COUR D'APPEL DE BORDEAUX

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Transcription:

COUR D'APPEL DE BORDEAUX PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A ARRÊT DU : 12 JANVIER 2010 (Rédacteur : Marie-Paule LAFON, président,) N de rôle : 08/04429 EARL ALLARY c/ SAS DOMAINE CLARENCE DILLON -------------------------- MONSIEUR LE DIRECTEUR GENERAL DE L' INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE Nature de la décision : AU FOND Grosse délivrée le : aux avoués Décision déférée à la cour : décision rendue le 1er juillet 2008 par le Directeur Général de l'institut National de la Propriété Industrielle de PARIS (N 08-195) suivant déclaration de recours en date du 10 juillet 2008 DEMANDERESSE : EARL ALLARY, agissant poursuites et diligences de sa gérante, Marie-Félicia ALLARY, domiciliée en cette qualité au siège sis 29 avenue Edouard Vaillant - 33600 PESSAC représentée par la SCP MICHEL PUYBARAUD, avoués à la Cour, et assistée de Maître François LALY, avocat au barreau de BORDEAUX DEFENDEURS : SAS DOMAINE CLARENCE DILLON, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis 41 avenue Georges V - 75008 PARIS représentée par la SCP BOYREAU & MONROUX, avoués à la Cour, et assistée de Maître Andréa LINDNER, avocat au barreau de BORDEAUX MONSIEUR LE DIRECTEUR GENERAL DE L'INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE, domicilié en cette qualité au siège social sis 26 bis rue de Saint Pétersbourg - 75800 PARIS représenté par Mathilde MECHIN, chargée de mission munie d'un pouvoir régulier 1

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 16 novembre 2009 en audience publique, devant la cour composée de : Marie-Paule LAFON, président, Jean-Claude SABRON, conseiller, Eric VEYSSIERE, conseiller désigné par ordonnance de madame le premier président en date du 28 octobre 2009 en remplacement de Jean-Paul ROUX, président empêché, qui en ont délibéré. Greffier lors des débats : Annick BOULVAIS Ministère Public : L'affaire a été communiquée au Ministère Public qui a fait connaître son avis. ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. FAITS ET PROCEDURE ANTERIEURE : La société EARL Allary a déposé le 9 octobre 2007, une demande d'enregistrement n 073529501 portant sur le signe verbal Domaine de la Passion Haut-Brion présenté comme destiné à distinguer les produits suivants 'vins provenant de l'exploitation ainsi exactement dénommée : 'Domaine de la Passion Haut Brion' appellation Graves contrôlée'. Le 14 janvier 2008, la société Domaine Clarence Dillon SA a formé opposition à l'enregistrement de cette marque sur la base de la marque verbale Château Haut Brion déposée le 22 octobre 1999 et enregistrée sous le numéro 99 820 144 désignant notamment les produits suivants 'vins d'appellation d'origine contrôlée provenant de l'exploitation ainsi exactement dénommée 'Château Haut-Brion'. La procédure contradictoire a abouti à un projet de décision devenu définitif le 1er juillet 2008 par lequel le directeur de l'institut national de la propriété intellectuelle (INPI) reconnaissait bien fondée l'opposition formée par la société Domaine Clarence Dillon SA et en conséquence rejetait la demande d'enregistrement. PROCEDURE DE RECOURS : Par déclaration en date du 10 juillet 2008, l'earl Allary a formé un recours contre la décision précitée statuant sur opposition. Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 2 mars 2009 puis du 11 mai 2009 et enfin du 16 novembre 2009 date à laquelle l'affaire a été retenue. 2

