Au siège de l Institut national de la propriété industrielle (INPI), à Paris, mi-avril Miren Lartigue Avocats et CPI : un long dimanche de fiançailles C est une longue histoire, pleine de rebondissements, et dont on ne saurait présager l issue. Après bien des périples, la question du rapprochement entre les professions d avocat et de conseil en propriété industrielle reste entière. PAR MIREN LARTIGUE a chose est entendue : il faut améliorer l offre française de services en matière de propriété industrielle en favorisant le rapprochement entre les professions d avocat et de conseil en propriété industrielle (CPI) afin d offrir aux clients une continuité dans les services proposés par ces professionnels : les CPI ne sont pas habilités à L 36 représenter leurs clients en justice, et les avocats spécialisés en PI n ont pas les compétences techniques des CPI ingénieurs de formation. Facile à dire, mais pas si facile à faire, si on se fie au périple parcouru par ce projet ces dernières années. VERS L UNIFICATION La première tentative a pris la forme d un avant-projet de décret visant à instaurer la possibilité d une interprofessionnalité d exercice entre avocats et CPI. Nous sommes en 2004 et le projet de décret, conçu par un groupe de travail avocats-cpi sous l égide de la Chancellerie et du ministère de l Industrie, est au final rejeté par le barreau. «À cette époque, le barreau était opposé à l interpro en raison de la grande puissance des cabinets de CPI, et avait déjà la volonté PROFESSION AVOCAT Le Magazine N 25 Avril-mai 2012
et de leurs puissants cabinets reste l obstacle majeur. «Ce déséquilibre a toujours un peu inquiété les avocats, c est vrai, reconnaît Jean-Christophe Guerrini, associé du cabinet Casalonga Avocats, mais en réalité, si on a vraiment envie de travailler ensemble, on trouve toujours un point d équilibre satisfaisant pour les deux parties.» Du côté des CPI opposés à l unification des professions, «l opposition était majoritairement le fait de CPI brevets, qui n ont ni la même formation ni la même culture que les avocats, et qui sont donc plus favorables à l interprofes sionnalité, qui préserve la spécificité des professions, explique Pierre Breesé, président du cabinet de conseil en PI Fidal Innovation. Pour le client, il est important de poud aller vers l unification des professions», explique Philippe Tuffreau, avocat spécialisé en PI, alors vice-président du Conseil national des barreaux (CNB). Porté et relancé par le barreau dès 2006, le projet d unification des deux professions s inscrit alors dans le cadre d une stratégie plus globale : la création d une grande profession du droit. «Les avocats ont très vite mesuré la valeur stratégique de la PI pour leurs clients, explique Michel Bénichou, ancien président du CNB. Mais comme ils n étaient pas en mesure, en qualité de juristes, de répondre à l ensemble des besoins de leurs clients, la solution consistant à intégrer les CPI dans la profession s est rapidement imposée.» L idée est soumise à la Chancellerie qui répond, dès septembre 2007, par la voix de la garde des Sceaux Rachida Dati : «Si vos deux professions veulent ce rapprochement, si elles s entendent sur les modalités, je suis prête à vous soutenir.» Les négociations démarrent et les deux professions parviennent à un accord fin 2008. Entretemps, le Minefi a fait savoir qu il ne s opposerait par à l unification et laissé le dossier entre les mains de la Chancellerie. En janvier 2009, le rapport du groupe UMP de l Assemblée nationale chargé de réfléchir à la modernisation des professions réglementées est lui aussi favorable au projet. Huit jours plus tard, un amendement visant à organiser l unification des deux professions est introduit dans la proposition de loi Béteille relative aux conditions d exercice de certaines professions réglementées, et adopté par le Sénat en février avec le soutien de la ministre de la Justice. Quant à la commission Darrois, qui rend son rapport deux mois plus tard, elle préconise elle aussi l unification des deux professions. Une affaire qui roule, donc. QUAND LE VENT TOURNE Plus pour longtemps. Dès le projet s est transformé en amendement, tous les lobbys des opposants se sont mis en ordre de marche. Une coalition hétéroclite de CPI et d avocats spécialisés en PI défendant soit