Musée de l Armée et Archives départementales du Val-d Oise



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Transcription:

Musée de l Armée et Archives départementales du Val-d Oise DOCUMENTS CROISÉS Le service militaire Cocarde de conscrit Inv. : 25542 Musée de l Armée, RMN-GP. La III e République, tirant les leçons de la défaite de 1871, fait le choix d une armée de conscription. Il faut attendre les lois de 1889 et 1905 pour que se généralise vraiment le service militaire des jeunes Français. Les objets eux-mêmes... Les bons de tirage au sort et la cocarde font partie du folklore populaire qui entoure le service militaire quand celui-ci devient obligatoire. Les jeunes gens de 19 ans révolus se présentent au conseil de révision de leur canton où ils passent notamment une visite médicale. Chaque jeune homme inscrit reçoit un numéro au hasard. Jusqu en 1889, la loi prévoit un tirage au sort : les «mauvais numéros» correspondent au service long, cinq ans, les «bons numéros» au service court, un an. D autres sont exemptés. À la suite du conseil de révision, les jeunes gens sont attendus par toute une armée de colporteurs prêts à leur vendre des calicots, de la quincaillerie, des médailles de toutes sortes qu ils gardent en souvenir ou dont ils s affublent pour la fête des admis qui suit le conseil. Pour ce défilé bruyant les gars de la même commune sont réunis derrière le drapeau qui porte le nom de «leur classe». Le lendemain ils se rendent au monument de 1870 ou au cimetière de leur commune, avec leur nouveau drapeau. Le dimanche suivant, les filles de «la classe» sont conviées au bal des conscrits. Bulletin de conscrit, Inv.2006.10.95 Musée de l Armée, RMN-GP. Les réservistes, par Jeanniot, 1882, 114 x 194 cm. Inv. : 05247 ; Eb 402 Musée de l Armée, RMN-GP. P-G Jeanniot (1848-1934) sort de Saint-Cyr en 1866 et sert comme sous lieutenant au 23 e de ligne quand il est blessé et fait prisonnier à Rezonville. Il démissionne en 1883 pour se consacrer à sa carrière artistique, notamment à L Illustration. Il rencontre Manet et entre en relation avec Degas. Parmi les peintres militaires, il occupe une place à part en s intéressant aux anecdotes et aux détails de la vie militaire en temps de paix. Il montre ici l arrivée des réservistes à la caserne, un jour de pluie. Les uniformes se mêlent aux tenues civiles des messieurs d âge mûr : chapeaux hauts de forme, chapeaux melon, casquettes, blouses bleues, manteaux, foulards noués au cou, cravates, baluchons ou valises. 1

