II. Des Juifs dans la Résistance



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Transcription:

II. Des Juifs dans la Résistance Témoignage Les origines, les motivations, l action et les destins des combattants juifs (parmi d autres immigrés) de la 35 e Brigade FTP-MOI de Marcel Langer, Toulouse 1942-1944 par Marc Brafman le plus important c est de préserver la mémoire, d empêcher que l hypocrisie, l indifférence, la lâcheté et le temps qui passe ne nous fasse sombrer dans l oubli Costa-Gavras La 35 e Brigade FTP-MOI de Toulouse occupe une place toute particulière parmi les organisations combattantes de la Résistance. Son activité et son existence même, fut pendant longtemps oubliée et occultée dans l histoire de la résistance au nazisme. Pour tirer son existence de l oubli il a fallu attendre 1970, l année de la parution de l ouvrage de Claude Lévy au titre évocateur. Les parias de la Résistance (aux éditions Calmann-Lévy). Est venue ensuite en 1992, une étude historique de Jean-Yves Boursier, La guerre de partisans dans le Sud-

80 DES JUIFS DANS LA RÉSISTANCE Ouest de la France, 1942-1944. La 35 e Brigade FTP-MOI (aux éditions de L Harmattan). Son intérêt principal est de remettre enfin les pendules à l heure. L analyse micro-historique de Jean-Yves Boursier englobe nos origines, nos motivations et nos comportements dans l environnement de l époque. Sa vision au ras du sol des événements décrits, restitue bien la façon avec laquelle nous avons réussi ou non de nous débrouiller dans les situations avec lesquelles nous nous sommes trouvés confrontés. L approche utilisée n a pas figé l histoire de la Brigade, au contraire elle a réussi à lui restituer sa dynamique, qui fut permanente. Ce réveil de notre mémoire a continué par un film de Mosco au titre significatif, Ni travail, ni famille, ni patrie. Journal d une Brigade FTP-MOI, Toulouse 1942-1944, projeté sur Arte le 18 décembre 1993. Il constitue, selon l historien Daniel Cordier, l exsecrétaire et biographe de Jean Moulin : une vraie leçon de télévision. Quant à Françoise Giroud : Mosco a admirablement retracé leur histoire, tragique entre toutes, belle, triste et violente. Vint enfin, en 1994, le livre de Gérard de Verbizier (aux éditions Calmann-Lévy) portant le même titre que le film de Mosco et constituant la transcription de tous les propos des témoins survivants de la Brigade, tenus au moment du tournage du film. L histoire de ces parias de la Résistance est celle d un groupe d hommes et de femmes qui ont composé une unité, sans doute la plus singulière, de combat contre le nazisme et le régime collaborateur de Vichy. Force de paradoxe, c est un rapport de police du commissaire Gillard qui reflète le mieux, dans son langage administrativement dépouillé, et donne toute la mesure des actions accomplies par la Brigade et laisse, à sa façon, transparaître l ampleur de son dispositif militaire et la détermination de ses combattants. Le caractère atypique de la Brigade, ce sont les itinéraires spécifiques de ses cadres dirigeants, l extrême jeunesse de ses combattants, et sa composition multinationale et sociale. Tous ces lycéens, étudiants, ouvriers, fils d agriculteurs, ou révolutionnaires patentés et militants chevronnés, d origines italienne, espagnole, polonaise, Juifs polonais, roumains ou hongrois, et même quelques Français, avaient tous un compte à régler avec le nazisme et ses auxiliaires. Le procureur général de Vichy, Pierre-Félix Lespinasse l a bien compris dans sa conclusion de la réquisition de la peine de mort contre Mendel Langer, le fondateur de la Brigade, arrêté le 5 février 1943 : Vous êtes juif, polonais, communiste. Trois motifs pour moi de demander votre tête. Il reste également vrai qu il fut condamné à son tour par la Brigade à la même peine et que cette sentence fut exécutée environ trois mois après que Langer ait été guillotiné le 23 juillet 1943 à la prison Saint-Michel de Toulouse.

FTP-FFI 81 Mais revenons à la Brigade. Comment la réunion de tous ces jeunes gens dans cette unité s est réalisée? Le facteur déterminant c est la position géographique de Toulouse, carrefour des immigrations et des itinéraires de réfugiés. Dans la période d entre les deux guerres, et ceci à partir de 1926, près de 50 000 Italiens ont immigré dans les trois départements ruraux du Lot-et-Garonne, du Tarn-et-Garonne et du Gers. La Gascogne, rendue exsangue par la guerre de 14-18, manquait de bras tandis que les campagnes italiennes en regorgeaient. Ce fut le cas des familles d agriculteurs, comme les Titonel, les Zanel, les Godéas, les Cisilin, les Busighin, les Lesizza, ou d ouvriers, comme les Tonelli, les Masini, les Lorenzi. Toutes ces familles ont donné de nombreux partisans à la Brigade dont le plus illustre entre tous Enzo Lorenzi, Robert. A lui seul, il a accompli plus de 90 actions, parmi les plus audacieuses et les plus difficiles effectuées par cette unité. Parmi d autres ayant également combattu à Toulouse citons : Rosine Bet, Enzo Godeas, Damira Titonel et Nuncio Titonel. Dans les mêmes années, le mot mineur, et plus particulièrement dans le cas du mineur de fond, s identifie quasiment avec le mot Polonais. En fait, il existait de véritables îlots polonais au milieu des campagnes françaises, localisés près de différents bassins miniers. C était le cas dans le bassin minier du Tarn, à Carmaux, à Blaye-les-mines, à Saint-Benoit, à Albi et à Cagnac-les-Mines. Les premiers partisans de cette origine furent organisés par Wladislaw Hamerlak, un ancien des Brigades Internationales d Espagne, âgé à l époque de 45 ans. Leur activité consistait surtout en sabotages des installations minières, mais également en récupération permanente d explosifs pour permettre à la Brigade de réaliser ses sabotages à Toulouse et dans sa région. L action de plus grand éclat fut celle du mois de janvier 1944, dans laquelle la Brigade s est emparée de près de deux tonnes d explosifs avec une grande quantité de détonateurs et de cordons Bickfford à la poudrière des mines de plomb de Peyrebrune. A ces deux communautés des immigrés sédentaires, s ajoutent à la fin de la guerre d Espagne de très nombreux réfugiés républicains espagnols. Ceux parmi eux qui ne sont pas restés enfermés dans les camps d internement, ont été groupés pour la plupart dans les départements pyrénéens frontaliers de l Espagne. Leur objectif final fut toujours la reconquête de l Espagne et en conséquence c est cette stratégie qui a structuré le mode de fonctionnement de ces guérilleros relevant surtout de la conception du maquis-refuge, la plupart du temps camouflé en exploitations forestières des coupes de bois. Pendant plusieurs mois ils constituaient également un important vivier des combattants de la Brigade. Par la suite ils furent regroupés pour l opéra-

