La technique d audition des enfants victimes d abus sexuels ou de maltraitance Le cas particulier des enfants Olivier Guéniat Septembre 2015
Intérêt à la formation vs Intérêt de l enfant Toute personne interviewant des enfants doit être au bénéfice d une formation ad hoc! Sinon, il y a un risque énorme que l intérêt de l enfant ne soit pas pris en compte. Il est nécessaire de proposer une formation à tous les intervenants psycho-sociaux en relation avec l intérêt des enfants. Mais pourquoi?
Enfant différent de l'adulte? Les auditions des enfants ont ceci de particulier qu elles doivent faire redoubler l enquêteur de prudence et de professionnalisme, car l enfant diffère de l adulte. Il répond à des critères spécifiques selon son âge, parce qu il n est pas "achevé" sur un plan psychophysiologique. Il est donc primordial, de manière générale, d appliquer la méthode de l audition cognitive pour recueillir leur témoignage ou leur victimisation, voire même d appliquer stricto sensu la méthode dite "par étapes progressives". [1]YUILLE J.C., (non daté) L'entrevue par Etapes progressives, Protocole pour l'entrevue des enfants, Université de Colombie Britannique [2] VAN GIJSEGHEM H., (1992), L'enfant mis à nu, L'allégation d'abus sexuels: la recherche de la vérité, Montréal, Méridien.
Suggestibilité Les enfants sont hautement suggestibles, très sensibles à l influence des adultes, qu ils peuvent avoir été contaminés par des questionnements antérieurs à l audition de police (par des membres de la famille, par un enseignant, un assistant social, etc.), au cours desquels ils ont pu être influencés par des questions dirigées. au non verbal des adultes et susceptibles de construire des réponses en fonction de celui-ci. Par exemple, si l adulte montre qu il est content de la direction du récit de l enfant, ce dernier peut construire un contenu allant dans le sens des attentes de l adulte
Constat Ce qui différencie l enfant de l adulte réside donc dans sa très grande vulnérabilité face à la pression sociale.
Audition par étapes progessives 1. Minimiser l impact traumatique potentiel de l audition sur l enfant. 2. Obtenir le maximum d information tout en minimisant la contamination. 3. Maintenir l intégrité du processus d investigation.
Impact traumatique L enquêteur doit être sensible aux besoins d enfants d âges différents (d où l importance de la formation). L audition doit faire l objet d un enregistrement vidéo et audio, ceci pour réduire le nombre d auditions auxquelles l enfant sera soumis, de même que pour valider la qualité de l entretien.
Maximum d'informations La technique d audition doit être non directive, non suggestive et organisée en série d étapes visant à s assurer que l information sur les allégations provient de l enfant et non de l enquêteur.
Intégrité du processus L enquêteur doit être ouvert à plusieurs hypothèses différentes face aux allégations de l enfant. Garantie que l audition se centre uniquement sur le déroulement des faits plutôt que sur des présupposés.
L'audition par étapes progressives 7 étapes
1. Mise en relation Soigner particulièrement l introduction de l audition. L enquêteur doit être calme, détendu et montrer de l intérêt à l enfant. Les questions ouvertes seront systématiquement privilégiées. Durant la première partie de l audition, l enquêteur questionnera l enfant sur des événements neutres ou ne concernant absolument pas les objectifs de l audition.
Exemples d introduction par des questions neutres D: Comment es-tu venu au poste de police? D: Tu vas à l école? D: Qu est-ce que tu aime le plus à l école? D: Dans quelle classe es-tu? D: Tu as des copains?
(Mise en relation) L enquêteur doit tenter de faire parler l enfant aussi librement que possible. Cette entrée en matière servira de guide d évaluation sur les aptitudes cognitives et sociales son niveau d expression, sa timidité, sa spontanéité, la richesse de son vocabulaire, son comportement, etc.
2. Discussion sur la vérité L enquêteur évaluera, selon l âge de l enfant, sa compréhension du concept de vérité. Il exprimera sa propre volonté de dire la vérité et demandera à l enfant de s engager à faire de même.
3. Introduction de l'objet de l'audition Introduction de l objet de l audition, exemples de questions non directives D : Est-ce que tu sais pourquoi tu es là aujourd hui? D: Sais-tu de quoi nous allons parler aujourd hui? Si ce type de questionnement ne donne pas de résultat, alors il faudra poser des questions plus spécifiques.
