La réforme de la gouvernance de l Internet au SMSI



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Transcription:

7 La réforme de la gouvernance de l Internet au SMSI Jose DO-NASCIMENTO Les mécanismes actuels de régulation de l Internet font l objet d un certain nombre de critiques aussi bien de la part des États que de celui du mouvement associatif 1. Ces critiques concernent d une part, les procédures décisionnelles en cours au sein du dispositif technique de gestion du réseau ; d autre part, le caractère fluctuant des règles du dispositif normatif qui encadre les usages et les échanges sur le réseau. En fait, États et mouvements associatifs reprochent à ces mécanismes d être aux antipodes de l idéal d une régulation multilatérale, transparente et démocratique, avec la pleine participation des États, du secteur privé, de la société civile et des organismes internationaux. En d autres termes, ils prendraient le contre-pied de l idéal démocratique d une régulation institutionnalisée, centralisée ou décentralisée 2. C est à la prospective de ce modèle idéal que le Secrétaire Général des Nations-Unies a mandaté un groupe de travail ad hoc (le WGIG : Working Group on Internet Governance : Groupe de travail sur la Gouvernance de l Internet) à l issue de la première étape du SMSI (Genève décembre 2003). Contrairement aux attentes la seconde étape du SMSI (Tunis novembre 2005) a conduit non pas à l adoption de propositions de réformes inspirées du Rapport du WGIG mais plutôt à un compromis minimal entre les États-Unis et les autres État membres de la communauté internationale. Le SMSI de Tunis a débouché contre toute attente sur une 1. Meryem Marzouki, Cecile Méadel, Gouvernance technique et gouvernement politique d Internet, Rapport au Programme-Ecole Thématique du GDRTIC, mars 2004; Proulx (Serge), Massit-Folléa (Françoise), Conein (Bernard), Internet, une utopie limitée : nouvelles régulations, nouvelles solidarités, Ed Les Presses de l Université Laval, 2005. 2. Voir le rapport du WGIG ( Working Group on Internet Governance : Groupe de travail sur la Gouvernance de l Internet ): ww.wgig.org/docs/wgigreport.pdf

122 LA DÉMOCRATIE À L ÉPREUVE DE LA SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE solution transitoire à deux volets. D une part, une avancée partielle avec la création d un Forum consultatif et pluripartite pour la gouvernance de l Internet. D autre part, le statu quo en ce qui concerne le statut de l Icann. Si l avènement d un forum consultatif crée de façon opportune un espace de dialogue multipartenaire sur les questions relatives à l Internet, elle laisse cependant intacte la tutelle que le gouvernement des États-Unis exerce sur l infrastructure de l Internet. Toutefois, l intérêt porté par les Nations-Unies à la régulation de l Internet confirme l idée que le réseau des réseaux est désormais une matière politique à part entière. L aménagement de son dispositif de régulation va être dans les années à venir l objet d âpres négociations, voir d âpres conflits, entre les États, les citoyens et les opérateurs économiques. Il importe par conséquent d être attentif d une part au contenu des critiques qui sont à la source de la revendication visant à une réforme du dispositif actuel de régulation de l Internet (I), d autre part, aux recommandations formulées dans le rapport que le WGIG a présenté au SMSI de Tunis (II). Les critiques du dispositif actuel de régulation de l Internet Sur le fond, les critiques relatives aux mécanismes actuels de régulation de l Internet dénoncent d une part, le caractère arbitraire du processus décisionnel qui a cours au sein du dispositif technique de gestion de l Internet, d autre part, le caractère imprévisible du tissu juridique qui encadre les rapports entre les acteurs de l Internet. L arbitraire du processus décisionnel au sein du dispositif technique C est ce qui ressort d une part du caractère unilatéral des décisions de l organe principal de ce dispositif 3 et d autre part, de la tutelle qu exerce le gouvernement américain sur ce dispositif. La tutelle américaine sur l Internet La réalité physique de l Internet est constitué par une architecture de 14 serveurs qui font office d annuaires et de postes d aiguillage. Selon 3. L Icann est une organisation privée de droit américain et à but non lucratif.