82 DES JUIFS DANS LA RÉSISTANCE tion Reconquista de España. Leur principale tentative de cette reconquête a eu lieu en septembre-octobre 1944 dans le Val d Aran. Elle se solda par un terrible échec tant militaire que politique. Claude Urman, président de l Amicale de la 35 e Brigade, a souligné avec justesse, au cours du congrès des guérilleros à Montauban, en avril 1989, que si l histoire des FTP-MOI a été occultée, la passion des guérilleros a été, en toute simplicité, ignorée Entre les années 1940 et 1942, Toulouse fut l ultime refuge pour de très nombreux Juifs originaires de l Europe Centrale ou d origine française. Evidemment leur séjour dans cette ville à cette époque est parsemé de répressions de toutes sortes, allant d assignation dans un lieu de résidence surveillée, ou d internement par exemple dans le camp de Noé, pour aboutir aux déportations de 1942. La défaite à peine consommée, le nouveau régime français à peine installé, c est l engagement dans la voie de l antisémitisme d Etat. Dès juillet 1940 on institue la révision des naturalisations accordées et on promulgue, en octobre, le fameux Statut des Juifs. Les Juifs étrangers sont raflés par les autorités de Vichy depuis mai 1941 en zone allemande et depuis août 1942 en zone non occupée. Leur destination : la déportation vers les camps d extermination. C est dans cette France-là, où une partie de la population, désignée sur des critères exclusivement raciaux, exclue pour cette raison de la communauté nationale et menacée alors d une destruction totale, que s établissent les itinéraires de plusieurs jeunes Juifs les menant vers le combat dans le rang des FTP-MOI à Toulouse. Leurs pérégrinations dont le but est d échapper aux persécutions aboutissent dans cette ville, où leur engagement les rassemblera dans la Brigade. Cet engagement fut, selon leurs propres dires, comme une délivrance : de gibier, ils sont devenus des chasseurs ; au lieu d être des clandestins traqués, ce sont eux qui se sont mis à traquer les oppresseurs. Ce fut le cas de Judith Haytin Catherine, lycéenne, de nationalité française, d origine bessarabienne, devenue responsable régionale aux effectifs et une des rares femmes à commander ensuite une formation militaire au combat, au moment du débarquement dans la région de Verdun. C est également le cas d Emile Jakubowicz Emile, d origine polonaise. Ses parents, son petit frère et sa petite sœur victimes de la rafle du Vel d Hiv, le 16 juillet 1942, périront à Auschwitz. Emile rejoint la 35 e Brigade en juin 1943, où il organise avec François Alonso, un Français d origine espagnole, un groupe de sabotage à la gare du triage Raynal. Il commande également le détachement de combat de Toulouse jusqu à sa mutation à Agen.

FTP-FFI 83 C est aussi le cas de Marc Brafman Léon, d origine polonaise, venu en France en 1937 pour y poursuivre ses études de chimie à la Sorbonne. A Toulouse, après une tentative de passage des Pyrénées pour rallier Londres, il rejoint, grâce à Zeff Gottesman Philippe, la Brigade. Il y combat dans le détachement de Toulouse, dont il prend le commandement après la mutation d Emile. Arrêté au début d avril 1944 avec Damira Titonel, il est déporté dans le train fantôme. Repris après une tentative d évasion en Haute-Marne, il arrive à Dachau, où un prêtre polonais le fait passer pour un Polonais non-juif. Pour d autres, l itinéraire passe par le sionisme et les camps des Eclaireurs Israélites de France. Leur volonté de combat direct les amènent grâce à des rencontres diverses à la Brigade. C était déjà le cas de Judith Heytin. C est également le cas des frères Levy, Claude et Raymond Claude et Jeannot, Juifs français dont les parents, les oncles, les tantes, les petits cousins et les petites cousines, arrêtés par les miliciens français, périront en déportation. Eux-mêmes seront par la suite partie prenante des actions les plus audacieuses. Dans le même groupe il faut compter Emile Wajda, juif hongrois, Jacques Kramkimel Daniel, Juif polonais, Henri Gorans Jean-Marie, Juif polonais et quelques autres. D autres, comme Paulette Urman, originaire d une famille de la bourgeoisie juive de Varsovie, Simondy Axel, Armand Hertz, Ladislas Mandel, Juifs hongrois, ou Michel Grilikhes, Juif polonais et Boris Frenkel, Juif français, ont rejoint la Brigade par d autres cheminements encore. Mais Toulouse s est avérée être également la ville refuge d un important noyau de communistes d une qualité très particulière, car déjà expérimentés dans le militantisme clandestin et le combat armé en Espagne pour une grande majorité d entre eux. C étaient des internationalistes invétérés et des antifascistes viscéraux. Ce sont eux, des Juifs d origines polonaise, roumaine ou hongroise, des Espagnols et des Polonais, qui se sont retrouvés et rassemblés à Toulouse sous la forme d une petite internationale clandestine pour créer, sur consigne du Parti, le noyau fondateur de la 35 e Brigade FTP-MOI. Leurs noms : Mendel Langer, Jacob Insel, Joseph Wachspress, Abraham Mittelman, Zeff Gottesman, José Linares-Diaz, Wladislaw Hamerlak, Stefan Barsony, Luis Fernandez, Schimmel Gold (dit Sevek Michalak). En février 1943, après l arrestation de Langer, les trois dirigeants inter-régionaux FTP-MOI étaient : Jan Gerhard Jean, intermilitaire ; Jacob Insel Jacques, interpolitique ; et Schimmel Gold Charles intertechnique.

