II. L Antiquité pour quoi? TABLE RONDE AUTOUR D ÉLÈVES HELLÉNISTES ET LATINISTES Yvon LOGÉAT LE 18 DÉCEMBRE 1996, 8 élèves hellénistes de première du lycée Zola (Rennes) et 9 latinistes de terminale du lycée Sévigné (Cesson-Sévigné) se sont retrouvés, sur proposition de leurs professeurs, Daniel Gestin et Yvon Logéat, pour échanger sur les raisons qui leur ont fait choisir et poursuivre l étude des langues anciennes. Il ne s agissait pour les enseignants que de laisser libre cours à la parole de ces élèves, reprenant de temps à autre une idée émise par eux pour l approfondir ou la rendre plus explicite. L échange a duré une heure environ et s est déroulé à bâtons rompus. Nous le retransmettons tel qu il s est passé, reprenant les propres termes des participants et nous contentant de souligner les grands thèmes abordés. CULTURE, CIVILISATION ET APPRENTISSAGE DE LA LANGUE. Cécile. En 4 e, si j ai fait du latin, c est pour découvrir autre chose, une langue et une civilisation anciennes, l évolution de notre langue, la mythologie, des faits dont on entend parler en histoire. 35
LETTRES OUVERTES n 8 Sabrina. Pour moi, l intérêt du grec, ce n était pas d apprendre la langue avant tout; or, c est en seconde que nous avons commencé à étudier plus de mythologie, plus de philosophie, Socrate, Platon Anne-Gaël. Par rapport aux autres cours, c est un lieu de discussion. Dans les autres cours, on n a pas le temps. En grec, on peut se libérer, s intéresser à des sujets littéraires. Mannaïg. Apprendre le grec, c est rébarbatif au début. Cela ne devient vraiment intéressant qu en seconde. Delphine. C est bête que tout cet apprentissage linguistique soit concentré en 4 e et 3 e. En fait quand on débute, on ne sait pas tout l intérêt que cela peut avoir plus tard. Pierre-Yves. Le latin que j ai appris au collège n a pas grand chose à voir avec ce qu on fait en terminale. On faisait de la grammaire, peu d histoire. Sabrina. Davantage d élèves continueraient si l on faisait autre chose qu apprendre les verbes, ou les bases. Mannaïg. Les bases, il faut bien les avoir, mais il y a façon et façon de les faire acquérir. Pierre-Yves. Il faut admettre qu en 4 e et 3 e, cela fait un peu bourrage de crâne. Mannaïg. À la rigueur, il y avait l attrait du voyage Hélène. En 4 e et 3 e, on était dans un grand groupe, une trentaine, alors qu en seconde, on s est retrouvé à une douzaine. Il faudrait pour les langues anciennes faire des petits groupes dans les collèges. On est ensemble depuis deux ans, on se connaît, c est agréable. POURQUOI LE CHOIX DU LATIN OU DU GREC? Mannaïg. Pour le grec, il y a l attrait de l alphabet. Sabrina. En grec, on apprend aussi plus de mythologie. Cécile. D ailleurs, je regrette qu on n ait pas le choix en collège, il n y a pas d enseignement du grec partout. Thuriane. Souvent, c est le bouche à oreille qui fait les choses. Anne-Gaël. J ai fait du grec et du latin, je peux donc parler des raisons de mon choix. Le grec est plus chantant en ce qui concerne la culture. En 4 e, 3 e, le Latin se résume souvent à l histoire des batailles. Le grec nous fait plus étudier la mythologie. Hélène. Moi, c est mon prof de 6 e qui m a influencée; elle nous a transmis le goût en faisant une petite initiation. 36
Table ronde autour d élèves hellenistes et latinistes Pierre-Yves. Sur une trentaine d élèves que nous étions à faire du latin en 4 e, nous ne sommes plus que cinq en terminale. Une bonne partie des élèves ont commencé le latin contraints par les parents, ce qui explique les défections plus tard. Hélène. On a plus à «se farcir» en grec. Qu est-ce que ce sera quand on le commencera en 3 e? Pourquoi ne pas commencer le grec en 5 e? Sinon, on dévalorise encore le grec. Laëtitia. Les Grecs sont moins proches que les Latins de notre culture. Kelig. Le latin, c est quand même la source directe