L IMPÉRATIF DE RÉGULATION ET DE TRANSPARENCE 123 Stephane koch, spécialiste de l Icann, «Sur les 14 serveurs racines répartis dans le monde, seuls 4 ne sont pas situés aux États-Unis ils se trouvent au Japon, en Angleterre, en Espagne et en Suède. Les deux tiers des ordinateurs connectés à Internet sont localisés aux États-Unis, et les principales liaisons à haut débit entre les États-Unis et l Europe occidentale passent par Londres» 4. Parmi les serveurs localisés sur le territoire américain on observe que l un d eux fait fonction de serveur racine. Il sert de référence aux autres serveurs dont précisément il orchestre le fonctionnement. Pour cette raison il est tenu en un lieu secret. Cet infrastructure de l Internet est placé sous l autorité de l Icann. Et ce dernier, est juridiquement sous la tutelle du Département américain du commerce. Le contrôle que le gouvernement américain exerce sur cette infrastructure via sa tutelle sur l Icann lui confère un avantage financier 5 et stratégique 6 sur les autres États. Mais il lui confère surtout une faculté potentielle de pression diplomatique. D une part, le droit de veto que possède le gouvernement américain sur les travaux de l Icann pourrait dans des conditions concrètes de rapports de force lui permettre de faire échec à la volonté souveraine d États tiers. Ainsi par exemple, il lui suffirait d agir sur un seul des serveurs localisés sur son territoire pour déconnecter de l Internet un ou plusieurs pays. D autre part, l obligation d un aval préalable du gouvernement américain pour la création des noms de domaines nationaux ou sectoriels donne à ce dernier une marge d appréciation discrétionnaire sur l opportunité de création ou non d un nom de domaine national ou sectoriel. Or comme le rappelle à juste titre Olivier Iteanu l acte de création d une extension est devenu un acte politique. Chaque État voit en l existence de son domaine géographique une manifestation de sa souveraineté 7. Divers incidents ont attesté de cette faculté du gou- 4. Stephane koch, Gouvernance d Internet : une centralisation inquiétante, in IUED- Société de l information et coopération internationale, Annuaire Suisse de politique de développement, Vol.22,N 2,Nov.2003 5. Selon Stephane Koch «Paradoxalement, les pays du Sud et les pays asiatiques paient un tribut élevé pour accéder au réseau gratuit. Les échanges d informations entre les serveurs-racines et les détenteurs de noms de domaines représentent un coût de l ordre de plusieurs dizaines de millions d euros par année. On peut noter que 80 % à 90 % de ces paquets d informations qui transitent sur Internet passent par les États-Unis, et que presque 90 % des ordinateurs utilisent Microsoft» op. cit. 6. Elle permet au gouvernement américain de s approprier le traitement des informations qui transitent à travers le monde. Selon Stephane koch, «Sous couvert de lutte contre le terrorisme, de plus en plus de données sont collectées sans que leurs titulaires en soient vraiment conscients ou même informés» op. cit. 7. Olivier Iteanu, L Icann, un exemple de gouvernance originale ou un cas de law intelligence? in Massit-Folléa Françoise, Delmas Jean-françois, La Gouvernance d Internet, revue Les cahiers du numérique, vol.3, n 2-2002.