le statu quo soit l interpro. L intérêt même du guichet unique est remis en cause : quand certains disent que l offre française en matière de PI manque de clarté, de cohérence et in fine d efficience, d autres répondent que cette organisation est, au contraire, plus lisible pour les clients. Et si l intégration des CPI marques et modèles, juristes de formation, ne pose pas de difficultés, celle des CPI brevets, ingénieurs, rencontre une forte opposition de la part de certains avocats qui ne veulent pas voir entrer dans la profession des praticiens aux compétences plus techniques que juridiques. «Les avocats spécialisés en PI se sont cachés derrière la défense de grands principes mais leurs véritables craintes étaient d ordre économique», explique Philippe Tuffreau. L entrée dans la profession de ces conseils ingénieurs Philippe Tuffreau, ancien vice-président du CNB Michel Bénichou, ancien président du CNB voir identifier ses interlocuteurs, notamment au sein des PME où l avocat continue de symboliser le contentieux plutôt que le conseil. Nous ne voulons pas voir notre profession diluée dans la profession d avocat.» EXIT L UNIFICATION Les opposants au projet ont rapidement trouvé des relais efficaces du côté des politiques. Adoptée par le Sénat en février 2009, la proposition de loi Béteille disparaît des radars après sa transmission à l Assemblée nationale. Jean-François Copé, président du groupe majoritaire à l Assemblée nationale et avocat collaborateur au sein du cabinet Gide, affirme alors être convaincu que l unification n est pas la bonne solution. Et c est Michèle Alliot-Marie, arrivée à la Chancellerie après le remaniement ministériel de juin 2009, qui ferme le ban fin 2009 en déclarant : «Les métiers d avocat et de conseil en propriété industrielle sont profondément différents, il n est donc pas question de les fusionner.» Dernière manche : en juin 2010, quand la proposition de loi Béteille, adoptée un an et demi plus tôt par les sénateurs avec le soutien de la CPI : quelques chiffres Effectifs : environ 900 CPI en France (effectifs en croissance continue), dont 44 % ont la mention brevet, 37 % la mention marques, dessins et modèles, et 19 % les deux mentions Moyenne d âge : 41 ans Féminisation : 43 % de femmes (plus nombreuses en marques et modèles qu en brevets) Implantation : un peu plus de la moitié des effectifs de la profession exercent à Paris Source : CNCPI, chiffres clés actualisés en janvier 2012 Avril-mai 2012 N 25 PROFESSION AVOCAT Le Magazine 37
Chancellerie, est enfin soumise à l examen des députés, l amendement sur l unification est supprimé à la demande du rapporteur UMP du texte. Au cours des débats, l avocat et député PS Jean-Michel Clément, membre de la commission des lois, déclare : «Il y avait accord [entre les deux professions, ndlr]. Si maintenant, on parle de désaccord, cela veut dire qu un lobby, plus fort qu un autre, a œuvré.» Fin de partie. «Ce qui s est passé est proprement honteux, s insurge Michel Bénichou. Un petit nombre de cabinets d affaires a réussi à faire avorter le projet alors que la profession dans son ensemble avait voté et a défendu jusqu au bout l unification.» Une situation qui a donné lieu, de parts et d autres, à beaucoup d agitation, de querelles et d anathèmes. «Un véritable gâchis, et un sentiment de trahison chez tous ceux qui ont œuvré à l unification», résume Philippe Tuffreau. LE PAQUET RAPPROCHEMENT Début 2010, la garde des Sceaux invite les deux professions à participer à un groupe de travail pour trouver un nouvel accord, sous l égide de la ZOOM Xavier Demulsant, président de la CNCPI Chancellerie. Ce sera le paquet rapprochement : un ensemble qui combine des possibilités d interprofessionnalité capitalistique entre les deux professions via les SPFPL, la levée des incompatibilités d exercice entre les professions d avocat et de CPI (pour permettre à un même praticien d exercer les deux professions), et une réflexion sur le volet formation visant à assouplir la passerelle entre les deux professions. Une formule destinée à décloisonner les deux professions en offrant de nouvelles possibilités aux praticiens qui le souhaitent. Mais si la loi a, depuis, entériné les possibilités d interpro capitalistique entre les deux professions, l amendement visant à lever les incompatibilités