Monographie. Pratique de la chromatographie ionique. Une Introduction



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Monographie Pratique de la chromatographie ionique Une Introduction

Introduction à la pratique de la chromatographie ionique Dipl.-Ing. Claudia Eith Prof. Dr. Maximilian Kolb Prof. Dr. Andreas Seubert Dr. Kai Henning Viehweger (éditeur) Tous droits réservés, y compris de traduction. Imprimé par Metrohm SA, CH-9101 Herisau, Suisse 8.792.5002 2002-11 Introduction à la pratique de la chromatographie ionique 1

Table des matières 1 Les auteurs... 4 2 Introduction... 5 3 Partie théorique... 7 3.1 Histoire et signification de la chromatographie ionique... 7 3.2 Bases théoriques de la chromatographie... 9 3.2.1 Classification et terminologie de la chromatographie... 9 3.2.2 Concepts théoriques de description de la chromatographie... 12 3.3 Principes de base de la chromatographie ionique (CI)... 17 3.3.1 Terminologie et position au sein de la CL... 17 3.3.2 L échange ionique... 18 3.3.3 La formation de paires d ions... 19 3.3.4 L exclusion ionique... 20 3.4 Modèles de rétention de la chromatographie ionique... 21 3.4.1 Modèles de rétention pour la chromatographie d anions... 21 3.4.2 Modèles de rétention pour la chromatographie de cations... 27 3.5 Systèmes de détection en chromatographie ionique... 30 3.5.1 Méthodes de détection électrochimiques... 30 3.5.2 Méthodes de détection spectroscopiques... 35 3.6 Les phases stationnaires en chromatographie ionique... 36 3.6.1 Vue d ensemble sur les phases stationnaires courantes... 36 3.6.2 Les phases stationnaires en chromatographie d anions... 38 3.6.3 Les phases stationnaires en chromatographie de cations... 39 3.6.4 Échangeurs de cations à base de gel de silice... 39 3.6.5 Échangeurs de cations à base de polymères organiques... 40 3.6.6 Échangeurs de cations pelliculaires... 40 3.6.7 Phases stationnaires en chromatographie par exclusion ionique... 40 3.6.8 La signification de la capacité d échangeurs ioniques... 41 3.7 Éluants en chromatographie ionique... 42 3.7.1 Chromatographie d anions... 42 3.7.2 Chromatographie de cations... 45 3.7.2.1 Chromatographie d ions alcalins, alcalino-terreux et ammonium avec détection conductimétrique... 45 3.7.2.2 Chromatographie des ions métalliques de transition et alcalino-terreux avec dérivation post-colonne et détection photométrique... 46 3.7.2.3 Chromatographie par exclusion ionique... 48 2 Monographie Metrohm

4 Partie pratique... 49 4.1 Conseils relatifs aux travaux pratiques... 49 4.2 Expériences relatives à la théorie de la chromatographie ionique... 52 4.2.1 Expérience 1 Chromatographie ionique avec et sans suppression chimique... 52 4.2.2 Expérience 2 Capacité des colonnes de séparation... 56 4.2.3 Expérience 3 Sélectivité des colonnes de séparation... 59 4.2.4 Expérience 4 Calibrage, limites de détection et de détermination en chromatographie ionique... 64 4.2.5 Expérience 5 Variation de la sélectivité à l aide d éthers couronnes (18-couronne-6)... 68 4.2.6 Expérience 6 Variation de la sélectivité à l aide d agents complexants... 71 4.2.7 Expérience 7 Technique de préconcentration... 77 4.3 Expériences pour la détermination des anions... 81 4.3.1 Expérience 8 Anions dans l eau potable... 81 4.3.2 Expérience 9 Anions dans l éthanol et les alcools... 85 4.3.3 Expérience 10 Anions dans la laitue... 92 4.3.4 Expérience 11 Acide phosphorique dans les boissons à base de Cola... 96 4.3.5 Expérience 12 Acides organiques dans le vin... 102 4.3.6 Expérience 13 Contaminations dans le borate détermination du chlorure et du sulfate dans des solutions de borax... 108 4.3.7 Expérience 14 Anions dans les eaux usées... 113 4.3.8 Expérience 15 Fluorure dans des pâtes dentifrices... 119 4.3.9 Expérience 16 Anions dans le sucre blanc et le sucre roux... 123 4.3.10 Expérience 17 Contaminations dans le peroxyde d hydrogène... 129 4.4 Expériences pour la détermination des cations... 136 4.4.1 Expérience 18 Métaux alcalins et alcalino-terreux dans l eau potable... 136 4.4.2 Expérience 19 Détermination de métaux de transition... 140 4.4.3 Expérience 20 Contaminations présentes dans le gel de silice détermination des ions calcium et magnésium... 147 4.4.4 Expérience 21 Cosmétiques et protection contre la corrosion: détermination d éthanolamines et de métaux alcalins... 151 4.4.5 Expérience 22 Métaux alcalins et alcalino-terreux dans le vin... 156 5 Littérature... 160 Introduction à la pratique de la chromatographie ionique 3

1 Les auteurs Claudia Eith Études de chimie à la Fachhochschule d Aalen (Allemagne); semestre pratique dans le domaine de l analyse de l eau potable et des eaux usées à Adélaïde (Australie). Depuis 2000, employée à Metrohm SA dans le département recherche & développement. Maximilian Kolb Études de chimie à l université technique de Munich (Allemagne); doctorat dans le domaine de la catalyse homogène, ensuite cinq années responsable du domaine du traitement des eaux au bureau central de l économie hydraulique de Traunstein. Depuis 1982, Professeur à la Fachhochschule d Aalen; domaine de travail: techniques et analyses relatives à la protection de l environnement et chimiométrie. Andreas Seubert Études de chimie à l université d Hanovre (Allemagne); doctorat obtenu en 1990 sur le thème: «Analyse d ultra-traces dans des métaux réfractaires de très haute pureté utilisant la séparation traces-matrice par chromatographie ionique»; professorat obtenu en 1995 sur le thème: «Applications du couplage on-line HPLC-spectrométrie atomique dans le domaine de l analyse élémentaire». De 1998 à 2000, professeur suppléant dans le département de chimie analytique de l université de l école supérieure générale de Kassel. Depuis mars 2000, professeur de chimie analytique à l université Philipps de Marburg. Kai Henning Viehweger Études de chimie à l université de Hambourg; thèse de diplôme dans le domaine de l analyse organique; doctorat dans le domaine de la recherche de systèmes écologiques marins et estuaires. Depuis 1996, employé à Metrohm SA, dans le département Marketing, en tant que responsable international des ventes de chromatographie ionique. 4 Monographie Metrohm