124 LA DÉMOCRATIE À L ÉPREUVE DE LA SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE vernement américain à s ingérer dans l acte de création des noms de domaines nationaux. Ainsi, le Timor-Oriental (Timor-Leste), indépendant depuis 2002, n a obtenu l activation de son nom de domaine qu en 2005. L Union Européenne a dû longuement négocier pour obtenir enfin en 2006 un nom de domaine propre à l Union. La Croatie a obtenu son extension.cr tardivement. Le za, pour Zaïre, État disparu au profit du Congo démocratique, n avait plus lieu d être, sauf pour les opposants au régime. Pour autant, en dépit de quelques protestations, par le jeu (ou le prétexte) naturel des normes Iso, le za était supprimé sur requête de l Icann dans le courant de l année 2001. C est ce pouvoir exorbitant du gouvernement américain sur un bien public international que dénoncent la majorité des États et le mouvement associatif. Les uns et les autres appellent non pas à décentraliser l infrastructure de l Internet, mais à internationaliser sa gestion. Lors de la première étape du SMSI à Genève en 2003, la majeure partie des États (Chine, Brésil et Afrique du Sud en tête) se sont prononcés pour une gestion intergouvernementale de l infrastructure de l Internet par un transfert des pouvoirs de l Icann à l UIT ou l ONU. Le secteur privé et le gouvernement américain se sont prononcés pour le maintien du système actuel. Ils craignaient qu une implication de l ONU dans la gestion des noms de domaines ne conduise à freiner l innovation en raison du risque de bureaucratisation qui s ensuivrait. La société civile a oscillé entre un contrôle interétatique sous réserve d une neutralisation des États vénaux ou non démocratiques et un organisme pluriel contrôlé par un trio citoyens/privés/publics. Quant à l Union Européenne, elle a insisté sur la stabilité et la préservation du dynamisme du modèle actuel tout en reconnaissant la nécessité d une meilleure prise en compte des enjeux gouvernementaux et d une internationalisation de la gestion de l Internet. Elle a donc plaidé pour un nouveau modèle de coopération associant toutes les parties prenantes. L unilatéralité des décisions de l Icann L Icann bénéficie d un monopole en matière de gestion technique du système de nommage et d adressage. Il est par cela l organisme déterminant et central du fonctionnement de l Internet. Ce fonctionnement précisément est sujet à critique sur un certain nombre de thèmes désormais bien connus : centralisation et opacité du fonctionnement, absence de représentativité et surtout unilatéralité des décisions. Centralisation et opacité de fonctionnement : par le rôle qui est le sien au sein du dispositif de gestion technique de l Internet, l Icann est

L IMPÉRATIF DE RÉGULATION ET DE TRANSPARENCE 125 l organisme qui exerce la plus grande attractivité sur toutes les personnes qui souhaitent participer aux travaux de développement de l Internet. Or précisément, les travaux de l Icann sont pris en charge par une multitude de sous sections hyperspécialisés aux acronymes peu transparents. Cette atomisation du travail constitue un véritable labyrinthe organique pour ceux qui sont peu familiers avec ce système. Il a pour effet de vite décourager les personnes candidates à un suivi régulier des travaux de l Icann. De ce point de vue, on peut dire que la centralisation de la fonction de gestion technique de l Internet par l Icann ne répond pas à l exigence démocratique d une gestion transparente. Absence de représentativité : de par sa composition originelle, l Icann ne comprenait aucun membre issu de la communauté des internautes. Pour pallier à ce manque de légitimité l Icann a pris au cours de l année 2000 l initiative d une procédure élective ouverte. Il a organisé conformément à ce que prévoit ses statuts, un processus électoral dit at- large pour permettre aux internautes du monde entier de choisir l un de leurs cinq représentants au Directoire de l Icann. Cette initiative d une procédure élective ouverte avait pour objet de faire élire des représentants continentaux (Afrique, Asie/Pacifique, Europe, Amérique latine et Caraïbes, Amérique du nord) appelés à siéger dans son comité directeur. Si cette initiative n est pas allé sans accroc (34000 votants sur 300 millions d Internautes; vote effectué majoritairement sur la base de préférences nationales), elle a cependant permis d élire les dits représentants. Mais à la grande surprise de tout le monde, peu après, l Icann a décidé de redéfinir son modèle et supprimer du processus décisionnel les représentants élus par la communauté des internautes. Ce comité dit at- large n a désormais qu une fonction de conseil. Unilatéralité des décisions : cette unilatéralité se vérifie notamment à travers les options techniques. On sait en effet qu au sein de l Icann, les options techniques retenues le sont en général sur une base consensuelle. Il y a lieu toutefois comme le recommande Bertrand Warusfel, de distinguer les options à portée exclusivement technique et les options à portée extra-technique 8. Les premières échappent par nature aux conflits d intérêt économique ou politique 9. Les secondes en revanche sont prises dans le jeu des conflits non seulement d intérêts économiques et politiques 8. Bertrand Warusfel, La Gestion de l Internet entre autorégulation et rivalités institutionnelles : un phénomène mondial à la recherche de son modèle de gouvernance, in Annuaire Français des Relations Internationales, 2000. 9. Ainsi en est t il allé du conflit qui en 1992 à 1994 opposa la majorité de l IETF (favorable au protocole TCP/IP) à l ISO (favorable à l adoption d un nouveau protocole : le CLNP).