Introduction de l objet de l audition, exemples de questions plus spécifiques D : S est-il passé quelque chose dont tu aimerais me parler? D: Y a-t-il quelqu un qui t a fait quelque chose qu il n aurait pas dû faire? D: Y a-t-il quelqu un qui t a touché d une façon qu il n aurait pas dû?
4. Le récit libre Elle est le cœur de l audition. L enfant est invité à raconter les événements dans ses propres mots et à son rythme. Les pauses sont tolérées et l audition doit être non directive. Si l enfant hésite ou cesse la narration, l enquêteur l encouragera par des questions simples.
Récit libre, exemples de questions simples D : Que s est-il passé ensuite? D: Tu viens de me dire ceci, que s est-il passé ensuite?
(Récit libre) Nécessite une grande discipline et beaucoup de concentration. L'enquêteur doit avoir été formé à ce type d'audition. Son expérience est un gage de professionnalisme. S'il y a plusieurs épisodes répétés, recueillir d'abord le premier épisode et l'utiliser pour aider l'enfant à raconter des épisodes spécifiques.
5. Questions ouvertes L objectif est de poser des questions ouvertes pour obtenir des détails relatifs aux événements qui ont été décrits par l enfant. L enquêteur aura recours à des stratégies mémorielles spécifiques, ceci pour aider l enfant à détailler son récit, à y mettre de l ordre.
Questions ouvertes D : Peux-tu m en dire plus sur la fois où cela s est déroulé dans le corridor? D: Peux-tu m expliquer ce qui s est passé dans le parc?
(Questions ouvertes) Si plusieurs incidents se sont produits, l enquêteur étiquettera de manière distincte les événements : l incident du corridor, la fois dans ta chambre, etc. L étiquetage permettra de garder séparés les différents incidents, de même que de clarifier lequel des événements est discuté à un moment donné.
(Questions ouvertes) Il est utile d organiser le rappel de chaque événement en utilisant les mots "qui, quand, où et quoi " en les inscrivant par exemple sur un papier ou un tableau et en sollicitant l enfant pour qu il se réfère à chacun d eux pour chaque incident.
(Questions ouvertes) Il faut aussi bien expliquer à l enfant qu il peut dire "je ne sais pas" lorsqu il n a pas de réponses aux questions. Lorsque l enfant répond plusieurs fois "je ne sais pas", il peut être utile de l aider à faire la distinction entre des problèmes de mémoire et des problèmes d un autre ordre en lui suggérant d utiliser un signe de la main indiquant qu il sait la réponse, mais qu il ne veut pas en parler.
6. Questions spécifiques Durant l audition, l enquêteur notera certaines questions soulevées par le récit de l enfant. Par la suite, ces questions seront posées à l enfant de façon ouverte et uniquement si les détails de l information obtenus jusque-là sont insuffisants.
Questions spécifiques D : Te souviens-tu comment étaient les vêtements que portait cet homme? D: Peux-tu me décrire ce qu il y avait dans la chambre? Exemple de question pour stimuler la mémoire D : S il y avait une caméra au plafond de la chambre, peux-tu me dire ce qu elle aurait vu?
(Questions spécifiques) Le but est de mettre l enfant dans une autre perspective. Il est aussi possible de stimuler l enfant (par la technique de "réinstallation contextuelle") en lui demandant de se remémorer ce qu il faisait avant l événement ou encore quel temps il faisait, etc.
Questions à choix Il est important aussi d éviter des questions suscitant des réponses à choix. Si l enquêteur n a pas d autres possibilités, il faut qu il propose systématiquement plus de deux choix. Exemple de question à choix D : Est-ce que c était l hiver, le printemps, l automne ou l été?
Questions à choix multiples Les questions à choix multiples sont souvent utiles avec de jeunes enfants. Si elles sont utilisées, il est recommandé de répéter la question un peu plus tard en changeant l ordre des choix qui avaient été proposés. Si l enquêteur fait face à des inconsistances dans le récit de l enfant, il doit les aborder de manière aussi gentiment que possible.
Exemple de question face à des inconsistances D : Tu m as dit qu il a pris le couteau dans sa poche, mais avant tu m as dit qu il ne portait qu un t-shirt. Peux-tu me dire comment cela s est passé?
Inconsistance - contradictions L audition doit être conduite de manière à ce que l enfant se sente en confiance et tous les efforts sont déployés pour maintenir la relation établie avec lui. Vers la fin de l audition seulement, l enquêteur peut poser des questions à l enfant sur des détails dans son récit qui paraissent contradictoires.
