«La banque nationale : une création des hommes d affaires de Québec en 1859»



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Transcription:

Article «La banque nationale : une création des hommes d affaires de Québec en 1859» Pierre Poulin Cap-aux-Diamants : la revue d'histoire du Québec, vol. 1, n 3, 1985, p. 19-23. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/6385ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'uri https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'université de Montréal, l'université Laval et l'université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 28 August 2015 10:19

«Banque Nationale 1859», Oeuvre du peintre André L'Archevêque. 1984. On aperçoit au premier plan à gauche l'édifice ayant abrité la Banque Nationale, rue Saint-Jean. LA BANQUE NATIONALE Une création des hommes d'affaires de Québec en 1859 Par Pierre Poulin Au mois de mai de l'année 1860, une nouvelle banque, la Banque Nationale, ouvre ses portes à Québec. L'initiative de cette fondation relève d'un groupe d'hommes d'affaires canadiens-français tous citoyens de la ville. En soi, l'événement peut sembler banal, mais replacé dans le contexte social et économique de Québec au XIXe siècle, il apparaît comme un moment très important, consacrant en fait la montée d'une bourgeoisie d'affaires canadiennefrançaise. Par ailleurs, l'événement mérite aussi sa place dans l'histoire du nationalisme québécois, ou tout au moins dans l'une de ses variantes qui considère l'existence d'une bourgeoisie canadienne-française prospère comme étant le moyen le plus sûr de conserver notre nationalité. Montée d'une bourgeoisie canadienne-française La conquête du pays par les Britanniques en 1760 a eu des conséquences de poids sur l'évolution de la classe marchande canadienne-française. Privée de ses relations commerciales avec la France, celleci devait maintenant oeuvrer dans l'om- CAP-AUX-DIAMAIMTS. vol. I.n' 3. automne 1985. 19

WW Billet de 6 S émis par la Banque Nationale en mai 1870. Collection Raymond Boulet. /, e^mrr^'^ga //.c/ tur/if/ee/mf. )r//fe>s"f// 1-aVPiar»>s t«u>>.»y»imsj»?l«miu'lt»t»l m.* *' ' J t ' J-ai - JI *mfi mmmmpp^ ''''VTX'VWIYH.t'Y bre des marchands britanniques venus s'installer dans la colonie. Les Canadiens français, confinés au commerce de détail, distribuaient aux populations locales et régionales les marchandises que leur fournissaient les marchands anglais maîtres du commerce d'import-export. Dans la ville de Québec où, jusqu'au début du XIXe siècle, la population n'atteignait pas les dix mille habitants, les profits de ce petit commerce demeurent nécessairement limités. La croissance spectaculaire des exportations de bois et le développement de la construction navale changent rapidement les données de cette situation dans la première moitié du XIXe siècle. Québec devient une ville bourdonnante d'activités et sa population grossit considérablement, atteignant le chiffre de 58,319 habitants en 1861 Même si le grand commerce d'exportation appartient exclusivement aux anglo-saxons, cette conjoncture, qui permet une expansion du marché local, produit finalement quelques effets favorables dans les rangs des petits commerçants canadiens-français. Quelques-uns parmi eux savent tirer profit des nouvelles conditions économiques et s'introduisent dans le commerce de gros et l'importation. Fin observateur de son époque, Etienne Parent signale ces progrès à son auditoire lors d'une conférence prononcée en janvier 1846: «Jusqu 'à tout récemment, dit-il, on ne saurait s'empêcher de l'avouer, nos marchands en général n'étaient guère que les agents secondaires des marchands bretons (britanniques) (...) Mais depuis peu, ils semblent vouloir s'émanciper d'une tutelle peu honorable et peu profitable à la fois. Plusieurs d'entre eux se sont mis en rapport direct avec les manufacturiers et les marchands des îles britanniques; leurs efforts et leurs talents promettent d'être couronnés de succès; d'heureux symptômes de prospérité se sont déjà manifestés chez plusieurs, et il faut espérer que leur exemple sera contagieux.» Chinic & Méthot dans le domaine de la quincaillerie, Isidore Thibodeau, Laurent et Cyrice Têtu et Pierre Garneau dans les marchandises sèches, ou encore Jean-Baptiste Renaud dans les farines et grains, deviennent, autour de 1850, des noms connus, synonymes de pouvoir économique. À cette bourgeoisie montante viennent se greffer quelques membres des professions libérales qui possèdent de l'argent ou encore des biens fonciers ou immobiliers. C'est dans ce milieu de la bourgeoisie d'affaires de Québec que naîtra l'idée de fonder la Banque Nationale. La nécessité de fonder une banque À la fin des années 1850, six banques ont des bureaux à Québec et toutes, à l'exception de la Banque du Peuple, appartiennent à des intérêts anglophones. Seule la Quebec Bank, dont les administrateurs se recrutent parmi les grands commerçants anglophones de Québec, a son siège social dans la ville. La seule institution financière de Québec qui soit contrôlée par des francophones est la Caisse d'économie de Notre-Dame de Québec, fondée en 1848, sous les auspices de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, dans le but d'encourager la petite épargne. Mais cette caisse n'est pas habilitée par la loi à escompter les effets de commerce. Pour obtenir un prêt, il faut aller frapper à la 20 CAP-AUX-DIAMANTS, vol. l,n 3, automne 1985.