A l'appui de son recours la société EARL Allary soutient que : - l'opposition n 08-195 revêt un caractère manifestement dolosif constitutif d'une fraude dès lors qu'il démontre l'intention de nuire - la preuve de l'intention de nuire réside dans le fait que l'opposante s'est vue délivrer congé du bail relatif au domaine de la Passion Haut Brion propriété de Monsieur Allary, exploitée en nature de vignes et située à l'intérieur de la zone relative à l'appellation Pessac Léognan et qu'aux termes d'une procédure judiciaire qui a pris fin par un arrêt de la chambre sociale de la cour d'appel de Bordeaux du 2 novembre 2006 la validation dudit congé a permis aux époux Allary de reprendre légitimement l'exploitation directe de leur bien et de procéder notamment au dépôt français de la marque 'Domaine de la Passion Haut Brion' dénomination de la parcelle précitée que la société Domaine Clarence Dillon SAS a voulu par mesure de rétorsion voir annuler - l'attitude de l'opposante est d'autant plus pernicieuse qu'elle remet en cause une instance judiciaire précédente qui lui est défavorable en ce qu'elle avait consacré le droit au toponyme 'Haut-Brion' en faveur du propriétaire de la parcelle viticole Domaine de la Passion Haut Brion, l'arrêt du 18 juillet 1929 confirmant un jugement du tribunal civil de la Gironde du 17 mai 1927 - ce droit est au surplus conforté par l'usage constant antérieur au dépôt, du vin ayant déjà été produit sous la dénomination 'Domaine de la Passion Haut Brion' soit directement soit avec le concours de l'opposante - la décision entreprise, en raison de l'abus manifeste qu'elle accueille et du dol qu'elle permet au préjudice de la société déposante, sera donc infirmée - la décision d'opposition objet du présent recours sera également infirmée en ce qu'elle n'a pas pris en compte la consécration judiciaire du droit au toponyme 'Haut Brion' sous la forme distinctive de l'expression unitaire 'Domaine de la Passion Haut Brion' exempte de tout risque de confusion - un nom de lieu ne peut pas être approprié comme un nom de château par un seul propriétaire - il existe un droit légitime à la copropriété du toponyme 'Haut Brion' qui peut être employé par les propriétaires possesseurs des domaines dans ce lieu quelle que soit l'antériorité d'une marque qui a utilisé la première ce nom - les signes verbaux à comparer 'Domaine de la Passion Haut Brion' et 'Château la Mission Haut Brion' ne sont pas identiques même s'ils incorporent l'un et l'autre le toponyme Haut Brion - ce sont les mots qui associés au toponyme 'Haut Brion' forment des ensembles distinctifs, l'ensemble 'Château la Mission Haut Brion' apparaissant suffisamment individualisé - 'Château la Mission Haut Brion' et 'Domaine de la Passion Haut Brion' se différencient par leur structure visuelle (cinq termes pour le premier et six pour le second) et phonétique (dix temps pour le premier et huit temps pour le second) - s'agissant de produits viticoles le degré d'attention du consommateur habitué à distinguer est particulièrement élevé ainsi que l'a retenu la cour de cassation dans l'arrêt Château Cheval Blanc et que l'admet constamment l'inpi lui-même 3

- la cour d'appel n'a pas de pouvoir d'injonction à l'égard de l'inpi - l'earl Allary justifie de sa qualité à agir - la règle édictée par la loi du 31 décembre 1964 reprise par la loi du 4 janvier 1991, selon laquelle l'usage d'un signe à titre de marque, sans enregistrement préalable, ne confère aucun droit, n'est pas une règle de portée absolue - elle est atténuée par la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1983 qui prévoit la protection de certains droits d'usage tels que les marques notoirement connues même non déposées à l'encontre de l'acte de dépôt postérieur (article 6 bis) et imposant la protection des noms commerciaux (article 8) incluant notamment les noms de cru - il sera procédé à l'annulation de la décision entreprise et en conséquence à l'enregistrement de la marque frappée d'opposition - la SA Domaine Clarence Dillon sera condamnée à lui verser 20.000 de dommages et intérêts et 10.000 en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens. Le Domaine Clarence Dillon SAS réplique que : - la procédure d'opposition a pour seul objet de permettre aux titulaires de certains droits antérieurs de faire obstacle à l'enregistrement d'une marque susceptible de porter atteinte à leurs droits et impose donc de déclarer irrecevables toutes demandes autres que l'annulation de la décision contestée ou le rejet du recours - la cour d'appel ne pourra se substituer au directeur de l'inpi pour enregistrer la marque ni donner des injonctions à ce dernier, dès lors que la procédure qui se déroule devant elle, a pour seul objet le contrôle de la légalité des décisions de cet organisme - elle ne pourra davantage statuer au regard du caractère prétendument frauduleux de l'opposition, ni sur un droit à l'utilisation du toponyme 'Haut Brion', ni enfin condamner la société Domaine Clarence Dillon à la somme de 20.000 en réparation du préjudice invoqué - les moyens extérieurs à la procédure soutenus par l'earl Allary étant constitutifs d'un abus de droit pourront donner lieu, si la cour le juge opportun à l'application de l'article 32-1 du code de procédure civile - l'earl Allary ne justifiant pas de la transmission des droits qu'elle invoque au titre de la propriété sur la marque viticole 'Domaine de la Passion Haut Brion' ou sur un droit au nom, sera déclarée irrecevable en ses prétentions pour défaut de qualité à agir - l'opposition qu'elle a formée ne revêt aucun caractère abusif et s'inscrit comme une défense légitime à un détournement des deux fonctions essentielles de la marque portant sur la garantie d'origine qui lui est attachée et la réservation exclusive - les décisions de justice antérieures (jugement du tribunal civil de Bordeaux confirmé par arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 18 juillet 1929) lui imposaient d'indiquer tout d'abord le nom de sa propriété avant celui du lieu d'origine 'Domaine de la Passion' et 'Haut Brion' - depuis la loi du 31 décembre 1964, seul le dépôt permet d'acquérir la propriété d'une marque 4

