Grosse + copie délivrées le à COUR D'APPEL DE MONTPELLIER 1 Chambre Section AO1 ARRÊT DU 17 OCTOBRE 2013 Numéro d'inscription au répertoire général : 11/04526 Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 AVRIL 2011 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PERPIGNAN N RG 09/955 APPELANT : Monsieur Jean Jacques Paul VERNHES né le 28 Octobre 1945 à PERPIGNAN de nationalité française 26 Allée du Mas Campanaud 66330 CABESTANY représenté par Me Florent ESQUIROL, avocat au barreau des Pyrénées-Orientales INTIMEE : SCP Etienne PUJOL 1154 chemin de Mailloles 66000 PERPIGNAN représentée par Me Alain COHEN BOULAKIA de la SELARL JURIPOLE SELARL, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER, assistée de Me Louise FOURCADE, avocat plaidant du Cabinet BELDEV, avocat au barreau de PARIS ORDONNANCE de CLOTURE du 27 AOÛT 2013 COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le MARDI 17 SEPTEMBRE 2013 à 8h45 en audience publique, Monsieur Bruno BERTRAND, Conseiller ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de : Madame Anne BESSON, Président de Chambre 1
Madame Caroline CHICLET, Conseiller Monsieur Bruno BERTRAND, Conseiller qui en ont délibéré. Greffier, lors des débats : Marie-Françoise COMTE MINISTÈRE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis le 11 mars 2013. ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; - signé par Madame Anne BESSON, Président, et par Marie-Françoise COMTE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. * * * FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES : Vu l'assignation délivrée à la SCP Etienne Pujol, commissaire-priseur à Perpignan (66000), devant le tribunal de grande instance de Perpignan, par Monsieur Jean-Jacques Vernhes, qui sollicitait notamment, au visa des articles 1382 et 1383 du code civil : - que soit retenue la responsabilité du commissaire priseur, fautif pour avoir, sans s'être attaché les services d'un expert, considéré comme authentique et estimé à la valeur de 15.000,00 le 8 décembre 2002 un tableau signé Verdilhan Mathieu, dont il avait hérité, qui s'est révélé pouvoir être un faux après avoir été vendu aux enchères à Marseille en mai 2005 pour la somme de 28.000,00, vente ensuite annulée pour ce motif, - sa condamnation à lui payer une somme de 28.000,00 à titre de dommages et intérêts, notamment pour la perte d'une chance de revendre ce tableau ; Vu la décision contradictoire en date du 28 avril 2011, de cette juridiction qui a, notamment : - dit que Me Etienne Pujol n'avait pas commis de faute, - rejeté la demande de dommages et intérêts de Monsieur Jean-Jacques Vernhes, ainsi que les autres demandes des parties, - condamné Monsieur Jean-Jacques Vernhes à payer à la SCP Etienne Pujol une indemnité de 1.500,00 par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ; Vu l'appel de cette décision interjeté le 23 juin 2011 par Monsieur Jean-Jacques Vernhes ; 2
Vu les dernières conclusions n 2 déposées au greffe de la cour le 21 août 2013, dans lesquelles Monsieur Jean-Jacques Vernhes sollicite notamment : - qu'il soit dit et jugé que la SCP Pujol et pour elle Me Pujol a commis une faute tant dans l'authenticité de la toile que dans son estimation, - la condamnation de la SCP Etienne Pujol à payer une somme de 28.000,00 à titre de dommages et intérêts, - la condamnation de la SCP Etienne Pujol au paiement de la somme de 4.000,00 pour les frais de procédure prévus par l'article 700 du code de procédure civile ; Vu les dernières conclusions récapitulatives déposées au greffe de la cour le 26 août 2013, dans lesquelles la SCP Etienne Pujol demande notamment la confirmation de la décision entreprise et la condamnation de Monsieur Jean-Jacques Vernhes à lui payer une somme de 3.000,00 à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 3.000,00 en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 27 août 2013 ; Vu les écritures des parties auxquelles il y a lieu de se référer pour une plus ample relation des faits, de la procédure et des moyens de celles-ci ; S U R C E : ' SUR LA DEMANDE PRINCIPALE : * * * * * * * * * * * Attendu que Me Etienne Pujol, commissaire-priseur associé au sein de la société civile professionnelle Etienne Pujol, à Perpignan, a établi un inventaire avec une évaluation de la succession de feue Madame Claire-Hélène Boery, le 8 décembre 2002 ; que dans ce document (pièce n 2) il a évalué à la somme de 