84 DES JUIFS DANS LA RÉSISTANCE Tous ces choix, à l exception de celui de Jan Gerhard, ont comme raisons leur expérience politique éprouvée, leur connaissance de la vie clandestine dans les villes, leur connaissance de la lutte armée acquise pendant la guerre d Espagne et même leur expérience de la lutte urbaine au cours des affrontements avec la police britannique pour ceux qui ont fait un séjour en Palestine, et ils furent quelques uns dans ce cas. Le personnage le plus pittoresque parmi eux fut, sans contestation possible, Schimmel Gold Charles, petit homme râblé, plein d énergie, détenteur d un long stage de militant clandestin au PC polonais et ensuite combattant en Espagne, comme Marcel Langer, dans la Brigade Dombrowski, faisant partie de la 35 e Division, commandée par le général Walter Swierczewski. C est en référence à cette division que l unité FTP-MOI de Toulouse fut baptisée 35 e Brigade. La langue parlée de Charles étant internationale à son origine se trouvait le polonais et le yiddish, auxquels se sont rajoutés l allemand, l espagnol et le français, appris au cours de son mouvementé itinéraire de combat international. Son talent de bricoleur lui a valu de devenir l artificier de la brigade avec un véritable atelier-arsenal pour ses activités nocturnes, et le tout était camouflé par un alibi, c était l exploitation d un jardin potager et l élevage des lapins pour son activité officielle diurne. Selon ses propres dires pendant la journée il était jardinier et pendant la nuit il devenait bombier. Arrêté début avril 1944, c est lui qui est un des organisateurs de l évasion de plusieurs brigadistes du train de leur déportation, appelé le train fantôme, lequel part de Toulouse le 2 juillet 1944 pour arriver à Dachau le 28 août suivant. Cette évasion fut rendue possible par l enlèvement du plancher du wagon pour pouvoir sauter du train en marche. En réalité, on s est rendu rapidement à l évidence que l expérience militaire d Espagne ne pouvait aucunement servir dans l organisation de la guérilla urbaine. Pour Toulouse et sa région, les faits indiquent clairement que l activité militaire la plus intense de la Brigade a été déployée sous la direction de Jan Gerhard, âgé de 22 ans à l époque, devenu son grand stratège et d Enzo Lorenzi, 20 ans en 1943, qui très rapidement est devenu le meilleur commandant et le meilleur combattant sur le terrain. Enzo Lorenzi est d ailleurs sans aucun doute le dirigeant de la 35 e Brigade le plus méconnu et pourtant c est sûrement un des plus méritants. Wiktor Bardach, dit Jan Gerhard, Juif polonais, fut un combattant à l itinéraire exceptionnel tout d abord par le rapport entre l âge du personnage et ses responsabilités. Il devient le commandant de la plus importante unité FTP-MOI à 22 ans. Son commandement s exerce sur huit départements à caractère stratégique très important. A ce niveau, il est beaucoup plus fréquent de trouver des vieux routiers qui

FTP-FFI 85 sont passés par l Espagne ou par d autres lieux d épreuve, comme son prédécesseur, Mendel Langer. Rien ne laisse également supposer un quelconque lien de Jan Gerhard avec le mouvement communiste international avant la guerre. Ses seules références sont ses capacités militaires d élève-officier, combattant de 1940 dans l armée polonaise créée en France. Or il prend le commandement de la brigade en février 1943 après l arrestation de Marcel Langer. C est lui qui forgera véritablement cette unité, allant très fréquemment sur le terrain, rencontrant sans cesse les combattants et préparant très minutieusement les opérations. Sans Jan Gerhard, la Brigade n existerait pas dans l état où elle a prospéré. C est lui qui a insufflé son esprit de combat continu et sa discipline. C est lui qui a créé son excellent service de renseignement avec ses filles d exception, comme (rien que pour la ville de Toulouse) : Rosine Bet, Odette Cayla, Sophie Hamerlak, Osna Kogan, Rachel Perelman, Charlotte Poll, Frida Rubinstein et Damira Titonel. Mais ce qui est le plus caractéristique et constitue un cas pratiquement unique pour cette Brigade, c est la constitution par Gerhard d un véritable stock d archives. Ce sont des véritables archives d une unité militaire et sur toute la période de son commandement (février 1943 à mars 1944). Les combattants ont leurs promotions, citations ou blâmes. Elles contiennent des analyses politico-militaires sur la situation générale, les situations locales dans les huit départements d activité de la Brigade et sur les actions à entreprendre ou déjà entreprises. Cette fonction traditionnelle pour un Etat-major d une armée et relevant de son travail habituel, reste vraiment exceptionnelle pour une unité de partisans, formation irrégulière par définition. A la fin de la guerre Gerhard rentre en Pologne à la tête des bataillons polonais formés en France. Il y devient colonel dans son armée populaire et entre 1948 et 1950 est envoyé à l Académie militaire de Moscou, avec la perspective d être rapidement promu général. Mais, au lieu de la promotion attendue, il est arrêté le 29 septembre 1952 et accusé d être un agent français. Libéré et réhabilité en 1954, il devient correspondant de l agence PAP à Paris et ensuite directeur de la revue Forum, écrivain et même responsable de l Union des Ecrivains. Il est enfin élu en 1970 comme député au Parlement. Il meurt le 20 août 1971, sauvagement assassiné dans son appartement, victime d un crime crapuleux. Pour nous les survivants de la Brigade, il reste une grande figure méconnue de la Résistance FTP-MOI en France. Aucun de nous ne peut l oublier, même si dans certaines cérémonies officielles son nom reste dans l ombre de celui de notre martyr Marcel Langer. Oublier le commandant Jean serait sûrement vider la Brigade de sa substance essentielle.

