La Structure du système international



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Transcription:

Fiche de l Irsem n 7 La Structure du système international Ilinca MATHIEU Pour citer ce document : Ilinca Mathieu, La structure du système international Fiche de l Irsem n 7, juillet 2011, 6 pages http://www.irsem.defense.gouv.fr

La fin de la guerre froide, non anticipée par les théoriciens, est venue bouleverser l ensemble de la littérature internationaliste. Deux tendances contemporaines majeures se dessinent alors : 1) comment appréhender la domination américaine, 2) comment théoriser la mondialisation? Dans les deux cas, il s agit de développer une vision du système international post-bipolaire, avec ses défis. 1. UN SYSTEME INTERNATIONAL UNIPOLAIRE? La vision classique d une anarchie horizontale L anarchie est classiquement définie comme l absence d instance détenant le monopole de la violence légitime. Cette définition présuppose l existence de relations horizontales entre entités du système international, indifférenciées et indépendantes, et rejoint donc le principe de stricte séparation entre sphère interne et sphère externe de l Etat. L idée selon laquelle le système international est décentralisé et anarchique, tandis que les systèmes politiques internes sont centralisés et hiérarchiques, domine l approche «réaliste» des relations internationales. Cette anarchie est-elle régulée par la configuration du système international? Change-t-elle de degré selon que le système est multipolaire (Morgenthau), de bipolaire (Waltz), ou unipolaire (Gilpin)? Aujourd hui, on observe un quasi-consensus à propos de la nature unipolaire du système post-guerre froide. Reprenant l idée de «moment unipolaire», le réaliste Wohlforth affirme ainsi que les Etats-Unis sont le premier hegemon à jouir d une prépondérance décisive dans chacune des composantes de la puissance : économique, militaire, technologique et géopolitique. D après lui, le monde étant déséquilibré au profit des Etats-Unis depuis plus de vingt ans maintenant, nous sommes même passés d un «moment» unipolaire à un «système» unipolaire. Autant que l analyse de la configuration du système en termes d unipolarité, c est aussi le comportement américain, dont les tendances quasiimpériales supposent une certaine subordination, qui pose problème : comment concilier celui-ci avec l horizontalité de l anarchie? L introduction d une dimension analytique verticale Selon plusieurs auteurs, l idée de verticalité (donc de hiérarchie) n est pas incompatible avec l anarchie. Kaufmann, Little et Wohlforth ont ainsi élaboré la notion de structure verticalisée. Pour eux, l anarchie même ne renvoie pas tant à une absence de rapports de subordination qu à une absence d autorité (au sens de commandement). Anarchie et hiérarchie sont donc compatibles. Copeland estime à ce sujet que, si l évolution de la distribution de puissance est le facteur-clé de la récurrence des guerres, ce sont les puissances dominantes déclinantes plus que les puissances révisionnistes ascendantes qui provoquent les conflits 1, alors synonymes de guerres préventives. Son analyse peut ainsi être appliquée à l intervention américaine en Irak en 2003. 1 En référence à la théorie dynamique des cycles unipolaires de Gilpin : R.Gilpin, War and Change in World Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1981.