d exercice entre les deux professions la mesure centrale du paquet rapprochement a été retoqué par la commission des lois de l Assemblée nationale lors de l examen de la proposition de loi Béteille, dans la même foulée que l amendement visant l unification des professions. Abandon par KO? Profession : conseil en propriété industrielle Cette profession libérale indépendante regroupant des ingénieurs et des juristes (CPI brevets et CPI marques et modèles) est réglementée depuis 1992 par le Code de la propriété intellectuelle. Cette réglementation prévoit notamment des obligations de qualifications et de compétences, un code de déontologie et une obligation d assurance en responsabilité professionnelle. Elle fixe les règles d exercice (un CPI peut exercer en individuel, en groupe avec d autres CPI, ou en qualité de salarié d un cabinet de CPI), de détention de capital (50,1 % au moins du capital des cabinets doit être détenue par des CPI) et de gouvernance (les gérants doivent être des CPI). Gardiens d informations très sensibles pour leurs clients, les CPI respectent des règles identiques à celles des avocats en matière de déontologie, de confidentialité et d évitement du conflit d intérêts ; une chambre de discipline veille au respect de cette déontologie. La Compagnie nationale des conseils en PI travaille actuellement à l instauration d une obligation en matière de formation continue (20 heures par an). M.L. Thierry Wickers, ancien président du CNB «Non, le dossier est toujours en cours, nous continuons à y travailler, assure l actuel président de la Compagnie nationale des conseils en PI (CNCPI), Xavier Demulsant. La levée des incompatibilités d exercice vise à permettre à un praticien d exercer à la fois la profession d avocat dans un cabinet d avocats et la profession de CPI dans un cabinet de CPI. Non pas pour faire tous les métiers de la PI mais pour permettre aux avocats et aux CPI de mieux travailler ensemble. Le tandem avocat-cpi qui existe aujourd hui existera demain, parce que les questions de procédure sont complexes, et parce que la matière est très scientifique dans le domaine des brevets. La tentation pour une même personne de faire les deux répondra peut-être à certains besoins, mais de façon très marginale.» Cette nouvelle perspective laisse Pierre Breesé très sceptique : «Je ne vois vraiment pas l intérêt de ce double exercice.» AUTORISER LE DOUBLE EXERCICE Pour l heure, les consultations se poursuivent et «le projet a été jugé satisfaisant par notre ministère de tutelle ainsi que par les chefs d entreprise, poursuit Xavier Demulsant, et la réflexion est en cours au sein du CNB». Thierry Wickers, président du CNB au cours de la précédente mandature, confirme que «nous avons engagé une réflexion, qui inclut la question des CPI, mais nous avons choisi une approche plus globale : nos travaux portent sur une réforme d ensemble du régime des incompatibilités d exercice de la profession. Nous avons pris soin d y associer les avocats spécialisés en PI, lesquels ne sont pas hostiles à ce projet, qui a par ailleurs reçu un accueil assez consensuel de la part du barreau d affaires.» Une vaste réforme, donc, soumise pour avis fin 2011 à la Chancellerie, qui a demandé un peu de temps pour étudier les 38 PROFESSION AVOCAT Le Magazine N 24 Février-mars 2012
REPÈRES Conseil et contentieux : qui fait quoi? En matière de propriété industrielle, les CPI et les avocats peuvent, légalement, réaliser toutes les opérations relevant du conseil : conseil en stratégie de PI, gestion de portefeuilles de marques et de brevets, constitution des droits, négociation et rédaction des dèle de structures parallèles. Mais il s en distingue en ce qu il n est pas adossé à un cabinet d avocats spécialisés en PI mais à un grand cabinet d affaires généraliste : «Fidal Innovation est un cabinet de conseil en PI dans lequel le cabinet Fidal a pris une participation à hauteur de 49 %, précise Pierre Breesé. Nous bénéficions de la large implantation de Fidal, de sa proximité avec les PME, et nous travaillons en parfaite collaboration avec l équipe des 40 avocats spécialisés en PI, ainsi qu avec les équipes spécialisées en droit de la concurnombreuses implications qui en découlent avant de se prononcer. «Pour les avocats, la levée des incompatibilités d