2 Introduction C est toujours un défi de représenter l abstrait. Les raisons de ce défi peuvent aller de la simple curiosité jusqu à une nécessité élémentaire permettant la survie. Il existe diverses façons de jeter un petit coup d oeil dans les coulisses. Le plus simple est de se servir des sens humains tels que l ouïe, l odorat, le toucher, le goût et la vue. L alchimie, autrefois, a souvent fait usage de ces sens humains. C est la raison pour laquelle on dit que les acides ont une goût acide et que le nom brome provient de «bromos», terme grec pour «puer». Le chrome apparaît à l oeil de façon coloré, car «chroma» correspond d un point de vue historique linguistique au mot couleur. Beaucoup d autres choses ne se montrent pas directement. Elles sont bien mélangées ou les méthodes d analyses sensorielles humaines ne suffisent pas à leur identification. C est le moment où l analyse rentre en jeu. Elle peut, à partir d un mélange indéfini extraire des informations extrêmement précises, pouvant alors être interprétées par les sens humains. Bien que l organisme en contienne beaucoup, ils ne se montrent pas directement aux sens humains; on considère ici les ions et chaque atome ou molécule chargé, faisant partie intégrante de presque toutes les matières vivantes et mortes. Les ions sont responsables du fait que les nerfs conduisent les informations, que la digestion fonctionne, que la pression sanguine soit correcte et que suffisamment d oxygène afflue dans le sang. Les ions amènent le sel à la mer, ils régulent la soif et des composés ioniques servent d alimentation à tous les êtres vivants de la bactérie à l être humain. Le fait de connaître le type et la quantité d ions présents dans l environnement aide à comprendre les processus relationnels biochimiques et écologiques. La connaissance de la concentration ionique dans les produits alimentaires livre des informations quant à leur qualité: si ces derniers sont bons pour la santé ou peut-être toxiques. Il existe de nombreuses possibilités de déterminer des ions, qualitativement selon leur type et quantitativement selon leurs concentrations. Ces deux informations jouent un rôle primordial. La chromatographie ionique est un procédé permettant d obtenir ce genre d informations. Chromatographie signifie littéralement «écrire avec des couleurs». Dans le domaine de l analyse traditionnelle, ceci signifie séparer les substances selon leur couleur, puis les déterminer de manière visuelle. Bien que tous les ions ne soient pas caractérisés par une couleur visible, cette expression est restée. Actuellement, d autres procédés de détermination sont mis en application. La chromatographie ionique fait partie de la grande famille de ces procédés chromatographiques. Grâce à elle si l on part d un principe de présentation fort simple il est possible de déterminer tous les ions portant une charge mono- ou bivalente. Autrefois, la chromatographie ionique ou «CI» (en anglais, IC pour «ion chromatography») était réputée être un procédé très onéreux; ceci a énormément changé, elle est entre temps devenue beaucoup plus abordable. La CI représente aujourd hui un outil analytique universel, extrêmement performant et très facile d emploi. Ce recueil «Introduction à la pratique de la chromatographie ionique» montre que la CI n est plus une méthode analytique élitiste, mais qu elle est au contraire en position de donner une réponse rapide à des questions de la vie de tous les jours: cette eau potable est-elle adaptée à l alimentation des nourrissons? Combien de nitrates se trouvent dans les épinards? Pourquoi la machine à laver le linge est-elle autant chargée de calcaire? Cette eau usée est-elle polluante pour l environnement? Comme il est impensable d évoquer une pratique analytique exacte sans bases théoriques, la présente monographie contient des informations détaillées à ce sujet, dans la partie réservée plus particulièrement à la théorie. Introduction à la pratique de la chromatographie ionique 5

Grâce au recueil «Introduction à la pratique de la chromatographie ionique», il est possible non seulement de prendre connaissance des grandes lignes de la CI, mais également de donner un aperçu des principes généraux de la chromatographie. Et celle-ci permet beaucoup de choses: elle rassasie la curiosité relative aux sciences naturelles et garantie une survie saine dans un environnement relativement pollué. 6 Monographie Metrohm

3 Partie théorique 3.1 Histoire et signification de la chromatographie ionique La chromatographie ionique (CI) ou plus exactement la chromatographie par exclusion ionique débute au milieu du 19 e siècle. Entre 1935 et 1950, les connaissances relatives à l échange ionique et ses applications ont été énormément améliorées grâce au «Projet Manhattan». Les années 50 et 60 ont surtout permis de définir des modèles théoriques permettant l interprétation de l échange ionique ainsi que la compréhension de la chromatographie ionique, fondamentalement basée sur cet échange ionique. Dans les années 70, des détecteurs continus ont été mis en application et ont ainsi permis le passage de la chromatographie à basse pression à la chromatographie à haute pression ou à haute performance (HPLC). Tableau 1 Histoire de l échange ionique et de la chromatographie ionique en résultant Vers 1850 Sols en tant qu échangeur d ions pour Mg 2+, Ca 2+ + et NH 4 Thomson et Way 1935 Polymères condensés sulfonés et aminés Adams, Holmes (phénol/formaldéhyde) 1942 Résine sulfonée PS/DVB en tant qu échangeur d Alelio de cations (projet Manhattan) 1947 Résine aminée PS/DVB en tant qu échangeur d anions McBurney 1953 Chromatographie par exclusion d ions Wheaton, Baumann 1957 Échangeurs ioniques macroporeux Corte, Meyer, Kunin entre autres 1959 Principes de base de compréhension théorique Helfferich 1967-70 Échangeurs d ions pelliculaires Horvath, Kirkland 1975 Chromatographie par exclusion d ions avec détection conductimétrique à l aide d un «stripper» Small, Stevens, Baumann 1979 Détection conductimétrique sans «stripper» Gjerde, Fritz, Schmuckler 1976-80 Chromatographie ionique par paire d ions Waters, Bidlingmeier, Horvath entre autres CL HPLC Le terme «chromatographie ionique» fut introduit en 1975 avec l apparition de la détection conductimétrique en combinaison avec une réduction de conductivité chimique, par Small, Stevens et Bauman; cette expression fut pendant longtemps utilisée à des fins de marketing. Entre temps, le terme abrégé chromatographie ionique s est établi en tant que terme général pour les méthodes de la chromatographie par échange ionique, par exclusion ionique et par paire d ions, à l intérieur de la chromatographie liquide haute performance (HPLC) [1]. De nos jours, c est justement dans le domaine de la détermination des anions que la CI joue un rôle primordial, alors que la détermination des cations est de préférence réalisée à l aide de méthodes spectrométriques atomiques communes. Introduction à la pratique de la chromatographie ionique 7