Par ailleurs, Clark ajoute à ces considérations l existence d une hiérarchisation «normative» entre les Etats. Simpson montre quant à lui que des «souverainetés imparfaites» (autrefois protectorats ou mandats) reviennent en force sous forme de state-building pour Etats «faillis», ou illustrées par des ingérences humanitaires militarisées. En somme, la structure anarchique du système westphalien a depuis toujours coexisté avec une distribution hiérarchique de la puissance et une différenciation hiérarchisée des valeurs. Le critère d anarchie reste pertinent pour définir les relations internationales, mais la littérature de science politique montre qu il est nécessaire de le repenser à l heure de la domination matérielle et de la discrimination normative. - S. Brooks et W.Wohlforth, World Out of Balance. International Relations and the Challenge of American Primacy, Princeton, Princeton University Press, 2008. - I. Clark, Legitimacy in International Society, Oxford, Oxford University Press, 2005. - D. Copeland, The Origins of Major War, Ithaca, Cornell University Press, 2000. - S. Kaufman, R.Little, W.Wohlforth (eds), The Balance of Power in World History, Basingstoke, Palgrave- McMillan, 2007. - C. Krauthammer, «The Unipolar Moment», Foreign Affairs, vol.70, n 1, hiver 1990/91, p.23-33. - G. Simpson, Great Powers and Outlaw States. Unequal Sovereigns in the International Legal Order, Cambridge, Cambridge University Press, 2004. - W.Wohlforth, «The Stability of a Unipolar World», International Security, 24 (1), été 1999, p.5-41. La remise en cause de l analyse unipolaire : une hégémonie globale impossible? Avec sa théorie du «réalisme offensif», Mearsheimer remet en cause l idée même de configuration unipolaire. Estimant que l exigence de survie pousse les Etats à un comportement agressif, il pose que les Etats ne recherchent pas simplement la sécurité, mais l hégémonie (là où d autres comme Ikenberry pensent qu une «anarchie ordonnée» est possible, les Etats recherchant l équilibre des puissances). Dans cette logique, seule l hégémonie régionale est néanmoins possible, Mearsheimer renvoyant au «pouvoir paralysant des eaux». Il y a ainsi place pour plusieurs hégémons, donc pour un système multipolaire et compétitif (dans lequel la Chine apparaît d ailleurs comme un peer competitor sérieux). - G.Ikenberry, After Victory. Institutions, Strategic Restraint and the Rebuilding of Order After Major Wars, Princeton, Princeton University Press, 2001. - J.Mearsheimer, The Tragedy of Great Power Politics, New York, Norton, 2001. - J. Nye, The Paradox of American Power, Oxford, Oxford University Press, 2002. Une remise en cause du principe même de l anarchie? Parmi les récents développements de l Ecole anglaise, on observe un retour de l individu au centre de l analyse. Si Buzan se concentre sur une approche presque kantienne de l individu, aspirant au cosmopolitisme, la théorie «bottom-up» de Moravcsik reprend l approche lockienne. Il analyse ainsi l Etat comme une entité politique disposant d un simple mandat, confié par des individus rationnels et

averses au risque, en vue de garantir une meilleure jouissance de droits déjà présents à l état de nature. Les acteurs fondamentaux de la politique internationale sont alors les individus : l Etat n est qu une simple courroie de transmission des intérêts de la société civile sur la scène internationale. Non seulement il n est pas l acteur principal des relations internationales, mais il n est pas un acteur unitaire. La politique étrangère ne s analyse donc pas ici comme une continuité motivée par la satisfaction de l intérêt national, mais comme une suite de décisions singulières reflétant les intérêts et les préférences sociétales, tenant compte aussi du comportement des autres Etats et populations. Moravcsik établit alors une nouvelle typologie des relations internationales : celles-ci peuvent être pacifiques (externalités positives des interactions entre Etats), conflictuelles (externalités négatives), ou conflictuelles mais susceptibles d être réglées par la coopération (externalités mixtes). La coopération devient alors une question de calcul coût/bénéfice, et l anarchie n est plus une donnée constante : elle peut être réduite grâce à l aversion au risque des individus (qui incitent leurs représentants à adopter des stratégies de coopération, moins coûteuses et moins risquées dans un monde interdépendant que le recours à la force). Cette analyse synthétise ainsi les deux tendances contemporaines que sont l unipolarité et la mondialisation, pour conduire à terme à l idée de disparition de la polarité. - B. Buzan, From International to World Society. English School and the Social Structure of Globalization, Cambridge University Press, 2004. - A. Moravcsik, «Taking Preferences Seriously», International Organization, 51 (4), automne 1997, p. 513-553. 2. LE PROCESSUS DE MONDIALISATION Vers l interdépendance des acteurs D après Ian Clark (qui analyse la mondialisation comme l intensification et l accélération des relations planétairement interconnectées dans tous les domaines de la vie sociale contemporaine, ce qui suppose l existence d acteurs transnationaux traversant et subvertissant l Etat-nation), mondialisation et théorie des relations internationales s excluent mutuellement. Et l on s éloigne du système westphalien fondé sur les Etats, pour aborder un monde en partie déterritorialisé, où la relation politique traditionnelle cède devant l échange généralisé dispensé de contrôle politique. - I. Clark, Globalization and International Relations Theory, Oxford, Oxford University Press, 1999. - R. Keohane, J. Nye, Power and Interdependance, New York, Addison-Wesley, 3 ème édition, 2001. Quelle place pour l'etat? Pour Barnett et Sikkink, la mondialisation oblige à une redéfinition de la discipline, qui s éloigne de l étude des relations internationales pour se rapprocher de l étude de la «société globale». Toutefois, pour d autres comme Robert Gilpin, cette évolution se double d une tendance vers un monde politiquement et économiquement moins sûr, qui conduirait, à l inverse, à une résurgence de l Etat, auprès duquel les individus se tourneraient d autant plus dans leur quête de sécurité que le monde leur paraît incertain. L Etat serait donc toujours l acteur de référence des relations internationales, et le resterait dans un futur prévisible.

