UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE CONCEPTS ET LANGAGE T H È S E pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline : LINGUISTIQUE Présentée et soutenue par : Zeina EL HELOU le : 22 mai 2014 Linguistique juridique L art de la persuasion dans les grandes plaidoiries politiques contemporaines Sous la direction de : M. Olivier SOUTET Professeur, Université Paris Sorbonne Paris IV Membres du jury : Mme Françoise BOURSIN Professeure, Université Paris Sorbonne Paris IV M. Xavier-Laurent SALVADOR Maître de conférence HDR, Université Paris 13 M. Michel ERMAN Professeur, Université de Bourgogne
«Une péroraison à la Démosthène», DAUMIER Honoré, Les gens de justice, p15.
Pétain et Hitler à Montoire
Position de thèse SUJET: Notre étude a pour objet l analyse des caractéristiques discursives de la plaidoirie, l une des formes du discours juridique. PROBLEMATIQUE: La plaidoirie est «l action d exposer oralement à la barre d un tribunal [ ] les prétentions d un plaideur, de faire valoir au soutien de celles-ci des preuves et des moyens de droit et de développer des arguments en faveur de sa thèse 1.» Etant orale, la plaidoirie n en demeure pas moins un discours organisé ayant ses propres lois qui sont celles du genre oratoire. L art oratoire, qui a connu son apogée au cinquième siècle avant Jésus-Christ avec Aristote et ses contemporains, demeure encore aujourd hui un domaine d étude privilégié d un grand nombre de chercheurs qui essayent de découvrir les secrets de cet art qui repose sur la rhétorique définie comme étant l art de «bien parler 2.» Dans notre étude, il ne s agit pas d étudier la posture et la voix de l orateur, connus par le nom d actio dans la rhétorique traditionnelle, puisque ce sont des manifestations extra-linguistiques ne relevant pas du discours proprement dit. Il ne s agit pas non plus de faire une étude stylistique en étudiant les figures de rhétorique ou figures de style (même si l on en analysera quelques-unes) utilisées par l avocat lors de la plaidoirie: une étude pareille ne peut être que parcellaire car elle s inscrit dans le domaine de la linguistique traditionnelle qui étudie le fonctionnement de la langue sans se rapporter au contexte de production du discours. Notre démarche consiste plutôt à analyser le discours de l avocat dans sa dimension interactive, autrement dit, en tant que discours qui met en scène un locuteur (avocat) dont l intention est de convaincre l auditeur (juge), tous les deux étant présents dans un cadre communicatif particulier qui a une influence décisive sur le déroulement de l interaction. Quelles sont les techniques de persuasion mises en œuvre par l avocat pour convaincre le juge? Question principale à laquelle nous allons essayer de répondre en s intéressant, dans une première partie, à l argumentation qui est l une des techniques de persuasion les plus utilisées par les plaideurs. Après avoir 1 Gérard CORNU, Le vocabulaire juridique, Paris, PUF, 1996, p.601. 2 ROBERT Paul, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Le Robert, 1995, p.1169.
analysé les principaux types de raisonnement argumentatif présents dans les plaidoiries ainsi que l organisation argumentative du discours de l avocat, on s attardera, dans la deuxième partie, sur les stratégies argumentatives spécifiques à la défense qui diffèrent de celles de l accusation pour passer ensuite à la distinction entre stratégies déployées par les avocats dans le cadre d une plaidoirie traditionnelle par opposition à une plaidoirie moderne. Ce sera l apport principal de notre travail. Les deux parties de la thèse sont suivies d annexes qui contiennent une partie du corpus étudié ; Nous avons jugé utile et même indispensable de mettre en annexes des extraits du corpus d étude parce que ce dernier est difficilement accessible même aux universitaires et qu il peut être utile de lire le corpus analysé dans la thèse. MÉTHODE: Notre étude se fera à partir de textes authentiques (procèsverbaux écrits et enregistrés) en utilisant les catégories d analyse proposées par les rhétoriciens Aristote et Chaïm Perlman. Le corpus sera constitué à partir de procès-verbaux relatifs au droit pénal. Dans les tribunaux, les plaidoiries en droit pénal occupent aujourd hui une place beaucoup plus importante que les plaidoiries en droit civil: dans les tribunaux civils 3, la preuve est le seul facteur qui intervient dans la décision du juge alors que dans les tribunaux répressifs (droit pénal), l avis personnel du juge compte. D où l importance de la plaidoirie en droit pénal, autrement dit, l importance capitale du rôle de l avocat qui devra persuader le juge par le raisonnement (présentation d arguments, de preuves ) ainsi que par l émotion. Nous avons choisi d étudier les plaidoiries dans trois grands procès politiques contemporains. Nous étudierons les plaidoiries de Me Varaut dans le procès de Maurice Papon ainsi que les plaidoiries des défenseurs et accusateurs du Maréchal Pétain et de Pierre Laval. Ces procès ne sont pas les seules affaires en rapport avec la Seconde Guerre Mondiale. Il y a eu d autres procès de la guerre en France, en Algérie et en Europe que nous aurions pu confronter avec notre corpus. Nous aurions pu également élargir notre corpus en étudiant certaines affaires civiles ou bien en travaillant sur des affaires criminelles classiques, quotidiennes ou moins médiatisées. De telles études auraient pu être intéressantes mais nous avons préféré analyser notre corpus d étude, qui forme approximativement 400 pages. Nous laissons ce soin à d autres chercheurs qui, nous l espérons, prendront un jour le relais, en approfondissant les recherches sur la linguistique 3 En droit civil, le juge ne peut juger en faveur d une partie sans preuve (ex: contrat) même s il sait que cette partie a raison.
