Quelle portée dans la transmission du nom de famille?



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Transcription:

Frédou Braun 1 Quelle portée dans la transmission du nom de famille? Depuis le 1 er juin dernier, la loi 2 sur le nom de l enfant est entrée en vigueur : les parents sont libres de choisir, au moment de la déclaration de naissance, le nom de famille qu ils donnent à leur enfant : soit celui du père (comme précédemment), soit celui de la mère, soit les deux (dans l ordre qu ils souhaitent). Le choix du nom de famille opéré est irrévocable et s impose à tous les autres enfants communs nés ultérieurement, mais aussi aux enfants communs, mineurs déjà nés ou adoptés avant le 1 er juin 2014, pour lesquels une déclaration de changement de nom doit être effectuée dans les trois mois qui suivent ladite naissance ou adoption, de sorte que tous les frères et sœurs, de mêmes parents, portent le même nom de famille. Il est possible également de demander un changement de nom pour des enfants mineurs par le biais d'une déclaration qui doit être faite avant le 31 mai 2015, période transitoire d un an prévue par la loi. Une fois la majorité de l un de leurs enfants atteinte, les parents n ont plus le loisir de modifier le nom de leurs enfants. Reculer pour mieux sauter En Belgique, la réflexion est en cours depuis une quinzaine d années. En 1978 déjà, le Conseil de l Europe adopta une résolution qui recommande aux gouvernements des Etats membres d assurer ou de promouvoir l égalité des époux en droit civil, notamment en ce qui concerne l attribution du nom de famille 3. La Cour de Justice européenne, aujourd hui, demande instamment aux pays européens de modifier leur système de transmission de nom afin de permettre à la mère de pouvoir également transmettre son nom, et à l enfant de porter un double nom. La modification est de taille puisqu elle met fin à une tradition patriarcale qui octroyait d office le nom du père uniquement (sauf hors mariage) à un enfant. Les législations des pays européens divergent : en Allemagne et au Danemark, le choix est de mise entre le nom du père ou de la mère ; en Espagne, les deux noms (le premier des noms du père suivi du premier des noms de la mère) sont automatiquement donnés à l enfant ; en France, depuis 2005, le choix porte sur le nom du père, de la mère, ou des deux noms accolés suivant l ordre souhaité par les parents. L'Italie et la Suisse sont dorénavant les seuls pays européens à interdire la transmission du double nom de famille. La Belgique a maintenant franchi le pas, même si les discussions politiques furent longues et animées, et les oppositions fréquentes. En se renvoyant leurs arguments, les partisan.e.s se 1 Chargée de projets au CEFA asbl 2 Loi du 8 mai 2014 modifiant le Code civil en vue d instaurer l égalité de l homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l enfant et à l adopté. 3 Lire Catherine Bruyère et José Gérard, «Quel nom de famille transmettre?», Couples et Familles, 2012

