Pertinence des saynètes pour représenter les processus métier Frédéric Herlédan 1, Valérie Botherel 1 et Patrick Grohan 1 1 Orange Labs, France Telecom R&D, 38-40 rue du General Leclerc, 92794 ISSY LES MOULINEAUX France http://www.francetelecom.com/fr_fr/innovation/ Résumé : Les diagrammes utilisés en modélisation semblent répondre aux attentes des utilisateurs pour capter les connaissances, modéliser puis adapter/optimiser les processus métier. Ces diagrammes servent aussi pour diffuser aux acteurs les connaissances nécessaires à l'exécution des processus. Cet article montre que dans un but de formation, pour certains publics, l'utilisation des animations simplifiées (saynètes) peut s'avérer plus efficace. Mots-clés : Ingénierie des connaissances, processus, BPM, workflow, spécification, représentation, diffusion, utilisation, apprentissage, modélisation, animations, saynètes. 1 Introduction Dans un contexte concurrentiel en constante évolution, les entreprises sont soumises à l'impératif de maîtriser leurs processus métier 1 afin de les aligner, de plus en plus rapidement, sur des besoins d'affaire mouvants. Cette maîtrise passe par l'appropriation des connaissances nécessaires à l'exécution du processus par les acteurs impliqués dans son déroulement. Une connaissance est la capacité d'exercer une action pour atteindre un but (Bachimont, 2004). La finalité est, pour chaque acteur, de pouvoir comprendre les différentes étapes du processus métier et de mettre en œuvre les actions appropriées, dans les délais impartis et / ou en fonction des étapes de la demande. Pour cette tâche d'apprentissage, à défaut de formalisme ou de représentation dédiés, certains utilisent les diagrammes dessinés lors de la phase de modélisation des processus métier, d'autres préfèrent décrire le déroulement de ces processus de manière textuelle. A Orange Labs, nous utilisons aussi, depuis plusieurs années, des saynètes 2 pour représenter les processus. Cette utilisation des saynètes n'était, à ce jour, justifiée par aucune étude théorique ou terrain. De plus, elle est fortement limitée par son coût de production, le procédé de production étant artistique et donc empirique et artisanal. Notre action de recherche vise à montrer que les saynètes sont 1 Dans cet article, le terme processus métier pourra être remplacé de manière équivalente par le terme processus. 2 Dans la suite de cet article, les animations simplifiées seront désignées par le terme saynètes.
IC 2009 pertinentes pour diffuser aux acteurs les connaissances nécessaires à l'exécution des processus. Pour cela, en 2007, nous avons effectué un test pour estimer la pertinence de la représentation des processus métier par des saynètes comparativement à leur représentation sous le format de diagrammes issus de la modélisation. Dans l organisation de cet article, la section 2 explicite les principaux concepts utilisés, c'est-à-dire la notion de processus métier et la modélisation de processus. La section 3 présente l'expérimentation et les principaux résultats. La section 4 conclut notre travail en dressant quelques perspectives. 2 Définition et modélisation de processus métier 2.1 Définition d un processus métier Un processus est une boîte noire qui a une finalité (les données de sortie) et qui, pour atteindre cette finalité, utilise des éléments extérieurs (les données d'entrée) et les transforme (en leur donnant une valeur ajoutée) par du travail et des outils (activités et ressources) (Mougin Y, 2002). Il existe plusieurs écoles pour classifier les processus. Cette classification sort largement du cadre de cet article. Nous précisons cependant que nous désignerons par processus fonctionnel, un processus métier pour lequel des utilisateurs ont à mener à bien une procédure d'entreprise. Dans cette étude, nous nous intéressons exclusivement aux processus fonctionnels. 2.2 Langages ou formalismes de modélisation La modélisation d un processus métier consiste à définir, représenter, et documenter les tâches effectuées dans l entreprise, tant par l être humain que par l outil informatique. Elle permet de comprendre et de formaliser les processus existants afin de les documenter, de les améliorer, ou d'automatiser leur gestion. Elle aide aussi à l expérimentation et la simulation de nouveaux concepts afin d en voir l'impact sur l'organisation. Les principaux concepts qui doivent apparaître dans un langage ou formalisme (notation) de modélisation sont : - Chaque processus peut être décomposé en sous-processus. - Chaque processus ou sous processus peut être décomposé en un graphe d'enchaînement de tâches. - Chaque tâche est réalisée par un acteur (humain ou machine/logiciel). Un processus est déclenché par un événement de début et, en fonction de son déroulement, il peut avoir plusieurs fins possibles, une fin déclenchant un événement de fin. Son déroulement peut aussi être interrompu par l'attente d'un événement intermédiaire. Il peut de même déclencher des événements intermédiaires.
