DEUXIÈME SECTION. AFFAIRE GALLUCCI c. ITALIE. (Requête n o 10756/02) ARRÊT STRASBOURG. 12 juin 2007



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Transcription:

DEUXIÈME SECTION AFFAIRE GALLUCCI c. ITALIE (Requête n o 10756/02) ARRÊT STRASBOURG 12 juin 2007 Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Gallucci c. Italie, La Cour européenne des Droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de : M me F. Tulkens, présidente, MM. A.B. Baka, I. Cabral Barreto, V. Zagrebelsky, M mes A. Mularoni, D. Jočienė, M. D. Popović, juges, et de M me S. Dollé, greffière de section, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 mai 2007, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date : PROCÉDURE 1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n o 10756/02) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Giuseppe Gallucci («le requérant»), a saisi la Cour le 18 décembre 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés fondamentales («la Convention»). 2. Le requérant est représenté par M e Cludio Defilippi, avocat à Parme. Le gouvernement italien («le Gouvernement») est représenté par son agent, M. Ivo Maria Braguglia et par son coagent adjoint, M. Nicola Lettieri. 3. Le 3 janvier 2005, la Cour a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tirés des articles 1 du Protocole n o 1 à la Convention, 8 de la Convention, 2 du Protocole n o 4 à la Convention, 6 1 (quant au droit d'accès à un tribunal) et 13 de la Convention. Le 1 er juin 2006, la Cour a décidé de communiquer aussi au Gouvernement le grief tiré de l'article 6 1 de la Convention, quant à la durée de la procédure de faillite, formulé par le requérant le 27 janvier 2006. Se prévalant des dispositions de l'article 29 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire. EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE 4. Le requérant est né en 1934 et réside à Noceto (Parme). A. La procédure de faillite 5. Par un jugement déposé le 5 mars 1992, le tribunal de Parme déclara la faillite de la société du requérant, exerçant une activité de mercerie, ainsi que sa faillite personnelle. 6. L'audience pour la vérification de l'état du passif de la faillite fut fixée au 8 mai 1992 et, le 2 juin 1992, le juge délégué déclara l'état du passif de la faillite exécutoire. 7. Entre-temps, le 16 avril 1992, le syndic déposa un rapport indiquant, entre autres, que le requérant n'avaient pas tenu les écritures comptables de façon régulière et qu'il avait omis de déposer au greffe l'état détaillé de ses activités.

8. Le 28 juillet 1992, le 4 novembre 1992 et le 11 octobre 1994, certains biens faisant partie de l'actif de la faillite furent vendus. 9. Entre-temps, le 5 mars 1993, le syndic déposa un deuxième rapport indiquant que l'activité principale de la faillite avait pour objet des procédures, visant à récupérer des créances du requérant, entamées par ce dernier et par les organes de la faillite à l'encontre, entre autres, de l'administration fiscale, de certains des clients du requérant ainsi que du propriétaire des locaux utilisés par la société. 10. Le 1 er octobre 1993, le syndic déposa un autre rapport indiquant que, selon une expertise, la valeur de l'activité du requérant à l'époque de la déclaration de faillite était d'environ 15 000 000 de lires italienne (environ 7 747 euros) et que «quelques centaines de millions de lires italiennes avaient été soustraites par le requérant». De l'avis du syndic, il s'agissait d'un cas de banqueroute frauduleuse. 11. Le 2 janvier 1995, d'autres créances furent admises tardivement au passif de la faillite. 12. Le 30 juin 1997, une procédure engagée par le requérant à l'encontre de la province de Salerne portant sur la récupération d'une créance fut close. 13. Le 12 septembre 2000, le requérant, à la suite d'une procédure, obtint 79 000 000 ITL (environ 40 800 euros) de la part de l'administration fiscale. 14. A une date non précisée du mois de décembre 2003, le requérant obtint une autre créance non précisée de la part de l'administration fiscale. 15. Le 6 juillet 2004 et le 31 décembre 2004, le juge invita le syndic à vérifier l'opportunité de continuer la seule procédure fiscale qui faisait obstacle à la clôture de la procédure. 16. Par une décision du 5 février 2007, le tribunal déclara la procédure close pour répartition finale de l'actif de la faillite. B. La procédure introduite conformément à la loi Pinto 17. Le 20 décembre 2001, le requérant introduisit un recours devant la cour d'appel d'ancône conformément à la loi Pinto se plaignant de la durée de la procédure de faillite ainsi que des incapacités dérivant de celle-ci. 18. Par une décision déposée le 17 mai 2002, la cour d'appel rejeta la demande du requérant. Elle considéra que la durée de la procédure n'avait pas été déraisonnable, compte tenu de la nécessité d'entamer plusieurs procédures civiles et fiscales visant à récupérer des créances du requérant et, donc, à protéger les créanciers de la faillite. 19. Le 6 mars 2003, le requérant se pourvut en cassation. 20. Par un arrêt déposé le 3 octobre 2005, la Cour de cassation considéra que la décision de la cour d'appel avait été dûment motivée et débouta le requérant. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT 21. Le droit interne pertinent est décrit dans les arrêts Campagnano c. Italie (n o 77955/01, 19-22, 2 mars 2006), Albanese c. Italie (n o 77924/01, 23-26, 2 mars 2006) et Vitiello c. Italie (n o 77962/01, 17-20, 2 mars 2006). EN DROIT I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 1 DE LA CONVENTION, QUANT À LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