exercice avec la profession de CPI peut passer par un décret ; pour les CPI, la réciproque ne nécessite que l ajout de quelques mots dans la loi, précise Xavier Demulsant. Mais si les avocats veulent en passer par une refonte complète de leur régime des incompatibilités d exercice, cela risque de freiner le processus, c est certain.» PENDANT CE TEMPS, SUR LE TERRAIN Un dossier qui est donc toujours ouvert mais qui semble condamné à avancer lentement. Trop lentement pour un secteur aussi stratégique et dynamique. Car l appétit des entreprises pour la PI ne faiblit pas. Ni l activité des professionnels, dont les équipes s étoffent. Or, «tous ces débats sur le rapprochement des professions ont provoqué une prise de conscience, ainsi que des anticipations raisonnables de la part de certains praticiens», explique Thierry Wickers. Aussi ceux qui souhaitent collaborer de manière plus étroite n ont-ils pas tardé «à élaborer des stratégies de contournement du mur qui les sépare», poursuit Xavier Demulsant. Entre anticipations raisonnables et stratégies de contournement, les professionnels de la PI ont donc développé leurs propres solutions pour contrats, évaluation financière et valorisation du patrimoine immatériel, prévention des litiges En revanche, seuls les avocats peuvent représenter les clients et plaider devant les juridictions nationales. Toutefois, les praticiens (avocats ou CPI) ayant obtenu le titre Jean-Christophe Guerrini, avocats spécialisé en PI de mandataire en brevets européens peuvent représenter leurs clients et plaider devant l Office européen des brevets. Enfin, toujours en matière de contentieux, un grand nombre de litiges sont réglés par transaction, médiation ou arbitrage. M.L. mieux travailler ensemble. Précurseur, le cabinet de conseil en PI Hirsch a ouvert la voie en 1997 en créant deux structures parallèles CPI d un côté et avocats spécialisés en PI de l autre qui proposent leurs services sous une même marque et dont les équipes collaborent de façon très étroite. Un modèle qui, depuis, a fait ses preuves, et du même coup, fait des petits. Dans certains cas, cette coopération renforcée passe aussi par une prise participation des avocats dans le capital du cabinet des CPI (jusqu à hauteur de 49 % des parts au maximum). Le cabinet de conseil en PI Fidal Innovation, fondé en 2011 par Pierre Breesé et Alain Kaiser, s inspire de ce mo- Pierre Breesé, CPI rence, en droit social ou en droit fiscal Nous avons ainsi accès à un large panel de compétences pour traiter tous les aspects connexes des dossiers.» INTÉGRER D ANCIENS CPI DEVENUS AVOCATS L autre axe de rapprochement exploré consiste à intégrer dans des cabinets d avocats d anciens CPI devenus avocats via la passerelle prévue par les textes. Une formule qui a davantage de succès avec les anciens CPI marques et modèles, juristes de formation, qu avec les CPI brevets, qui sont à peine une poignée à avoir fait le pas. C est le cas de Grégoire Desrousseaux, ancien CPI brevets au sein du cabinet de conseil en PI Hirsch Desrousseaux Pochart. Devenu avocat en 2000, il rejoint le cabinet d avocats Hirsch créé trois ans plus tôt, puis le cabinet d affaires August & Debouzy en 2010 avec toute une équipe. «J ai toujours beaucoup travaillé sur le volet contentieux des dossiers et j ai eu envie de passer de l autre côté de la barrière, explique-til. Or, à l époque, la stratégie lancée par Hirsch était très innovante et on croyait beaucoup en ce modèle, en la fertilisation croisée entre les deux structures.» Quant à son passage dix ans plus tard d un cabinet d avocats spécialisé en PI à un grand cabinet d affaires tel qu August & Debouzy, «il a été motivé par une attente bien spécifique : avoir accès à des compétences qui permettent à mon équipe de gérer tous les éventuels aspects connexes d un contentieux de PI, qu il s agisse d un aspect de droit de la concurrence, ou de droit du travail, par exemple.» Toujours la fertilisation croisée, mais au sein d une structure de type généraliste, cette fois. «J étais favorable à l unification des professions, c est une bonne solution», précise-t-il. «C est une façon de faire l unification des professions, mais tout seul, ajoute sur le ton de la plaisanterie François Pochart, ancien CPI brevets devenu avocat l an dernier pour rejoindre Avril-mai 2012 N 25 PROFESSION AVOCAT Le Magazine 39