Pertinence des saynètes pour représenter les processus métier évènement de début de processus point de branchement (gateway) tâche évènement de fin de processus sous processus Fig. 1 Exemple de modélisation BPMN d'un processus de demande de remboursement de notes de frais Les deux principales notations standards utilisées pour la modélisation des processus métier sont les diagrammes d'activité UML 3 de l'object Management Group (OMG.org) et la notation BPMN - Business Process Modeling Notation 4, développée par le BPMI - Business Process Management Initiative 5, et qui est maintenant maintenue par l'omg. Ces deux notations sont proches par leur capacité à modéliser les patrons de processus 6 définis par la communauté du Business Process Modeling (Havey M., 2005). Leurs différences portent sur le vocabulaire, et il est possible qu elles convergent à l'avenir. 3 L'expérimentation Devant l'impossibilité évidente de nous intéresser à tous les types de processus, nous sélectionnons un processus fonctionnel qui soit générique (présent dans toute entreprise) et compréhensible par tous. Sans prétendre aborder toute la complexité d'un métier, le processus se doit au minimum de mettre en œuvre l'intégralité des patrons de processus de base, pour montrer qu'il est cependant possible de traiter des processus complexes et éviter des saturations dans les réponses. A titre d'exemple représentatif, nous faisons donc le choix d'un processus de remboursement des notes de frais, qui répond à ces critères de sélection. 3 Specification Unified Modeling Language : http://www.omg.org/technology/documents/formal/uml.htm 4 Spécification BPMN : http://www.omg.org/technology/documents/bms_spec_catalog.htm 5 www.bpmi.org 6 Voir l'évaluation des standards : http://www.workflowpatterns.com/evaluations/standard/index.php
IC 2009 3.1 Objectif Nous cherchons à évaluer l'impact d'une représentation sous la forme de saynète d'un processus métier de remboursement de notes de frais comparativement à une représentation sous la forme d'un diagramme issu d'une modélisation. Fig. 2 Exemple extrait d'une saynète représentant un processus de demande de remboursement de notes de frais Nous postulons que, par rapport à la notation BPMN, les saynètes, représentations figuratives du réel, devraient favoriser les performances en termes de mémorisation et de compréhension. Nous postulons également que les experts (en modélisation), devraient avoir de meilleures performances que les novices avec la notation BPMN, en termes de mémorisation et de compréhension. 3.2 Méthodologie Pour répondre à notre objectif, nous comparons l efficacité de deux supports de présentation différents, que nous évaluons du point de vue de l'apprentissage en termes de mémorisation de certaines informations et de compréhension du processus. Nous présentons également ces deux supports à deux populations de sujets, l'une experte dans le BPMN, l'autre novice dans cette notation. 3.2.1 Supports de présentation du processus de demande de remboursement A partir de sa modélisation BPMN, nous recherchons les différents points de vue possibles sur chaque processus. Pour chaque point de vue, nous définissons un scénario d'exécution des tâches. Pour chaque scénario, nous préparons un support de présentation pour chacune des deux modalités de présentation. Chaque support est une présentation multimodale qui cherche à recréer le déroulement temporellement linéaire de chaque scénario. Les supports BPMN. Chaque support est un diaporama qui enchaîne automatiquement les diapos sur un tempo conforme à la narration orale. Chaque diapo est une copie du schéma BPMN du processus ou du sous-processus en cours de narration. En montrant une vue du processus actif, avec une mise en exergue de l'activité ou de la transition active à chaque moment (par exemple via un focus sur l'élément actif au moment où il est accompagné du commentaire oral), on reproduit le déroulement temporel du scénario.