22. Invoquant l'article 6 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure. Cet article est ainsi libellé : «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)» A. Sur la recevabilité 23. La Cour constate que le requérant a épuisé les voies de recours internes conformément à la loi Pinto. Elle considère que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable. B. Sur le fond 24. Le Gouvernement admet d'emblée que la procédure en question, «entamée le 5 mars 1992 et terminée le 5 février 2007, a dépassé le délai raisonnable» et note que la cour d'appel d'ancône est arrivée à une conclusion différente puisque, à l'époque de la décision, la durée critiquée était encore «raisonnable», au sens de l'article 6 1 de la Convention. Le Gouvernement considère ensuite que, en tout cas, il n'y aurait pas lieu d'octroyer au requérant une satisfaction équitable en raison, d'une part, de la complexité de la procédure et, d'autre part, du comportement du requérant. 25. Le requérant maintient son grief. 26. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure relevant de l'article 6 1 de la Convention doit s'apprécier dans chaque cas d'espèce suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, notamment à la complexité de la cause, au comportement des requérants et à celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Comingersoll c. Portugal, [GC], n o 35382/97, CEDH 2000-IV). 27. La période à considérer a débuté le 5 mars 1992 et elle s'est terminée le 5 février 2007. Elle a donc duré quatorze ans et onze mois. 28. La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 1 de la Convention (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], n o 30979/96, 43, CEDH 2000-VII). 29. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour constate la complexité de la procédure de faillite du requérant. Néanmoins, elle considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument convaincant pouvant justifier un délai de presque quinze ans ou la mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du «délai raisonnable» (De Blasi c. Italie, n o 1595/02, 5 octobre 2006). 30. Partant, il y a eu violation de l'article 6 1 de la Convention. II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES L'ARTICLES 1 DU PROTOCOLE N o 1 À LA CONVENTION, 8 DE LA CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE N o 4 À LA CONVENTION 31. Invoquant les articles 1 du Protocole n o 1 à la Convention, 8 de la Convention et 2 du Protocole n o 4 à la Convention, le requérant se plaint respectivement de la violation de son droit au respect des biens, de sa correspondance et de sa vie familiale et de sa liberté de circulation, notamment en raison de la durée de la procédure. Ces articles sont ainsi libellés : Article 1 du Protocole n o 1 à la Convention

«Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.» Article 8 de la Convention «1. Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...) et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection des droits et libertés d'autrui.» Article 2 du Protocole n o 4 à la Convention «1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. 2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien. 3. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la protection des droits et libertés d'autrui. 4. Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l'objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l'intérêt public dans une société démocratique.» A. Sur la recevabilité 32. La Cour note d'abord que le requérant a omis d'étayer le grief portant sur son droit au respect de sa vie familiale. Cette partie de la requête doit donc être rejetée pour défaut manifeste de fondement selon l'article 35 3 et 4 de la Convention. 33. Elle relève ensuite que, dans son arrêt n o 362 de 2003, déposé le 14 janvier 2003, la Cour de cassation a pour la première fois reconnu que le dédommagement moral relatif à la durée des procédures de faillite doit tenir compte, entre autres, de la prolongation des incapacités dérivant du statut de failli. 34. La Cour rappelle avoir retenu que, à partir du 14 juillet 2003, l'arrêt n o 362 de 2003 ne peut plus être ignoré du public et que c'est à compter de cette date qu'il doit être exigé des requérants qu'ils usent de ce recours aux fins de l'article 35 1 de la Convention (voir Sgattoni c. Italie, n o 77132/01, 48, 6 octobre 2005). 35. La Cour constate que, dans le cas d'espèce, le requérant a épuisé les voies de recours internes conformément à la loi Pinto. Cette partie de la requête n'est donc pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable. B. Sur le fond 36. Le Gouvernement réitère son argument selon lequel le comportement tenu par le requérant a contribué à la longueur de la procédure. Par ailleurs, quant au grief tiré de l'article 1 du Protocole n o 1 à la Convention, il soutient que les biens faisant partie de l'actif de la faillite «sont seulement des biens achetés à crédit, c'est-à-dire des biens que le failli a reçu des fournisseurs sans les payer, sous

promesse de payement». Bref, il s'agirait de biens des créanciers et non pas de la personne mise en faillite. 37. Le requérant maintient ses griefs. 38. La Cour relève qu'elle a déjà traité des affaires semblables à celle du cas d'espèce et a constaté la violation des articles 1 du Protocole n o 1 à la Convention, 8 de la Convention et 2 du Protocole n o 4 à la Convention de l'article 6 1 de la Convention (voir Luordo c. Italie, n o 32190/96, CEDH 2003-IX, et De Blasi c. Italie, précité). 39. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à des conclusions différentes dans le cas présent. La longueur de la procédure en question a entraîné la rupture de l'équilibre à ménager entre l'intérêt général au paiement des créanciers de la faillite et l'intérêt du requérant au respect de ses biens, de sa correspondance et de sa liberté de circulation. 40. Partant, il y a eu violation des articles 1 du Protocole n o 1 à la Convention, 8 de la Convention et 2 du Protocole n o 4 à la Convention. III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES L'ARTICLES 6 1, QUANT AU DROIT D'ACCÈS À UN TRIBUNAL, ET 13 DE LA CONVENTION A. Sur la recevabilité 41. Invoquant l'article 6 1 (précité, paragraphe 22 ci-dessus) et l'article 13 de la Convention, le requérant se plaint du fait que la loi Pinto ne fournit pas un voie de recours effectif pour se plaindre du prolongement des incapacités dérivant de la mise en faillite. L'article 13 est ainsi libellé : Article 13 de la Convention «Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles.» 42. Le Gouvernement soutient que le requérant aurait pu se prévaloir des remèdes prévus par les articles 26 et 36 de la loi sur la faillite (prévoyant respectivement la possibilité d'introduire une réclamation contre les décisions du juge délégué et contre les actes du syndic). 43. Le requérant observe que ces articles ne fournissent pas un remède effectif pour se plaindre de la durée de la procédure et des limitations prolongées dérivant de la mise en faillite. 44. La Cour rappelle d'emblée avoir déjà constaté la violation de l'article 13 de la Convention en raison du manque d'un recours effectif pour se plaindre de la limitation prolongée du droit au respect de la correspondance du failli (Bottaro c. Italie, n o 56298/00, 41-46, 17 juillet 2003). Elle estime donc que le grief soulevé par le requérant doit être examiné uniquement sous l'angle de cette disposition. 45. Elle observe ensuite que l'article 26 de la loi sur la faillite prévoit certes la possibilité pour le requérant d'introduire un recours devant le tribunal. Toutefois, ce recours n'a pour objet que les décisions du juge délégué et ne peut pas, de ce fait, constituer un remède effectif contre la restriction prolongée du droit au respect de la correspondance, des biens et de la liberté de circulation du requérant, conséquence directe du jugement déclarant la faillite et non pas d'une décision du juge délégué. 46. En outre, la Cour relève que l'article 36 de la loi sur la faillite prévoit la possibilité de saisir le juge délégué pour se plaindre des actes d'administration du syndic. Toutefois, la Cour observe que ce recours concerne les activités d'administration du patrimoine du failli accomplies par le syndic jusqu'à la vente des biens et la satisfaction des créanciers. Il ne peut donc en aucun cas être

