NOTE DE SYNTHESE Gestion des flux et création de nouvelles frontières



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Transcription:

NOTE DE SYNTHESE Gestion des flux et création de nouvelles frontières Une part importante de la prospérité des économies modernes tient à leur capacité de favoriser l accélération des échanges. Le trait de la mondialisation réside dans l explosion des flux qui peuvent être distingués entre quatre types selon qu ils intéressent les hommes, les biens et services, les capitaux et enfin l information. Face à l étendue du sujet, et sans méconnaître l interdépendance de chacun de ces types de flux, la présente étude limite son champ de réflexion aux seuls flux humains, et plus particulièrement à la question de l immigration en France et en Europe. Tout porte à croire que les flux migratoires dirigés des pays pauvres vers les pays développés vont s accroître du simple fait de la faiblesse démographique de ces derniers. Dans un monde fragmenté, d abord par la dislocation des empires coloniaux puis par l effondrement du système communiste, les disparités de niveaux de vie, de systèmes éducatifs et de protection sociale ne cessent de s accroître. Relayée par les médias à l échelle mondiale, l image du mode vie occidental exerce sur l imaginaire des peuples un attrait aussi fort que jadis l Eldorado. La création chaotique de nouveaux Etats et la misère institutionnelle de beaucoup d autres, d une part, l abondance des migrations volontaires ou forcées d autre part, sont deux aspects d un même phénomène qui marque désormais les relations internationales. Au-delà de la question humanitaire, les migrations sont aussi un moyen pour les gouvernements autoritaires des pays pauvres et peuplés d une part de réguler en interne la pression sociale dans leur pays mais également un moyen d action politique à destination des démocraties occidentales. La France, terre d immigration La France est un pays d immigration depuis la seconde moitié du XIXeme siècle mais on peut se demander si elle n a jamais eu une politique d immigration. La France n a eu de cesse de répondre au coup par coup aux aléas de la conjoncture, aux pressions de l opinion et aux besoins de l économie. L ordonnance du 2 novembre 1945 peut être considérée comme le premier socle d une politique, visant alors à pallier les insuffisances de la natalité française et à répondre aux besoins de la reconstruction. Mais la fin de l immigration de main d œuvre décidée en 1974 et les innombrables modifications à la législation sur l entrée et le séjour intervenues depuis 1980 sont révélatrices d un échec de l action publique. L immigration est une question essentielle pour notre société, partagée entre son attachement à l identité nationale et le respect des droits de l Homme. En déclarant que la France ne pouvait accueillir toute la misère du monde mais qu elle devait savoir en prendre fidèlement sa part, Michel Rocard est sans doute l homme politique qui a su le mieux poser les termes d un débat toujours ouvert, souvent passionné mais qui en définitive n a reçu à ce jour que des réponses techniques et non politiques. Les questions de l immigration et de l intégration sont étroitement imbriquées. De ce point de vue, ce sont sans doute les difficultés voire les échecs de notre modèle national d intégration qui nous amènent à nous interroger sur la question de l immigration avec le risque d un amalgame entre étrangers, immigrés et populations issues de l immigration mais de Retour sommaire général

nationalité française. D une certaine façon, les échecs de notre modèle d intégration sont le révélateur des lacunes de notre politique d immigration. A la recherche d une politique L immigration reste une question taboue. Au risque d être accusé de racisme, il est difficile de traiter de la question des ghettos urbains, de la concentration géographique de l immigration et du danger d ethnicisation de la société française. Notre connaissance du phénomène n est éclairé que de part en part par des faits divers qui nous rappellent la réalité des foyers d hébergement, de la polygamie, des mariages forcés ou de la condition de la femme au sein des populations immigrés. Il est peu probable que la France soit en mesure d avoir une politique migratoire si elle ne connaît pas la réalité des faits. Or notre appareil statistique n échappe pas à cette inhibition générale et force est de constater que nous avons les plus grandes difficultés à connaître les chiffres de l immigration, et à plus forte raison si elle est irrégulière. La multiplicité des administrations - ministères de l intérieur, des affaires étrangères et des affaires sociales - et des organismes - OMI, OFPRA, INSEE, INED - producteurs d information ne facilite pas l analyse et la synthèse des données. La création en 2004 de l observatoire statistique de l immigration et de l intégration devrait constituer une amorce de réponse à cette question centrale. A défaut d une politique, la France n en connaît pas moins une immigration significative puisque au moins 200 000 étrangers s y installent chaque année. En 2003, la France a accueilli au titre de l immigration légale et hors ressortissants de l espace économique européen, 140 000 étrangers et 45 000 étudiants, de plus en plus nombreux à rester en France après leurs études. Ce flux est constitué à 63% par le regroupement familial, 14% par les régularisations, 8% par l asile et 5% pour le travail. Sur 140 000 personnes, seulement 6 500 sont rentrées en France pour répondre aux besoins de l économie française, toutes les autres ayant cependant également le droit au travail. Nous sommes aujourd hui dans un système ou l immigration est davantage subie que choisie, si tant est qu elle puisse l être. Sauf à vouloir que l immigration de travail se surajoute à l immigration familiale, une politique de quota n aura de sens que si l on remet à plat le dispositif actuel du regroupement familial. A cette immigration légale s ajoute le flux des clandestins, par définition difficile à estimer. Toutefois, si l on fait la différence entre le nombre de personnes déboutées du droit d asile et les reconduites effectives à la frontière, le nombre des clandestins s accroît a minima de 60 à 80 000 personnes par an auxquels il conviendrait d ajouter les personnes entrées avec un visa touristique et qui se maintiennent irrégulièrement sur le territoire national. Ce nombre semble donc un minimum et doit être rapproché avec les chiffres d Europol qui évaluent à 500 000 le flux d entrées annuelles des clandestins dans l union européenne. Une fois abordée la question des flux clandestins ou irréguliers, se pose celle du stock c est à dire l évaluation de la population immigrée clandestine. Au regard d une part de l opération de régularisation de 1997 qui a fait apparaître une population de 140 000 demandeurs et d autre part des évaluations qui peuvent être faites sur les flux annuels irréguliers, considérant le nombre des bénéficiaires de l aide médicale d Etat qui est de 170 000, il n est pas illogique de fixer l ordre de grandeur de la population des immigrés clandestins à 500 000 personnes.