August & Debouzy en même temps que Grégoire Desrousseaux. Mais cela reste un parcours totalement atypique et très marginal. Des exceptions elles se comptent sur les doigts d une main qui ne sont pas du tout significatives à l échelle de la profession : en France, les CPI brevets continuent d exercer dans des cabinets de conseil en PI. De la même façon, le recrutement d un ingénieur en qualité de salarié pour renforcer les compétences techniques d une équipe d avocats spécialisés en PI reste une démarche très marginale, et pas toujours facile à gérer car on ne traite pas un ingénieur comme on traite un avocat collaborateur Question de culture.» UNE NOUVELLE JURIDICTION EUROPÉENNE Les frontières entre les deux professions ont donc finalement peu bougé ces dernières années. Or la filière, elle, pourrait connaître quelques bouleversements avec la création de la future juridiction européenne des brevets [lire notre article page 45]. «Cela va tout bouleverser, prédit Grégoire Desrousseaux. Comme lors de la création de l Office européen des brevets, cela va tirer le niveau moyen des intervenants vers le haut. Et pour les avocats français, cela va être très très dur étant donné le grand professionnalisme de leurs concurrents britanniques, notamment.» Ce n est pas du tout l avis de l avocat Jean-Christophe Guerrini : «Les avocats français sont tout à fait prêts à se mesurer à la concurrence sur ce terrain. On dit que la filière française est distancée par rapport à ses concurrents allemands et anglais mais ce n est pas une question de compétences. La Grande- Bretagne a toujours été la tête de pont des États-Unis en Europe et c est pour cette raison que tous les dépôts nordaméricains passent par Londres. Quant à la forte activité des praticiens allemands en matière de brevets, elle tient Grégoire Desrousseaux, ancien CPI devenu avocat pour beaucoup à la présence du siège de l Office européen des brevets à Munich. La filière française manque peutêtre d attractivité mais pas de compétences, et il est certain que si Paris obtient le siège de la future juridiction européenne des brevets, ce sera une très bonne chose pour nous.» Mais ce qui est certain, «c est que le nombre de procédures va diminuer puisqu un même litige aujourd hui défendu devant plusieurs juridictions nationales ne sera plus traité que par une seule juridiction», relève François Pochart. ZOOM François Pochart, ancien CPI devenu avocat DANS L EXPECTATIVE En dépit d initiatives collectives, mais violemment contestées, et d initiatives individuelles, mais marginales, le modèle français estil voué à ne pas évoluer? La levée des incompatibilités d exercice pour permettre le double exercice des professions autorisé dans une quinzaine de pays européens pourrait-elle changer la donne? «Il faut offrir de nouvelles solutions aux professionnels avocats et CPI qui souhaitent aller plus loin dans leur collaboration», martèle Xavier Demulsant. «L objectif est de proposer un cadre juridique pour organiser les rapprochements de façon structurée et équitable entre ceux qui le souhaitent», renchérit Thierry Wickers. «Je ne suis pas convaincu par cette formule, qui me paraît un peu compliquée et pas très ambitieuse», reconnaît François Pochart, qui reste favorable à l unification des professions. «S ils réussissent à obtenir la levée des incompatibilités ce qui n est pas une mince affaire, je pense que, pour les CPI, ce sera juste une nouvelle étape vers l unification», augure Philippe Tuffreau. Au CNB, le dossier est entre les mains des élus de la nouvelle mandature, et c est donc à eux qu il revient de poursuivre, ou non, les travaux de leurs prédécesseurs. Mais pour Philippe Tuffreau, le plus dur dans ce dossier restera de vaincre «le complexe de supériorité de certains avocats qui cultivent vis-à-vis des CPI cette même attitude condescendante qui faillit en son temps faire échec à la fusion des avocats avec les conseils juridiques». Une longue histoire, qui a tendance à se répéter. n Avocats/CPI et incompatibilités d exercice CPI : l article L.422-13 du Code de la propriété intellectuelle stipule que «la profession de conseil en propriété industrielle est incompatible avec l exercice de toute autre profession, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires particulières. Elle est toutefois compatible avec les fonctions d enseignement, ainsi qu avec celles d arbitre, de médiateur, de conciliateur ou d expert judiciaire.» Avocats : l exercice de la profession d avocat est incompatible avec l exercice d une activité qui n est pas expressément mentionnée dans la liste des professions et activités autorisées. La réflexion lancée par le CNB concernant une éventuelle réforme du régime des incompatibilités d exercice vise à remplacer les dispositions actuelles par une règle autorisant un avocat à exercer en parallèle toute profession ou activité qui ne porte pas atteinte à son indépendance et aux principes essentiels de la profession. La compatibilité ou l incompatibilité d une activité étant évaluée en tenant compte de l indépendance matérielle et intellectuelle de l avocat, du temps consacré à cette activité (l activité d avocat doit demeurer l activité principale), des risques de conflit d intérêts ou d atteinte à la dignité de la profession d avocat. 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REPÈRES Vie et mort du projet d unification des professions 28 septembre 2007 : au cours d une assemblée générale extraordinaire du Conseil national des barreaux, la garde des Sceaux Rachida Dati déclare que «si vos deux professions veulent ce rapprochement, si elles s entendent sur ses modalités, je suis prête à vous soutenir» 29 janvier 2008 : par 66 % des votes exprimés, l assemblée générale de la CNCPI adopte la résolution donnant mandat au président, Christian Derambure, assisté du bureau, de poursuivre les discussions en vue de répondre à la demande de la Chancellerie de négocier un projet d unification des professions avec les représentants du CNB 14 mars 2008 : par 65 % des suffrages exprimés, l assemblée générale du Conseil national des barreaux adopte la résolution donnant mandat au président Paul-Albert Iweins, assisté du bureau, de poursuivre les discussions en vue de répondre à la demande de la Chancellerie de négocier un projet d unification des professions avec les représentants de la CNCPI 13 mai 2008 : par 52 % des suffrages exprimés, l assemblée générale de la CNCPI adopte la résolution donnant mandat au président Christian Derambure, assisté du bureau, de poursuivre les discussions avec le CNB et la Chancellerie sur le projet tendant à l unification des professions, sous réserve de respecter certaines conditions impératives fixées par la résolution 12 septembre 2008 : par 74 % des suffrages exprimés, l assemblée générale du Conseil national des barreaux adopte le projet d unification présenté par le vice-président Philippe Tuffreau / vote à bulletins secrets : 52 pour, 17 contre, 1 nul 15 octobre 2008 : par 56 % des suffrages exprimés, l assemblée générale de la CNCPI adopte le projet d unification des professions d avocat et de conseil en propriété industrielle présenté par le président Christian Derambure et donne mandat au président assisté du bureau de mettre en œuvre le projet / vote à bulletins secrets : 328 pour, 252 contre, 3 blancs, 1 nul 15 octobre 2008 : dépôt par le sénateur Laurent Béteille de la proposition de loi relative à l exécution des décisions de justice et aux conditions d exercice de certaines professions réglementées (dite proposition de loi Béteille), sans dispositions relatives à l unification des professions 13 janvier 2009 : le groupe UMP de l Assemblée nationale chargé de réfléchir à la modernisation des professions réglementées rend son rapport dans lequel il conclut que «le groupe UMP est favorable à ce rapprochement des deux professions à condition que les niveaux de qualification soient identiques entre les CPI et les avocats» ; le rapport est approuvé par le patron des députés UMP, Jean-François Copé 20 janvier 2009 : lors de l examen de la proposition de loi Béteille en 1 re lecture au Sénat, le sénateur centriste François Zochetto (avocat et membre de la commission Darrois) introduit un amendement visant l unification des deux professions (articles 32 à 50 visant à organiser la fusion entre les deux professions, dont l entrée en vigueur est prévue le 1 er septembre 2010) 11 février 2009 : adoption de la proposition de loi Béteille par le Sénat, avec l amendement prévoyant l unification des deux professions, soutenu en séance par la ministre Rachida Dati 8 avril 2009 : la commission Darrois remet son rapport au président Nicolas Sarkozy, rapport qui préconise l unification des professions d avocat et d avoué, et d avocat et de CPI Fin juin 2009 : remaniement ministériel ; à la Chancellerie, Michèle Alliot-Marie succède à Rachida Dati 25 septembre 2009 : au cours d une intervention devant le Conseil national des barreaux, la garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie déclare, à propos de l unification des professions, que «la fusion n est pas l alpha et l oméga du rapprochement des professions. D autres pistes méritent d être explorées.» 