Le domaine d application de la chromatographie d anions se situe aujourd hui dans le contrôle routinier de systèmes aqueux; l analyse de l eau potable jouant ici un rôle tout particulier [2, 3, 4]. D autre part, la CI est utilisée également pour l analyse d éléments se trouvant sous forme anionique ou complexe et ceci plus particulièrement lors de problèmes dans le cadre de la protection de l environnement. Le troisième domaine d application de la chromatographie ionique est l analyse des ultra-traces dans des produits chimiques de procédés de haute pureté, tels qu ils sont utilisés par exemple dans l industrie des semiconducteurs. Normalement, les échangeurs d anions utilisés en HPLC sont constitués de particules polymères sphériques de diamètre variant entre 5 et 15 µm. Sur la surface polymère sont déposés, à l aide de différents procédés, des groupements faisant fonction d ancre et ayant pour rôle de maintenir un certain espace (spacer) entre la base polymère et les véritables groupes fonctionnels. Ces derniers sont constitués en règle générale d ions ammonium quaternaires, fixés aux groupes ancres de manière chimique. Le nombre total de groupes fonctionnels définit la capacité d échange et représente une caractéristique primordiale des échangeurs ioniques. Les matériaux de remplissage de colonne de chromatographie d anions disponibles dans le commerce sont de faible capacité d échange variant, en règle générale, entre 50 et 100 µmol par colonne de séparation. Cela provient du fait que la détection conductimétrique est utilisée de préférence. Plus la conductivité propre du système d élution est faible, plus la sensibilité atteinte est importante. Les échangeurs d anions de faible capacité permettent l utilisation de solutions à base de NaOH très diluées ou de tampons à base de carbonate, dont la conductivité propre peut encore être réduite de manière chimique (phénomène connu sous le nom de suppression chimique) [2, 4]. De nos jours, dans le domaine de la chromatographie d anions, ce sont la plupart du temps des groupes fonctionnels de type I (triméthyle ammonium, TMA) et type II (diméthyle éthanol ammonium, DMEA) qui sont utilisés. Comme la véritable interaction entre la phase stationnaire et les anions analytes a lieu au niveau du groupe fonctionnel, cela signifie que la structure de ce dernier joue un rôle fondamental quant aux caractéristiques de sélectivité du matériau de remplissage. D après de très récents développements, la polarité des groupes fonctionnels, pouvant être contrôlée par le nombre de groupes de type hydroxyéthyle (-CH 2 CH 2 OH) restants sur l azote quaternaire, est d une importance toute particulière [2, 4]. Le terme chromatographie ionique inclue tous les modes de séparation d espèces ioniques à l intérieur de l HPLC avec détection en ligne et est ainsi largement indépendant des limites posées par les appareillages [5]. Grâce à l importante sélection de colonnes de séparation, de systèmes d élution et de détecteurs, la CI est devenue la méthode de choix, surtout pour l analyse des anions. En effet, il n existe que peu de procédés de séparation des anions. En outre, ceux-ci ne sont que peu adaptés à une application pratique. Les procédés gravimétriques et volumétriques sont limités par leur sensibilité et leur sélectivité. Même les développements fulgurants de la chromatographie gazeuse à partir de 1965 n ont pas apporté les avantages escomptés pour les anions, parce que les ions non volatils doivent tout d abord être dérivés et que la sensibilité n est pas suffisante pour assouvir les exigences actuelles de l analyse des traces [6]. Pour l analyse des cations, il existe des alternatives performantes à la CI, basées sur la spectrométrie atomique, telles que l ICP-AES/MS. Contrairement à l analyse des anions, l analyse chromatographique des cations n est donc pas nécessairement la méthode idéale. La chromatographie de cations possède cependant un certain intérêt dans le domaine de l analyse des alcalins et alcalino-terreux, par exemple pour la détermination de l azote-ammonium, dans le domaine de l analyse des eaux potables. Lors de la spéciation de composés ioniques, la CI en combinaison avec des détecteurs élémentaires spécifiques est indispensable. Les travaux de Haddad et al. et Weiss [2, 4] donnent une bonne vue d ensemble des différentes applications de la CI dans les divers domaines de l analyse. 8 Monographie Metrohm