de nature à porter remède au prolongement des incapacités dont le requérant a fait l'objet (Bottaro, précité, 45). 47. La Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable. B. Sur le fond 48. La Cour a déjà traité d'affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 13 de la Convention (voir Bottaro c. Italie, précité, 41-46, Campagnano c. Italie, précité, 67-77, et De Blasi c. Italie, précité, 56-59). 49. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n'a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. 50. Partant, elle conclut qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention. IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE N o 1 À LA CONVENTION 51. Invoquant l'article 3 du Protocole n o 1, le requérant se plaint de la limitation de son droit de vote suite à sa mise en faillite. Cet article dispose ainsi : «Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif.» 52. La Cour note que la perte du droit de vote suite à la mise en faillite ne peut pas excéder cinq ans à partir de la date du jugement déclarant la faillite. Or, ce jugement ayant été déposé le 5 mars 1992, le requérant aurait dû introduire son grief au plus tard le 5 septembre 1997. La requête ayant été introduite le 18 décembre 2001, la Cour constate que ce grief a été introduit au-delà du délai des six mois et doit être rejeté conformément à l'article 35 1 et 4 de la Convention. V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION, QUANT À L'IMPOSSIBILITÉ D'ACCÉDER AUX DOCUMENTS DE LA PROCÉDURE 53. Invoquant l'article 6 1 de la Convention (précité, paragraphe 22 ci-dessus), le requérant se plaint de l'impossibilité d'accéder aux documents de la procédure. 54. La Cour note que le requérant a omis d'étayer ce grief et estime donc que ceci doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement selon l'article 35 3 et 4 de la Convention. VI. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION, QUANT AU DROIT D'ESTER EN JUSTICE 55. Dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, le requérant, invoquant l'article 6 de la Convention (précité, paragraphe 22 ci-dessus), se plaint pour la première fois de la limitation de son droit d'ester en justice dérivant de la déclaration de faillite. 56. La Cour constate que ce grief, introduit après la communication de la requête au gouvernement défendeur, ne constitue pas un aspect des griefs sur lesquels les parties ont échangé leurs observations (voir Piryanik c. Ukraine, n o 75788/01, 19-20, 19 avril 2005 et Nuray Şen c. Turquie (n o 2), n o 25354/94, 199-200, 30 mars 2004).

57. Compte tenu de ces considérations, à ce stade de la procédure, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément ce grief. VII. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION 58. Aux termes de l'article 41 de la Convention, «Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable.» A. Dommage 59. Le requérant réclame 100 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 78 000 EUR au titre du préjudice moral qu'il aurait subis. 60. Le Gouvernement s'oppose à ces prétentions. 61. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 17 000 EUR au titre du préjudice moral. B. Frais et dépens 62. Le requérant demande également 9 710,22 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour. 63. Le Gouvernement s'oppose à ces prétentions. 64. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l'accorde au requérant. C. Intérêts moratoires 65. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ, 1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 1 (accès à une cour et délai raisonnable), 8 (respect de la correspondance) et 13 de la Convention, ainsi que l'article 1 du Protocole n o 1 et l'article 2 du Protocole n o 4, et irrecevable pour le surplus ; 2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 1 de la Convention quant à la longueur de la procédure ; 3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole n o 1 à la Convention ; 4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ; 5. Dit qu'il y a eu violation de l'article 2 du Protocole n o 4 à la Convention ;

6. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ; 7. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré de l'article 6 1 de la Convention, quant à la limitation du droit du requérant d'ester en justice ; 8. Dit a) que l'etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 2 de la Convention, 17 000 EUR (dix-sept mille euros) pour dommage moral et 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ; b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ; 9. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 juin 2007 en application de l'article 77 2 et 3 du règlement. S. Dollé F. Tulkens Greffière Présidente ARRÊT GALLUCCI c. ITALIE ARRÊT GALLUCCI c. ITALIE