86 DES JUIFS DANS LA RÉSISTANCE Quelle fut, dans l esprit de Gerhard, la stratégie d action à adopter pour la Brigade? Elle découlait tout naturellement de la position stratégique de Toulouse et de sa région pour l occupant allemand, depuis novembre 1942. La ville constitue le centre de communication de ses forces de l Atlantique avec celles de la Méditerranée. C est dans cette ville qu on fabrique massivement les munitions et que sont localisés les ateliers de réparation Heinkel et Junker. Cela, évidemment, n échappe pas à Gerhard, qui note dans un rapport politico-militaire sur la région : Les objectifs à viser s appliqueront surtout à Toulouse tant par le réseau de communications qu on pourrait couper que par les industries travaillant pour les Allemands que l on pourrait détruire. L application de ces constatations fut immédiate. Pour la seule année 1943 on comptabilise 27 locomotives détruites, 10 grues du canal du Midi mises hors d usage, 6 avions ainsi que 15 ailes et 9 moteurs sabotés sur leurs plate-formes ferroviaires, 12 déraillements de trains militaires ont été provoqués, 22 actions contre les centrales électriques, les transformateurs et les lignes à haute tension, alimentant les établissements industriels travaillant pour l occupant. Les troupes d occupation sont attaquées d une façon continue et sans répit à la grenade, à la bombe ou au révolver. Rien que dans la même année 1943, 81 Allemands, dont 11 officiers, ont été tués et 108 blessés. Total : 189. Par la suite, au soir du 1 er avril 1944, un tramway rempli de soldats allemands est dynamité à la hauteur de l hôpital de Purpan. Bilan : près d une quarantaine d occupants tués. Toute cette activité doit être financée et la façon de se procurer les fonds nécessaires c est leur récupération. Un seul exemple d une telle action. Le 25 mars 1944, la Brigade attaque le train des mines de Carmaux, l arrête en rase campagne et récupère la paye des mineurs. Un million cent cinquante mille francs de l époque. Fallait-il tuer les Allemands, la réponse ne peut qu être affirmative et le débat ne peut concerner que les conditions de cette lutte. Mais fallait-il s attaquer aux responsables vichystes collaborateurs? L articulation entre la lutte contre l occupant et la lutte contre la Révolution nationale de Vichy a posé un problème certain au niveau du Centre. Pourtant, le 22 juin 1942, Laval donna toute la mesure de la politique de Vichy en déclarant : Je souhaite la victoire de l Allemagne, car sans elle, bientôt, le bolchevisme s installerait partout en Europe. Ce message limpide et direct, sans aucune ambiguïté arrive à l apogée du pouvoir hitlérien en Europe, dont les armées, en commun avec celles de ses alliés et de ses satellites occupent presque tout le continent depuis les Pyrénées jusqu aux abords de Moscou et de Stalingrad.

FTP-FFI 87 Il était en plus évident que par le terme bolchevisme, son discours désignait toute la Résistance et englobait la déportation massive des Juifs, déjà commencée depuis mars 1942. La grande rafle du Vel d Hiv du 16 juillet 1942, exécutée par la police française de René Bousquet, fut pratiquement sa conséquence immédiate. Dans la région de Toulouse une même opération a eu lieu les 8 et 10 août 1942 sur l ordre du Préfet régional Chenaux de Leyritz. Informé de ce qui se passait dans son diocèse, Monseigneur Saliège, archevêque de Toulouse, fit lire au cours des messes du dimanche 23 août une lettre pastorale de protestation : Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n est pas permis contre eux ( ) ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d autres. Cheneaux de Leyritz tenta, en vain, d interdire la lecture de cette lettre dans les églises. La protestation de Mgr. Saliège ne reste pas isolée. Dès le 30 août 1942, Mgr. Théas, évêque de Montauban, par ailleurs la ville de René Bousquet, rédige une autre lettre pastorale dans laquelle il s indigne : Les mesures antisémites actuelles sont un mépris de la dignité humaine, une violation des droits les plus sacrés de la personne et de la famille. Or par un principe, tacitement accepté, ni dans la zone occupée depuis l été 1941, ni en zone sud à partir de son occupation en novembre 1942, aucune action armée ne sera entreprise contre les forces vichystes. La lutte armée n est qu anti-allemande. Il devient pourtant évident, depuis déjà Montoire, que Pétain est un traître, que son appareil d Etat aussi et qu il devient même plus dangereux que l occupant lui-même, dont il constitue un auxiliaire zélé. Voir les rafles opérées par la police française surtout vis-à-vis de la population juive, dont on a déjà parlé, et les arrestations et les condamnations à mort des résistants par les sections spéciales. L impossibilité de mener une guerre de libération nationale, sans pratiquer de pair une guerre contre les traîtres vichystes et contre l appareil d Etat vichyste, devient l évidence même. Et pourtant cette conception ne fut pas en vigueur, au début, ni dans les organisations gaullistes, ni dans celles dépendant du PCF, ni dans d autres mouvements de résistance. C est à la 35 e Brigade, sous le commandement de Gerhard qu elle fut, pour la première fois, mise en pratique. Sous son impulsion la Brigade est rentrée très tôt en état de guerre contre l appareil d Etat vichyste. L exécution du procureur général Lespinasse ; du conseiller national de Vichy, cofondateur aumônier de la Milice et antisémite notoire l abbé Sorel ; des chefs de la Milice Costes, Mas, le général Philipon et le chef de la Légion Bru, ont constitué dans ce domaine des actions exemplaires à retentissement considérable. Pourtant après l exécution de l abbé Sorel, le 20 décembre 1943,