réjouissent de la liberté de choix, les détracteurs/rices dénoncent les complications et les conflits que l application de la loi pourrait provoquer à l avenir. Un grand changement pour la société belge? Une modification symbolique oui, fondamentale sans doute, car c est une mesure qui s inscrit dans le droit et dans la vie quotidienne de chacun.e au travers de son identité 4. Les parents vont-ils dorénavant s approprier cette loi pour changer les habitudes, faire évoluer les mentalités, modifier les places de chacun.e? Une question de filiation symbolique Le nom de famille est loin d être anecdotique, il renvoie à la filiation et touche à l intimité de l identité et de la transmission. On parle d ailleurs de «patronyme» et non de «matronyme». Reconnaître alors la possibilité d une double filiation reflète la réalité et permet à chaque enfant de porter le nom de ses deux parents. Lorsque les femmes ne peuvent transmettre leur nom à leur descendance, les parents sont portés à souhaiter et à valoriser davantage les garçons, héritiers de la lignée, seuls garants de la continuité du nom de famille. Une famille sans mâle voit son nom de famille s éteindre. Il en va de même du choix de garçon en ce qui concerne les adoptions. La discrimination envers les femmes est donc l un des arguments en faveur du changement de loi. Dans le cas de demi-frères et sœurs ayant le même père, portant donc le même nom, ils et elles sont considéré.e.s plus facilement comme d une même fratrie. A l inverse, les demifrères et sœurs de même mère doivent souvent justifier qu ils et elles sont bien frères et sœurs. Ce ne sera plus le cas heureusement, puisque la mère pourra donner un nom commun à tous ses enfants, même de pères différents. Lien symbolique pour la vie. Mais est-ce vraiment son nom ou le nom du grand-père paternel? Il est probable aussi que des enfants ayant en commun un même père, ou une même mère, portent des noms tout à fait différents. La nouvelle loi va accélérer le processus de perte de fonction identificatrice du nom qui est par ailleurs déjà en cours, puisque l identification des personnes se fait de plus en plus par des codes que par des noms. Le numéro de registre national que l on retrouve sur tous les documents officiels en est l exemple le plus parlant. Dans certains pays d Europe et en Amérique latine, l enfant reçoit traditionnellement le double nom de ses parents, celui du père suivi de la mère, c est-à-dire le premier nom de chacun des parents, donc le nom paternel. Ce sont donc au bout du compte les noms paternels qui se pérennisent. Au moins cette règle a le mérite de simplifier les choses. La question de la transmission et de l héritage posait problème pour des personnes, venant d un autre pays, ayant déjà un double nom, et qui en Belgique, était obligé de transmettre leur propre double nom à l enfant, alors que dans le pays d origine, l enfant reçoit le double nom de son père et de sa mère. Deux identités avec deux noms distincts. Et pourtant la même personne! Avec son passeport belge, l enfant devient, officiellement pour le pays 4 Voir «Double patronyme : était-ce bien une priorité?», in Le Soir, 27 février 2014

d origine, «le frère ou la sœur» de son père. Les conséquences, parfois difficiles à gérer, s observent dès lors surtout en matière de succession. Une loi historique dans la voie de l égalité En mettant fin à la tradition patriarcale en matière de filiation, la Belgique marque une avancée sociétale où le père et la mère sont mis sur un pied d égalité. Et cette égalité, elle se veut autant dans le partage du nom que dans le partage des tâches et de l éducation. La croyance qui nous imprègne est que si la femme donne la vie, l homme donne son nom. Se reposant sur la filiation originelle de la mère et du père qui s'établit forcément de manière différente, certains diront qu on sait de quel ventre sort l enfant, alors que le père peut toujours douter de sa paternité. La règle patrilinéaire peut être considérée comme un usage historique et révélateur de notre société basée sur la dichotomie du symbolique pour le père et du charnel pour la mère. Même si on sait qu un arbre généalogique ne reflète pas nécessairement une réalité sanguine. C est donc bien la transmission du patronyme qui importe. En donnant son nom, un père reconnaît symboliquement son enfant et renforce aujourd hui sa parentalité dans une société où les repères familiaux explosent. C est dans le quotidien de la vie que se joue ensuite l appartenance à telle ou telle famille, comme le fait de porter le même nom paternel entre cousin.e.s rapproche. Chacun.e de nous est parfois identifié comme de la même famille qu un.e tel.le, le côté maternel restant insensiblement dans l ombre, à moins de s y intéresser. Viser l égalité ne signifie pas nier les différences des femmes et des hommes face à la procréation, mais la transmission du nom du père uniquement est un arbitraire sociétal 5 qui entretient la discrimination des femmes. Une demande sociale? Y avait-il une demande sociale 6 significative, une préoccupation réelle, visant à porter un double nom et à abandonner ce principe séculaire lié à la transmission du nom du père? Il semble que la demande était réelle dans le cas de remariages ou de familles recomposées 7. Etait-ce bien une priorité politique face à une discrimination envers les femmes intégrée depuis des siècles? Même s il reste bien des inégalités économiques, salariales entre les femmes et les hommes à différents niveaux de la société, cette mesure permet de faire un pas pour faire évoluer les mentalités, pour contribuer à construire une société plus équilibrée. Les réticences à modifier la loi proviennent sans doute d une peur des hommes de voir les femmes prendre une revanche sur des siècles de noms abandonnés et les évincer du système de transmission du nom 8. En réalité, on observe que dans les pays tels que la France, où la loi a été modifiée de façon à ce qu un enfant puisse porter le nom d un des deux parents, ou la composition des deux noms, la majorité des parents continuent à donner le nom du père. En effet, l Insee indique que «près de 83% des enfants nés en 2012 portent 5 Lire Catherine Bruyère et José Gérard, «Quel nom de famille transmettre?», op.cit. 6 Lire «Le choix du nom vaut-il une dispute familiale?», in Le Soir, 27 février 2014 7 Lire «Quel foutoir, nom de nom!», in Le Soir, 20 mars 2014 8 Lire Catherine Bruyère et José Gérard, «Quel nom de famille transmettre?», op.cit.

