QUELLE MOBiLiTÉ SANS PÉTROLE?



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Transcription:

PARTiE :... aux énergies de flux QUELLE MOBiLiTÉ SANS PÉTROLE? La fin du pétrole «bon marché» arrive et les Amis de la Terre s interrogent sur la société de demain sans cette ressource fossile qui constitue actuellement la clé de voûte de notre modernité, de notre confort. La dépendance au pétrole est particulièrement critique pour le transport des personnes et des marchandises. Serons-nous prêts en 2030, en 2050 lorsque la fin du pétrole bon marché sera déjà loin derrière nous? Aurons-nous trouvé des moyens techniques et des changements d habitude individuels et collectifs pour se déplacer autrement, pour se déplacer moins? En ce début de XXIème siècle, nous avons atteint un niveau très élevé de mobilité, jamais connu auparavant : quelle sera notre mobilité demain? Michel Wautelet Physicien, professeur e.r. de l université de Mons (Belgique). Membre de Aspo Belgique. Il étudie notamment les relations entre sciences, technologies et société. Il s intéresse aux conséquences des choix technologiques sur nos modes de vie. Des constats forts Plus de 95% de ce qui se déplace sur la Terre grâce à un moteur dépend du pétrole! Aujourd hui, plus de la moitié du pétrole extrait mondialement est consommé dans les réservoirs de nos voitures, camions, avions, bateaux, etc. et une autre partie se retrouve dans le bitume de nos routes et autoroutes. Ces deux premiers constats montrent de manière très claire les liens forts qui existent entre notre mobilité et le pétrole. Or le pétrole est une ressource fossile formée lors d un long processus de transformation de la matière vivante (animaux et végétaux) qui prend plusieurs millions d années, donc non renouvelable à l échelle humaine. Et ce pétrole facile à extraire, de bonne qualité et pas cher, nous l avons largement exploité depuis un siècle. Le pic de production mondial n est pas loin (voir l article de J.-M. Renoirt pour plus d information sur le pic de pétrole) et rien ne semble changer dans nos habitudes! «Comment évoluera notre mobilité dans les prochaines décennies?» est une question majeure pour notre société, pour chacun d entre nous, tant le déplacement des hommes et des biens est au centre de notre économie mais aussi de nos besoins personnels. Petit historique de la mobilité Rappelons d abord brièvement l histoire de la mobilité. Avant 1900, à part les aristocrates, les bourgeois, les militaires et les commerçants, peu se déplaçaient loin de leur domicile. La plupart des femmes et des hommes ne dépassaient guère les limites de leur commune pendant toute leur vie. Pour voyager, il fallait de l argent et beaucoup de temps disponible. C est que voyager prenait du temps! Avant le chemin de fer, vers 1830, les voyages en diligence étaient longs et inconfortables. Bruxelles était à 36 heures de Paris! Les chevaux parcouraient environ www.amisdelaterre.be - La Transition énergétique - ST115 31

12 km avant d être remplacés. Il fallait environ 14 heures pour relier Bruxelles à Ostende. Ces voyages étaient rapides en comparaison avec des trajets vers des lieux moins importants, par des chemins difficiles. Il fallait 22 heures entre Namur et Arlon. Quant aux voyages vers l Italie, ils duraient quelques semaines. Un pas important fut effectué avec l apparition du chemin de fer. Le développement du réseau ferré, au XIXe siècle, a d abord concerné des trajets vers des villes au bord de la mer d où le fulgurant développement de stations balnéaires et thermales, fréquentées par les riches de l époque. Seuls les propriétaires des grandes usines, les commerçants, la nouvelle classe moyenne avaient assez d argent et de temps libre pour des séjours, des voyages ou pour visiter les expositions universelles. Voyages d agrément ou d affaires, thermalisme, de santé, au soleil, sports d hiver purent se développer grâce au rail sans oublier la multiplication des transports de marchandises. Ce furent eux les premiers concernés par le rail. Et pas seulement par le chemin de fer : les tramways vicinaux transportaient aussi du charbon, des colis, etc. Vers 1900, l apparition