sur les consommateurs. 4. Les smart grids limiteront les coûts de raccordement au réseau Les réseaux européens et mondiaux ayant été historiquement pensés pour une électricité produite de façon centralisée et raccordée au réseau de transport, un nouvel effort de conception et d investissements doit être fourni pour pouvoir intégrer les énergies décentralisées et éviter les dysfonctionnements. Ainsi, lorsqu un producteur demande à être raccordé à un réseau, une étude de renforcement du réseau est faite pour connaître l impact de la nouvelle énergie raccordée et le coût du renforcement du réseau nécessaire pour son exploitation. Le coût du renforcement est ensuite partagé entre l exploitant réseau et le producteur pour raccorder le nouveau parc de production. En Allemagne, des innovations règlementaires et techniques sont à l étude pour limiter ce coût de renforcement. Ainsi, plutôt que de proposer un raccordement sans condition aux producteurs de renouvelable, les exploitants de réseau peuvent désormais expérimenter de nouvelles clauses permettant de faire baisser les coûts de raccordement. Par exemple, il est possible pour un exploitant de proposer de raccorder un producteur à moindre coût avec une clause de limitation de puissance certains jours où la production est déjà trop abondante sur le réseau, comme c est le cas durant les été chauds où le solaire produit au maximum de sa puissance alors que la consommation est faible. Selon certaines études, cette simple innovation règlementaire, mise en œuvre dans plusieurs démonstrateurs smart grids, permettrait de doubler les capacités du réseau et donc de diviser par 2 les coûts d investissements nécessaires. Par ailleurs, le développement des installations de stockage d électricité permettra de diminuer davantage ce coût de renforcement : en incitant les exploitants de parc de stockage à équiper leurs installations d outils de télécommunication permettant de les contrôler à distance, il sera possible d arbitrer entre l injection des stocks et le soutirage sur le réseau lorsque l électricité est trop abondante. Ces flexibilités, qui pourront également être valorisées sur les marchés, permettront de renforcer le réseau de manière implicite lorsque l électricité circulant sur le réseau est insuffisante ou, au contraire, trop abondante. En France, le récent appel d offres de la CRE sur le stockage de l électricité permettra de tester la viabilité du concept et ses bénéfices pour l intégration du renouvelable. 5. Trois enseignements pour la France En synthèse, il ressort que la transition énergétique passe sans doute par la recherche d un équilibre au niveau des territoires avec la nécessité de maintenir la sécurité du système, à concilier en France avec le principe pré-existant de solidarité entre les territoires. Par ailleurs, nous pouvons tirer trois enseignements du retour d expérience de l Energiewende. Le premier est que le système d obligation d achat seul a atteint ses limites pour le développement du renouvelable : il est désormais nécessaire de compléter ce système par d autres dispositifs pour préserver le coût d achat des énergies renouvelables et préparer leur atteinte de la parité réseau, d autant plus que les ménages français n accepteront pas la même hausse de tarifs que leurs homologues allemands. Le deuxième est qu il ne faut plus dissocier les énergies renouvelables des énergies non renouvelables en termes de traitement économique, au risque de fausser le marché et de rompre la promesse de maîtrise des coûts et de sécurisation du réseau faite lors de l ouverture des marchés. Enfin, le dernier enseignement nous rappelle que tout changement favorise l innovation : en inventant un nouveau modèle compatible avec les nouveaux modes de production, ce sont de nouvelles technologies, de nouvelles activités et donc de nouveaux emplois à créer. 188