3.2 Bases théoriques de la chromatographie 3.2.1 Classification et terminologie de la chromatographie La chromatographie est un procédé physico-chimique permettant la séparation de substances en mélange. L effet de séparation est basé sur la distribution de ces substances entre une phase stationnaire et une phase mobile qui se dirige dans une direction définie [7, 8]. Les différentes techniques de la chromatographie sont organisées selon l état physique de ces deux phases: Figure 1 Répartition des méthodes chromatographiques selon l état physique des phases mobiles et stationnaires Une autre différenciation entre les méthodes chromatographiques peut être faite suivant les procédés de base intervenant pendant la séparation, tels que adsorption ou distribution, ou bien selon le type de technique utilisée (sur colonne ou plane) [9]. Paramètres de rétention Si on prend en considération un mélange de substances et que l on impose à ce mélange une séparation chromatographique, on observe pour chaque composé un équilibre de distribution entre la phase mobile et la phase stationnaire. Une séparation de substances n est alors réalisée avec succès que lorsque les coefficients de distribution D des composés diffèrent suffisamment les uns des autres. D est défini comme le rapport des concentrations d une substance A dans la phase stationnaire (index S ) et la phase mobile (index M ): (1) Il en résulte que les substances possédant un coefficient de distribution D élevé sont plus longtemps retenues que celles possédant une faible valeur de D. Le processus de séparation chromatographique est schématisé sous la forme d un chromatogramme, représentant le signal du détecteur en fonction du volume d élution de la phase mobile ou du temps. Le chromatogramme correspond ainsi à un profil de concentration ou de masse en fonction du temps. Le signal du détecteur doit être proportionnel à la concentration d un analyte en fin de processus de séparation [8]. Le temps de résidence ou temps de rétention brut t R d une substance sur la phase stationnaire est obtenu, comme représenté dans l équation 2, en additionnant le temps de rétention net t S (correspondant au temps de résidence réel pendant le processus de séparation) et le temps de passage de la phase mobile sans interaction, le temps mort t M. (2) Introduction à la pratique de la chromatographie ionique 9

À cause de la formation de chemins préférentiels, de la diffusion des composés ou d irrégularités pendant l installation de l équilibre entre phase mobile et phase stationnaire, il est possible que des particules passent la phase stationnaire plus rapidement ou plus lentement qu escompté, par rapport au temps de rétention net t S. C est la raison pour laquelle un chromatogramme n est pas seulement composé de signaux bien pointus mais, dans le cas idéal, de pics gaussiens (voir figure 2). Les processus de diffusion prennent une importance plus particulière sur la phase stationnaire lorsque le temps de résidence augmente. C est pourquoi on observe un élargissement du pic lorsque le temps de rétention de la substance augmente. Ce phénomène est par ailleurs caractéristique de tout procédé chromatographique. Comme mentionné plus haut, un pic de chromatogramme ressemble, dans le cas idéal, à une distribution selon Gauss (figure 3). Figure 2 Chromatogramme d élution d une séparation de chromatographie ionique avec schématisation des grandeurs principales Figure 3 Distribution selon Gauss avec représentation des grandeurs principales 10 Monographie Metrohm

La largeur du pic à mi-hauteur, notée b 0,5, correspond à 2,354 fois l écart-type de la distribution. La largeur de base w est définie comme la distance obtenue entre les deux points d intersection des tangentes aux points d inflexion (à la montée et à la descente) avec l axe x. Cette largeur égale quatre fois l écart-type de la fonction de Gauss. Ces deux grandeurs sont essentielles pour évaluer l efficacité d une colonne de séparation chromatographique et peuvent être utilisées pour le calcul du nombre de plateaux, dans le cas de pic gaussiens. Les pics non idéaux peuvent être décrits à l aide de ce qu on appelle le facteur d asymétrie T. Ce dernier est défini comme le rapport entre les distances A et B entre les verticales centrales et les pentes de distribution à 10% de la hauteur (voir figures 2 et 3) et peut être calculé de la façon suivante: (3) Pour les pics de Gauss, T = 1 car le pic est parfaitement symétrique. Les déviations vers des valeurs T supérieures à 1 sont appelées «tailing» et celles vers des valeurs inférieures sont dénommées «fronting». En pratique, il est préférable d obtenir des facteurs d asymétrie T entre 0,9 et 1,1. Facteur de rétention, sélectivité et résolution Comme le temps de rétention brut t R dépend fortement des conditions chromatographiques, il n est caractéristique d une substance que lorsque ces conditions sont bien définies. Dans ce cas, il est ensuite utilisable pour une identification qualitative. C est la raison pour laquelle on introduit une grandeur sans unité, le facteur de rétention k, qui permet de s affranchir des conditions chromatographiques. Il permet de quantifier le temps de parcours total du composé par rapport au temps passé en contact avec la phase stationnaire [8]. D un point de vue mathématique, le facteur de rétention est défini comme le produit du coefficient de distribution D avec le rapport des volumes V S /V M de la phase stationnaire et la phase mobile. Le facteur de retention peut également être exprimé par le rapport entre temps de rétention net t S et temps mort t M. Un dernier mode de calcul utilise la longueur L du chemin de séparation et la vitesse u de la phase mobile (équation 4). (4) Pour des valeurs faibles de k, une substance est éluée peu de temps après le temps mort, ou dans un volume faiblement supérieur au volume mort du système de chromatographie. La séparation est alors inefficace. Si la valeur de k est très grande, la séparation est correcte mais le temps de résidence sur le chemin de séparation est très important, ce qui entraîne un élargissement du pic. En pratique, le facteur de rétention devrait se trouver entre 2 et 5. Deux analytes sont suffisamment séparées lorsque leurs facteurs de rétention diffèrent suffisamment les uns des autres. La sélectivité α, dénommé également facteur de séparation relatif, donne une information quant au pouvoir de séparation de deux substances et est défini de la manière suivante: (5) S il s avère impossible de séparer deux substances, on a α = 1 et on obtient une coélution. Plus α est grand, meilleure est la séparation. Cependant, la durée de séparation augmente également lorsque α augmente; c est la raison pour laquelle, en pratique, on essaie de se rapprocher le plus possible d une sélectivité α de l ordre de 1,5 [10]. Introduction à la pratique de la chromatographie ionique 11