Le «naturalisme» de Jeanniot s agrémente d une pointe d ironie : il fait le portrait en gros plan d un homme, le visage entouré d un pansement, une rage de dents, peut-être? Les réservistes obtient une mention honorable au salon de 1882. Ce tableau offre un intérêt documentaire en illustrant à la fois l universalité et la grande mixité sociale que génère l armée de conscription. Les objets nous racontent... Par la loi du 27 juillet 1872, le service militaire devient obligatoire pour tous les Français âgés de 19 ans. Comme à cette époque, l armée ne peut accueillir que 400 000 hommes, un tirage au sort décide dans les faits de la durée du service actif : cinq ans ou un an. Le remplacement est impossible mais les dispenses et les sursis sont nombreux, ainsi qu un volontariat d un an qui permet à des étudiants payant 1 500 F de servir un an au lieu de cinq ans. Ce système provoque de nombreuses critiques en particuliers à propos des dispenses, accordées aux diplômés, aux séminaristes, aux Les réservistes (détail) Musée de l Armée, RMN-GP. soutiens de famille. Le retour à la vie civile ne met pas fin aux obligations militaires. Le citoyen-soldat est versé successivement dans les réserves de l armée d active, quelques années plus tard dans la territoriale puis dans les réserves de la territoriale. Il est convoqué plus ou moins régulièrement pour des périodes de réserve de quelques jours, programmées par décision du ministre. La loi du 15 juillet 1889, fait disparaître le tirage au sort : le service est fixé à trois ans sauf pour les diplômés et les ecclésiastiques qui n effectuent qu un an. Le temps d affectation dans la réserve est porté à sept ans suivi de quinze ans dans la territoriale. Le 17 mars 1905, alors que se déroule la crise diplomatique de Tanger, le service devient égal pour tous et dure deux ans. Plus de 80 % d une classe d âge est incorporée ; les exemptions sont rares et concernent principalement les déficiences physiques. Il y a peu d insoumis. Le citoyen-soldat est ensuite versé dans la réserve d active jusqu à l âge de 34 ans, dans l armée territoriale entre 34 et 40 ans puis dans la réserve de la territoriale jusqu à l âge de 46 ans. Le service militaire est considéré comme une étape importante de la vie masculine, un véritable rite de passage au monde des adultes. Il commence par le conseil de révision qui se déroule au printemps, au niveau du canton, en présence des autorités politiques et militaires (préfet, maires, général, médecin militaire). En septembre, la feuille de route arrive, le jeune homme rejoint son affectation en octobre ou au début novembre, après les vendanges. Les jeunes recrues incorporées, «les bleus», effectuent leurs classes pendant trois mois. Vient alors le moment solennel de la présentation au drapeau du régiment en présence du général : «Jeunes gens, voici votre drapeau». L instruction se fait dans les unités de combat ou les services du régiment et consiste principalement en marches, exercices de tir et manœuvres. Avec l arrivée de la nouvelle classe, le «bleu» devient un «ancien» et lorsqu il ne reste que 100 jours à effectuer avant le départ, «la quille», il célèbre «le père cent», la fête du compte à rebours Le retour à la vie civile s effectue vers le mois de septembre. En 1913, pour conserver des effectifs comparables à ceux de l Allemagne dont la population dépasse celle de la France et croît plus rapidement, le service actif est porté à 3 ans et l âge final repoussé à 48 ans. La France compte alors 800 000 hommes sous les drapeaux pour une population de 39 millions d habitants en métropole. En août 1914, la mobilisation met sur pied de guerre près de 4 millions de soldats en quelques jours. La III e République, en instaurant l école obligatoire et le service militaire, a assuré à la France une cohésion nationale qui révélera toute sa profondeur pendant les épreuves de la première guerre mondiale. Salle Alsace-Lorraine Salle Joffre Escalier G Entrée Le service militaire Cour d honneur 2

Instruction du sous-préfet Instruction du sous-préfet de Pontoise, envoyée aux maires de l arrondissement de Pontoise, au sujet des Belges de 18 à 30 ans qui refuseraient de s engager dans leur armée nationale, 5 janvier 1915. Archives départementales du Val-d Oise, E-dépôt9 4H6. Pontoise le 5 janvier 1915. Le Sous-Préfet de Pontoise à MM. les Maires de l arrondissement Belges de 18 à 30 ans. Vous avez dû signaler à Monsieur le Préfet, qui vous le demandait par sa circulaire du 11 Décembre, tous les Belges de 18 à 30 ans, valides et célibataires, qui résident dans votre commune. Sur le désir exprimé par le Gouvernement belge, je vous invite à supprimer tout secours à ces Belges de 18 à 30 ans, valides et célibataires qui refuseraient de contracter un engagement dans leur armée nationale. 3