du français Thuriane. C est dommage qu on ne puisse pas essayer les deux. On pourrait comparer les deux langues. LE DÉCLIC Laurence. En 3 e, je suis allée à Pompéi, voir les passages pour piétons, toucher les éléments qui montrent une civilisation en avance sur la nôtre, l urbanisme. C est la civilisation elle-même qui a commencé à me passionner. Laëtitia. On recherche l équivalent, les similitudes avec notre civilisation. On comprend comment réagissaient les gens. Laurence. J ai ressenti aussi un nouvel intérêt quand on a étudié l élégie en 1 re. Jusque là, les Romains restaient pour moi des guerriers. J ai senti dans l étude des élégies qu il s agissait d hommes comme nous Xavier. C était intéressant de voir l analogie avec d autres courants littéraires modernes, de dégager les tendances. Pierre-Yves. En fait, la transition se fait en seconde. Cécile. Il faudrait que cela devienne plus intéressant avant la seconde. Thuriane. Les nouvelles épreuves sont plus adaptées à ce que l on peut attendre d un cours de grec. Vouloir faire nos propres traductions, cela n a pas grand intérêt. L APPRENTISSAGE DE LA LANGUE EST NÉCESSAIRE, MAIS Xavier. Pour profiter de l aspect littéraire des textes, il faut avoir travaillé beaucoup la langue. Je ne regrette pas le temps passé au lycée à travailler aussi la langue. Laëtitia. Cela nous donne quelque chose en plus, une culture générale plus affinée. Quand on parle d un texte français, on sait mieux mettre des relations entre les choses. 37
LETTRES OUVERTES n 8 Sabrina. Rien que les mots Savoir expliquer le mot «pathologie» par exemple. Anne-Gaël. En français, on a vu plusieurs fois le mot «catharsis», seuls les élèves ayant fait du grec savaient le sens que l on donne à ce mot. Mannaïg. On s initie aussi à la philo. Les textes grecs que l on a étudiés sur la mort. Sabrina. On cherche plus loin en connaissant des mots grecs, on tente notre propre traduction. Pierre-Yves. En étudiant la langue, en ne se contentant pas de travailler sur des textes traduits en français, on ne reste pas dans le vague. Laurence. Ce que le latin m a apporté, c est de la rigueur, cela m aide pour le reste, l allemand par exemple. Thuriane. Cela marche aussi dans l autre sens Laurence. Comprendre la structure d une phrase, voir la mise en valeur d un mot latin, c est important. On saisit mieux la pensée quand on voit comment la phrase est tournée. Cécile. Si on n étudiait pas la langue, mais seulement la traduction, il n y aurait pas cet attrait de l ordre des mots. Xavier. La grammaire doit être une stimulation supplémentaire. Si elle forme un obstacle, elle aboutira à un effet contraire à celui qu on recherche. Cela doit apporter quelque chose et non décourager. QU EST-CE DONC QUE CE «SUPPLÉMENT D ÂME»? Mannaïg. De tout ce qu on aura appris, en latin ou en grec, ce n est pas l apprentissage de la grammaire qui nous restera. Ce qu on retient, ce sont les textes, une ouverture d esprit. Bien sûr, la grammaire ça peut aider, mais ce n est pas ça que je retiendrai. C est par exemple l initiation à la réflexion philosophique. Sabrina. On perçoit les différentes visions de la mort. Depuis l Antiquité, on se pose aussi les mêmes questions. Laëtitia. Cela nous aide à comprendre l histoire, Napoléon, Hitler, Mussolini. Cela nous aide à retrouver un monde qui a disparu, un monde parallèle, qu on essaie de retrouver depuis le Moyen Âge, le modèle, la base de notre civilisation. Thuriane. Il y a aussi le problème de la démocratie inventée en Grèce, à Athènes Laëtitia. Oui, la démocratie, pouvoir trouver des exemples de ceux qui ont vécu cela. 38