15.000,00 le prix d'une "peinture sur toile représentant un port de pêche signée en bas à droite VERDILHAN Mathieu (~120 x 100)" ; Que sur la base de cette estimation, correspondant de façon incontestée entre les parties au prix d'une toile authentique de ce peintre connu (Louis Mathieu Verdilhan, 1875-1928), Monsieur Jean-Jacques Paul Vernhes légataire à titre universel de la défunte, a recueilli ce tableau dans sa part successorale et déclaré celui-ci, pour sa valeur, au sein de la déclaration de succession adressée aux services fiscaux (pièce n 12) ; Que lorsqu'il a souhaité vendre aux enchères ce tableau, lors d'une vente prévue le 28 mai 2005, le tableau a été inscrit au catalogue de l'étude de commissaires-priseurs chargés de cette vente, la société de vente volontaire Christian Ribière et Marielle Tuloup-Pascal, à Marseille, avec comme dénomination "le port de Marseille", huile sur toile signée en bas (n 178), et une estimation de valeur de 20.000,00 à 25.000,00 (pièce n 4), sans que soit alors mise en doute son authenticité ; Que cependant, le 21 juillet 2005, Me Tuloup-Pascal, commissaire priseur dans cette étude écrivait à Monsieur Jean Vernhes : "Malheureusement les avis que nous avons sollicité auprès des experts spécialisés Daniel Chol et Monsieur Thierry Samuel Weiss ont été défavorables à l'authentification de l'oeuvre comme étant de la main de l'artiste." ; 3
Que le 9 novembre 2007 Me Marielle Tuloup-Pascal a indiqué à Me Florent Esquirol, avocat de Monsieur Vernhes, qu'elle confirmait que la vente de ce tableau présenté à la vente le 28 mai 2005 n'avait pu être réalisée parce que son authenticité n'avait pas été établie par les experts faisant autorité sur l'oeuvre de ce peintre, et qu'en l'état actuel des connaissances, il était considéré comme un faux ; Que Monsieur Jean Vernhes ayant saisi d'une demande en indemnisation de son préjudice l'assureur de la responsabilité professionnelle de Me Etienne Pujol, la SA Generali assurances IARD, celle-ci a organisé une expertise de l'oeuvre, confiée à Madame Elisabeth Couturier, expert en art, chargée de fournir une évaluation de ce tableau ; Que dans ce rapport déposée le 23 février 2006 Madame Couturier conclut : "Cette huile sur toile pourrait faire partie des toutes dernières oeuvres (l'oeuvre ultime ') réalisée par Mathieu Verdilhan, puisque, par endroits, elle semble inachevée : faible empâtement ou absence de peinture." ; Qu'en l'état de ce doute subsistant, l'assureur de Me Etienne Pujol proposait, à titre commercial et sans reconnaissance de responsabilité, à Monsieur Jean Verhnes une somme de 7.000,00 à titre forfaitaire, que ce dernier n'a pas acceptée, en soutenant qu'il avait eu un enchérisseur à la somme de 28.000,00 le 28 mai 2005, ce qui ne résulte toutefois d'aucune des pièces produites, lesquelles reprennent les seules affirmations de Monsieur Vernhes à cet égard ; Attendu qu'il est de principe, ainsi que l'a rappelé la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation dans son arrêt du 3 avril 2007, publié au Bulletin civil I, n 141, qu'une mention du catalogue de vente établi par un commissaire priseur peut être fautive si elle contient une affirmation erronée qui n'avait pas été assortie de réserves, quand bien même, au moment de la vente, l'authenticité d'une oeuvre d'art était plausible, compte-tenu des connaissances de l'époque ; Que même si en l'espèce Me Etienne Pujol n'a pas évalué le tableau signé Mathieu Verdilhan dans le cadre d'un catalogue destiné à une vente aux enchères qui lui aurait été confiée, mais dans le cadre de l'inventaire d'une succession, le fait d'attribuer à ce tableau, inconnu et jamais expertisé, la valeur de 15.000,00 correspondant à une toile authentique de ce peintre connu, sans prendre la précaution élémentaire pour un professionnel en la matière, soit de consulter un expert de ce peintre, soit d'assortir son avis de réserves expresses, caractérise une faute engageant sa responsabilité, par application de l'article 1383 du code civil ; Que le fait, allégué que l'erreur commise a été au moins partagée par le commissaire priseur de Marseille qui a mis en vente ce tableau comme authentique et l'aurait adjugé au prix de 28.000,00, seule la méfiance de l'acquéreur ayant ensuite conduit à annuler cette vente, est un moyen inopérant dès lors que le commissaire-priseur de Marseille n'est pas recherché pour sa responsabilité ni