- l'earl Allary reconnaissant ne pas avoir déposé de marque, elle a perdu son droit de propriété sur la marque Domaine de la Passion Haut Brion en dépit de l'usage de cette marque qui en tout état de cause a cessé depuis plus de 30 ans - le droit au nom résultant d'un usage droit être ininterrompu, prolongé et loyal, ce qui n'est pas le cas de l'usage du nom 'Domaine de la Passion Haut Brion' en ce qu'il désigne une propriété viticole puisqu'il a été interrompu au moins entre 1978 et 2006 - l'opposition qu'elle a exercée est un mécanisme de défense contre une atteinte à des droits antérieurs consacrés par l'enregistrement de sa propre marque - il n'existe pas de droit imprescriptible d'un propriétaire d'utiliser le nom du lieudit où est implanté son domaine à titre de marque - le toponyme et la marque sont des droits de nature différente soumis chacun à un régime juridique distinct - la possibilité d'incorporer par voie de réglementation de son usage un toponyme dans une marque ne doit pas être empreinte de parasitisme - l'existence d'un nom de cru n'emporte pas ipso facto et ad vitam aeternam la propriété du nom du cru à titre de marque sans soumettre le titulaire aux contraintes édictées par le code de la propriété intellectuelle et sans pouvoir sanctionner un éventuel abus par une action en concurrence déloyale notamment pour parasitisme - la décision du directeur général de l'inpi est l'application stricte des principes élaborés par la Cour de Justice des communautés européennes - l'existence d'un risque de confusion doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents de cas d'espèce (arrêt Sabel) et il est d'autant plus élevé que le caractère distinctif de la marque antérieure s'avère important - au cas d'espèce l'élément Haut Brion présente un caractère essentiel dans les deux signes en conflit, l'expression Château ou Domaine est banale et par ailleurs réglementée donc dépourvue de caractère distinctif, le terme Passion met en exergue l'élément 'Haut Brion' comme étant l'objet de ce sentiment - l'inpi a conclu à l'existence d'un risque de confusion en raison de l'élément Haut Brion distinctif et dominant dans les deux signes - la notoriété de la marque antérieure n'atténue pas le risque de confusion mais au contraire l'accroît dans la mesure où le signe contesté peut être perçu comme une déclinaison de la marque antérieure - Passion est un nom commun moins distinctif qu'un nom propre - la notoriété d'une marque ne la protège pas d'un risque de confusion - les jurisprudences invoquées par la société Allary, dès lors qu'elles ne concernent pas la procédure d'opposition, ne sont pas transposables - l'analyse de la société Allary au titre de la différenciation des signes en cause par leur structure visuelle et phonétique ne peut être accueillie 5

- l'earl Allary sera déboutée de son recours contre la décision du directeur général de l'inpi rejetant sa demande d'enregistrement. L'INPI indique que : - les pouvoirs du directeur de l'inpi dans le cadre de la procédure administrative sont limités à l'appréciation des droits conférés par l'enregistrement de la marque antérieure et à l'atteinte susceptible d'être portée à ces droits par la demande d'enregistrement contestée - il n'a pas le pouvoir d'apprécier d'éventuels comportements frauduleux qui relèvent du contentieux judiciaire ordinaire - subsidiairement au fond, la cour constatera que l'inpi a retenu à juste titre l'imitation de la marque Château Haut Brion par le signe Domaine de la Passion Haut Brion - en effet le risque s'apprécie en fonction de l'impression d'ensemble produite par les marques en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants, au regard d'un consommateur moyen - dans chaque marque le terme Haut Brion parfaitement distinctif présente le caractère prépondérant - les termes 'château' et 'domaine' d'usage courant sont dépourvus de caractère distinctif - la prépondérance est renforcée par la notoriété de la marque antérieure - c'est donc à bon droit que l'inpi a retenu l'imitation de la marque antérieure par le signe contesté - le droit au toponyme issu de la coutume et parfois entériné par la jurisprudence sous réserve du respect de conditions de superficie de parcelles, de vinification et de production ne saurait faire échec aux dispositions de l'article L713-3 du code de la propriété intellectuelle - il n'existe pas de prévalence du toponyme sur la marque - le recours étant un recours en annulation et non en réformation, les demandes de la requérante visant à ce que la cour réforme la décision de l'inpi en enregistrant sa marque sont irrecevables - dès lors que l'inpi n'est pas partie à la procédure, les demandes tendant à ce qu'il assume la charge des dépens sont également irrecevables. Le Ministère Public auquel le dossier a été communiqué a indiqué s'en rapporter. MOTIFS : Il convient de relever en préambule que la société Domaine Clarence Dillon SA a déposé le 22 octobre 1999 la marque verbale 'Château Haut Brion' qui a été enregistrée sous le numéro 99 820 144 comme devant porter sur des vins d'appellation d'origine contrôlée Pessac Léognan provenant de l'exploitation ainsi exactement dénommée 'Château Haut Brion'. La société EARL Allary a déposé le 9 octobre 2007 la demande d'enregistrement n 07 3529 501 portant sur le signe 'Domaine de la Passion Haut Brion' destiné à distinguer les 'vins d'appellation d'origine contrôlée Pessac Léognan provenant de l'exploitation ainsi exactement 6