Table ronde autour d élèves hellenistes et latinistes Florent. Si on sait les utiliser, on peut mettre en relation le passé et le présent et tirer les leçons du passé. Delphine. J ai peu d arguments à développer. Le latin, je l ai appris parce que mes parents qui l avaient eux-mêmes appris m y ont poussée. Il y a bien sûr l attrait des points supplémentaires au bac mais ce que cela m apporte de plus, je ne saurais pas bien le dire Je sais que ça m apporte tous les jours Emmanuelle. Oui certains noms, je peux mieux les comprendre L ATTRAIT D AUTRES CIVILISATIONS. Thuriane. Les Latins ont transmis ce que les Grecs avaient commencé à donner. Xavier. Les Latins ont rencontré énormément de civilisations, les Grecs, Carthage, ils en ont par certains aspects fait une synthèse Anne-Gaël. Alexandre le Grand aussi Pierre-Yves. Le grec est plus philosophique. Le latin semble plus terre à terre, ainsi on voit cette année l histoire de la cour au temps de Néron et d Agrippine (Rappel du programme de l année passée par Y. Logéat : De brevitate vitae de Sénèque Certains textes latins ont aussi une portée philosophique.) Hélène. En grec, on n a pas fait que des textes philosophiques, on a aussi parlé de la vie quotidienne, le fait qu il y ait l esclavage. Thuriane. L esclavage paraît révoltant pour notre mentalité moderne. On peut regarder cela d un point de vue sociologique. On se révolte contre cet état de choses Pierre-Yves. Pourquoi? On n a rien à redire. Il faut penser aux négriers de Saint-Malo. Hélène. Il ne s agit pas de porter un jugement. Les Anciens aussi auraient pu avoir un autre point de vue sur nous Sabrina. Cela paraît bien difficile de critiquer la base de notre civilisation à la lumière de ce que l on connaît maintenant. Hélène. On peut tout de même avoir un jugement critique. LES LANGUES ANCIENNES, UNE RESPIRATION Adeline. Le latin, ça me fait respirer, on est toujours plongés dans les maths ou la physique; le cours de latin fait une transition. Même si on a cours de 13 à 14 heures, souvent, on peut prendre son temps. 39
LETTRES OUVERTES n 8 Laurence. Le latin, c est finalement le seul enseignement littéraire qui nous reste. Même en philo, on parle encore de science; en histoire, vu le programme, on n a pas le temps de se parler. En latin, avec les effectifs réduits, on peut s écouter, prendre le temps de réfléchir ensemble. Pierre-Yves. C est une bonne raison de continuer le latin. En français, en 1 re, on travaille encore beaucoup pour la note à l examen. Thuriane. Oui, dans les langues anciennes, on a le temps d écouter les autres comme on nous dit toujours de le faire sans nous en donner beaucoup l occasion. Laurence. C est un cours où l on a le temps d autre chose que le cours luimême; c est le seul cours où l on a l occasion de vivre quelque chose de plus convivial, d aborder un sujet et d en reparler après. Ce serait rageant de devoir abandonner. D ailleurs, on connaît des gens qui ont arrêté l enseignement en latin et qui le regrettent. Ont participé à cet échange : Auffret Pierre-Yves, Latiniste, Term S, Lycée Sévigné, Cesson-Sévigné. Brégand Florent, Helléniste, 1 re, Lycée Zola, Rennes. Busnel Antoine, Helléniste, 1 re, Lycée Zola, Rennes. Cairon Kelig, Latiniste, Term L, Lycée Sévigné, Cesson-Sévigné. Colinet Cécile, Latiniste, Term S, Lycée Sévigné, Cesson-Sévigné. De Beaudrap Marc, Helléniste, 1 re, Lycée Zola, Rennes. Houzé Mannaïg, Helléniste, 1 re, Lycée Zola, Rennes. Lauginie Laëtitia, Latiniste, Term L, Lycée Sévigné, Cesson-Sévigné. Lemaréchal Sabrina, Helléniste, 1 re, Lycée Zola, Rennes. Mahé Thuriane, Helléniste, 1 re, Lycée Zola, Rennes. Maupin Emmanuelle, Latiniste, Term L, Lycée Sévigné, Cesson-Sévigné. Perrault Anne-Gaël, Helléniste, 1 re, Lycée Zola, Rennes. Pierini Laurence, Latiniste, Term S, Lycée Sévigné, Cesson-Sévigné. Rangé Hélène, Helléniste, 1 re, Lycée Zola, Rennes. Rault Adeline, Latiniste, Term S, Lycée Sévigné, Cesson-Sévigné. Rival Xavier, Latiniste, Term S, Lycée Sévigné, Cesson-Sévigné. Texier Delphine, Latiniste, Term S, Lycée Sévigné, Cesson-Sévigné. 40