Un gène de la maladie de Crohn identifié 07/09/07 Une équipe du centre Giga-Research de l'université de Liège vient d'isoler, sur le chromosome 5, un variant génétique qui prédispose à la maladie de Crohn. Cette inflammation chronique du système digestif, principalement de l'intestin et du côlon, concerne environ 10.000 personnes en Belgique. La découverte liégeoise ouvre une voie précise pour la recherche d'un traitement. Comparer le génome d'une personne atteinte de la maladie de Crohn avec celui d'une personne indemne, c'est mettre côte à côte deux livres d'un million de pages identiques à quelques lettres près et chercher les infinitésimales différences sans savoir dans quel chapitre ni, a fortiori, à quelle page ces différences se cachent. Mission impossible? Pas tout à fait! Des chercheurs viennent de découvrir une zone génétique très précise, basée sur le 5e chromosome, qui joue manifestement un rôle dans l'apparition de cette maladie inflammatoire du système digestif. Ils ont publié leurs résultats dans la revue PLOS Genetics en avril dernier. Cette découverte est d'abord le fruit d'un véritable travail de fourmis : la constitution d'une banque d'adn de données de patients atteints de la maladie de Crohn, suffisamment importante pour permettre une étude statistiquement significative. Ce ne sont pas des dizaines ou des centaines de malades qu'il faut intégrer dans cette base de données, mais des milliers! Car la maladie de Crohn est une maladie multifactorielle, qui mêle les prédispositions génétiques et les facteurs environnementaux. Grâce à son travail de clinicien au Centre hospitalier universitaire, dans le service du professeur Jacques Belaïche, qui a lui aussi activement contribué au travail, mais aussi à la collaboration de gastro-entérologues travaillant dans d'autres hôpitaux, le docteur Edouard Louis a élaboré patiemment cette banque : réalisation des échantillons sanguins, biopsies intestinales, encodage minutieux du dossier médical De longues années de travail! En ajoutant à la banque de l'université de Liège, celles des universités de Leuven, de Bruxelles et de Gand, plus de 3000 personnes ont finalement été intégrées à la base de données : 1700 patients et 1500 personnes saines pour constituer un groupe témoin. Rencontre de deux chercheurs Très tôt intéressé par la génétique - il s'est formé dans le laboratoire du professeur Derek Jewell à l'université d'oxford en 1994 et 1995 - Edouard Louis croise le chemin d'un autre chercheur de l'université, spécialiste de la génétique animale : Michel Georges. Même génération, même passion pour la recherche, le courant passe. Les deux scientifiques décident de travailler ensemble. Le médecin apporte sa base de données et sa connaissance de la maladie de Crohn et le généticien les tout derniers développements de la recherche sur le génome. Une recherche sur le génome qui a connu au tournant des années 2000 une formidable accélération. Ce qui fait dire à Michel Georges que «de Mendel au séquençage du génome, c'était la préhistoire de la génétique!» Si, pour entrer dans l'histoire tout court, les hommes ont appris l'écriture voici 5000 ans, pour entrer dans l'histoire de la génétique ils ont appris à décoder l'alphabet de l'adn et à lire le grand livre de la vie. Dévoilée en avril 2003, la séquence est précise à 99,99 %. Cela signifie qu'elle ne contient qu'une erreur toutes les 10.000 lettres. Mais une chose est de décoder le livre de la vie, de connaître grosso modo les trois milliards de lettres qui composent une molécule d'adn humain, autre chose est de comprendre comment fonctionne le génome, à - 1 -
quoi servent toutes ces lettres. Depuis le séquençage du génome humain, des milliers de chercheurs dans le monde s'attèlent à cette tâche. Première énigme : où sont les gènes, c'est-à-dire les zones du génome dont l'information est utilisée par la cellule pour fabriquer les protéines qui sont les véritables ouvrières de l'organisme? Les gènes ne représentent que 2 à 3 % de l'ensemble du génome. Avant le séquençage, les chercheurs pensaient que le génome humain contenait environ 100.000 gènes. Aujourd'hui on sait que le chiffre est plus proche de 20.000. Deuxième grande énigme : à quoi sert tout le reste, les parties non codantes du génome? Au début considérées comme négligeables, les parties non codantes du génome intéressent aujourd'hui beaucoup les scientifiques, notamment les zones dites «régulatrices», qui peuvent jouer un rôle d'interrupteur de l'expression génique ou, en tout cas, de modulateur. Autre grande avancée de la génétique depuis le décodage du génome humain : la découverte des SNP, les Single Nucleotide Polymorphism. Ce sont des endroits du génome qui varient très fort d'un individu à l'autre, à une seule lettre près. Ils représentent plus de 90% de toutes les différences génétiques entre individus. Deux génomes humains tirés au hasard sont identiques à 99,9 %. Les SNP représentent la grande majorité des 0,1 % des différences restantes. C'est là que se loge une très grande part de la variété des populations : les grands, les petits, les costauds, les maigres, etc. Mais c'est aussi dans ces SNP que l'on peut trouver des variants qui sont liés à une augmentation de sensibilité à certaines maladies. Les scientifiques ont déjà identifié jusqu'à douze millions de SNP, qui chacun existe au minimum sous deux formes différentes dans la population mondiale. Une nouvelle méthode de recherche s'est dégagée ces dernières années, appelée Whole genome association, qui consiste à cribler un génome, à la recherche systématique des différences de forme de ces SNP (www.hapmap.org/whatishapmap.html.fr). - 2 -