de la voiture, grâce à la disponibilité de pétrole, ne concernait que les plus riches. En 1936, l apparition des congés payés a modifié la donne. Une partie des travailleurs et de leur famille pouvait aussi se déplacer, car ils avaient du temps libre et un peu d argent. On n en était pas encore à voyager loin. Les trains à vapeur permettaient de se rendre à la mer dans des conditions confortables pour l époque, dans des voitures avec banquettes en bois. Mais seuls les plus riches possédaient une voiture, qui circulait sur des routes non asphaltées, à des vitesses moyennes bien inférieures à 60 km/h. Sans oublier les fréquentes crevaisons et le remplissage régulier en eau des radiateurs, qui obligeaient des arrêts fréquents. Quant aux avions, les compagnies aériennes ne possédaient que quelques avions, à des tarifs hors de portée de la très grande majorité de la population. Les véritables changements eurent lieu dans les années 1950 et surtout 1960. C est alors que de plus en plus de travailleurs purent se payer une petite voiture (Volkswagen coccinelle ou Citroën 2 cv). Les routes furent asphaltées, même dans les coins reculés, et les autoroutes se développèrent. Dans les années 1970, avec l apparition des avions gros porteurs (comme le Boeing 747), les transports internationaux se multiplièrent et les prix baissèrent. Les trains, notamment internationaux, gagnèrent en confort et vitesse. Ce fut la démocratisation des transports des personnes et des marchandises dans nos pays riches occidentaux. Cette multiplication des transports de biens et de personnes a constitué la voie royale vers la globalisation de l économie. Tout cela fût possible grâce à la disponibilité du pétrole abondant et bon marché ; pétrole contenu dans les réservoirs des véhicules, dans l infrastructure (bitume des routes et autoroutes) et aussi de plus en plus dans le plastique des équipements et accessoires les plus divers. Les alternatives au pétrole dans la mobilité Le pétrole étant une ressource fossile (1), déjà largement exploitée, il faudra le remplacer par autre chose, dans les prochaines décennies, si on veut continuer à déplacer biens et hommes de cette manière. Et ce ne sera pas facile. Pour se faire une petite idée de ce qui nous attend comme transition, il faudrait construire plus de 5000 réacteurs nucléaires de 1 GW pour remplacer le pétrole consommé mondialement (et environ la même quantité de réacteurs pour le gaz naturel). Quand on sait qu il y a actuellement moins de 500 réacteurs sur terre et qu il est strictement impossible d envisager une augmentation importante de leur nombre même si on oubliait toutes les questions relatives à la sécurité, cela montre bien l ampleur des défis qui se posent à nous pour continuer à se déplacer demain comme on le fait aujourd hui. Nous n examinerons pas ici toutes les alternatives au pétrole dans ces usages très divers ; nous nous limiterons aux alternatives au pétrole dans le secteur des transports. Les principales alternatives au pétrole dans ce secteur sont les agrocarburants, l électricité et l hydrogène. Nous ne considérons pas le «charbon liquéfié» qui, s il est une alternative techniquement réalisable (et au point dans certains pays comme l Afrique du Sud), se révèle être un fort émetteur de CO 2 (donc irréaliste au vu des implications sur les changements climatiques). (1) Une ressource fossile met des millions d années à se constituer à partir de matière végétale ou animale. 32 www.amisdelaterre.be - La Transition énergétique - ST115

Les agrocarburants Remplacer l essence de nos voitures par des agrocarburants semble a priori intéressant : peu de changements d habitudes (on conserve un liquide à forte densité énergétique, facilement transportable et compatible assez facilement avec les moteurs actuels) et moins de gaz à effet de serre. Mais les agrocarburants soulèvent plusieurs questions mal ou non résolues : Les surfaces cultivées sont importantes. Pour les agrocarburants de première génération (obtenus à partir de maïs, blé, betteraves, cannes à sucre, soja, colza, céréales etc., par des techniques conventionnelles), il faudrait utiliser des aires agricoles