Dans un cadre qui sera nécessairement de plus en plus européen Si la France peine à avoir une politique migratoire, elle risque de n en avoir jamais. En effet, en application du traité d Amsterdam de 1999, c est désormais l Union européenne qui détient depuis 2004 l essentiel des compétences en matière d immigration et d asile. Les dispositions du projet de traité constitutionnel européen confortent cette évolution. L entrée en vigueur en 1995 de la convention Schengen a marqué la reconnaissance du fait que l immigration ne pouvait plus être traitée dans un cadre national. Cette convention vise à traduire le fait qu un citoyen de l Union peut circuler librement dans l espace Schengen sans être contrôlé ou avoir à montrer un passeport. Comme il est impossible de distinguer qu un individu est ou non citoyen de l Union dès lors qu on renonce à effectuer des contrôles, le principe de libre circulation s est dès lors transformé en celui d absence de contrôle aux frontières intérieures. Aux frontières extérieures délimitées par les accords de Schengen le nombre de passages est d'environ 1,7 milliard par an, dont la moitié pour la seule Allemagne, le nombre de passages aux frontières intérieures se montant, lui, à quelque 1,2 milliard. Dès lors qu il est illusoire de rendre étanches les frontières extérieures et considérant que le principe de libre circulation n avait vocation initialement à s appliquer qu aux citoyens européens, il est permis de s interroger sur la pertinence de l abandon de tout contrôle aux frontières intérieures. Les efforts de l Union européenne visent à provoquer une convergence des politiques migratoires nationales, et parallèlement à mettre en œuvre des outils opérationnels visant à ce que les frontières extérieures de l Union ne soient pas excessivement perméables. Il s agit principalement du système d information Schengen (SIS) et des dispositifs VIS et EURODAC ces derniers permettant de conserver une identité corrélée à des données biométriques des demandeurs de visa ou d asile pour permettre le cas échéant leur éloignement. Cette dynamique crée par l Union européenne facilitera très certainement l adoption par la France d un titre d identité sécurisé, l usurpation d identité apparaissant dans les prochaines années comme un obstacle à l action des pouvoirs publics et une menace pour la vie privée de nos concitoyens. Il semble que nous entrions très clairement dans une époque où le principe de traçabilité s appliquera de façon croissante aux individus. L action de l Union européenne est sans nul doute très positive pour la mise en place de ces outils techniques de lutte contre l immigration illégale mais il n en reste pas moins que la construction d une politique commune sur un sujet impliquant fortement la souveraineté nationale semble beaucoup moins avancée. La récente opération de régularisation des sanspapiers menée unilatéralement par l Espagne en témoigne. Les contradictions de l action publique Tant au niveau national qu européen, les dirigeants tentent de réfréner une pression migratoire qui souvent équilibre une situation démographique précaire. Ils laissent la loterie de l'immigration clandestine désigner ceux qui répondront aux besoins en main d'œuvre bon marché des secteurs comme l'agriculture, l'hôtellerie, la restauration, le bâtiment, la petite industrie. Ils s orientent plus ou moins ouvertement vers une politique de quotas ciblant les étrangers présentant les meilleurs gages d une intégration.