126 LA DÉMOCRATIE À L ÉPREUVE DE LA SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE mais aussi à coloration nationale ou culturelle. C est ce dont atteste par exemple la lente évolution de l Internet vers des protocoles multilingues. C est ce que traduisent surtout les conflits relatifs aux noms de domaines. Que ce soit du point de vue du partage des revenus inhérents à l enregistrement des noms, de celui de la confusion entre noms de domaines et signes distinctifs (marques, dénominations sociales, noms commerciaux), ou de celui de l opportunité d attribution des noms de domaines de premier niveau qu ils soient nationaux ou génériques. Le gouvernement américain par exemple, sous l influence des milieux conservateurs et puritains, a demandé à l Icann de reporter sa décision d approuver le nom de domaine xxx dont la vocation est d être consacré à l industrie du sexe. Le fait pour l Icann d avoir cédé à cette demande, est apparue aux yeux de beauçoup comme l expression par excellence de l unilatéralité des décisions de cet organisme. De là découle aussi la revendication d une internationalisation de la gestion de l Internet. L imprévisibilité du tissu juridique Une des fonctions du Droit est d introduire une marge de prévisibilité dans les rapports sociaux. Or à ce jour, le tissu juridique relatif à l Internet ne satisfait pas à cette fonction. Il est encore marqué du sceau de l imprévisibilité juridique. Deux sujets illustrent cette réalité. D une part le traitement des conflits entre noms de domaines et signes distinctifs 10. D autre part, le traitement judiciaire des cyberlitiges plurilocalisés. Le règlement des conflits entre noms de domaines Avec le développement du commerce électronique, le nom de domaine est devenu une composante fondamentale de la stratégie des entreprises. Il fait également l objet d un contentieux important en termes de droits d antériorité à la réservation, en termes de contrefaçon de marque etc. Les conflits relatifs aux noms de domaine font l objet d un traitement dualiste. Soit le requérant emprunte la voie d une action auprès d une juridiction nationale. Soit il emprunte celle d une action auprès d une instance transnationale dans le cadre du système mis en place par l Icann. A savoir, l UDRP (Uniform Dispute Resolution Policy) et ses arborescences (Asian Domain name Dispute Resolution Center; CPR Institute for 10. En l espèce, les marques, les dénominations sociales et les noms commerciaux.