Le chromosome 5 à la loupe C'est cette méthode, utilisée pour la première fois en Belgique, que les chercheurs liégeois ont adoptée, avec l'hypothèse suivante en ligne de mire : il doit exister sur le génome des personnes atteintes de la maladie de Crohn des différences de forme de ces SNP que l'on ne trouvera pas sur le génome des personnes saines. Cécile Libioulle est engagée au laboratoire de génétique animale, dirigé par Michel Georges, pour conduire cette recherche. Un premier balayage effectué sur 300.000 SNP permet aux chercheurs d'isoler trois zones qui semblent assez différentes selon qu'il s'agit du génome des malades ou du génome des personnes saines. L'analyse de ce criblage est réalisé avec les plate-formes technologiques du Centre National de Génotypage (Génopole d'evry) et du GIGA-Research à l'ulg. Elle fait apparaître trois zones intéressantes. La première est située sur le chromosome n 1, la deuxième sur le chromosome n 5 et la troisième sur le chromosome n 16. Cette dernière localisation encourage les chercheurs liégeois à persévérer car d'autres chercheurs l'ont déjà identifiée comme une zone effectivement associée à la maladie de Crohn. Petite désillusion pour la zone du chromosome 1 : une équipe américaine a fait la même découverte et publie plus rapidement. Reste le chromosome n 5! Il faut aller vite! La concurrence ne fait pas de cadeau et les informations en possession des chercheurs liégeois indiquent que d'autres publications sont en préparation, ce qui pourrait réduire à rien des années d'efforts, en terme de notoriété scientifique internationale en tout cas. Sans tarder, la seconde phase du travail est entamée : il faut focaliser sur cette zone précise du chromosome 5, la séquencer et chercher ainsi à faire surgir la différence de séquence entre les malades et le groupe témoin. C'est ainsi que nos chercheurs vont mettre en évidence plusieurs variantes de la même séquence génétique, dont une est présente chez 20 % des malades de Crohn et chez seulement 12 % des patients sains. Ce qui est statistiquement significatif, étant donné le grand nombre de personnes testées. La découverte est soumise à la revue PLOS Genetics. Consciente de la course entre les différentes équipes scientifiques, la revue américaine décide de publier l'article en urgence sur son site internet, avant la sortie de l'édition papier. C'était en février dernier. Ce qui peut surprendre, c'est que cette zone est ce qu'on appelle un désert génique, une zone non codante. Mais elle est pourvue d'éléments régulateurs de plusieurs gènes voisins impliqués dans les mécanismes inflammatoires. Parmi ces gènes, figure notamment un récepteur de prostaglandine E 2, une substance libérée en grande quantité en cas d'inflammation. Suffirait-il dès lors de bloquer ce récepteur pour éliminer l'inflammation et soigner la maladie de Crohn? Malheureusement, ce n'est pas si simple Des études sur - 3 -
la souris apportent des résultats contradictoires. Des rongeurs chez qui le gène codant pour ce récepteur de prostaglandine avait été supprimé (des souris knock out) ont développé une colite sévère, une inflammation du côlon, comme la maladie de Crohn. Et inversement, des chercheurs ont montré qu'en stimulant la production de ce récepteur, on augmentait l'inflammation. Bref, tout est manifestement une question de subtil équilibre. En tout cas, la mutation génétique mise en évidence par les chercheurs de l'ulg, et qui est présente chez 20% des patients atteints par la maladie de Crohn, semble augmenter l'expression de ce récepteur à la prostaglandine. ULg Dans cette figure sont représentés les différents variants génétiques identifiés par les chercheurs liégeois au niveau du 5ème chromosome. La séquence colorée en vert est celle que l'on retrouve le plus souvent chez les patients atteints de la maladie de Crohn (chez 20% des patients). Les chercheurs peuvent en tout cas se focaliser maintenant sur ce récepteur, pour trouver une substance qui en modulerait l'expression, soit qui le bloquerait, soit au contraire qui le stimulerait. L'éventuel médicament qui résulterait de ces travaux ne serait en toute hypothèse pas un remède adapté à tous les patients, mais seulement à ceux dont la maladie est associée à une anomalie sur cet endroit précis du génome. «D'une manière générale, explique le docteur Edouard Louis, la médecine moléculaire se profile comme une médecine sur mesure, parce qu'elle s'adapte à la grande variété génétique des patients.» Un profil génétique décidément beaucoup plus complexe qu'on ne l'imaginait. Après avoir couplé leur base de données avec des chercheurs anglais et américains, et donc en multipliant par trois la puissance statistique de leurs données, les chercheurs de l'ulg savent aujourd'hui que ce ne sont pas 4 ou 5 gènes qui sont associés au développement de la maladie de Crohn, mais sans doute 5 ou 10 fois plus! Chaque patient ne possède pas toutes les séquences identifiées, mais sans doute une dizaine et c'est de cette combinaison que naît la maladie. Ce qui ne veut pas dire qu'il faudra agir sur l'ensemble des gènes de cette combinaison pour obtenir un effet thérapeutique. Un seul suffira peut-être, parce qu'il joue un rôle central dans la cascade moléculaire qui conduit à la maladie inflammatoire. L'étude réalisée à Liège fait partie d'une série de trois études. La mise en commun des résultats de ces trois études a permis de mettre en évidence plus de 30 régions chromosomiques associées à la maladie de Crohn - 4 -
(lire le compte rendu de l'étude publiée en juin 2008 dans Nature genetics). - 5 -