Pertinence des saynètes pour représenter les processus métier La narration est obtenue par synthèse orale du commentaire qui décrit chaque élément de la modélisation du processus. Les supports saynètes. Chaque support est une animation Flash créée par un infographiste avec l'exigence absolue de respecter le scénario. Le respect de cette exigence est validé par la contrainte technique de la synchronisation des animations avec la narration. Cette narration est identique à celle employée pour le support BPMN pour ce scénario. Ceci s'explique par l'impératif de pouvoir comparer les performances des deux supports. Si la spécification de l'animation est imposée par le scénario, l'infographiste est laissé libre de la réalisation, en particulier dans le choix de ses modèles graphiques. 3.2.2 Panel Parmi les 48 sujets qui participent à ce test, aucun participant n'avait jamais saisi personnellement une demande de remboursements de frais de missions dans une application dédiée de l'entreprise, aucun ne dispose de connaissances pratiques du déroulement du processus mis en œuvre. - La moitié est composée d'informaticiens qui maîtrisent la lecture des notations UML, mais, pour ne pas créer de disparité de niveau quant à la perception de la manière dont la modélisation est proposée, aucun n'est expert en écriture avec ces notations. UML a été privilégié à BPMN car ce dernier n'est pas encore très répandu. - L'autre moitié est composée de non informaticiens, sans connaissance dans les modèles informatiques (BPMN, UML ou tout autre langage de modélisation). Chaque population est divisée en 2 groupes de 12 personnes. Chaque groupe de chaque population teste un seul des supports. Le processus est représenté par 4 scénarios. 3.3 Les principaux résultats Les résultats sont obtenus à partir du matériel de mesure reposant sur 4 questionnaires : - Questionnaire de mémorisation (4 items) : le score de mémorisation des experts (M 7 =8,33, ET=3,51) est significativement plus élevé que celui des novices (M=6,42, ET=2,41), et ce, quel que soit le type de support présenté. Par ailleurs, on note aussi des scores de mémorisation très variables en fonction des sousprocessus présentés. - Questionnaire de compréhension globale (9 items) : les scores des utilisateurs ayant appris avec le support saynète (M=3,08, ET=1,28) sont significativement plus élevés au questionnaire de compréhension que les scores des utilisateurs ayant appris avec le support BPMN (M=1,96, ET=1,46). - Questionnaire de charge de travail mentale -NASA-TLX simplifié (6 dimensions) : la charge mentale est jugée significativement plus importante par les utilisateurs 7 M = moyenne, ET = écart type
IC 2009 qui ont été soumis à une présentation de type BPMN (M=5,38, ET= 2,25) que par les utilisateurs soumis à une présentation de type saynètes (M= 4,58, ET= 2,06). - Questionnaire de satisfaction (22 items) : un effet d'interaction entre l'expertise et le format de présentation montre que la supériorité significative de la satisfaction pour la version Saynète sur la version BPMN est restreinte aux sujets novices. Avec le support BPMN, la satisfaction est significativement plus élevée pour les sujets experts que pour novices. Le test a permis de valider les hypothèses initiales, dans un contexte d'apprentissage, et d'un processus de frais de mission. Le support saynètes s'est avéré pertinent pour présenter le processus, en termes de mémorisation et de compréhension et procure globalement une plus grande satisfaction. Pour généraliser ces résultats, il serait nécessaire de reproduire ce test sur d'autres processus fonctionnels. 4 Perspectives Depuis 2006, nous mettons au point d'un prototype implémentant une méthode pour produire des saynètes à partir de la modélisation de processus fonctionnels. Notre méthode, basée sur l'observation des pratiques des infographistes, est caractérisée par l'automatisation partielle de cette production : - Génération automatique de la spécification de l'animation, c'est-à-dire le scénario initial, à partir de la modélisation du processus, en utilisant un ensemble de règles de transformation. - Enrichissement manuel du scénario par le savoir faire des infographistes. Si dès le départ, nous avons cherché à épurer les représentations dans le choix des éléments graphiques, le passage du niveau sémantique au niveau symbolique dépend également de l'expérience de l'infographiste qui peut introduire des différences par rapport aux diagrammes, notamment par des éléments distinctifs culturels. Cependant, en contexte de formation, une étude serait intéressante pour qualifier les images utilisées et évaluer leur perception afin d'en maitriser leur effet et renforcer la compréhension du processus. - Génération automatique de l'animation à partir du scénario enrichi/final en utilisant une base de connaissances. Les résultats du test nous encouragent à poursuivre la mise au point de cette méthode. Références BACHIMONT (2004). Arts et sciences du numérique : ingénierie des connaissances et critique de la raison computationnelle - Mémoire de HDR; UTC. Compiègne GIROW A. & MITGARTZ E. (2004). SVG Tiny cartoons on Java devices - SVG Open 2004 HAVEY M. (2005). Essential Business Process Modeling - O'Reilly p74-93 KAYSER D. (1997). La représentation des connaissances - Hermes MOUGIN Y. (2002). La cartographie des processus : maîtriser les interfaces - Ed. d'organisation