L IMPÉRATIF DE RÉGULATION ET DE TRANSPARENCE 127 Dispute Resolution ; National Arbitration Forum ; OMPI). Paradoxalement, en dépit de la valeur économique dont il est désormais constitutif, le nom de domaine ne bénéficie encore d aucune réglementation spécifique. Sa nature juridique (marque, enseigne, nom commercial, etc.) n est pas encore fixée. Elle fait l objet de qualifications diverses à travers les chartes des organismes de nommage, les usages, les pratiques et la jurisprudence. Il s ensuit une incertitude quant à son régime juridique comme l atteste le caractère imprévisible de l issue du contentieux dont il fait l objet. Cette imprévisibilité se vérifie dans la jurisprudence nationale qui n est pas encore fixée. Elle se vérifie aussi à travers les divergences entre la jurisprudence du système de l UDRP et celle des juridictions nationales. L UDRP par exemple ignore le principe de spécialité du droit des marques. Imprévisibilité enfin de la jurisprudence de l OMPI qui dispose d une grande latitude en matière de droit applicable. De par ses statuts cet organisme est habilité à statuer conformément aux Principes directeurs de l UDRP et à tout principe ou règles de droit qu elle juge applicables. C est ainsi qu elle a été amenée à appliquer des principes de Common law dans une affaire opposant un Allemand et un Sud Africain (déc.d 2000-0279). Il ressort en tout cas du traitement des litiges relatifs aux noms des domaines que le sort du demandeur ou du défendeur est tranché de manière variable selon l instance saisie. Il importe donc à chacun de connaître les avantages et les inconvénients à saisir telle ou telle autre instance avant de décider d agir selon une voie ou une autre 11. Concernant la procédure UDRP, Fabienne Candéago résume dans les termes suivants ce que nombre d analystes ont constaté : «La procédure de l UDRP est conçue pour être rapide, efficace et simple. Même si le fardeau de la preuve reposant sur le titulaire de la marque de commerce peut sembler lourd, l analyse de la procédure démontre qu elle n offre pas aux détenteurs de noms de domaines un procès équitable, notamment en raison des délais très courts, de l absence de voies de recours internes en cas de défaut et de l obligation de saisir les tribunaux de droit commun. La procédure de l UDRP ne présente aussi aucun caractère dissuasif envers les titulaires de marques qui tenteraient de s approprier un nom de domaine enregistré dans des conditions légitimes. Une étude des décisions issues de la procédure UDRP révèle qu il existe un déséquilibre flagrant en faveur des titulaires de marques de commerces; les organismes accrédités se taillant la plus grande part du marché 11. Lamy, Droit de l Informatique et des réseaux, 2005, voir le Titre II, Division I, Chapitre II : l Internet et noms de domaine.

128 LA DÉMOCRATIE À L ÉPREUVE DE LA SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE sont ceux dont les décisions sont généralement plus favorables aux titulaires de marques» 12. Le traitement des cyberlitiges plurilocalisés L imprévisibilité du tissu juridique de l Internet est manifeste dans ce type de litige en raison des divergences que peuvent connaître sur une question de droit les législations des pays concernés par le litige. L affaire Yahoo illustre particulièrement ce cas de figure. Elle concerne un litige qui traduit entre autres choses un conflit de philosophie juridique entre le Droit français et le Droit des États-Unis sur la portée de la liberté d expression. La société Yahoo proposait en effet sur son site d enchères publiques la vente d objets nazis. Sur assignation de plusieurs associations anti-racistes, le TGI de Paris par une ordonnance en référé du 20 novembre 2000, avait enjoint le portail américain Yahoo d interdire aux internautes français l accès à ce site de ventes aux enchères au motif que la vente aux enchères en ligne d objets nazis équivalait à une exhibition de symboles rappelant ceux d organisations ou de personnes responsables de crimes contre l humanité. Exhibition qui en législation française est prohibé par l article R 645-1 du code pénal. Ainsi par application de la loi française, le TGI de Paris condamnait la promotion via l Internet d objets nazis alors même qu aux États Unis, lieu d origine du site, la promotion de tels objets est parfaitement licite au regard du premier amendement de la Constitution. Celui-ci confère en effet à la liberté d expression une portée absolue. Si l effectivité du jugement de la juridiction française était acquise sur le territoire français, une question était désormais ouverte. Celle de la portée de l injonction du juge français sur le territoire américain dans un cas de figure où au regard du premier amendement de la constitution américaine existait un conflit de philosophie juridique entre le Droit français et le Droit américain. Cherchant à anticiper sur l avenir la société Yahoo s était tournée vers la justice américaine pour obtenir un jugement déclaratoire sur l interprétation de ce point de droit. L objectif étant d obtenir une décision de principe ayant vocation à s appliquer à l Internet. On verra ici que si Yahoo a obtenu gain de cause en première instance, le jugement de la juridiction qui lui a été favorable s est trouvé infirmé en appel. Par un arrêt du 7 novembre 2001 les juges de la Cour de 12. Candéago (Fabienne), Analyse de la politique et des règles de procédure d Icann relatives au règlement des conflits entre les titulaires de marques de commerce et les détenteurs de noms de domaine, in Lex Electronica, vol. 9, n 11, hiver 2004.