uniquement le nom de leur père ; quand 8,5% d entre eux portent le double nom, la première position revient au nom du père dans la majorité des cas (environ quatre sur cinq) 9». Le double nom est une solution à court terme puisqu un des deux noms disparait lors de la génération suivante. Cependant, les parents peuvent éprouver une plus grande satisfaction à être tous deux représentés à part égale dans le nom de leur propre enfant. Sans illusions quand même puisque le nom maternel provient en général de sa lignée paternelle. Mais revenir à un nom maternel originel est un leurre. Il faudra plusieurs générations pour «effacer» la trace patriarcale. Inconvénients pratiques Quels sont les inconvénients que peut présenter cette réforme? En plus du choix du prénom qui réservait parfois bien des discussions entre les futurs parents, ceux-ci devront faire un choix supplémentaire qui aura des conséquences, au moins symboliques, sur l avenir. La multiplicité des combinaisons patronymiques possibles (jusque 10 à la 2 e génération) risque d'entraîner des complications et des réajustements sur la place de chacun.e dans les familles où le nom devient alors subitement un enjeu. Et cela dans un contexte où les familles monoparentales et recomposées sont de plus en plus nombreuses. Entreprendre des recherches généalogiques dans les générations suivantes va s avérer nécessairement plus compliqué. La tâche du notaire, chargé de retrouver une famille en cas de succession sans héritier, sera-t-elle plus lourde? Et conséquence imaginable dans l avenir : les noms les «moins nobles» seront appelés à se raréfier, voire à disparaître, au profit de noms plus prestigieux. Tandis que certains noms voués à disparaître reviendront à la surface. Il y a aussi certains noms qui facilitent plus que d autres l intégration dans la société, ce qui permettra aussi de donner un avantage significatif à un enfant. En cas de désaccord : quelle égalité? A défaut de choix ou en cas de désaccord entre les parents, malgré des tergiversations, la Chambre a amendé l article de loi stipulant que l enfant reçoit automatiquement le nom de famille du père, comme ce fut le cas jusque maintenant. Le père dispose donc d un droit de véto qui lui permet d éviter que l enfant reçoive (aussi) le nom de la mère. L'Institut pour l égalité des femmes et des hommes 10 souhaite une amélioration de la loi et plaide devant la Cour constitutionnelle pour l annulation de cet article de loi qui engendre une discrimination à l égard des femmes, des mères. Pourquoi les pères peuvent-ils avoir la possibilité de refuser le nom de la mère de leur enfant et d imposer le leur? Si un conflit naît au sein d une famille, pourquoi le vainqueur doit-il être le père par avance? Quand donc les femmes seront-elles considérées comme les égales des hommes et auront-elles les mêmes droits? 9 Lire Annick Faniel, «Le double nom de famille : réflexions sur un nouveau modèle de transmission du nom», Cere asbl, 2014. Voir aussi : http://www.insee.fr/fr/ 10 Voir communiqué de presse de l Institut pour l égalité des femmes et des hommes : «Le nom de famille des mères et des pères inégaux devant la loi», 28 novembre 2014