importantes. Ainsi, pour remplacer 10% du carburant consommé dans les transports mondiaux par des agrocarburants, il faudrait y consacrer 9% de la surface agricole mondiale. Dans le cas de l Europe des 15, il faudrait y consacrer 72% des terres agricoles! On mesure ainsi clairement que cette voie n est pas réaliste ; Les agrocarburants de première génération entrent en compétition directe avec la nourriture «manger ou conduire, il faudra choisir» comme l indique clairement un slogan bien diffusé ces dernières années ; En tenant compte de toute la chaîne de production (engrais, culture, transports, eau, transformation, etc.), le rendement énergétique des agrocarburants donne lieu à des estimations très variées et même contradictoires. Ce rendement varie fortement avec le lieu et le climat ; Les biocarburants de deuxième génération (produits à partir des résidus des forêts et de l agriculture (bois, paille), des déchets, ainsi que de plantes n entrant pas en compétition avec la nourriture) ne sont encore qu au stade de la recherche et les installations industrielles sont encore loin d'être rentable malgré d importantes recherches menées aux USA, par exemple; Il en est de même des biocarburants de troisième génération, dont les micro-algues chères au secteur de l aviation constituent l exemple le plus médiatisé. En résumé, les agrocarburants ne représentent pas une solution ni à court ni à moyen terme pour le secteur des transports. Tout au plus représenteront-ils un appoint au pétrole actuel, probablement d abord pour le secteur agricole. Au niveau global, les agrocarburants pourraient au maximum couvrir 10% de notre besoin de transport. www.amisdelaterre.be - La Transition énergétique - ST115 33

Les véhicules électriques Les véhicules électriques sont souvent présentés comme devant d'abord aider à résoudre les nuisances et la pollution engendrées par nos véhicules à moteur thermique, surtout en ville. Les principaux avantages sont effectivement environnementaux. Les véhicules électriques ne polluent pas l'air des villes (la pollution est émise au niveau des sites de production d'électricité) et ils ne sont pas bruyants. Ces véhicules soulèvent cependant bien des questions aussi diverses que pertinentes : L autonomie et la vitesse des voitures électriques sont et resteront probablement limitées, en raison des capacités des batteries actuelles ; Les temps de charge sont et resteront importants (plusieurs heures) ; Les voitures électriques seront probablement des voitures de ville (ou utilisées pour de courtes distances). Cela pourrait néanmoins constituer un marché important car la majorité des conducteurs effectuent des trajets courts. Une utilisation importante pourrait concerner les petits véhicules utilitaires, publics (agents de quartier, voirie, poubelles, etc.) ou privés (livraison à domicile, etc.). C'est déjà la cas dans quelques villes ; La quantité d énergie électrique consommée pour les voitures électriques nécessitera des centrales électriques supplémentaires (environ l équivalent de 2 réacteurs nucléaires pour la Belgique si on devait remplacer la totalité du parc automobile actuel, ce qui est peu probable au vu des changements de comportement que le véhicule électrique impose) et le développement de compteurs électriques intelligents, avec une charge des batteries à domicile. Le développement des véhicules électriques ne se conçoit pas sans la mise sur pied d une infrastructure très large de prises électriques dans les parkings privés, dans les entreprises, dans les villes, etc. ; Vu le poids des batteries, ainsi que leur faible densité d énergie et donc la faible autonomie finale, il n est aucunement question de voir des camions (notamment les transports internationaux) électriques sur les routes de demain ; La durée de vie des batteries est actuellement toujours un sérieux défi technologique pour garantir l usage intensif requis dans les transports ; Le coût des matières premières nécessaires à la fabrication des batteries reste un paramètre non connu aujourd hui surtout si une forte expansion de cette technologie est envisagée. Les véhicules à hydrogène Une autre alternative développée