L IMPÉRATIF DE RÉGULATION ET DE TRANSPARENCE 129 justice du District de San Jose en effet ont considéré que «bien que la France ait le droit souverain de contrôler le type d expression autorisée sur son territoire, cette cour ne pourrait appliquer une ordonnance étrangère qui viole la constitution des États-Unis en empêchant la pratique d une expression protégée à l intérieur de nos frontières». Mais par une décision du 23 août 2004 la Cour d appel du 9 e District a annulé le jugement de la Cour de justice du District de San Jose sur la question de la procédure d application des jugements français sur le territoire américain. Selon la cour d appel du 9 e District «La France est dans son droit, comme nation souveraine, de voter des lois contre la diffusion de contenus racistes et nazi...de même que la LICRA et l UEJF sont dans leur droit de saisir la justice en France à l encontre de Yahoo! Afin de faire sanctionner les violations aux lois françaises... Pour autant yahoo doit attendre que la LICRA et l UEJF viennent aux États Unis pour demander l application du jugement français avant de revendiquer l application du premier amendement». Cette décision qui informe simplement sur une question de procédure laissait donc en suspens la question de l application aux USA d un jugement étranger qui limite la liberté d expression. Toutefois la Cour d appel fédérale de San Francisco a rendu le 12 janvier 2006 une décision au fond sur cette question. Il ressort de cette décision que seule une interdiction générale d accès au site, ayant des conséquences sur les utilisateurs américains, aurait constitué une atteinte à la liberté d expression sur le sol américain. Les restrictions imposées par le juge français ne s appliquant qu au public français et n ayant aucune incidence sur le public américain, l atteinte substantielle au premier amendement ne pouvait être invoquée. A la lumière de cette décision on peut donc considérer que dans le cas du traitement judiciaire des cyberlitiges plurilocalisés qui présentent un conflit de philosophie juridique entre le Droit de deux États rien ne s oppose à l effectivité du jugement concerné sur le territoire de l État tiers dès lors que le jugement en question n a pas pour effet de priver les nationaux et les personnes résidentes dans cet État du bénéfice de sa propre législation sur son territoire. Cette décision a l avantage de régler un conflit de philosophie juridique entre deux législations dans le cadre d un cyberlitige plurilocalisé sans mettre en cause la souveraineté législative de l un des États concernés. Elle montre que l imprévisibilité du tissu juridique de l Internet n est en vérité qu un défaut provisoire du dispositif normatif qui a vocation à encadrer l Internet. Ce défaut trouvera, par la voie conventionnelle ou jurisprudentielle, une solution qui donnera au corpus juridique d encadrement de l Internet les qualités de prévisibilité inhérente à tout dispositif juridique. C est cette perspective d une régulation de l Internet par une instance

130 LA DÉMOCRATIE À L ÉPREUVE DE LA SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE représentative et légitime qui a fait l objet d un examen pluripartite au SMSI organisé par les Nations-Unies en 2003 et 2005. La réforme de la gouvernance de l Internet au SMSI de Tunis Le 21 décembre 2001, l Assemblée Générale des Nations-Unies a approuvé par voie de résolution la tenue en deux étapes d un Sommet Mondial sur la Société de l Information (SMSI). Ce sommet a associé de façon inédite le secteur privé et la société civile comme membres à part entière d une conférence multilatérale. La première étape s est déroulée à Genève du 10 au 12 décembre 2003. La seconde à Tunis du 16 au 18 novembre 2005. Au cours des deux étapes les travaux ont porté sur les enjeux de la Société de l Information à travers les thèmes suivants : liberté d accès à l information, liberté d opinion, conditions du pluralisme de la presse, protection des données, sécurisation des réseaux, droits de propriété intellectuelle, logiciels libres et propriétaires, fracture numérique etc. 13. Le Sommet de Genève s est clôturé par l adoption d une Déclaration de Principes et d un Plan d Action 14. Deux questions sont restées en suspens lors de l étape de Genève par défaut de consensus : la question du financement des politiques de lutte contre la fracture numérique et la question de la Gouvernance de l Internet. Concernant ces deux questions, le Secrétaire Général des Nations-Unies a créé deux groupes de travail distincts chargés de leur étude en vue de leur discussion lors du Sommet de Tunis. Le Groupe de travail sur la fracture numérique (TFFM : Task force on financial mechanism) a eu pour mission l évaluation des mécanismes de financement existants et celle de l opportunité d un nouveau fonds de solidarité numérique. Son Rapport a été publié 15 en décembre 2004. Le Groupe de travail sur la Gouvernance de l Internet (WGIG : Working Group on Internet Governance) a eu pour mission l étude d une réforme des mécanismes actuels de régulation de l Internet. Son Rapport 16 a été publié le 18 juillet 2005. Les deux rapports (celui du TFFM et celui du WGIG) ont été présentés au SMSI de Tunis. 13. Pour un compte rendu des débats lire : Soupizet Jean-François, Le Sommet mondial sur la société de l Information : Bilan de Genève et perspectives pour Tunis in Futuribles, oct. 2005, numéro 312. 14. Www.itu.int/wsis/documents/indexi.html 15. Www.itu.int/wsis/tffm/final-report.pdf 16. Www.wgig.org/docs/wgigreport.pdf

