GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 44758C du rôle Inscrit le 31 juillet 2020 Audience publique du 5 août 2020 Appel formé par Monsieur......,, contre un jugement du tribunal administratif du 29 juillet 2020 (n 44706 du rôle) ayant statué sur la régularité d une décision du ministre de l Immigration et de l Asile de prolongation d une mesure de rétention administrative Vu la requête d appel inscrite sous le numéro 44758C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 31 juillet 2020 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur......, déclarant être né le à (Libye), de nationionalité libyenne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, dirigée contre le jugement du 29 juillet 2020 (n 44706 du rôle) par lequel le vice-président du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, siégeant en remplacement des président et magistrats plus anciens en rang, a confirmé la décision du ministre de l Immigration et de l Asile du 16 juillet 2020 ordonnant la prorogation du placement de Monsieur... au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d un mois à partir de sa notification ; Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 4 août 2020 par Madame le délégué du gouvernement Christiane MARTIN ; Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ; Le rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en sa plaidoirie à l audience publique de ce jour. Le 11 avril 2012, Monsieur...... introduisit une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire. 1
Par décision du 14 mai 2013, le ministre du Travail, de l Emploi et de l Immigration considéra cette demande comme implicitement retirée. En date du 8 janvier 2015, le ministre de l Immigration et de l Asile, ci-après «le ministre», constata le séjour irrégulier de Monsieur..., lui ordonna de quitter le territoire sans délai et prononça une interdiction d entrée sur le territoire de 3 ans à son encontre. Par arrêté ministériel du même jour, le ministre ordonna encore le placement de l intéressé au Centre de rétention pour une durée d un mois à compter de sa notification, arrêté qui fut prorogé à plusieurs reprises en dates des 2 février, 5 mars, 1 er avril, 28 avril et 22 mai 2015. Par arrêt du 16 mai 2017, la Cour d appel de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, condamna Monsieur... à une peine d emprisonnement de 30 mois, assortie d un sursis pour une durée de 15 mois, et à une amende de 1.500.- du chef des infractions de grivèlerie, de violation de domicile, de menaces d attentat par gestes et de coups et blessures volontaires sur une personne particulièrement vulnérable due à un état de grossesse. Par arrêté ministériel du 18 mars 2020, le ministre ordonna à nouveau le placement de Monsieur... au Centre de rétention pour une durée d un mois à compter de sa notification, arrêté basé sur les motifs et considérations suivants : «( ) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l immigration ; Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ; Vu ma décision de retour du 8 janvier 2015, lui notifiée le même jour ; Vu ma décision d interdiction d entrée sur le territoire du 8 janvier 2015, lui notifiée le même jour ; Attendu que l intéressé est dépourvu de tout document d identité et de voyage valable ; Attendu que l intéressé n a jusqu à présent pas fait des démarches pour un retour volontaire dans son pays d origine ; Attendu qu il existe un risque de fuite dans le chef de l intéressé, alors qu il ne dispose pas d une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ; Attendu que l intéressé évite ou empêche la préparation de retour ou de la procédure d éloignement ; Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu elles sont prévues par l article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ; Considérant que les démarches nécessaires en vue de l identification et de l éloignement de l intéressé ont été engagées ; Considérant que l exécution de la mesure d éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; ( )». Cette décision de placement fut reconduite par arrêtés ministériels des 15 avril 2020, 13 mai 2020, confirmé par jugement du tribunal administratif du 15 juin 2020 (n 44500 du rôle), et 15 juin 2020, confirmé par jugement du tribunal administratif du 10 juillet 2020 (n 44600 du rôle). 2