La sélectivité ne donne aucune information quant à la qualité d un processus de séparation. La résolution R prend en considération non seulement les positions relatives des pics les uns par rapport aux autres, mais également leurs largeurs à mi-hauteur, b 0,5 ainsi que leurs largeurs de base w, comme l indique l équation 6. (6) Si la différence des temps de rétention de deux pics est grande par rapport à leurs largeurs de base, ou leurs largeurs à mi-hauteur, on obtient alors une haute résolution. En supposant une symétrie de pic idéale, il est encore possible d identifier deux substances lorsque R = 0,5. Pour des séparations qualitatives, il est préférable d avoir R = 1 (séparation 4 σ), pour une quantification, il est préférable d avoir une résolution variant de R = 1,2 à 1,5 [25]. Des résolutions de l ordre de R 2 (séparation 8 σ) ne sont pas souhaitables, car elles impliquent des temps d analyse très longs. 3.2.2 Concepts théoriques de description de la chromatographie Le modèle du nombre de plateaux théoriques Le modèle du nombre de plateaux théoriques observé lors de processus de distillation permet également de décrire les séparations chromatographiques [11]. Il sépare la phase stationnaire en plusieurs zones individuelles, appelées étages théoriques ou plateaux. Sur chacun de ces plateaux s installe exactement une fois un équilibre rapide réversible et infini entre phase mobile et phase stationnaire. La performance (efficacité) d un système de chromatographie est caractérisée par le nombre de ces plateaux théoriques. Le nombre de plateaux théoriques N peut être obtenu directement à partir du chromatogramme, en utilisant l écart-type, la largeur de base w ou la largeur de pic à mi-hauteur b 0,5 et peut être calculé de la manière suivante [12]: (7) Il est également possible d utiliser la hauteur équivalente à un plateau théorique, appelée en anglais: HETP (Height Equivalent to a Theoretical Plate) pour décrire la performance de séparation. (8) À partir des équations 5 à 8, on peut déduire qu une phase stationnaire possédant un très grand nombre de plateaux théoriques est encore capable de séparer deux substances l une de l autre même lorsque leurs facteurs de rétention ne diffèrent que très peu l un de l autre, c est à dire même lorsque la sélectivité est proche de 1. Les équations permettent également le calcul du nombre de plateaux théoriques absolument indispensable à la résolution de problèmes de séparation. Le modèle des plateaux théoriques peut également être utilisé pour expliquer l apparition de signaux gaussiens en chromatographie. En effet, les processus de courant et de diffusion ne permettent l obtention que d un état d équilibre rapide fini et incomplet entre la phase mobile et la phase stationnaire. Il en résulte un élargissement des pics car en début du chemin de séparation, les zones de substance étroites deviennent clairement plus larges lorsque le temps de résidence sur la phase stationnaire augmente. 12 Monographie Metrohm

Le calcul du nombre de plateaux théoriques selon l équation 7 est basé sur une forme de pic idéale, rarement rencontrée. Lorsque les pics sont asymétriques, le calcul doit être effectué par l intermédiaire de la méthode des moments [13]. L équation 9 donne, en prenant compte du facteur d asymétrie T, des valeurs proches de la réalité. (9) Le nombre de plateaux effectifs n, se rapprochant de façon plus réelle de la performance de séparation que le nombre de plateaux théoriques N, est corrigé par le facteur de rétention k et peut être calculé de la façon suivante: (10) La théorie dynamique (selon van Deemter) La faiblesse décisive du modèle basé sur les plateaux théoriques réside dans le fait que la distillation et la chromatographie sont deux processus physico-chimiques fondamentalement différents. En outre, certains paramètres importants pourtant expérimentalement accessibles ne sont pas pris en compte alors qu ils peuvent affecter le type ou la qualité de la phase stationnaire elle-même [14, 15]. Ces derniers pourraient être: Vitesse de débit de la phase mobile Diamètre des particules de la phase stationnaire Épaisseur de couche des films de surface sur le matériau En plus, des grandeurs telles que les coefficients de diffusion dans les phases mobile et stationnaire, la température ou le volume du détecteur jouent un rôle fondamental sur la performance de séparation en chromatographie liquide. La théorie dynamique développée par van Deemter est basée sur le modèle des plateaux théoriques, mais prend en considération les conditions limitantes non idéales [16]. Les hypothèses suivantes sont faites: Pas d établissement spontané et non entravé des équilibres Transport des masses retardé dans les phases mobile et stationnaire Pas de débit homogène de la phase mobile sur une section de colonne Apparition de diffusion et formation de canaux préférentiels dans la phase stationnaire Diffusion longitudinale indépendante de la vitesse de la phase mobile et directement proportionnelle au temps de résidence sur le chemin de séparation La relation entre les effets dynamiques cités et la hauteur des plateaux théoriques est exprimée dans l équation de van Deemter. (11) Les trois termes A, B à C dépendent de façon différente de la vitesse de débit u de la phase mobile. Les termes A et B décrivent le transport de masse complet à travers la phase stationnaire, tandis que le terme C est déterminé par des interférences lors de l établissement de l équilibre entre la phase mobile et la phase stationnaire. Introduction à la pratique de la chromatographie ionique 13

Le terme A décrit la diffusion turbulente, pouvant être assimilée à un élargissement de pic à cause d un effet multi-chemins. Ce terme est aussi connu sous le nom de «facteur matériau» et est indépendant de la vitesse de débit linéaire u de la phase mobile, ceci en première approximation. La relation suivante s applique pour le terme A: A = 2 λ d P (12) Dans l équation (12), d p est le diamètre moyen de particule dans la phase stationnaire, λ représente l irrégularité statistique du matériau, devant être idéalement le plus homogène possible et formé de particules toutes identiques. Le terme B décrit la diffusion longitudinale à co-courant ou à contre-courant de la phase mobile. Il prend une importance toute particulière lors de l utilisation de colonnes capillaires en chromatographie gazeuse (CG), car les coefficients de diffusion dans les gaz sont de 4 à 5 ordres de grandeurs supérieurs aux coefficients de diffusion dans les liquides. B est calculé comme le produit entre les coefficients de diffusion dans la phase mobile D M et le facteur labyrinthe γ, lequel décrit la porosité de la phase stationnaire. B = 2 γ D M (13) Comme l importance de la diffusion diminue avec une augmentation de la vitesse de débit de la phase mobile, B est inversement proportionnel à u. Le terme C décrit le transfert de masse. Le transfert de masse ralenti entre phase mobile et phase stationnaire influe énormément sur l élargissement des pics. Les interférences d établissement d équilibre entre phase mobile et stationnaire deviennent de plus en plus grandes lorsque u augmente; c est la raison pour laquelle il y a une directe proportionnalité à la vitesse de débit linéaire. Les retards de transfert de masse résultent des faibles valeurs des coefficients de diffusion D S dans la phase stationnaire comparativement à la phase mobile. C est la raison pour laquelle des particules profondément incluses dans les pores de la phase stationnaire restent derrière le maximum du pic, lequel avance avec la phase mobile. La terme C peut être réduit de manière remarquable, grâce à de courts chemins de diffusion et des procédés d échange rapides. Ceci peut être réalisé à l aide d une localisation des pores essentiellement en surface. Peu de particules parviennent alors à atteindre le coeur de la phase stationnaire. Le terme de transfert de masse C est calculé de la manière suivante: (14) La représentation graphique de l équation de van Deemter est une courbe hyperbolique dont le minimum correspond au débit u opt pour une hauteur de plateau minimale (nombre de plateaux théoriques maximal) (figure 4). Figure 4 Représentation des termes individuels à partir de la théorie de van Deemter avec la courbe qui en résulte, faisant apparaître le débit optimal u opt 14 Monographie Metrohm

