ECONOMIE & FINANCE Lundi25 novembre 2002 Distribution automobile: de nouvelles directives pour renforcer la concurrence PAR SILVIO VENTURI ET PASCAL G. FAVRE, ETUDE D'AVOCATS TAVERNIER TSCHANZ, TAVERNIER-TSCHANZ.COM Suivant le droit européen, la Commission fédérale de la concurrence réforme le secteur de l'industrie automobile. Les largesses consenties ne profitent pas aux consommateurs. A terme, le multimarquisme, la vente par Internet et en grandes surfaces seront possibles. La Commission fédérale de la concurrence vient de publier une communication appelée à réformer les principes de concurrence applicables au domaine de la distribution automobile. Cette communication entend intensifier la concurrence et procurer des avantages concrets aux consommateurs en matière de vente et de service après-vente de véhicules automobiles (voitures particulières, véhicules utilitaires, camions et bus). Dans la foulée, elle devrait faciliter l'appréciation de la licéité, au regard de la loi sur les cartels, des accords verticaux dans le secteur automobile, soit des accords entre entreprises occupant des échelons du marché différents. La communication est entrée en vigueur le 1er novembre 2002, mais prévoit une période de transition pour les accords existants. Elle n'est pas une création spontanée; elle reproduit pour l'essentiel un schéma déjà ancré dans le droit de l'union européenne. Une réforme prévisible Schématiquement, le régime en vigueur avant le 1er novembre 2002 autorisait les fournisseurs (constructeurs et importateurs) à sélectionner des concessionnaires et à leur reconnaître une exclusivité pour un territoire donné, en contrepartie du développement du commerce parallèle (via des mandataires ou des
supermarchés, par exemple). Or, tant en Suisse qu'à l'étranger, les fournisseurs n'ont pas joué le jeu, approvisionnant les marchés nationaux essentiellement au travers de canaux officiels. Ces marchés s'en sont trouvés cloisonnés, avec à la clef des prix d'achat des véhicules artificiellement élevés. On sait en effet que les prix pour les voitures neuves dans l'union européenne peuvent varier de 20 à 42%! Volkswagen, Mercedes et Opel ont été condamnés pour cela à payer des dizaines de millions d'euros d'amende. Certes, ces écarts ne s'expliquent pas uniquement par le cloisonnement des marchés; ils découlent en partie de la variabilité du pouvoir d'achat et des disparités fiscales. Le comportement des entreprises a cependant poussé les autorités à adopter des règles de concurrence plus strictes dans le domaine de la distribution. Favoriser les importations parallèles La communication déclare d'abord illicites les accords qui déterminent des prix fixes ou minimaux pour la revente de véhicules. De tels accords suppriment en effet par nature toute concurrence efficace. Pour le reste, la communication ne prescrit pas de modèle figé pour la distribution des véhicules. Les entreprises pourront d'abord choisir d'opérer au sein d'un système de distribution exclusive. On admet en effet depuis longtemps qu'un tel système peut accroître la concurrence entre les marques (concurrence inter-brand). En substance, chaque concessionnaire agréé par le constructeur se verra attribuer un territoire de vente, mais conservera la faculté de s'organiser comme il l'entend; surtout, le concessionnaire agréé qu'il soit actif en Suisse ou dans l'espace économique européen (EEE) devra rester libre de répondre aux commandes de tout consommateur ou revendeur indépendant se trouvant en Suisse. Sans le dire expressément, la communication ne fait que prohiber les protections territoriales absolues en Suisse, en obligeant les constructeurs européens à tolérer les importations parallèles, c'est-à-dire les «ventes passives»: le concessionnaire agréé pourra donner suite aux commandes provenant d'un consommateur ou d'un revendeur indépendant suisse, même si ceux-ci s'adressent à lui sans qu'il les ait sollicités. La communication reprend ainsi le correctif classique permettant de baisser un niveau de prix devenu trop élevé sur un certain territoire en raison d'une restriction de concurrence entre entreprises d'une même marque (concurrence intra-brand).