88 DES JUIFS DANS LA RÉSISTANCE la direction du PCF désavoua cette action en la déclarant provocatrice. En réalité, cet homme en soutane, coiffé d un béret de milicien, ne fut qu une caution catholique des manifestations de la Milice. Cet homme d église s est mis au service d une cause indigne, profondément antipatriotique. Son action fut nocive pour la France et blessante pour son honneur. Nous étions en droit de l écarter. Aujourd hui, aux yeux des historiens, il est parfaitement admis que Pétain et Laval ont constitué un couple tragique de l histoire de France, que leurs objectifs ont été les mêmes. Ils ont engagé la France sur la voie de la collaboration, de l ignominieux Statut des Juifs, de la lutte contre la Résistance, appelée terrorisme. La Médaille de la Résistance, attribuée après la guerre à la très grande majorité des combattants de la Brigade, et pour beaucoup à titre postume, constitue une distinction pour les faits de la Résistance tant contre l occupant que contre le régime de Vichy. Pourquoi donc ce désaveu et où fut la provocation? En fait, rien qu en 1943, 11 traîtres notoires ont été exécutés par la Brigade et 6 autres blessés ; 5 policiers ont été également tués et 5 autres blessés. Nous sommes le 1 er mars 1944 à Toulouse, Gerhard décide de faire sauter le cinéma des Variétés, haut lieu de la propagande cinématographique nazie. Dans ce cinéma étaient organisés les conférences et les meetings hitlériens, ceux du Professeur Grimm ou de Philippe Henriot. Ce jour-là y sont projetés deux films, Le Juif Süss et La Libre Amérique. Trois jeunes partisans de la Brigade : Rosine Bet, Enzo Godeas (tous deux Italiens du Lot-et-Garonne) et David Freiman (Juif d origine roumaine) s y rendent pour déposer et régler une bombe, dont l explosion devrait avoir lieu quarante cinq minutes après la fin de la séance. Enzo Godeas avait 18 ans, Rosine Bet tout juste 20, David Freiman un ancien des Brigades internationales d Espagne en comptait 25. Que s est-il passé dans le réglage de la bombe? Vraisemblablement elle a été heurtée par un spectateur pressé de sortir et elle a explosé dans les mains de David Freiman Marius. Il est déchiqueté. Enzo Godeas René a les deux jambes brûlées. Condamné ensuite à mort par une cour martiale, il sera fusillé, assis sur une chaise. Rosine Bet Yvette, agent de liaison de la Brigade, est très grièvement atteinte. Elle mourut sans parler 48 heures après. Un des spectateurs, venu cautionner, par sa présence un tel spectacle, probablement celui qui a heurté la mallette contenant la bombe, meurt également sur place. L opération a donc tourné au désastre. Trois partisans de perdus. Les responsables de l action Jean (Jan Gerhard), Catherine (Judith

FTP-FFI 89 Heytin) et Sylvain (Ladislas Mandel) devront s expliquer sur cet échec. Pour les responsables politiques de la MOI, ceux qui dirigent l UJRE, l action contre les Variétés est une provocation. Ils osent même l attribuer à une main criminelle d un agent de la Gestapo. Ils la condamnent donc sans nuance et sans appel. Un responsable interrégional FTPF, Guillemot, déclare à Catherine : Nos dirigeants pensent que vous êtes des provocateurs. J ai reçu l ordre de couper provisoirement avec vous jusqu à ce que la situation soit clarifiée. Et la coupure avec le Centre qui détient les contacts, qui contrôle la logistique arrive. Elle se réalise dans les conditions de la clandestinité, dans un dispositif par nature très centralisé. Cela ressemble fort, au pire, à une condamnation à mort inavouée, au mieux à une excommunication. Rappelons-en la raison un attentat qui tourne au désastre contre un film démontrant, selon ses réalisateurs, par des documents historiques irréfutables, la duplicité, la fourberie, l âme vile du JUIF. Périrent dans cet attentat trois valeureux partisans, trois de nos très chers camarades et un spectateur, un brave Français au sens pétainiste du terme, un de ceux qui sans doute approuvait la politique nazie. Et le Parti a jugé cette action aventuriste!. Ainsi très peu de temps avant les arrestations du début d avril 1944, la Brigade s est trouvée isolée et coupée du dispositif du Centre. Le Centre a rompu les contacts et a excommunié une organisation de combat que le commissaire Gillard compare à une véritable armée en campagne avec ses numéros matricules, ses unités, son service de renseignement, son service technique, son intendance, sa discipline, etc. Son activité militaire concerne huit départements : Haute- Garonne, Lot-et-Garonne, Tarn, Dordogne, Tarn-et Garonne, Ariège, Hautes-Pyrénées et Basses-Pyrénées. Tout cet ensemble compose l interrégion C des FTP. Les actions sont comptabilisées avec une remarquable précision. Les catégories de leur classement sont les suivantes : usines, déraillements, locomotives, avions, centrales électriques, matériel agricole, boches, traîtres, policiers, récupérations (tickets de ravitaillement, armes, argent, autres), divers. Les matricules des combattants ayant participé à chaque opération sont notés. Rappelons quelques uns des résultats obtenus rien que pour les huit mois, allant de février à décembre 1943 : 22 centrales électriques, lignes et pylônes à haute tension détruits ; 81 Allemands, dont 11 officiers tués, et 108 blessés, au total 180 ; 11 traîtres notoires exécutés et 6 autres blessés ; 5 policiers tués et 5 blessés ; 12 déraillements provoqués ; 27 locomotives détruites, 10 grues mises hors d usage ; 6 avions ainsi que 15 ailes et 9 moteurs sabotés ; 3 dépôts d armes pris, etc.