porte des «banques anglaises» qui ont la réputation de s'occuper avant tout du «commerce anglais». Les hommes d'affaires francophones ressentent donc le besoin d'établir une institution bancaire dont ils auraient le contrôle et qui se vouerait prioritairement à la promotion de leurs intérêts. L'idée, qui germe depuis quelque temps, se concrétise enfin le 15 décembre 1858: une dizaine de citoyens de Québec, parmi lesquels se trouvent Eugène Chinic, Isidore Thibaudeau, Ulric-Joseph Tessier, Olivier Robitaille, Cyrice Têtu et Octave Crémazie, convoquent les citoyens intéressés par le projet. C'est à cette assemblée tenue le 22 décembre que l'on décide de fonder la Banque Nationale. Un comité nommé pour donner suite à l'affaire prépare une demande d'incorporation qui reçoit la sanction de la législature le 4 mai 1859. Le capital autorisé est fixé à un million de dollars. Le mois suivant, les administrateurs provisoires de la Banque Nationale publient dans les journaux un prospectus invitant le public à souscrire au capital-actions de l'entreprise. «Depuis plusieurs années, est-il écrit dans ce prospectus, l'opinion publique se préoccupe du désir de voir s'établir à Québec, une BANQUE dont le principal but serait de protéger d'une manière toute spéciale le commerce intérieur et l'industrie du pays. Il est indubitablement admis que les habitants de Québec et de ses environs possèdent parmi eux tous les éléments nécessaires pour fonder avec toutes les garanties possibles une institution de ce genre, en gérer les affaires avec économie et la faire prospérer avec honneur.» Le prospectus souligne ensuite l'utilité d'une telle institution: «À ceux qui ont des capitaux elle offre un placement avantageux que l'on peut toujours réaliser en valeur courante; à ceux qui sont engagés dans le commerce, dans les métiers et les professions industrielles, elle fournit un moyen de multiplier leurs capitaux par le crédit et l'émission de billets.» Il faudra cependant attendre un an avant que la partie du capital requis (100 000 $) pour commencer les opérations soit dans les coffres de la banque. Installée rue Saint- Jean, dans les locaux de la Caisse d'économie de Notre-Dame de Québec, la Banque Nationale accueille ses premiers clients en mai 1860. À la suite d'un incendie survenu en 1862, la Banque ira s'établir de façon N*0'U'V»E»A»U»T»E LES PETITS INNOCENTS L'ENFANCE EN NOUVELLE-FRANCE PAR DENISE LEMIEUX Ces ouvrages sont disponibles dans toutes les librairies ou à: % I tûrv % 205pages 12$ Institut québécois de recherche sur la culture 93, rue Saint-Pierre Québec (Québec) G1K 4A3 tél.: (418) 643-469S CAP-AUX-DIAMANTS. vol. I,n 3, automne 1985. 21