Même la théorie dynamique est finalement basée sur des conditions idéales. En réalité, les trois termes A, B et C ne sont indépendants les uns des autres qu en première approximation; il existe un effet supplémentaire de la vitesse de débit u sur la diffusion turbulente (en anglais: eddy diffusion, terme A). Le terme C peut être scindé en deux termes C M et C S, décrivant respectivement le transfert de masse de la phase mobile vers la phase stationnaire (C M ) et inversement. C est ainsi que l équation originale de van Deemter a été modifiée lors de nombreuses applications en HPLC, GC et TLC (thin-layer chromatography = chromatographie en couche mince CCM) [17, 18]. Chromatographie liquide moderne (CL) Le terme chromatographie liquide, en anglais «liquid chromatography» (LC) est un terme général pour de nombreux procédés de séparation de chromatographie liquide. Cette méthode peut être utilisée pour les classes de substances les plus diverses et se caractérise par sa performance analytique excellente. C est probablement aujourd hui la méthode de séparation la plus importante dans la chimie analytique moderne [3]. La chromatographie ionique (CI) représente une partie de la chromatographie liquide. L HPLC représente l un des développements de la chromatographie liquide classique (CL). La CL classique, introduite par Tswett en 1906, utilise des colonnes de verre de diamètre variant entre 1 et 5 cm et de longueur maximale 500 cm, remplies de phase de séparation avec des tailles de particules allant de 150 à 200 µm. Même les séparations de mélanges de matières simples duraient souvent plusieurs heures et disposaient de performance de séparation médiocre. Grâce à une compréhension croissante de la chromatographie (voir équation 11), il est rapidement apparu qu une augmentation de performance était possible uniquement grâce à une importante réduction du diamètre des particules de la phase stationnaire. Cependant, cela posait de toutes nouvelles exigences quant aux équipements de chromatographie. Depuis environ 1970, une technique d appareillage spéciale et beaucoup plus performante est à notre disposition. Elle est en mesure de supporter des pressions retours élevées variant de 10 à 50 MPa pouvant être obtenues lors de l utilisation de matériaux possédant un diamètre allant de 3 à 10 µm et de colonnes de séparation de longueur 125 à 250 mm x 4 mm DI. Grâce à l importante miniaturisation, l HPLC est devenue une méthode de séparation uniquement analytique, alors que la CL classique n est utilisée à l heure actuelle qu à des buts préparatifs. Les avantages de l HPLC comparativement à la CL classique sont avant tout les suivants: Efficacité chromatographique excellente Travail continu Détection en ligne des substances séparées Haute sensibilité et reproductibilité Utilisation des temps de rétention pour une identification qualitative des matières Durées d analyse courtes Quel que soit le domaine d application, un système HPLC est constitué en règle générale des éléments représentés dans la figure 5: pompe haute performance avec réservoir pour la phase mobile (éluant), injecteur (introduction de l échantillon), colonne de séparation et système de détection (y compris dérivation, enregistrement et traitement des données): Introduction à la pratique de la chromatographie ionique 15

Figure 5 Schéma d un système HPLC respectivement IC avec les principaux éléments La pompe est, avec la colonne de séparation, le cœur de tout système HPLC. Elle doit être en mesure de délivrer l éluant de manière constante et sans pulsation même lors de fortes pressions. Ces dernières impliquent l utilisation d une valve d injection à boucle spéciale pour l introduction des échantillons. On utilise normalement une valve à six voies, capable de prendre un volume d échantillon défini à l aide d une boucle sous pression normale et de transporter ce dernier dans un système HPLC haute pression. La composition de la phase mobile doit être adaptée au type de colonne de séparation, mais aussi au problème analytique. Ceci est également valable pour le choix du système de détection. L enregistrement et le traitement des données sont réalisés de nos jours pratiquement exclusivement par ordinateur. Suivant le problème posé, il est possible de compléter, au choix, ce système d appareillage HPLC de base. Principes de séparation dans la CL L HPLC se décline en plusieurs groupes, suivant les échanges physico-chimiques entre les substances de l échantillon et la phase stationnaire. Bien que plusieurs mécanismes soient responsables d une séparation réussie [9], il est possible de réaliser une classification grossière selon les mécanismes de séparation suivants: Adsorption Distribution Exclusion par taille Affinité Échange ionique Formation de paire d ions Exclusion ionique La chromatographie par adsorption est définie par des réactions aux surfaces limites, pendant lesquelles des matières liquides ou gazeuses se trouvent concentrées sur une phase solide. Plusieurs modèles décrivant les processus d adsorption de manière qualitative et quantitative existent, bien que on ne se réfère ici quasiment qu à une littérature de chimie physique [19]. En pratique, on distingue deux tech- 16 Monographie Metrohm