juridique, domaine très intéressant et insuffisamment exploré par les chercheurs jusqu aujourd hui. Cette étude aurait pu porter sur les techniques discursives que les politiciens utilisent pour persuader les citoyens mais les recherches portant sur le discours politique ne sont pas rares et nous avons préféré faire avancer la recherche dans le domaine de la linguistique juridique où l état de la recherche n est pas avancé. Dans les études associant la langue et le droit, nous retenons en particulier l étude de Chaïm Perelman qui a écrit de nombreux ouvrages sur la rhétorique juridique. Son approche du droit est philosophique et s inscrit dans le prolongement de la théorie aristotélicienne. Quant à Gérard Cornu, professeur de droit à l université de Paris II et doyen honoraire de la faculté de droit de Poitiers, son approche du droit est purement linguistique. Dans son ouvrage intitulé Linguistique juridique, Cornu a étudié le vocabulaire juridique en essayant d enlever l ambiguïté de ce vocabulaire. Il a également étudié le discours juridique, notamment les marques fonctionnelles et le style du discours législatif. Il a consacré aussi une partie à l étude des principales parties du discours juridictionnel ou à la décision de justice. L étude des caractéristiques linguistiques de la plaidoirie n a pas été faite par lui ou par un autre chercheur. Ce sera l objectif de notre étude. Notre choix s est finalement fixé sur l étude des plaidoiries dans les grands procès français contemporains en rapport avec la Seconde Guerre Mondiale en raison de l importance de ces plaidoiries aux niveaux national et international mais aussi parce que ces procès continuent à susciter la polémique : Maurice Papon a été condamné en France une quarantaine d années après les faits. Dans d autres pays en Europe, les procès imprescriptibles de ce qu on appelle «les criminels de guerre» se sont parfois produits au moment où plus personne ne s y attendait. Les procès de la Seconde Guerre Mondiale sont-ils vraiment clos? APPORT : Notre principale contribution dans le domaine de la rhétorique juridique a été la distinction que nous avons pu établir entre les techniques argumentatives que les avocats de la défense utilisent et qui diffèrent des techniques utilisées par l accusation. Notre apport consiste aussi dans l étude de l évolution de la composition d une plaidoirie : une plaidoirie traditionnelle commence par un exorde, suivi d une narration, d une confirmation de la thèse défendue par l avocat, et, finalement, d une réfutation de la thèse de la partie adverse. Toutes ces parties ne se trouvent pas dans une plaidoirie moderne appelée également «plaidoiriediscussion» puisqu elle prend la forme d une discussion avec le juge. A quoi
est due cette évolution? Certainement au manque de temps des avocats et des juges qui ont beaucoup de dossiers à traiter. La plaidoirie moderne s adapte aussi aux affaires plaidées : toutes les affaires judiciaires ne nécessitent pas de plaidoirie. C est le cas des petites affaires ou même des affaires rapides se succédant devant certaines juridictions notamment civiles. Les propos de Laurence GRATIOT à ce sujet sont intéressants : «La plaidoirie de l avocat se transforme, selon les juridictions, selon les juges, leur nombre, leur disponibilité, leur curiosité ou leur lassitude, selon leur compétence, selon l affaire plaidée et le droit en cause, elle se transforme selon que l avocat plaide en demande ou en défense, et aussi selon la salle d audience, selon qu elle est peuplée ou déserte, selon que l affaire n intéresse que le juge ou qu elle intéresse l opinion, selon bien d autres critères. Le principal mérite d une plaidoirie est d être faite pour ceux auxquels elle s adresse. Ce qui postule cette première exigence : la plaidoirie est d abord technique et art d adaptation. 4» CONCLUSION: Cette étude participe à la mise en place des principales stratégies discursives utilisées par les avocats pour convaincre le juge lors des plaidoiries. Elle constitue ainsi un manuel utile pour les avocats qui veulent maîtriser «l art de la plaidoirie», d autant plus qu il existe des stages de formation et des écoles spécialisées en France, au Canada et partout dans le monde, qui initient les avocats, notamment les jeunes, aux techniques de la plaidoirie. 4 Laurence GRATIOT, Art et techniques de la plaidoirie aujourd hui, p.267.