Par arrêté du 16 juillet 2020, le ministre ordonna une 4 ème prorogation du placement en rétention de Monsieur... Le 24 juillet 2020, le ministre saisit, en application de l article 123, paragraphe (6), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l immigration, ci-après la «loi du 29 août 2008», le président du tribunal administratif d une requête, inscrite sous le numéro 44706 du rôle, tendant à la vérification de la régularité dudit arrêté du 16 juillet 2020. Par jugement du 29 juillet 2020, le vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement des président et magistrats plus anciens en rang, reçut cette requête en la forme, la déclara encore justifiée au fond et partant confirma l arrêté ministériel du 16 juillet 2020. Il considéra entre autres que le dispositif d éloignement de Monsieur... était toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire, d une part, et que les conditions spécifiques à une 4 ème prorogation, à savoir qu il est probable que l opération d éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, étaient données, d autre part. Dans ce contexte, il énuméra les nombreuses recherches et démarches entreprises par le ministre et ses services entre le 19 mars et 16 juillet 2020 en vue de l identification de Monsieur..., notamment auprès de l ambassade de Libye à Bruxelles, tout en relevant le manque de coopération de l intéressé. Ainsi, le 19 mars 2020, le ministre avait chargé la police judiciaire, section criminalité organisée, police des étrangers, de faire des recherches via Interpol au sujet de Monsieur... et le 30 mars 2020, il avait contacté l ambassade de Libye à Bruxelles en vue de l identification de l intéressé et proposé la mise en œuvre d une vidéoconférence dans les locaux de la Représentation Permanente du Luxembourg auprès de l Union européenne à Bruxelles ou dans les locaux de l ambassade. Le 15 avril 2020, le ministre avait réitéré, par courrier électronique, sa demande d identification auprès de l ambassade libyenne à Bruxelles et informé les autorités libyennes qu au vu des mesures de confinement prises dans le contexte de la crise sanitaire du Covid-19, une interview en personne au sein de leur ambassade n était pas possible et le même jour, il avait saisi le Centre de Coopération Policière et Douanière d une recherche concernant l intéressé en Belgique, en France et en Allemagne. Par la suite, le ministre avait recontacté le 13 mai 2020 par courrier électronique l ambassade libyenne à Bruxelles et réitéré sa demande d identification, demande à laquelle l ambassade de Libye à Bruxelles avait répondu le 18 mai 2020 en expliquant qu elle ne possédait aucun élément afin d identifier l intéressé et que le chargé des affaires consulaires désirait laisser passer la fin de la période de Ramadan et l assouplissement des mesures concernant la pandémie du Covid-19 afin d organiser une rencontre pour procéder à l identification de l intéressé. Par courrier électronique du 9 juin 2020, un agent ministériel avait repris contact avec l ambassade libyenne à Bruxelles pour demander s il était de nouveau possible de fixer un entretien à ladite ambassade en vue de l identification de l intéressé. Le vice-président du tribunal administratif constata encore que par un jugement du 10 juillet 2020 (n 44600 du rôle), les diligences du ministre depuis le jugement du 15 juin 2020 avaient été considérées comme suffisantes puisque (i) l ambassade libyenne avait été recontactée par le 3
ministre par courrier électronique du 18 juin 2020 afin de réitérer sa demande d identification, à laquelle l ambassade de Libye à Bruxelles avait répondu en expliquant qu elle ne possédait aucun élément afin d identifier l intéressé et que le chargé des affaires consulaires avait demandé l organisation d une rencontre à l ambassade libyenne à Bruxelles afin de procéder à l identification de Monsieur..., et (ii) suivant une note au dossier du 2 juillet 2020, un entretien avait été organisé à l ambassade libyenne à Bruxelles pour le 1 er juillet 2020 afin de clarifier l identité de l intéressé mais que ce dernier avait refusé de s y rendre, l ambassadeur libyen ayant toutefois accepté de vérifier l identité de l intéressé en lançant des recherches auprès des autorités compétentes en Libye à l aide des informations lui fournies sur son identité. Finalement, le juge de première instance nota, concernant des mesures plus spécifiquement entreprises par la suite, qu il résultait du dossier administratif que le 16 juillet 2020, les autorités luxembourgeoises avaient encore relancé les autorités libyennes à Bruxelles en vue de l identification de Monsieur... et que le même jour, la police judiciaire avait encore une fois été relancée pour effectuer des recherches via Interpol, seuls trois pays ayant répondu jusqu à présent, à savoir l Allemagne, la France et la Belgique. Sur ce, le vice-président estima que les diligences ainsi déployées par l autorité ministérielle luxembourgeoise devaient être considérées comme suffisantes. Il précisa encore qu en l état actuel du dossier, l éloignement de Monsieur... demeurait une perspective raisonnable et que l incidence éventuelle de la crise sanitaire du Covid-19 ne signifiait pas automatiquement qu il n existe aucune perspective que l éloignement de l intéressé vers la Libye puisse aboutir avant la fin de la durée maximale de la mesure de rétention, ce d autant plus que l organisation de l éloignement de l intéressé se trouvait