définitive sur la rue Saint-Pierre, là où se concentrent les activités bancaires de Québec. La première liste des actionnaires de la Banque Nationale publiée dans les Documents de la Session du Canada en 1861 nous indique que ceux-ci, au nombre de 490, proviennent principalement de la ville de Québec ou des régions environnantes et qu'ils sont francophones dans une proportion de 80 pour cent. Une soixantaine parmi eux ont souscrit 2 000 $ ou plus chacun au capitalactions de la banque. Dans cette frange des gros actionnaires, où se retrouvent surtout des marchands, des membres des professions libérales et quelques hommes politiques, la proportion des anglophones atteint le tiers. Si une partie de la bourgeoisie anglophone prend part au capital-actions de la banque, les francophones se réservent cependant un contrôle exclusif. Ils occupent tous les sièges au conseil d'administration avec, comme président, Ulric-Joseph Tessier, avocat et conseiller législatif, et comme vice-président le marchand Eugène Chinic. Un climat de nationalisme économique Ulric-Joseph Tessier (1817-1892). Avocat et conseiller législatif, il fut le premier président de la Banque Nationale. Archives nationales du Québec. En plus de marquer un moment important dans la progression de la classe marchande canadienne-française, la fondation de la Banque Nationale peut aussi être considérée comme une expression d'un certain nationalisme économique, incarné à l'époque par Etienne Parent. Cet ancien rédacteur du journal Le Canadien, devenu, sous le gouvernement de l'union, sous-secrétaire de la Province, s'impose alors à Québec, par ses écrits et ses conférences, comme le maître à penser de sa génération. Préoccupé par la survie du peuple canadien-français, que menace l'augmentation constante de la population anglophone au Canada, Parent voit dans le commerce et l'industrie les seuls moyens d'acquérir l'importance sociale nécessaire pour espérer conserver la nationalité. Dans des conférences prononcées au cours des années 1840 et 1850, intitulées «L'industrie considérée comme moyen de conserver notre nationalité», «Importance de l'étude de l'économie politique», ou encore «De l'importance et des devoirs du commerce», Parent exhorte ses contemporains à se lancer plus nombreux dans le com- 22 CAP-AUX-DIAMANTS. vol. I.n 3, automne 1985.

merce et l'industrie et à délaisser les professions libérales. Il se fait même l'apologiste des marchands de Québec, auxquels il reconnaît le mérite d'avoir «relevé le caractère de notre race aux yeux des étrangers et de nos compatriotes d'adoption». On ne s'étonnera donc pas de retrouver, parmi les tout premiers actionnaires de cette banque qui ambitionne de «protéger d'une manière toute spéciale le commerce intérieur et l'industrie du pays», le nom d'etienne Parent ou celui de François-Xavier Garneau, tout aussi ardent nationaliste. Beaucoup plus près des idées que des affaires et sans doute plus pauvres que riches, ces hommes, en participant au capital de la Banque Nationale, montrent bien que cet instrument de promotion économique apparaît aussi comme un outil de promotion de la nationalité. Ne peut-on voir dans le nom même de cette banque une espèce de manifeste en faveur de la «race»? N'y a-t-il pas là l'intention de créer, en plus d'un simple instrument de crédit, un symbole de la survivance des Canadiens français? D'hier à aujourd'hui C'est à cette initiative prise il y a 125 ans que se rattachent en partie les origines de la Banque Nationale du Canada, dont les actifs se comptent aujourd'hui par dizaine de milliards. Mais d'hier à aujourd'hui la trajectoire n'est pas directe. Si l'entreprise connaît des débuts fructueux, elle aura cependant à affronter à quelques reprises des difficultés sérieuses liées à des contextes de crise économique. Malgré des pertes importantes enregistrées en 1878 et 1885 la Banque retrouve sa stabilité. Mais en 1924 rien ne va plus. Les déboires financiers d'un important client de la Banque entraînent un déficit qui compromet sa survie. Une fusion avec la Banque d'hochelaga (fondée à Montréal en 1873) permet à la Banque Nationale d'éviter la faillite de justesse et donne naissance à la Banque Canadienne Nationale. Ce n'est qu'en 1979 que réapparaît, au moment de la fusion entre la Banque Canadienne Nationale et la Banque Provinciale, le nom de Banque Nationale du Canada, qui évoque les plus lointaines origines de cette institution dont le contrôle appartient toujours à des francophones. Etienne Parent serait sans doute ravi de l'apprendre. D Etienne Parent (1802-1874). Journaliste, fonctionnaire et conférencier réputé, il fut un des premiers au Québec à formuler une doctrine nationaliste mettant l'accent sur la participalion au progrès économique. Archives publiques du Canada. CAP-AUX-DIAMANTS, vol. I, n 3. automne 1985. 23