90 DES JUIFS DANS LA RÉSISTANCE La réalisation d une telle stratégie rendait nécessaire, que l étatmajor de cette armée en campagne analyse en permanence la situation et puisse recenser les objectifs grâce à un service de renseignements. Celui de la Brigade s est avéré particulièrement compétent. La preuve, il aurait été impossible de réaliser des opérations aussi complexes que l exécution de l avocat général Lespinasse ou du général Philippon sans disposer de cette infrastructure pour les repérages et les filatures. De la même façon, de nombreux agents allemands étaient surveillés, comme également le trafic ferroviaire, les mouvements de troupes. La plupart des gestapistes et leurs supplétifs français furent localisés avec leur signalement. Cette rupture a fait d ailleurs partie d une opération politique de plus vaste envergure. Son inavouable objectif est l éviction des délégués de FTP-MOI dans les instances FFI. La structure FTP-MOI n existe plus, tout au moins, en zone sud. Les FTP-MOI ont accompli les tâches qui leurs avaient été assignées et fait leur temps. La stratégie de la guérilla urbaine est devenue incompatible avec la politique étatique du Parti et de son Front National au sein du CNR. Le nouvel objectif du Parti est d être partie prenante dans la toute proche restauration de l Etat et sa préoccupation principale devient de conquérir une place importante dans le dispositif du pouvoir de la France libérée. Voilà la raison pour laquelle nous sommes tous devenus des parias de la Résistance. Nous ne pouvions plus rien générer d utile dans cette nouvelle situation politique. Voilà la raison pour laquelle il valait mieux nous faire disparaître de l histoire et effacer de la mémoire. Les FTP-MOI, ces combattants de la première heure aux patronymes imprononçables sont devenus bien encombrants. Il fallait les dépouiller de leurs mérites héroïques. Il fallait attribuer leurs exploits aux autres. Ainsi, Mendel Langer, pour qui les champs de bataille eurent pour noms : Varsovie, Haïfa, Guadalajara, Toulouse, devient le colonel FTPF Marcel Langer, comme si la présence même des trois lettres MOI eût été frappée d interdit et incompatible avec la terre toulousaine. Quant aux héros des nouvelles écrites après-guerre par Claude Lévy, Aragon exigea que leurs noms fussent francisés pour publier les textes aux Editeurs Français Réunis. Une telle atmosphère n était certes en rien propice pour faire savoir que l unité combattante la plus importante et la plus audacieuse du Sud-Ouest fut commandée d abord par deux Juifs polonais : Mendel Langer et Jan Gerhard et ensuite par un jeune Italien, naturalisé français en 1933 : Enzo Lorenzi. Pour Annette Wieviorka dans Ils étaient juifs, résistants, communistes (éditions Denoël, 1986), ce même problème est résumé en trois courtes phrases : Ils avaient bien servi le communisme. Le communisme s était bien servi d eux. Le citron avait été pressé, on pouvait jeter

FTP-FFI 91 l écorce. Ce constat correspond bien sûr à la réalité, mais pour les combattants de la Brigade d origine juive et en même temps plus ou moins engagés dans l idéologie communiste, le combat direct entrepris contre le nazisme correspondait bien à notre volonté et je dirai même à notre désir. Pour nous dont l identité juive s est révélée dans le contexte de la barbarie nazie et vichyste devant nous mener vers notre anéantissement total, portant le nom de code de solution finale, la nécessité de combattre est apparue comme une obligation. Cette obligation présentait pour nous la seule possibilité de disposer utilement de notre propre vie. Peu importe qu on fut par ce fait l instrument d une vision politique correspondante à une bien autre ambition. Pendant cette période nous avons pu, au moins dans une certaine mesure, régler nos comptes personnels avec le nazisme et ses alliés vichystes. Nous avons bien sûr combattu, en même temps, avec nos autres camarades de la Brigade, pour la libération de la France et la démocratie. Pour nous c est cela qui fut l essentiel pour cette période. Tous nos engagements furent volontaires, donc nous en avons été les seuls responsables. Notre choix de combattre fut juste et même nécessaire. Notre choix politique pour la majorité d entre nous, s est avéré erroné, nous l avons donc, à plus ou moins brève échéance, rectifié. Nous sommes restés fidèles au premier et très satisfaits de l avoir effectué. A l époque, il n existait pratiquement que deux réelles possibilités de combat direct avec le nazisme, qui fut notre objectif, soit les Forces françaises libres, soit les FTP-MOI. Ainsi, au moins pour moi, aucun regret, c est même la satisfaction du bon travail effectué pendant cette période qui l emporte. Il nous a été donné à nous les jeunes, les petits, les insignifiants de vivre durant ces années à grande échelle. Pour les chrétiens l Histoire compte deux époques : avant et après Jésus-Christ. Pour les Juifs il y a un avant et un après la Shoah, qui a constitué, surtout pour ceux d origine polonaise, la perte d un peuple tout entier. La Pologne a été nettoyée de ses Juifs, qui constituaient 10 % de sa population. C est comme si les Etats-Unis avaient tout d un coup été nettoyés de toute leur population noire. Aujourd hui, après la Shoah, nous avons créé bien sûr de nouvelles familles, nous avons des enfants et des petits-enfants. Mais d avant la Shoah, il ne nous reste pratiquement plus rien. Nos familles ont disparu dans leur quasitotalité, c est le désert complet, même pas de sépultures pour pouvoir s y recueillir. Ma grand-mère paternelle a eu la chance de mourir avant la Shoah et d être enterrée au cimetière juif de Lodz, mais il m a été impossible de retrouver l emplacement de son repos éternel, les tombes ayant toutes été saccagées et détruites par les nazis. Mon seul apaisement, c est le souvenir du combat dans les rangs de la 35 e Brigade FTP- MOI à Toulouse. Mon seul regret, c est de n avoir sans doute pas assez fait dans ce domaine.