«Il y avait des réfugiés dans toute l Europe. Pendant cinq ans, c est comme si presque tout le monde devait partir ou attendait de le faire». C est le sentiment exprimé à la fin de la guerre par Homer Folks, le directeur du département des affaires civiles de la Croix-Rouge américaine en France. Pour l historien Philippe Nivet, la Grande Guerre a créé une des figures typiques du XX e siècle, «le réfugié fuyant la guerre». Il en distingue trois catégories : les réfugiés dans leur propre pays, les réfugiés exilés à l étranger et les populations déplacées après les redécoupages territoriaux décidés par les traités de paix (in Encyclopédie de la Grande Guerre, sous la dir. de S. Audouin-Rouzeau et J.-J. Becker, Bayard, 2004, p. 800). L archive elle-même... Ce document administratif conservé aux Archives départementales du Val-d Oise a été envoyé le 5 janvier 1915 par Marcel Bernard, sous-préfet de Pontoise, aux maires de l arrondissement. Dans une note qui contient par ailleurs des consignes sur les allocations aux femmes des mobilisés, le haut-fonctionnaire rappelle aux maires leur responsabilité de signaler (depuis le mois de décembre 1914) la présence des Belges valides et célibataires, âgés de 18 à 30 ans. À la suite d une demande exprimée par le gouvernement belge, on ordonne aux maires de supprimer les aides en argent ou en nature aux réfugiés s ils refusent de s engager dans leur armée nationale. L archive nous raconte... La Belgique, pays dont la neutralité est pourtant reconnue par les grandes puissances (depuis un traité signé en 1839 entre l Autriche, la France, la Russie, l Angleterre et la Prusse), est attaquée le 4 août 1914 par l Allemagne, conformément au plan Schlieffen-Moltke. La puissance allemande est très supérieure aux forces belges. La Belgique sous le règne alors d Albert I er a mis en place le service militaire obligatoire en 1913. Aussi, peu d hommes furent appelés sous les armes (200 000 venant de quinze classes de milices) d où l appel aux volontaires (18 000 jusqu en septembre) dès l ultimatum de l Allemagne à la Belgique le 2 août et aux gardes civiques (environ 45 000 citoyens chargés du maintien de l ordre dans les villes depuis l indépendance en 1830). Durant l exil du gouvernement belge en France, c est environ 100 000 hommes qui furent formés dans des camps d instruction des recrues de l armée en Normandie comme à Bayeux ou Saint-Lô. Ils furent nombreux à rejoindre ensuite le front de l Yser. À la nouvelle des violences commises par les occupants dès les premiers jours de l invasion, notamment à Dinant, Aerschot et Louvain, une grande partie de la population choisit l exil. D après les estimations, 115 000 Belges sont réfugiés en France au 1 er janvier 1915. Ils étaient plus nombreux aux Pays-Bas et en Angleterre. Malgré les garanties annoncées par les autorités allemandes que la liberté individuelle serait respectée si les réfugiés retournaient en Belgique, c est près d un demi-million de personnes qui préféra l exil jusqu à la fin de la guerre. On comptait en Seine-et-Oise 12 650 réfugiés belges en 1918. Paris et Le Havre (le gouvernement belge en exil était alors établi à proximité, à Sainte-Adresse, dès octobre 1914) concentraient le plus grand nombre de réfugiés, 70 000 et 30 000 respectivement à la même date. En France, en plus de la charité privée organisée par les particuliers et des associations, les réfugiés ont droit à des allocations en argent et en nature pour subvenir à leurs besoins. Il faut dire que rien, évidemment, n avait été prévu en 1914. C est une circulaire du ministre de l Intérieur datée du 1 er décembre 1914 qui précise la responsabilité de l État dans l assistance des «réfugiés sans ressources», avec le «concours patriotique des populations» en ce qui concerne leur subsistance, leur logement et leur entretien. Les réfugiés étaient dispersés et intégrés de préférence dans des familles d accueil. Une allocation de même niveau que celle perçue par les femmes des mobilisées est alors décidée : 1,25 franc par jour pour les adultes et 50 centimes pour les enfants de moins de 16 ans. En août 1917, ces allocations passèrent à 1,50 franc et 1,25 franc par enfant pour tenir compte de l inflation (incomplètement comblée). Mais assez rapidement, l Union sacrée avec les populations déplacées laisse la place en 1915 à un sentiment de suspicion à leur égard. La guerre dure plus longtemps que ce qu estimaient l opinion et les autorités quelques mois auparavant. Les difficultés matérielles font oublier la solidarité née au début du conflit. Philippe Nivet a bien montré dans un autre article 4

sur «les réfugiés de guerre dans la société française (1914-1946)» (in Histoire, économie et société, février 2004, p. 247-259) combien leur accueil avait été difficile, suscitant de nombreuses tensions avec les populations autochtones parfois promptes à dénoncer les «Boches du Nord» dans un contexte de plus en plus marqué par la critique des embusqués. Le versement d allocations sans contrepartie de travail est souvent dénoncé pendant la guerre. Les différences linguistiques gênent aussi la compréhension entre les groupes de population quand ce n est pas la peur d une «classe dangereuse» (les exilés sont considérés comme de possibles espions ou des délinquants, des ivrognes). D ailleurs, dès 1914, des arrêtés préfectoraux interdisent aux réfugiés de s éloigner de plus de dix kilomètres de leur lieu de résidence. Ce document illustre bien la guerre totale avec la mobilisation des réfugiés belges pour poursuivre les combats ainsi que le contrôle de l arrière avec la «traque» des embusqués. 5