Une vieille dame en maison de retraite
Histoire de Vie et Formation Collection dirigée par Gaston Pineau avec la collaboration de Bernadette Courlois, Pierre f)ominicé, Guy.fobert, Gérard ivllékuz, André l'idricaire et Guy de Villers Cette collection vise à construire une nouvelle anthropologie de la formation, en s'ouvrant aux productions qui cherchent à articuler "histoire de vie" et "formation". Elle comporte deux volets correspondant aux deux versants, diurne et nocturne, du trajet anthropologique. Le volet Formation s'ouvre aux chercheurs sur la formation s'inspirant des nouvelles anthropologies pour comprendre l'inédit des histoires de vie. Le volet Histoire de vie, plus narratif~ reflète l'expression directe des acteurs sociaux aux prises avec la vie courante à mettre en forme et en sens. Déjà parus Volet: Histoire de vie Association des Anciens Responsables des Maisons Familiales Rurale (coord. par J.-c. Gimonet), Engagements dans les Maisons Familiales Rurales, 2007. Marie-Odile de GISORS et Joffre DUMAZEDIER, Nos let/res tissent un chemin, 2007. Michèle PELTIER, Le couchant d'une vie. Journal d'une cancéreuse croyante et coriace, 2007 Jacqueline OLIVIER-DEROY, Cœur d'enfance en Indochine, 2006. Jeannette FAVRE, En prison. Récits de vies, 2005. Françoise BONNE, A.N.P.. MON AMOUR, 2006. Christian MONTEMONT et Katheline, Katheline, 2005. David JUSTET, Confessions d'un hooligan, 2005. Renée DANGER, Mon combat, leurs victoires, 2005. Danièle CEDRE, La porte-paroles. De Elles LI... Elle, 2005. Guy-Joseph FELLER, Les carambars de la récré! Une école de village en Pédagogie Freinet dans les années 60, 2005. Marie-Claire GRANGEPONTE, (sous la dir. de), Classes nouvelles et gai-savoir auféminin, 2004. Jean-Marie ALBERTINI, Mémoires infidèles d'une famille de Provence,2004. Jérémie MOREAU, Ma Mère, cet/e Utopie 1,2003
Joseph BARBARO Une vieille dame en maison de retraite Journal de fin de vie L' Harmattan
@ J.'Harmattan, 2007 5-7, rue de l'ecole polytechnique; 75005 Paris http://www.librairiehannattan.com diffusion.hannattan@wanadoo.fr hmmattanl@wanadoo.fr ISBN: 978-2-296-03973-5 EAN : 9782296039735
Prologue Je suis aide soignant. J'ai pris mon service il y a trois jours. En nettoyant une chambre dont l'occupante était morte la veille, j'ai trouvé un carnet de notes. Je suis allé le porter au médecin du service pour que la famille le récupère. En passant par l'office, j'ai surpris une conversation animée, entrecoupée d'éclats de rires. Le médecin, une inf1rmière et deux de mes collègues étaient assis et parlaient d'une pensionnaire, visiblement une emmerdeuse. En fait, le sujet de ces moqueries n'était autre que l'ancienne occupante de la chambre que je rangeais. Amandine, tel était son prénom, n'avait pas de famille. Elle n'était guère aimée, du moins pas par ces trois-là. J'ai décidé de garder le carnet et de le lire. Qu'en auraient-ils fait? Ne l'ayant pas connue, je n'avais aucun a priori, mais j'ai pensé qu'une femme qui prenait la peine d'écrire, emmerdeuse ou pas, méritait un peu plus d'égards.
C'était un journal. Amandine Scarpone écrivait tous les deux ou trois jours et racontait les histoires marquantes auxquelles elle avait assisté. Elle parlait peu d'elle, beaucoup de la vie dans le Service. Une petite enquête, menée discrètement, me révéla qu'amandine était crainte du personnel. En revanche, elle avait été appréciée par quelques pensionnaires qu'elle avait aidés au cours de son séjour. Tous, en tout cas, étaient d'accord pour considérer que c'était «un sacré caractère.» Tout au long de ces lignes, Amandine fait un portrait contrasté de l'institution. Elle exagère sans doute un peu mais elle n'a jamais entièrement tort. Je n'ai pas pu savoir grand-chose sur sa vie hormis ce qu'elle a bien voulu écrire. Ne restent d'elle que ces quelques notes qui reflètent bien l'ambiance de ces longs séjours. Dans cet écrit il y a en brut tout ce qui est, à juste titre ou non, ressenti de l'autre côté de la barrière qui nous sépare des pensionnaires. 8
LA DÉCOUVERTE D'UN NOUVEAU MONDE
Le «débudubou» Lundi Il août 2000 de la fm, le «débudu- Ça y est, c'est le commencement bou», comme disait ma cousine. Me voilà en maison de retraite, en fait, en long séjour. Un long séjour c'est une sorte de maison de retraite médicalisée pour vieux ou vieilles qui n'ont plus bien leurs jambes ou leur tête, qui ne peuvent guère se laver et qui, la plupart du temps, se font pipi dessus. Je suis restée chez moi aussi longtemps que j'ai pu, mais à présent, plus rien ne marche. Les yeux vont encore bien, les oreilles, passe encore. Les jambes vont me trahir bientôt. Et je crois bien que mon cerveau commence à se liquéfier. J'oublie, il me semble que je m'échappe parfois dans les espaces interstellaires. Ma dernière demeure, sera donc ce grand bâtiment en briques rouges du début de ce siècle. Moi qui aimais tant les maisons de caractère, me voilà dans des murs que je déteste.
Et cette odeur d'institution, anonyme, qui ne rappelle rien de l'enfance, aucune odeur de ce que j'ai connu. Une odeur à vous figer le cœur. Dans la salle commune, la télé marche en permanence; personne ne la regarde, une pensionnaire peutêtre. Une aide soignante passe, voit tous ces regards en attente; elle éteint le poste. Enfm, un peu de silence. J'ai à peine le temps de respirer qu'une autre fille en blanc passe à son tour, et, automatiquement, allume le poste. Pourquoi? Encore une qui pense qu'avec un peu de bruit on n'entendra pas les coups de l'horloge, celle qui dit oui, celle qui dit non. J'aimerais réécouter Mathilde, une chanson de mi-vie, ce temps où on fait ses dernières bêtises. Après, il paraît qu'on n'a plus le temps d'en faire. Ça veut dire qu'on La sagesse, on appelle est vieux. ça la sagesse. La sagesse c'est quand on baisse les bras. On dit souvent, si jeunesse savait, si vieillesse pouvait. Bêtises! Si on nous soustrayait cinquante ans d'un coup, tout en gardant la même expérience, on ferait probablement les mêmes bêtises. 12