depuis plusieurs années est l'utilisation d'hydrogène via une pile à combustible (PAC) qui permet de créer de l'électricité à la demande. La voiture à hydrogène est constituée d'un moteur électrique, d'une PAC et d'un réservoir d'hydrogène. Si l'hydrogène est considéré par certains comme le vecteur énergétique propre de l'avenir, les défis à relever sont encore énormes : En 2013, le matériau central de la PAC est le catalyseur, en platine ( Pt - un matériau cher). Une PAC pour une petite voiture coûte environ 20.000 Euros. De nombreuses recherches sont en cours pour tenter de remplacer le platine par des matériaux moins onéreux comme le silicium. De plus, la production mondiale d hydrogène est assurée par ses principaux utilisateurs : raffineries pétrolières et usines d engrais. Elle s appuie sur divers procédés de décomposition d hydrocarbures (toujours les énergies fossiles) qui, en outre, sont émetteurs de CO2 et autres gaz à effet de serre (GES). Il est donc impératif de passer à d autres méthodes industrielles de synthèse de l hydrogène. Une méthode alternative est l électrolyse de l eau, c est-à-dire la décomposition de la molécule d eau en hydrogène et en oxygène sous l effet d un courant électrique. Mais, pour remplacer le parc automobile actuel par des véhicules à l hydrogène, il faudrait 34 www.amisdelaterre.be - La Transition énergétique - ST115

construire l équivalent de 3 réacteurs nucléaires, rien que pour la Belgique. Une autre alternative, financée par la Communauté européenne (projet HydroSOL), est de produire l hydrogène à partir du rayonnement solaire, dans des centrales thermiques à très haute température mais cette industrialisation n est pas pour demain. De plus, le stockage de l hydrogène dans les réservoirs des véhicules est un autre défi à relever. Une solution serait la liquéfaction de l hydrogène (à la température de 253 C) dans des réservoirs cryogéniques. Dans ces conditions, il faudrait un réservoir de plus de 28 litres de volume pour une autonomie de 100 km; D autres difficultés se présentent vis-à-vis du stockage du gaz sous pression ou sur des matériaux solides, qui sont à l étude dans les laboratoires, mais beaucoup de critères (sécurité, densité énergétique, etc.) doivent être satisfaits par ces nouvelles technologies ; Un autre problème non résolu concerne la distribution de l hydrogène à grande échelle dans un vaste réseau. Malgré toutes ces difficultés techniques, l hydrogène pourrait commencer à remplacer les hydrocarbures dans le transport et dans d autres applications, à partir de 2020. A cette date, l Europe espère couvrir grâce à l hydrogène, 5% de ses besoins en énergie pour les transports. Les problèmes à résoudre sont encore tellement importants, que nul ne peut assurer que l on y arrivera un jour. D'autres véhicules www.sxc.hu Mentionnons aussi la voiture à air comprimé qui, comme la voiture électrique et à hydrogène, ne provoque aucune pollution à la sortie de son pot d'échappement ; elle génère, par contre, une pollution sonore plus importante du fait de la conception de son moteur. Outre le fait que sa réalisation est beaucoup plus difficile que prévu (la société indienne Tata avait prévu de lancer un modèle sur le marché en 2011, mais celui-ci n'est pas encore au stade de la pré-commercialisation en 2013), son rendement énergétique global est très mauvais (< 10%, à comparer à celui de la voiture actuelle à moteur thermique, proche de 30%), et son autonomie sera faible. Son usage ne devrait concerner que certaines niches, comme les aéroports ou de grands hangars. Impacts à venir sur la mobilité Etant donné tout ce qui a été dit précédemment, il est évident que le «pic du pétrole» ne manquera pas d avoir des conséquences lourdes à moyen et long terme sur notre mobilité. En particulier, si on peut imaginer des voitures ou des camions légers électriques, demain sur nos routes, on ne voit aujourd hui aucune alternative au pétrole dans le domaine des camions (et donc aussi des bus de tourisme), notamment internationaux, à moyen terme (2025-2030). Le futur de ces transports va donc dépendre du contexte pétrolier, éminemment géostratégique. Il en