encore au stade de son identification. Quant à la possibilité d application de mesures moins coercitives, le vice-président releva que la simple affirmation qu un placement dans un foyer étatique pourrait se concevoir était insuffisante pour établir dans le chef de Monsieur..., par ailleurs démuni de documents d identité, l existence de garanties de représentation effective, et que celui-ci ne présentait toujours pas de garanties suffisantes de représentation et ne remplissait donc pas les conditions préalables afin de bénéficier d une mesure moins coercitive, relevant dans ce contexte que l intéressé n était pas non plus en mesure de verser une garantie financière. Par requête d appel déposée au greffe de la Cour administrative le 31 juillet 2020, Monsieur... a fait régulièrement entreprendre ce jugement du 29 juillet 2020 dont il sollicite la réformation afin de voir réformer la décision ministérielle du 16 juillet 2020 et de voir ordonner sa mise en liberté immédiate sinon de lui accorder l assignation à résidence auprès du foyer de l Office national de l accueil. L appelant reproche en substance à la décision ministérielle entreprise de contrevenir à l'article 120 de la loi du 29 août 2008, au motif que les autorités luxembourgeoises n auraient pas entrepris des démarches efficaces pour permettre son éloignement rapide et parce que la procédure d'éloignement ne pourrait tout simplement pas être menée à son terme, dès lors que les frontières libyennes seraient fermées à cause de la crise sanitaire du Covid-19. 4
En ordre subsidiaire, il estime qu il aurait dû bénéficier au préalable d une assignation à résidence avant d être placé en rétention. Le délégué du gouvernement conclut au rejet de l appel pour manquer de fondement. Sur le vu des faits de la cause qui sont les mêmes que ceux soumis au juge de première instance, la Cour estime que celui-ci les a appréciés à leur juste valeur et en a tiré des conclusions juridiques exactes. En effet, les diligences concrètement déployées par les autorités luxembourgeoises, ci-avant retracées en détail, ont été qualifiées à bon escient par le vice-président du tribunal administratif comme constituant des diligences suffisantes pour pourvoir à un éloignement rapide de l intéressé. Pour le surplus, les autorités luxembourgeoises ont encore une fois relancé le 29 juillet 2020 par message électronique l ambassade de Libye à Bruxelles en vue de l identification de Monsieur... Au-delà, s il est vrai qu en raison de la situation sanitaire due à la propagation rapide du Covid- 19, bon nombre de vols internationaux sont temporairement suspendus, cela ne signifie pas qu il faille en dégager la preuve de ce qu aucune perspective d éloignement d un étranger en séjour irrégulier n existe plus. Ces suspensions, à vérifier au cas par cas, sont éminemment temporaires et ont vocation à être levées. Pour le surplus, il y a lieu de retenir, tel que relevé dans le jugement entrepris, que les restrictions concernant les vols internationaux en raisons de la pandémie due au Covid-19 n ont pas encore d impact concret sur l avancement de l organisation de l éloignement de Monsieur..., étant donné que la procédure d éloignement se trouve encore au stade de l identification de l intéressé, celuici affichant par ailleurs un manque de collaboration manifeste en ayant refusé de se présenter à l entretien d identification qui aurait dû se dérouler le 1 er juillet 2020 dans les locaux de l ambassade de Libye à Bruxelles. Quant à la possibilité d application de mesures moins coercitives, dont notamment une assignation à résidence dans un foyer étatique, c est encore à juste titre que le juge de première instance a retenu dans le chef de Monsieur... un risque de fuite au vu de son séjour irrégulier au pays, la simple affirmation de celui-ci qu il «garantit fermement qu il ne quittera pas le pays et ne se soustraira pas aux conditions ou exigences des autorités luxembourgeoises» n étant pas suffisante pour donner un gage de représentation suffisant, étant relevé que l intéressé n est pas non plus en mesure de verser une garantie financière. Les considérations et conclusions pertinentes du premier juge n ayant pas été ébranlées, l acte d appel est à rejeter pour manquer de fondement et le jugement entrepris est à confirmer dans toute sa teneur. Par ces motifs, 5
la Cour administrative, statuant à l égard de toutes les parties en cause ; reçoit l appel du 31 juillet 2020 en la forme ; au fond, le déclare non justifié et en déboute ; partant, confirme le jugement entrepris du 29 juillet 2020 ; condamne l appelant aux dépens de l instance d appel. Ainsi délibéré et jugé par: Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier en chef de la Cour Anne-Marie WILTZIUS. s.wiltzius s.campill Reproduction certifiée conforme à l original Luxembourg, le 5 août 2020 Le greffier en chef de la Cour administrative 6