8 décembre 2009 : en clôture d un colloque sur «La justice face à la crise» organisé par la Cour d appel de Paris, la garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie déclare que «les métiers d avocat et de conseil en propriété industrielle sont profondément différents, il n est donc pas question de les fusionner.» 8 décembre 2009 : la Cour d appel de Paris infirme un jugement du TGI de Paris en jugeant que la résolution adoptée par l assemblée générale de la CNCPI au torisant les membres du bureau à poursuivre les discussions concernant la fusion avec la profession d avocat n était pas valable, car elle n a pas été adoptée à la majorité requise, à savoir la majorité des deux tiers. Les plaignants sont un groupe d une trentaine de conseils en propriété industrielle. CA Paris, pôle 5, ch. 8, 8 déc. 2009, n RG : 08/23606, Moncheny et au. c/ CNCPI 7 janvier 2010 : parution de Copé, l homme pressé, de Solenn de Royer et Frédéric Dumoulin aux Éditions de l Archipel, dont un passage (pages 283 à 288) porte sur le projet d unification des professions ; en novembre 2010, Jean-François Copé, nouvellement élu secrétaire général de l UMP, annonce qu il met fin à sa collaboration avec le cabinet Gide Loyrette Nouel 4 février 2010 : la Chancellerie demande au président de la CNCPI, Christian Derambure, et au président du CNB, Thierry Wickers, de participer à de nouvelles discussions en vue d élaborer, sous l égide de ses services et d ici juillet 2010, un nouveau projet de rapprochement des deux professions ; les réunions de travail démarrent dès le mois de mars 17 mars 2010 : Michèle Alliot-Marie dépose à l Assemblée nationale le projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées qui institue notamment l acte d avocat ; le chapitre VIII visant à favoriser l interprofessionnalité capitalistique entre les professions du droit (SPFPL) ne fait pas référence aux CPI. 24 juin 2010 : lors de l examen de la proposition de loi Béteille en 1 re lecture à l Assemblée nationale, les articles 32 à 50 visant à organiser l unification des deux professions sont supprimés à la demande du rapporteur (UMP) au motif que «la fusion entre les deux professions n est pas considérée comme la solution la plus adaptée pour rapprocher ces deux professions» ; un amendement tendant à supprimer l incompatibilité d exercice entre les professions d avocat et de CPI n a pas été retenu par la commission des lois de l Assemblée nationale. Les députés adoptent le texte ainsi remanié le 30 juin. 30 juin 2010 : les députés adoptent en 1 re lecture le projet de loi de modernisation des professions ; l interpro capitalistique est toujours réservées aux seules professions du droit. 24 novembre 2010 : lors de l examen de la proposition de loi Béteille en 2 e lecture devant le Sénat, la commission des lois confirme la suppression des articles opérée par les députés, estimant que «la question du rapprochement entre les professions de conseil en propriété industrielle et d avocat devait être renvoyée au projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées». La proposition de loi est définitivement adoptée par les sénateurs le 8 décembre 2010. 8 décembre 2010 : les sénateurs adoptent en 1 re lecture le projet de loi de modernisation des professions ; les articles concernant l interprofessionnalité capitalistique ont été modifiés et les SPFPL sont désormais ouvertes aux CPI et aux experts-comptables. C est cette version qui sera définitivement adoptée par les parlementaires le 15 mars 2011. 14 décembre 2010 : Xavier Demulsant est élu président de la CNCPI et succède à Christian Derambure. Avril-mai 2012 N 25 PROFESSION AVOCAT Le Magazine 41