est de même de l aviation commerciale, pour laquelle ni les agrocarburants, ni l hydrogène, ni surtout l électricité, ne sont des alternatives crédibles, même à très long terme. La plupart des avions actuels seront probablement, demain, cloués au sol faute de carburant. A long terme (2050), si les choses apparaissent moins claires, les alternatives ne sont pas beaucoup plus rassurantes. Certains rapports sont encore bien optimistes : comme le Bureau belge du Plan, qui dans un rapport de début 2008, parie sur le développement de l hydrogène dans le transport routier de fret. Selon ce rapport, en 2050, pour le transport de fret, 90% des véhicules en Belgique circuleront avec des PAC et 10% seront alimentés par des agrocarburants. L hydrogène nécessaire serait fournie par les éoliennes de la Mer du Nord (par un procédé utilisant l électricité qu elles produisent, comme l électrolyse), ce qui évitera les problèmes liés à leur connexion au réseau électrique. Il s agit là, à mes yeux, d un pari risqué tant les défis technologiques restent importants. www.amisdelaterre.be - La Transition énergétique - ST115 35

Et pour l aviation, ce secteur d avenir d après beaucoup de nos politiciens, rien n est en vue! Parler de la fin du pétrole est un sujet tabou, particulièrement en région wallonne qui a investi et continue à investir lourdement dans ses 2 grands aéroports, Charleroi et Liège. A quoi serviront-ils encore après-demain? L analyse faite dans cet article montre que l on s oriente vers des transports différents selon la distance parcourue. Nous ne considérons dans la suite que le court et moyen terme, avant la généralisation (hypothétique) à long terme de l hydrogène pour tous les moyens de transport. des transports intercontinentaux On s oriente clairement vers la fin du transport de fret par avion. Il restera encore le transport maritime. Les secteurs impactés par cette évolution sont principalement ceux qui, aujourd hui, réclament des transports rapides (fruits et légumes, denrées comestibles et périssables, petits volumes). Le transport de courrier et petits paquets semble aussi condamné à moyen terme (au plus tard). Par contre, les transports plus volumineux, lents, qui sont faits par bateaux continueront (minerais, céréales, voitures, informatique, etc.). des transports intracontinentaux La fin probable du transport routier international (complètement dépendant du pétrole) et de l aviation exigera le redéploiement du rail et du transport fluvial. Cela entraînera la diminution des transports de denrées périssables (qui circulent entre pays par la route), mais aussi une remise en question de tout l approvisionnement des usines et commerces en «flux tendu» international. Le rail et plus encore le transport fluvial étant plus lents que la route, ils seront surtout utilisés pour le transport des matériaux denses ou via containers. Bien entendu, il ne s agit pas non plus de livraisons à sa porte. Pour cela, il faudrait un réseau ferré aussi dense que le réseau routier actuel! Même s il est impossible, pour diverses raisons, d arriver à un tel réseau, des infrastructures coûteuses et lourdes devront être construites. Si on désire développer le transport par rail, on ne pourra pas se satisfaire du réseau ferré actuel. Il faudra construire de nouvelles lignes, en élargir d autres, acquérir de nouveaux trains et wagons, etc... Les réseaux locaux, régionaux, nationaux et internationaux devront être reconnectés et, si possible, standardisés. A part les chemins de fer eux-mêmes, ce sera toute l infrastructure d approvisionnement, de relais avec la route, qu il faudra repenser ; la fameuse intermodalité sera indispensable. Les industries auront sans doute intérêt à se connecter directement à une voie ferrée ou, mieux, à se regrouper près de nœuds ferroviaires. Notons aussi que le redéploiement du rail aura des répercussions positives sur l emploi, notamment au niveau du personnel non qualifié. Il en faudra pour construire et entretenir ce nouveau réseau ferré bien plus dense. Le transport fluvial va évidemment requérir le creusement de canaux plus nombreux et plus profonds, des écluses adéquates... Cela ne