Au-delà des effets d annonce, ce ne sont pas 20 000 reconduites annuelles à la frontière qui résorberont l immigration clandestine en France. Ce chiffre ne fait que traduire le principe de réalité qui s impose à nous, le nombre de places disponibles en centre de rétention ne nous permettant pas de faire beaucoup plus. Parallèlement nous régularisons chaque année «au fil de l eau» presque autant de sans-papiers. Face à l ampleur de la tâche, et à l instar de la lutte contre la toxicomanie qui cible les trafiquants plutôt que les consommateurs, la lutte contre l immigration clandestine semble condamnée à privilégier le démantèlement des filières et le renforcement des contrôles aux frontières extérieures plutôt que les mesures d éloignement. Il existe sans doute une volonté de contenir l immigration clandestine, à défaut de pouvoir la résorber. C est une charge annuelle très lourde pour les finances publiques, de plusieurs milliards d euros. Mais parallèlement c est une aubaine pour des employeurs peu scrupuleux qui trouvent là une main d œuvre docile et bon marché du fait de sa précarité. L économie générale du système revient en quelque sorte à s accommoder de la présence sur notre sol d un volant de population représentant une dizaine d années de flux d entrées clandestines ou irrégulières, cette durée représentant «l épreuve initiatique» au terme de laquelle un sans-papier peut espérer une régularisation de sa situation. Au motif qu il revient au ministère de l intérieur de lutter contre l immigration clandestine, de nombreuses autres administrations de l Etat en relation avec des résidents irréguliers font tout leur possible pour ignorer une situation que le code de procédure pénale les obligerait pourtant à dénoncer. Propositions Aussi imparfaite soit-elle, l action publique en matière d immigration fait preuve d un certain pragmatisme et tente de réagir au mieux à une pression migratoire grandissante. Faute d avoir mené un vrai débat public sur la question démographique et le devenir de l identité nationale dans une économie ouverte et mondialisée, la France ne dispose pas à ce jour d une réelle politique de l immigration. Compte tenu de la montée en puissance constante de l Union européenne en matière d immigration, la marge de manœuvre des exécutifs nationaux sera de plus en plus ténue. Pour autant, le concept de gestion des flux équivaut à les connaître et, dans toute la mesure du possible, à les contrôler. Actuellement, le déficit de connaissance du phénomène de l immigration interdit de mettre en place une véritable politique publique de l immigration et de l intégration. Il convient donc dans un premier temps de mettre en ordre de bataille l appareil statistique national pour qu il soit en mesure de quantifier au mieux la réalité de l immigration, et notamment celle de l immigration irrégulière. Aussi difficile soit cette dernière tâche, la France est sans doute le pays européen où ce phénomène est le moins bien appréhendé. Il est ainsi assez surprenant que le fichier de l état civil de l INSEE n intègre pas les informations relatives à la nationalité de naissance. Dans une société où le progrès technique prend un part croissante, les méthodes de traçabilité et de ciblage actuellement en développement dans l industrie et le commerce ne manqueront pas de s appliquer aux individus eux-mêmes. Dans le monde des démocraties où les droits de la personne se développent au détriment de la collectivité et de la puissance publique, les risques liés à l usurpation d identité se renforceront. Les outils biométriques

d authentification permettant à un individu de prouver son identité de façon certaine devront être développés sans retard, tant pour garantir les droits individuels que les prérogatives des Etats. Il existe en France un débat récurrent sur la régularisation des sans-papiers. Dès lors que ces derniers bénéficient d un quasi-statut qui leur permet d exercer un certain nombre de droits, il est proposé d instituer à leur profit une carte d accès aux services publics. A défaut de constituer un droit au séjour, ce dispositif constituerait une reconnaissance de l identité des sans-papiers et leur faciliterait l exercice des droits dont doit disposer toute personne dans une société démocratique. Parallèlement, cet outil permettrait aux pouvoirs publics d avoir une meilleure connaissance du nombre et de la répartition géographique des populations en situation irrégulière. La lutte contre le travail dissimulé constitue un moyen d action pertinent et à ce jour peu développé pour lutter contre l immigration irrégulière, et plus particulièrement les filières. Les sans-papiers n ont certes pas le monopole du travail dissimulé mais par définition tout sanspapier qui travaille est en infraction de ce fait. La limite de cette approche serait de pénaliser les sans-papiers qui travaillent et qui d une certaine façon s intègrent au détriment de ceux qui, ne travaillant pas, vivraient d activités plus condamnables. Il conviendra donc de cibler dans cette action non pas tant les travailleurs que les donneurs d ordre et de tenter de démanteler les filières prospérant sur la traite humaine. Parallèlement, la lutte contre la toxicomanie et l économie souterraine en vigueur dans certaines cités devra être maintenue. Enfin, le dossier de l immigration et de l intégration intéresse au premier chef les ministères des affaires étrangères, de l intérieur, des affaires sociales, sans compter ceux de l éducation nationale et des finances, administration de tutelle de la douane. L efficacité de l action publique passe par un décloisonnement de ces administrations et la mise en place d une structure interministérielle permanente ayant une mission de direction et de coordination, pouvant être à l instar du SGDN ou du SGCI directement rattachée au Premier ministre.