niques de réalisation. Dans la chromatographie en phase normale, la phase stationnaire est généralement un gel de silice et donc beaucoup plus polaire que la phase mobile (hydrures de carbone). En chromatographie en phase inverse (en anglais: Reversed Phase Chromatography, RPC), les rapports sont également inversés. Essentiellement pour des raisons de manipulation des éluants, on ne travaille aujourd hui pratiquement plus qu avec la RPC [3, 9]. Dans la chromatographie par distribution, la phase stationnaire est constituée d un liquide non miscible avec la phase mobile. La séparation est basée sur la différence de solubilité des différents analytes dans les deux phases. Dans la cas idéal, la loi de distribution de Nernst est valable. Ce mécanisme de séparation joue un rôle important surtout dans la chromatographie gazeuse, lorsque l on utilise des capillaires recouverts de liquides de séparation comme phase stationnaire. La chromatographie par distribution trouve également sa place en HPLC lorsque des gels de silice modifiés avec des hydrures de carbone non polaires, comme par exemple les phases octadécyle, sont utilisées comme matériaux de support. La chromatographie par exclusion de taille (en anglais: Size Exclusion Chromatography, SEC) permet une séparation selon la taille des molécules par un effet tamis. Des gels de silice ou des résines polymères organiques à structure de pore définie sont utilisés comme phase stationnaire. Les plus petits analytes peuvent diffuser dans les pores et sont retenus. Lorsque la taille des molécules augmente, une interaction avec les pores devient de plus en plus difficile, jusqu à ce qu une exclusion ait lieu à partir d une certaine taille de molécule. Ces molécules sont alors pratiquement éluées dans le volume mort. La SEC est surtout utilisée pour l analyse des polymères et la biochimie. La chromatographie par affinité rend possible une séparation de mélanges de substances grâce à des forces d interaction sélectives ou spécifiques. Ce sont surtout dans les domaines des enzymes et de leurs substrats qu on observe des interactions hautement spécifiques, de manière similaire à l interaction entre anticorps et antigènes (principe clé-serrure). En pratique, les enzymes ou anticorps sont immobilisés chimiquement sur une phase stationnaire. Si un substrat ou un antigène correspondant se trouve dans l échantillon, ce dernier est alors retardé avec une extrême sélectivité. C est la raison pour laquelle la chromatographie par bio-affinité est un procédé irremplaçable dans le domaine de la pharmacologie. La chromatographie par échange ionique (CI) divisée en chromatographie par paire d ions et chromatographie par exclusion ionique est traitée plus en détail dans le chapitre suivant. 3.3 Principes de base de la chromatographie ionique (CI) 3.3.1 Terminologie et position à l intérieur de la CL La chromatographie par échange ionique ou chromatographie ionique (CI) représente un sous-groupe de l HPLC. Selon l IUPAC, la chromatographie par échange ionique est définie de la manière suivante [7, 8]: «La séparation en chromatographie par échange ionique est basée sur les différences d affinité d échange ionique des différents analytes. Lorsque des ions inorganiques doivent être séparés et détectés à l aide d un détecteur de conductivité ou par détection UV indirecte, on appelle cela de la chromatographie ionique». Pour diverses raisons, cette définition n est malheureusement que peu satisfaisante. La technique de détection devrait être observée indépendamment du mécanisme de séparation. De plus, la thèse d une restriction du terme chromatographie ionique à des ions inorganiques n est pas du tout plausible, puisqu en pratique, il est souvent possible de déterminer simultanément et d identifier avec un système défini aussi bien des ions organiques qu inorganiques. Introduction à la pratique de la chromatographie ionique 17

Une autre définition plus ancienne de la chromatographie ionique paraît plus appropriée [20]: «La chromatographie ionique regroupe toutes les séparations rapides de chromatographie liquide d ions sur des colonnes en couplage on-line avec un détecteur à cellule continu permettant détection et quantification.» Cette définition caractérise la chromatographie ionique indépendamment du mécanisme de séparation et de détection, mais pose également une limite: celle de l échange ionique classique. Les principes de séparation suivants jouent un rôle en chromatographie ionique: Échange ionique Formation de paire d ions Exclusion ionique Les méthodes chromatographiques sont définies selon le mécanisme de séparation appliqué. La chromatographie par échange d ions est dénommée de nos jours plus simplement chromatographie ionique (CI); la chromatographie par paire d ions (en anglais: IPC, Ion Pair Chromatography) et chromatographie par exclusion ionique (en anglais: IEC, Ion Exclusion Chromatography) jouent le rôle d applications spéciales. 3.3.2 L échange ionique La chromatographie par échange ionique (CI) est basée sur une réaction chimique se déroulant de manière stœchiométrique entre les ions d une solution et une matière solide quelconque portant des groupes fonctionnels et ayant la propriété de fixer des ions grâce à des forces électrostatiques. Dans la chromatographie ionique cationique, les groupes fonctionnels sont, dans le cas le plus simple, des groupes d acide sulfoniques et dans la chromatographie ionique anionique, des groupes ammonium quaternaires. En principe, il est possible que des ions chargés identiquement puissent être échangés de façon réversible entre les deux phases. Les processus d échange ionique atteignent alors un état d équilibre. L affinité des ions concernés avec les groupes fonctionnels de la phase stationnaire va imposer le côté dans lequel l équilibre va prendre place. La figure 6 montre schématiquement les processus ayant lieu lors de l échange de cations et d anions. Les ions analytes, qui sont en concurrence avec les ions éluants E, sont dénommés par la lettre A. Figure 6 Représentation schématique du processus d échange ionique dans la chromatographie ionique. A gauche: échange de cations, à droite: échange d anions 18 Monographie Metrohm