Tous les pays européens n ont pas établi une façon identique 11 de répondre à ce questionnement. En Espagne, il n y a pas de choix, l enfant porte automatiquement le nom du père suivi de celui de la mère. En France, s il y a désaccord, c est l ordre alphabétique qui prime. Au Luxembourg, l ordre des noms est défini par un tirage au sort effectué par l officier de l état civil. Au Chili curieusement, s il arrive qu une mère donne naissance à un enfant sans la présence du père, le double nom étant imposé dans l ordre père-mère, la mère peut donner le nom du père, même s il n est pas au courant lui-même! Cela prouve bien que les lois sont là pour installer un cadre, mais qu à l intérieur de ce cadre, toutes les formes sont possibles. L Institut recommande 12, en cas de désaccord entre les parents ou d absence de choix, d utiliser automatiquement le double nom de famille avec une règle neutre pour définir l ordre des deux noms. Comme cela se pratique en Espagne et en Amérique latine. Ce qui permettrait d éliminer une discrimination à l encontre des femmes, de garantir une protection égalitaire du droit à la vie privée et familiale, d éviter des relations de pouvoir, et également de combattre le souhait plus marqué pour la naissance ou l adoption d un garçon plutôt qu une fille. Avant l adoption de cette loi, l Institut avait reçu des plaintes de femmes et d hommes, en raison de la discrimination dont sont victimes les femmes qui ne pouvaient donner leur nom à leurs enfants. Depuis l entrée en vigueur de la loi, de nouvelles demandes d informations ont été enregistrées de la part de parents voulant connaître leurs droits et obligations et quelques plaintes de femmes qui, en raison d un désaccord entre les parents, se sont vues imposer le nom du père. Quelle place dans la parentalité? Le débat permet d interroger les liens familiaux, l histoire de chacun.e, la question de la transmission, mais aussi le rapport à l autre et la place de la mère et du père dans la parentalité. Il est essentiel que les liens avec les deux parents soient effectifs, tant dans la charge éducationnelle que dans l investissement affectif. Dans un contexte sociologique où les liens affectifs sont fragilisés et où les séparations et recompositions familiales sont plus fréquentes, il semble nécessaire de marquer socialement et juridiquement le lien aux deux origines de l enfant, et de veiller à le garantir. Le nom de famille, longtemps considéré comme un signe intangible de l'inscription dans la lignée paternelle, devient le fruit d'un choix affectif et personnel effectué par les parents. La famille n'est plus une chaîne de générations soumise à la loi commune, mais un espace de discussion où les individus peuvent exercer leur liberté. Pour la première fois de l'histoire, les pères et les mères ont leur mot à dire : c'est à eux et à elles, et non plus à la société, d'inventer (dans un certain cadre) le nom de famille qu'ils et elles souhaitent donner à leur enfant. 11 Lire «Le nom du père, de la mère ou les deux», in Le Soir, 26 février 2014 12 Voir communiqué de presse de l Institut pour l égalité des femmes et des hommes, op.cit.

Espérons que cette loi ne suscite pas de nouvelles difficultés dans des situations de parentalités particulières, comme les couples homoparentaux ou les couples ayant eu recours à une insémination avec donneur extérieur, ou éventuellement à une mère porteuse. Si l intérêt de l enfant est prioritaire, il faut aussi veiller au respect des intérêts de tous les protagonistes 13, dans des situations que les évolutions sociologiques et scientifiques rendent beaucoup plus complexes que dans le passé. «A ceux qui se demandent si cette loi répond à un besoin sociétal, nous répondons que se poser la question, c est se demander si l égalité répond à un besoin sociétal» affirme Michel Pasteel-Bataille 14. Dans la lignée des combats féministes, c est un combat partagé des hommes et des femmes pour une société plus égalitaire. Il est donc nécessaire qu au sein même de la famille, l égalité soit reconnue. Même si ce n est qu un pas et qu il y a encore beaucoup d autres initiatives à prendre. 13 Lire Catherine Bruyère et José Gérard, «Quel nom de famille transmettre?», op.cit. 14 Directeur de l Institut pour l égalité des femmes et des hommes