- M.Barnett, K.Sikkink, «From International Relations to Global Society», in C.Reus-Smith, D.Snidal (eds), The Oxford Handbook of International Relations, Oxford, Oxford University Press, 2008, p.62-84. - R. Gilpin, «The Retreat of the State?», in L. Thomas, J. Rosenau, C. (dir.), Strange Power : Shaping the Parameters of International Relations and International Political Economy, Aldershot, Ashgate, 2000, pp. 197-213. La fin de la rivalité entre puissances : l entrée de l individu dans l arène En France, l analyse de Bertrand Badie souligne aussi le bouleversement de l ordre international par une mondialisation confinant à la fragmentation. Selon lui, l Etat n est plus le «gladiateur» dominant que voyait Hobbes : l arène internationale s est ouverte aux individus. Le débat n est donc plus celui de la disparition de l Etat, mais bien de sa dénaturation : la mondialisation prive l Etat du monopole de l action internationale, et lui retire sa qualité d acteur souverain. Le passage de l international au mondial décrit dès lors la substitution du principe d interdépendance à celui de souveraineté. La structure des relations internationales s en trouve ainsi transformée : si la sécurité reste l exigence fédérant le jeu social national et international, elle change de nature la mondialisation la dénationalise (ôtant par ailleurs au gladiateur une part essentielle de légitimité). La sécurité de chacun dépend désormais de tous : l idée de sécurité collective est substituée à celle de sécurité nationale et donc internationale. Non seulement la sécurité se reconstruit comme globale, mais elle s impose au-delà de son carcan politico-militaire (concept de sécurité humaine). Cette autonomisation croissante des individus ramène les risques de conflictualité à toute forme de concurrence sociale mal maîtrisée ; aussi la violence sociale gagne-t-elle l arène internationale. L Etat est dépassé : c est «l impuissance de la puissance» face à une conception renouvelée de la sécurité, et l émergence d une violence nouvelle (guerres civiles, mouvements terroristes ), disséminée. Conséquence directe du manque d intégration internationale, elle permet à Badie de transposer au plan mondial le concept sociologique d anomie. Le cadre fonctionnel du système international n est donc plus articulé en termes de puissance, mais d intégration, seul élément susceptible de procurer la sécurité recherchée. A ce titre, Robert Keohane évalue les modalités d une indispensable «gouvernance globalisée», intégrant les normes produites par les acteurs non étatiques. Brecher estime de son côté que l insécurité qui règne dans un système mondialisé provient directement de l incapacité des Etats à faire face aux crises : il crée ainsi la notion de «séisme politique international» pour désigner les conflits qui ébranlent selon lui non seulement l Etat, mais le système international lui-même. Sa construction d une «échelle de Richter» des conflits internationaux, appliquée à l histoire, lui permet de cerner leurs points communs et de proposer un système «d alerte préventive», dans une tentative de contribution à l apaisement des relations internationales - B. Badie, L impuissance de la puissance. Essai sur les incertitudes, Paris, Fayard, 2004. - B. Badie, Le diplomate et l intrus : l entrée des sociétés dans l arène internationale, Fayard, 2007. - M. Brecher, International Political Earthquakes, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2008. - M. Brecher, Conflict, Security, Foreign Policy and International Political Economy. Past Paths and future Directions in International Studies, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2002. - R. Keohane, Power and Governance in a Partially Globalized World, Routledge, Londres, 2002.

CONCLUSION L analyse des relations internationales doit donc tenir compte de la mondialisation, elle-même liée à une déstructuration politique du système international (le démantèlement de sa structure polaire, avec la fin de la guerre froide) : elle vient même se substituer à la polarisation et à la notion classique d équilibre des puissances. Les analyses récentes s orientent davantage vers ces pistes, qui mettent en scène une nouvelle «turbulence» (comme l annonçait James Rosenau en 1990), que vers de nouvelles polarités ou de nouveaux rapports de force organisés (comme le prévoyait Samuel Huntington avec son choc des civilisations en 1993). - J.N. Rosenau, Turbulence in World Politics, Princeton University Press, Princeton, 1990 - S. Huntington, The Clash of Civilizations?, in Foreign Affairs, vol. 72, no. 3, Summer 1993, pp. 22 49