dénommée Château La Passion Haut Brion. Dès lors que le litige opposant les parties s'inscrit dans le cadre d'une procédure d'opposition à l'enregistrement de la marque présentée par l'earl Allary il appartient à la cour de limiter son examen à une appréciation objective des risques de confusion susceptibles d'affecter les marques soumises à son contrôle sur la base de critères précis qui ne sauraient inclure ceux invoqués par l'earl Allary au titre du caractère intrinsèquement abusif de l'opposition formée par la requérante qui se fonde sur des motifs radicalement extérieurs aux débats actuels, notamment des décisions judiciaires antérieures sans impact sur la présente procédure. Le signe contesté 'Domaine de la Passion Haut Brion' ne constituant pas la reproduction à l'identique de la marque verbale antérieure 'Château Haut Brion', il convient donc pour la cour dans le cadre de sa saisine, de rechercher s'il existe entre les deux marques un risque de confusion. Ce risque de confusion doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. Cette appréciation globale au titre de la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des marques doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci en tenant compte de leurs éléments dominants et distinctifs. En l'espèce l'élément verbal 'Haut Brion' qui se retrouve mentionné en position finale tant dans le cadre de la marque antérieure que de la marque contestée présente un caractère essentiel tant visuellement que phonétiquement qui ne peut qu'être conforté par les termes 'domaine' et 'château' qui constituent certes l'attaque des marques précitées mais qui désignant l'exploitation relèvent d'un usage banal et réglementé dans le domaine viticole et sont dépourvus de toute valeur distinctive propre. Dans le signe contesté les termes 'de la Passion' qui précédent l'élément 'Haut Brion' comme l'objet désigné de ladite passion ne font que renforcer la volonté du déposant de la marque contestée de se situer dans le sillage de 'Château Haut Brion' qui constitue une marque de référence. La présence des termes 'de la Passion' insérés entre celui initial de 'Domaine' et l'élément final 'Haut Brion' qui ne fait que renforcer la volonté de mettre en exergue ce dernier, ne peut être considérée comme constituant isolément un élément prépondérant susceptible de bénéficier de la protection d'une marque originale nouvelle. La présence commune dans la marque antérieure et contestée de l'élément distinctif et dominant 'Haut Brion' dans la configuration précitée crée donc un risque évident de confusion entre les deux marques. Celui-ci est d'autant plus élevé que la marque antérieure prise dans son ensemble présente un caractère distinctif conséquent en raison de sa notoriété qui lui permet d'ailleurs de décliner nombre de marques comportant mention de l'élément 'Haut Brion' parmi les soixante six incluant ce dénominateur commun même s'il n'apparaît pas toujours dominant. Cette impression de volonté de confusion est accentuée par la rédaction de la marque 'Domaine de la Passion Haut Brion' en lettres d'imprimerie majuscules droites, grasses et noires identiques à celles de la marque 'Château Haut-Brion'. Au vu de l'ensemble de ces éléments auquel s'ajoute la similitude des produits vendus sous les marques litigieuses, le consommateur moyennement attentif sera conduit à attribuer aux deux marques une origine commune au titre soit de la déclinaison d'une gamme de produits, soit de la pratique de la création d'un 'second vin' désormais très répandue. 7

L'EARL Allary pour se soustraire au rejet de la demande d'enregistrement de la marque 'Domaine de la Passion Haut Brion' ne saurait utilement se prévaloir du droit d'utiliser le nom d'une exploitation et l'usage de ce nom dans le commerce dès lors qu'il ne lui confère pas celui de le déposer à titre de marque. Il convient donc de rejeter le recours de l'earl Allary à l'encontre de la décision rendue par le Directeur Générale de l'inpi le 1er juillet 2008 ainsi que toutes les demandes annexes qu'il contient. Il sera enfin alloué à la société Domaine Clarence Dillon la somme de 1.500 en application de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS LA COUR, Rejette le recours de l'earl Allary. Condamne l'earl Allary à payer à la société Domaine Clarence Dillon la somme de 1.500 en application de l'article 700 du code de procédure civile. Dit que le présent arrêt sera notifié par les soins du greffe aux parties et au Directeur Général de l'inpi par lettres recommandées avec avis de réception. Le présent arrêt a été signé par Madame Marie-Paule Lafon, président, et par Madame Annick Boulvais, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. 8