92 DES JUIFS DANS LA RÉSISTANCE Je dois remercier Jean-Yves Boursier et Gérard de Verbizier, car leurs deux ouvrages m ont énormément facilité la rédaction de ce texte. Viennent ensuite : Mosco, sans le film duquel l intérêt porté à notre Brigade serait sans doute très atténué ; Claude Urman et Nuncio Titonel, respectivement président et vice-président de notre Amicale, car sans les archives du premier et les nombreux échanges de vues avec les deux, la mise sur le papier de tout ce qui précède serait une tâche bien au-dessus de mes capacités. Je voudrai souligner enfin que tous les faits relatés se fondent sur des archives et des témoignages irrécusables, même si la vérité qu ils font ressurgir peut paraître pour certains gênante, voire pénible. En ce qui concerne les quelques rares commentaires que ce texte contient, ils me sont, bien-sûr, personnels et j en suis le seul responsable. Fig. 1 Marcel Langer, Officier des Brigades Internationales d Espagne, fondateur de la 35 e Brigade, Chevalier de la Légion d Honneur, Médaille de la Résistance avec Rosette à titre posthume. Fig. 2 Jan Gerhard, Commandant de la 35 e Brigade.

FTP-FFI 93 Fig. 3 Front d Alsace 1944. Revue de troupes. Le général Kœnig en compagnie du commandant Jan Gerhard. Fig. 4 Nuncio Titonel, Médaille Militaire et Enzo Lorenzi, Officier de l Ordre National du Mérite, Brugnac (Lot-et-Garonne), 1990. Fig. 5 Schimmel Gold, dit Sewek Michalak, le bombier de la Brigade.

94 DES JUIFS DANS LA RÉSISTANCE Fig. 6 A l issue d une prise d armes dans la cour des Invalides en 1947. De gauche à droite, au deuxième rang : Raymond et Claude Lévy, Henri Gorans et Marc Brafman, au premier rang : Emile Jakubowicz, Enzo Lorenzi et Claude Urman. Aujourd hui un parmi eux est Médaillé Militaire et les six autres sont, soit Chevaliers, soit Officiers de la Légion d Honneur. Fig. 7 La 35 e Brigade du Lot-et-Garonne à l honneur à Agen, en 1985. De gauche à droite : premier Joseph Waschpress, récipiendaire de la cravate du Commandeur de la Légion d Honneur, deuxième Damira Titonel Asperti, dernier Enzo Lorenzi, tous deux Chevaliers de la Légion d Honneur, cinquième Odette Cayla, Médaille Militaire et avant dernier Albert Lesizza, Chevalier de l Ordre National du Mérite. Fig. 8 Judith Heytin, Catherine, Médaillée Militaire.

FTP-FFI 95 Fig. 9 Rosine Bet, Yvette, Croix de Guerre, Médaille de la Résistance à titre posthume. Fig. 10 Cinq déportés de la 35 e Brigade à leur retour, Montclar (Lot-et-Garonne), 1945. De gauche à droite : Osna Kogan avec son fils Paul, Damira Titonel, Joseph Waschpress, Sophie Hamerlak (aujourd hui Chevalier de la Légion d Honneur) et Yanka. Fig. 11 Tableau (1,70 m x 1,70 m) du peintre Tomasz Gleb, Juif Polonais, magnifiant le combat de la 35 e Brigade. Ses cinq parties présentent : au centre exécution de Marcel Langer ; à gauche (de haut vers le bas) maquis au combat, Marcel Langer face à la Section spéciale, exécution du procureur Lespinasse ; à droite les combats de la libération de Toulouse. Ce tableau est exposé au Musée de la Résistance et de la Déportation de Toulouse.