se fera pas en un jour, ni sans engagements financiers lourds. La transition vers ce nouveau mode de fonctionnement de l économie demandera un financement adéquat de toutes les transformations nécessaires des systèmes de transport, financement au moins aussi important que celui qui a conduit le rail de la situation de 1835 à celle de 1960; et cela dans un délai bien plus court. des transports régionaux Pour les moyennes distances (de quelques dizaines à une centaine de kilomètres), le recours au rail (pour les transports lourds), voire aux camions électriques (pour les marchandises légères) est concevable. Pour cela, il faudra construire de nouvelles lignes de chemin de fer, en élargir d autres, réaffecter les petites lignes construites au début du vingtième siècle et désaffectées depuis, acquérir de nouveaux trains, etc... Les réseaux locaux, régionaux, nationaux et internationaux devront être reconnectés. Ce qui demandera du temps, de l argent et beaucoup de main d œuvre. des transports locaux C est vraisemblablement au niveau local que les changements seront les moins dramatiques. Car c est là que les livreurs à domicile, les camions pour courtes distances, entre producteur et consommateur local ou gare de distributions seront actifs. Les consommateurs ayant probablement moins accès à la voiture individuelle, le retour aux petits commerces sera peut-être possible, voire nécessaire. Pour le transport local, le recours à de petits véhicules électriques, voire utilisant des agrocarburants, sera nécessaire. Avec, peut-être, un retour partiel au transport animal pour certains transports lents. 36 www.amisdelaterre.be - La Transition énergétique - ST115

La mobilité future : moins loin, plus lentement? Il est clair, au vu de ce qui précède, que la mobilité de demain sera différente de ce qu elle est aujourd hui : nous irons probablement moins loin et plus lentement. Ce qui aura des conséquences sur notre mode de vie mais aussi sur l aménagement du territoire. Une étude du CPDT (Conférence Permanente du Développement Territorial, RW) de 2011 a analysé la vulnérabilité des communes wallonnes au pétrole. A l horizon 2025, les communes rurales sont les plus vulnérables à un renchérissement du prix du pétrole. A l horizon 2050, une manière efficace de réduire notre dépendance au pétrole est de rapprocher emplois et habitat, afin de minimiser les déplacements. Il faut donc mieux structurer le territoire, tant à l échelle communale que régionale. Il est certain que les secteurs de la logistique, du commerce, du tourisme seront aussi modifiés, d une manière que nous n appréhendons pas encore bien aujourd hui, mais qui sera importante. Conclusions Comme on s en aperçoit, la fin prévisible du pétrole bon marché aura des conséquences importantes sur le fonctionnement de notre société occidentale. Ainsi, les transports des personnes et des marchandises seront drastiquement modifiés car il n existe pas de solutions technologiques prêtes pour faire rapidement la transition à cette échelle. Cette restriction de la mobilité (par rapport à celle que nous connaissons aujourd hui) impactera tous les citoyens de nos pays industrialisés et en particulier ceux des pays dépourvus de pétrole comme la Belgique. Espérons que nous aurons la capacité d anticiper ces changements en adaptant rapidement les politiques locales, régionales, nationales et internationales concernant la mobilité mais aussi le commerce et l industrie. Pour des informations plus détaillées sur le «pic du pétrole», voir : a) article de J.-M. Renoirt dans cette revue ; b) Brocorens P. et Wautelet M. : «Pétrole : à quand le déclin?» Athena, 238, 283 286 (2008) ; c) www.aspo.be «Territoire(s) wallon(s) La dimension territoriale des politiques énergétiques et de réduction des gaz à effet de serre», N 6, avril 2011. CPDT, Namur. «Accélérer la transition vers un développement durable. Rapport fédéral sur le développement durable 2007. Task force développement durable», Décembre 2007. POUR EN SAVOiR PLUS Wautelet, M. : «Vivement 2050! Comment nous vivrons (peut-être) demain», L'Harmattan, Paris, 2007. www.amisdelaterre.be - La Transition énergétique - ST115 37