Test de suggestibilité Avec certains enfants hautement suggestibles, il peut s avérer nécessaire de vérifier ce caractère spécifique en fin d audition, uniquement. Ceci peut être fait en posant des questions directives concernant des items nonpertinents.
Exemple de question directive pour vérifier la suggestibilité par des items non-pertinents D : Tu portais un pantalon bleu hier, n est-ce pas? Si l enfant démontre une tendance à la suggestibilité, il peut alors s avérer nécessaire de continuer dans cette perspective pour vérifier si l enfant n a pas été préalablement contaminé.
7. Fin de l'entrevue Indépendamment de l issue de l audition, l enquêteur doit remercier l enfant pour sa participation et non pour la qualité de ses réponses (il peut en effet avoir menti!). Il doit aussi répondre à ses questions et lui expliquer la suite des événements. L enquêteur ne doit jamais rien promettre à l enfant qu il ne pourrait tenir concernant des développements futurs.
Attention Comme c est le cas du témoin ou de la victime, mais aussi du suspect, rappelons que l enfant est naturellement soumis à l adulte et qui plus est au policier, en fait à l autorité. Son discours peut donc s adapter plus facilement à la différence des statuts sociaux en jeu.
Attention L enfant a des facultés de mémoire et intellectuelles moins élaborées et développées que celles de l adulte, bien entendu en fonction de son âge. L enfant peut aussi présenter des difficultés à différencier le réel de l imaginaire.
Guide de référence pour mener une audition cognitive a) Contrôle l'anxiété du témoin b) Développer un rapport avec le témoin 1. Introduction c) Dire au témoin qu'il doit donner des informations activement et de manière volontaire, qu'il ne doit pas attendre passivement que l'enquêteur lui pose des questions d) Demander explicitement des informations détaillées e) Dire au témoin de ne pas adapter ses pensées f) Dire au témoin de ne pas fabriquer, arranger ou inventer des réponses g) Exprimer au témoin qu'on attend de lui qu'il se concentre intensément 2. Narration ouverte et spontanée a) Recréer un contexte général b) Demander une description narrative c) Ne pas interrompre le témoin d) Faire une longue pause chaque fois que le témoin s'arrête avant de reposer une question e) Identifier les images du témoin 1. Demander au témoin d'illustrer des images plus claires 2. Demander au témoin ou lui inférer d'autres images f) Esquisser des notes pour illustrer les images du témoin g) Mettre en place une stratégie expérimentale par sondage 4. Revue a) Passer en revue avec le témoin les notes de l'enquêteur ou ce qu'il a mémorisé b) Parler lentement et posément c) Demander au témoin d'interrompre immédiatement l'enquêteur s'il se souvient de nouvelles informations ou s'il constate des erreurs d) Si de nouvelles issues sont développées, sonder la pertinence de l'information a) Rassembler l'information de base 5. Terminer l'audition b) Rappeler au témoin de contacter l'enquêteur si une nouvelle information lui revient en mémoire c) Créer une dernière impression positive 3. Les codes de la mémoire a) Ré-insister sur l'importance de la concentration du témoin b) Recréer le contexte de l'événement spécifique c) Demander au témoin de fermer les yeux d) Poser des questions ouvertes et structurées e) Demander des descriptions détaillées f) Ne pas interrompre la narration du témoin g) Prendre des notes détaillées h) Faire une longue pause à chaque fois que le témoin s'arrête et avant de poser la question suivante i) Esquisser une image relative à l'information non contenue dans la narration j) Sonder les images restantes k) Re-sonder les images activées précédemment l) Sonder le concept des codes images sous d autres perspectives ou dans un ordre chronologique différent.
Et, en cas de curiosité Comment réagir face à un mensonge et comment accueillir un aveu? Pourquoi des personnes avouent-elles, pourquoi n avouent-elles pas ou faussement? Le comportement de l enquêteur durant l entretien et les comportements à éviter L interaction entre les enquêteurs Le contrôle d alibi La présence de l avocat Les facteurs associés à l aveu ou au déni ce que dit la recherche Les entretiens enregistrés et/ou filmés Le procès-verbal d interrogatoire et d audition La technologie pour tenter de détecter le mensonge L aspect psychologique des interrogatoires et des auditions Les malades et les personnalités difficiles La présence d un interprète Les principe de la mémoire L audition cognitive La gestion des silences Stratégies, tactiques et techniques Merci de votre attention