96 DES JUIFS DANS LA RÉSISTANCE Témoignage Raymond Kojitsky dit Pivert Un résistant ordinaire Entretien réalisé par Mosco (juillet 1994)* Famille Je viens d une famille de Juifs polonais. Ma mère est née à Radzimin. Mon père dans un village qui s appelait Szelehov, près de Varsovie. Il aimait son village parce qu il y avait de la neige en hiver La neige, si tu savais comme c est beau!!! il me disait. Mon père était monteur en chaussures. Il les montait à la main : il avait une forme, il mettait une claque sur la forme, il prenait des clous qu il avait dans la bouche, il tirait la forme avec une pince, elle avait un petit carré au bout, et toc, il tapait le clou. Il a quitté la Pologne à cause de l antisémitisme. En 1922. Tout le monde partait. Il a d abord été à Berlin puis il est venu à Paris. Il a rencontré ma mère à Paris. Les parents de ma mère travaillaient dans la brocante, mon père s est donc mis brocanteur. Il avait une poussette à 3 roues. Il sortait le matin et il criait Marchand d habits! Chiffons! En ce temps là, les chiffons ça se vendait bien. Quand ça a commencé à aller, il a fait venir de Pologne sa mère et sa sœur. Je suis né en 1926. A l hôpital Rothschild. Comme ma fille et mon petit-fils. Mes parents vivaient alors rue Houdart, au métro Père Lachaise. Ils ont déménagé rue de la Mare, quand j ai eu 6 mois. Je suis allé à l école rue Henri Chevreau, c est juste à côté de la rue de la Mare. J ai eu mon certificat d études. C est tout. J avais deux frères et deux sœurs. Je dis j avais parce que trois sont morts en déportation. * Raymond Kojitski a publié avec Daniel Goldenberg un livre de souvenirs chez Calmann-Levy en 1991 : Pivert, histoire d un résistant ordinaire.

FTP-FFI 97 Ma tante travaillait dans la maroquinerie. Elle m a fait embaucher comme apprenti. J avais 14 ans. C était la petite maroquinerie : portefeuilles, porte-monnaie Identité Je me sentais juif, bien entendu. Je pouvais pas faire autrement. J avais 14 ans, les Allemands étaient à Paris. Tu sortais dans la rue, tu voyais l affiche judische gescheft sur la boutique de ton père, c était difficile de pas te sentir juif. Mon père a toujours été communiste. Je l étais aussi. D instinct. Le communisme, pour moi, c était plus jamais d antisémitisme. Voilà c était ça : plus jamais d antisémitisme. Et j y croyais. Juin 1940 Mon père il avait une camionnette. On a chargé toutes nos affaires dedans et on est parti sur les routes de l exode. Et puis les Allemands nous ont rattrapés, à Nevers. Il n y avait plus de raison de fuir, puisqu on fuyait les Allemands et voilà qu ils étaient devant nous. Mon père, il a dit : allez on fait demi-tour. C était l enfer. Les mesures antijuives Y en avait tellement, que je ne m y retrouve plus. Ils ont commencé par nous dénaturaliser. J étais Français je me suis retrouvé Russe. Puis on a eu le tampon Juif sur nos cartes d identité et sur nos cartes d alimentation. Ça s est passé au commissariat du quartier, rue Ramponneau. Après, on n a plus eu le droit de sortir après 20 heures ; d avoir un poste de radio ; dans le métro, il fallait prendre le dernier wagon. Puis il y eu l étoile jaune. Je l ai portée dans le quartier, pour que les voisins ne nous dénoncent pas. Mais dès que je m éloignais, je l enlevais. Ma mère et mon père, eux, l ont portée. La rafle du Vel d Hiv Mon père est allé dormir dans sa remise sur un tas de chiffons. Ils ne l ont pas trouvé. Quand les policiers sont venus, c est ma mère qui a ouvert. Comme elle avait une petite fille de 2 ans, ils l ont laissée. Ils sont allés en face et ils ont pris ma grand-mère, ma tante et son fils. Moi et mon frère, on est passé au travers.

98 DES JUIFS DANS LA RÉSISTANCE Les Jeunesses Communistes Mon frère militait avec un groupe de copains qui faisaient des colis pour des gens qui étaient en prison. Un jour on m a demandé d aller porter un colis, je ne sais plus si c était à Fresnes ou à la Santé. J ai accepté : j ai déposé le colis au guichet, je ne suis pas entré dans la prison, et je suis reparti. Il y avait dans ce groupe des garçons et des filles, tous juifs. C étaient les Jeunesses Communistes du quartier. Tout doucement, ils m ont entraîné. Un jour, ils m ont dit tiens on va coller des affiches. Pour moi c était un jeu, j ai dit d accord. Après ils m ont proposé de faire un lancer. C était marrant les lancers : on avait un paquet de tracts, on se plaçait à une bouche de métro, et quand une rame déversait ses voyageurs hop, on jetait le paquet de tracts en l air. Le soir, on faisait ça à la sortie des cinémas. Les tracts, c étaient des bulletins d information contre l occupant, on parlait des FTP, de l Armée Rouge. Pour affronter la police, en cas de menace d arrestation, on avait un marteau. Oui, un marteau. Mon frère il s est fait prendre un soir à la sortie d un cinéma par deux flics. Il a commencé à discuter : vous faites erreur, j ai pas lancé de tracts, j avais le bras en l air parce j étais en train d enfiler mon imperméable ils l ont relâché. On faisait aussi les poteaux indicateurs allemands. La nuit, devant les cinémas. Place Martin Nadaud, par exemple, il y avait le Zénith. On entourait les poteaux avec des chiffons, on les imbibait d essence, et quand les gens sortaient du cinéma, on mettait le feu aux chiffons. C était impressionnant, la nuit, ces poteaux qui flambaient. Notre chef, par le fait, c était Henri Krasucki puisqu il était responsable des Jeunesses Communistes de mon arrondissement, le XX e. Il y avait que des Juifs parmi nous. Je n y ai jamais vu un seul goy. Les FTP Sur les tracts qu on lançait il y avait toujours quelque chose sur les FTP : ils avaient attaqué une mairie, une caserne J ai dit à Krasucki, je voudrais passer aux FTP. Il m a dit on verra, on verra. Et c est comme ça que ça s est fait. Un jour, à un rendez-vous, il m a dit : tu passes dans les FTP. Voilà. J avais 16 ans, j étais content. Je pensais : jeter un paquet de tracts ou lancer une grenade c est pareil. Alors qu en vérité, c est pas pareil du tout.