n'a été appelé en cause ; Que le préjudice dont a été victime Monsieur Jean-Jacques Paul Vernhes, légataire ayant recueilli ce tableau dans sa part successorale pour cette valeur de 15.000,00, est égal à la différence entre celle-ci et sa valeur réelle actuelle, compte-tenu de l'absence de certitude de son authenticité et de la possibilité sérieuse qu'il s'agisse d'un faux, question que les expertises réalisées à ce jour n'ont pas permis de trancher ; Que Monsieur Vernhes prétend que son préjudice est la perte nette de valeur de sa part de succession, compte-tenu de l'absence de valeur du tableau, avec le paiement des droits successoraux afférents qu'il évalue à 60 % du prix, soit une somme totale de 24.000,00 ; Mais attendu que la toile, sur laquelle plane toujours un doute quant à son authenticité, qui n'est pas levé, ne peut être considérée comme ayant une valeur marchande nulle, contrairement a ce que soutient Monsieur Vernhes ; qu'elle peut en effet faire l'objet 4
de spéculations d'amateurs d'art la soumettant à de nouvelles expertises en vue de la faire reconnaître, comme le suggère l'expert Couturier, comme une dernière oeuvre de Mathieu Verdilhan, inachevée à cause de sa mort, ce qui serait de nature à lui conférer une valeur historique et artistique importante, notamment ; qu'il existe aussi un marché d'amateurs d'oeuvres d'art connues comme étant fausses mais réalisées avec beaucoup de ressemblance avec une oeuvre authentique ce qui, à tout le moins, serait le cas en l'espèce si le tableau était expertisé comme un faux certain ; Que d'autre part, selon la déclaration de succession versée aux débats (pièce n 12) Monsieur Jean Jacques Paul Vernhes, légataire à titre universel, a perçu une succession globale évaluée à la somme de 2.527.900,00, sur laquelle il a été tenu d'acquitter la somme de 811.560,00 soit une proportion de 32,11 % ; que le coût fiscal correspondant à la valeur erronée du tableau qu'il a acquittée, s'élève donc à la somme de (15.000,00 x 32,11 %) = 4.816,50 ; Qu'au vu de l'ensemble de ces éléments il convient d'évaluer le préjudice subi par M. Jean-Jacques Paul Vernhes du fait de la faute commise par la SCP Etienne Pujol à la somme de 13.000,00, que celle-ci est condamnée à lui payer, à titre de dommages et intérêts ; Qu'il invoque en outre une perte de chance de vendre le tableau à son prix de 28.000,00, voire 30.000,00 ; mais attendu que ce dernier préjudice n'est pas causé par l'erreur d'évaluation commise par le commissaire-priseur mais par le fait, qui ne lui est pas imputable, que l'authenticité du tableau dont il a hérité n'est pas certaine en l'état des expertises réalisées ; qu'il convient donc de rejeter cette demande, mal fondée ; ' SUR LES DOMMAGES ET INTÉRÊTS : Attendu que l'action de Monsieur Jean Vernhes apparaissant bien fondée et justifiée pour partie, il convient de débouter la SCP Etienne Pujol de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, dirigée contre elle ; ' SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ET LES DÉPENS : Attendu qu'il y a lieu, réformant de ces chefs également le jugement déféré, d'allouer à Monsieur Jean Vernhes la somme de 2.000,00 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que devra lui payer la SCP Etienne Pujol, condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel ; Attendu qu'il n'est pas inéquitable en l'espèce de laisser à la charge de la SCP Etienne Pujol les frais de procédure qui ne sont pas compris dans les dépens ; P A R C E S M O T I F S : LA COUR, * * * * * * * * * * Statuant, publiquement, par arrêt contradictoire, et en dernier ressort, Vu les articles 6 et 9 du code de procédure civile, Vu les articles 1382 et 1383 du code civil, Reçoit l'appel en la forme, Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Perpignan prononcé le 28 avril 2011, en toutes ses dispositions, 5
Et statuant à nouveau : - Condamne la SCP Etienne Pujol, commissaire priseur à Perpignan, responsable de l'erreur d'évaluation du tableau du peintre Mathieu Verdilhan reçu par Monsieur Jean Vernhes dans sa part successorale, à payer à ce dernier une somme de 13.000,00 à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice, - Condamne la SCP Etienne Pujol aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Monsieur Jean Vernhes la somme de 2.000,00 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes des parties. LE GREFFIER LE PRÉSIDENT BB 6