La communication ne le dit pas, mais le droit de tout concessionnaire agréé de faire des ventes passives devrait comprendre le droit d'utiliser Internet ou des sites d'aiguillage de l'internet. C'est du moins la solution retenue en droit européen, qui ne manquera pas d'exacerber la concurrence entre concessionnaires agréés, même si les consommateurs paraissent (encore) réticents à conclure directement des achats sur la Toile. Apparemment, le régime sera plus strict s'agissant de la distribution de véhicules depuis la Suisse dans l'eee. La Commission devrait déjà tenir pour illicites les restrictions faites à un concessionnaire agréé pour la Suisse de conclure des ventes «actives» (grâce à de la publicité spontanée) avec des consommateurs finals ou des revendeurs indépendants dans l'eee, même si ceux-ci se trouvent dans un territoire réservé à un autre concessionnaire. Les entreprises pourront également opter pour la distribution sélective: le concessionnaire sera choisi en fonction d'un ensemble de critères préétablis (standards techniques ou d'image, taille et présentation des locaux, par exemple), et s'interdira en contrepartie de vendre (activement) des véhicules à des distributeurs non agréés ou à des revendeurs indépendants. Avec ce système, le fournisseur pourra contrôler le nombre de points de vente et garder la maîtrise sur son réseau de concessionnaires. Pour être licites cependant, les accords sélectifs devront notamment permettre au concessionnaire agréé actif en Suisse ou dans l'eee de conclure des ventes passives non seulement avec des consommateurs finals résidant en Suisse, mais aussi avec d'autres concessionnaires agréés actifs en Suisse (principe des «ventes croisées») ainsi que des revendeurs indépendants, pour peu que ces derniers aient été chargés par un consommateur final de prendre livraison d'un véhicule en son nom. Développer le multimarquisme La communication consacre sans restriction le principe du multimarquisme, et ce aussi bien pour la vente que la réparation des véhicules: le fournisseur ne pourra pas interdire au concessionnaire de proposer à ses clients plusieurs marques de voitures neuves, ni à un réparateur agréé de réparer des véhicules d'autres marques concurrentes. Même les entorses indirectes au multimarquisme sont bannies: obligations faites aux concessionnaires d'employer du personnel de vente spécifique pour chaque marque de véhicule, d'exposer chaque marque dans des locaux différents ou de vendre chacune d'elles au travers d'une entité juridique distincte. Le fournisseur pourra tout au plus exiger du concessionnaire
qu'il présente les véhicules dans des zones de vente séparées à l'intérieur de la même salle d'exposition afin d'éviter la confusion entre les marques. L'indépendance commerciale des concessionnaires et des réparateurs agréés visà-vis de leurs fournisseurs devrait ainsi être renforcée et permettre à ceux qui sont présents dans des régions faiblement peuplées de continuer à exercer leur activité avec la rentabilité souhaitée. La comparaison des prix s'en trouvera également plus aisée pour les consommateurs. Mais telle qu'elle est prévue, la généralisation du multimarquisme pourrait contenir en germe plusieurs dérives. Faute de place, certains concessionnaires pourraient en effet se résoudre à exposer uniquement les modèles les plus prisés par la clientèle ou à se spécialiser dans une catégorie de véhicules (monospaces compacts, 4 x 4, etc.). De leur côté, les constructeurs pourraient exiger des locaux décorés spécifiquement pour chaque marque afin d'en préserver l'image. Ce serait là un critère qualitatif à remplir pour obtenir ou renouveler des droits de concession d'une marque. Les concessionnaires soucieux de réduire leurs coûts de fonctionnement auront la faculté de se consacrer exclusivement à la vente de véhicules neufs et de renoncer à leurs services traditionnels d'entretien, en les sous-traitant à des réparateurs agréés par le fournisseur. Certes, les consommateurs resteront libres de s'adresser aux réparateurs (indépendants ou agréés) de leur choix. Cette liberté sera d'ailleurs indirectement garantie par le fait que les réparateurs indépendants auront un accès complet aux informations techniques, aux équipements de diagnostic, aux outils (y compris les logiciels appropriés) ainsi qu'à la formation nécessaire à l'entretien des véhicules ou la mise en œuvre de mesures de protection de l'environnement. Cela dit, il convenait de faciliter l'accès aux services des réparateurs agréés. La communication autorise ainsi les fournisseurs à obliger les distributeurs ayant recours à des tels réparateurs à indiquer aux consommateurs le nom et l'adresse des ateliers de réparation retenus et, dans certains cas, à quelle distance du point de vente se situent les ateliers en question. La communication contient encore certaines règles destinées à faciliter la vente de pièces détachées ainsi que leur importation parallèle. Comme les constructeurs engagent directement leur responsabilité en cas de réparations sous garantie, de service gratuit et d'actions de rappel, la communication autorise néanmoins le fournisseur de véhicules neufs à imposer, pour ces seules réparations, l'utilisation de pièces de rechange d'origine fournies par le constructeur.
Un régime contraire à la loi sur les cartels? L'alignement de la Commission de la concurrence sur le nouveau régime européen devrait être salué par les entreprises distribuant leurs véhicules à travers toute l'europe, puisqu'elles pourront ainsi uniformiser leurs contrats. On peut douter cependant que la communication soit en tout point compatible avec le système du droit suisse. Elle définit en effet à quelles conditions des accords de distribution seront tenus pour illicites, alors que la loi sur les cartels n'octroie à la Commission que la compétence de fixer les conditions auxquelles certains accords sont réputés licites, le «test d'illicéité» restant l'apanage du législateur. Ce dernier ne s'en offusquera probablement pas, lui qui devrait, avant la fin de l'année, ancrer dans la loi sur les cartels l'idée selon laquelle les systèmes de distribution sélectifs et exclusifs sont tolérés pour autant qu'ils ne cloisonnent pas les marchés. C'est plutôt la rigueur avec laquelle la Commission entend favoriser les importations parallèles qui pourrait prêter à discussion. En droit européen, la position stricte des autorités envers les accords verticaux s'explique surtout par la volonté d'intégrer les différents marchés nationaux. Or un tel objectif est vain en droit suisse. Les communications de la Commission n'ayant pas force de loi, il appartiendra, comme toujours, aux autorités de recours de dire dans quelle mesure la rigueur annoncée par la Commission est conforme au droit suisse. 2009 LE TEMPS SA