Aspects thermodynamiques du processus d échange ionique Les échangeurs ioniques sont normalement constitués de phases solides sur lesquelles des groupes ioniques sont fixés en surface. En raison des conditions d électroneutralité, un contre-ion se trouve toujours à proximité des groupes fonctionnels. Le contre-ion provient en principe de la phase mobile et est pour cette raison appelé ion éluant. Si on introduit un échantillon comportant deux ions analytes A et B, ces derniers prennent alors pour un court instant la place des ions éluant E et sont retenus à la charge fixée, jusqu à ce qu ils soient de nouveau échangés de leur côté, par un ion éluant. Pour la chromatographie ionique anionique, on a alors les équilibres réversibles suivants: Résine - N + R 3 E + A Résine - N + R 3 A + E (15) Résine - N + R 3 E + B Résine - N + R 3 B + E (16) Grâce aux affinités différentes de A et B vis à vis des groupes fonctionnels, il est possible de réaliser une séparation des composés. La constante d équilibre K est également appelée coefficient de sélectivité et se calcule pour l anion A, de la façon suivante: (17) Si on suppose que la concentration des ions éluants est très largement supérieure à celle des ions analytes, on peut considérer [E ] constant dans la phase mobile comme dans la phase stationnaire. On peut ainsi calculer le coefficient de distribution D A (équation 1) et le facteur de rétention k A (équation 4). Théoriquement, de tels calculs ne sont permis que lorsque les concentrations dans l équation 17 correspondent aux activités; cependant cela n est vrai que dans le cas de dilutions infinies [19]. Les activités des ions dans la phase stationnaire sont en principe inaccessibles [4]. On considère les activités comme négligeables dans le cas des échangeurs ioniques de faibles capacités (les plus souvent utilisés) car ils ne peuvent être utilisés qu avec des phases mobiles composées d électrolytes très dilués. Cette simplification n est plus valable ni pour les matériaux de forte capacité (>200 mmol/g), ni pour les éluants concentrés. Ces derniers montrent un comportement déviant fortement du comportement «idéal». 3.3.3 La formation de paires d ions La chromatographie par paire d ions permet de séparer les mêmes analytes que la chromatographie par échange d ions. Le mécanisme de séparation est cependant totalement différent. Les matériaux à phase inverse complètement apolaires, connus de la chromatographie par distribution, sont utilisés comme phases stationnaires. Un réactif de paire d ions constitué de tensioactifs anioniques ou cationiques (sels tétra alkyle ammonium ou acides n-alkyle sulfoniques) est ajouté à l éluant. Les réactifs à formation de paire d ions forment avec les ions analytes de charge opposée une paire d ions non chargée, qui peut être retenue sur la phase stationnaire grâce à des interactions hydrophobes. En raison des constantes de formation des paires d ions et de leurs adsorption plus ou moins forte, il est possible d effectuer une séparation. La figure 7 montre de manière simplifiée un modèle statique d échange ionique, où l on considère que c est seulement après une adsorption du réactif à formation de paire d ions sur la phase stationnaire qu une interaction avec l analyte a lieu. Introduction à la pratique de la chromatographie ionique 19

Figure 7 Représentation schématique du modèle d échange ionique statique en chromatographie par paire d ions (IPC). Le principe de séparation est valable aussi bien pour les anions que pour les cations. 3.3.4 L exclusion ionique La chromatographie par exclusion ionique (en anglais: IEC, Ion Exclusion Chromatography) permet avant tout la séparation d acides ou de bases faibles [2, 4]. L IEC joue un rôle important lors de la détermination d acides faibles tels que les acides carboxyliques, les hydrures de carbone, les phénols ou les acides aminés. La figure 8 montre le principe de séparation de l IEC, avec l exemple d un acide carboxylique R COOH. Figure 8 L exclusion selon Donnan comme principe de séparation dans la chromatographie par exclusion ionique (IEC) En IEC, on utilise souvent un échangeur de cations complètement sulfoné, dont les groupes acides sulfoniques sont électriquement neutres grâce aux protons jouant le rôle de contre-ions. Dans les éluants aqueux, les groupes fonctionnels sont hydratés. L enveloppe hydratée est limitée par une membrane imaginaire chargée négativement (membrane Donnan). Cette dernière n est perméable que pour les molécules non chargées et non dissociées, telles que les molécules d eau. Les acides carboxyliques organiques peuvent être séparés lorsque des acides minéraux forts (tels que l acide sulfurique) sont utilisés comme phase mobile. Les acides carboxyliques faibles ont des constantes d acidité (valeurs pk a ) faibles et se trouvent donc sous une forme pratiquement non dissociée dans un éluant fortement acide. Ils peuvent alors traverser la membrane Donnan et être adsorbés sur la phase stationnaire, pendant que les ions sulfates de l acide sulfurique complètement dissociés sont exclus. La figure 9 montre une dépendance typique du volume d élution d un acide (de constante pk a ) pour une séparation par exclusion ionique. Des adsorptions superposées (acides carboxyliques à longues chaînes, H 2 S) et les limites du domaine de travail pratique sont faciles à reconnaître. La séparation d acides carboxyliques est réalisée finalement grâce à la différence de leurs valeurs pk a. 20 Monographie Metrohm

Figure 9 Dépendance du volume d élution dans la chromatographie par exclusion ionique de la valeur pk a correspondante de l acide 3.4 Modèles de rétention de la chromatographie ionique Dans le cas idéal, la rétention d un analyte en chromatographie ionique est déterminée par son affinité vis à vis des groupes fonctionnels de l échangeur ionique. Cette affinité peut être décrite par la formulation d une réaction chimique, la réaction de l échange ionique, et peut être expliquée par la loi d action de masse. Les expériences présentées dans les modèles de rétention suivants essaient de donner une prédiction quant au comportement de rétention des analytes sous des conditions chromatographiques particulières. Si les modèles résultant sont capables d expliquer les observations macroscopiques, on peut alors par exemple optimiser un système d élution en vue d un problème de séparation particulier. 3.4.1 Modèles de rétention pour la chromatographie d anions Les observations suivantes prennent tout d abord en considération uniquement le mécanisme de chromatographie ionique le plus simple: le déplacement isoionique. L exemple concret est basé sur la chromatographie d anions, mais des observations identiques sont également observées pour la chromatographie de cations. Lorsqu un d agent complexant est ajouté à l éluant, il faut davantage développer le modèle de rétention. Ceci est décrit de manière plus détaillée dans le paragraphe «Modèle de rétention pour l élution en présence d agents complexants» (chapitre 3.4.2). Modèles de rétention pour éluants avec un anion Si on suppose que l électroneutralité est vérifiée, l approche la plus simple est celle où un seul ion éluant E y rentre en compétition avec un ion analyte A x pour un groupe fonctionnel de la phase stationnaire [4]. La concentration des anions éluants E y est alors constante dans le temps (élution isocratique). Les sites d échange de la colonne de séparation de capacité Q sont, en début du processus chromatographique, occupées par des anions éluants E y. Si un échantillon comportant l anion analyte A x est introduit, on observe alors entre phase stationnaire (index S ) et phase mobile (index M ) l installation de l équilibre suivant: x y x y y A M + x E S y A S + x E M (18) Introduction à la pratique de la chromatographie ionique 21