L IMPÉRATIF DE RÉGULATION ET DE TRANSPARENCE 131 Nous verrons ici, d une part les recommandations du WGIG, d autre part, la décision du SMSI de Tunis sur la question d une réforme du système de gouvernance de l Internet. Les recommandations du WGIG Le WGIG s est donné trois objectifs : d une part élaborer une définition pratique de la gouvernance de l Internet ; d autre part identifier les questions d intérêt général qui se rapportent à la gouvernance de l Internet ; enfin, trouver un terrain d entente concernant les rôles et sphères de responsabilité respectifs des États, des organisations internationales et autres forums, ainsi que du secteur privé et de la société civile, tant dans les pays en développement que dans les pays développés. Le rapport du WGIG constitue une contribution de qualité à la réflexion sur la gouvernance de l Internet. Il donne de cette gouvernance une définition issue d un débat pluraliste et transnational. Il s agit non pas d une définition consensuelle mais d une définition imposée par la prise en compte du fonctionnement réel de l Internet. Le WGIG procède aussi à un balisage des domaines de la gouvernance de l Internet, clarifiant ainsi le contenu de la notion de gouvernance de l Internet. Le WGIG enfin, propose quatre modèles alternatifs pour une régulation pluripartite de la fonction de contrôle et d élaboration des politiques publiques relatives à l Internet. Concernant la définition de la gouvernance de l Internet, selon le WGIG : «Il faut entendre par gouvernance de l Internet, l élaboration et l application par les États, le secteur privé et la société civile, dans le cadre de leurs rôles respectifs, de principes, normes, règles, procédures de prise de décisions et programmes communs propres à modeler l évolution et l utilisation de l Internet». Cette définition reconnaît explicitement que par les éléments constitutifs du fonctionnement du réseau, la régulation de l Internet implique l intervention d une pluralité d acteurs hétérogènes. Concernant les domaines couverts par la gouvernance de l Internet le WGIG reconnaît que la gouvernance de l Internet «recouvre davantage que la gestion des noms de domaines et adresses utilisés dans le réseau mondial et les questions dont s occupe l Internet Corporation for Assignes Names et qu elle englobe aussi des questions de politique générale importante». Ces questions de politique générale, que le WGIG qualifie comme questions

132 LA DÉMOCRATIE À L ÉPREUVE DE LA SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE d intérêt général, sont divisées en quatre grands domaines. D abord, le domaine relatif à l infrastructure et à la gestion de ressources Internet critiques 17. Ensuite le domaine relatif à l utilisation de l internet 18. Enfin le domaine relatif aux questions dont les répercussions dépassent largement l Internet 19. Sans oublier le domaine relatif aux aspects de la gouvernance de l Internet qui ont trait au développement 20. Concernant les rôles et responsabilités respectifs de toutes les parties prenantes, le WGIG en donne une description qui confirme le caractère pluraliste de la régulation de l Internet. Les parties en question (à savoir les pouvoirs publics, le secteur privé, et la société civile) sont en effet reconnus dans leurs modalités actuelles de contribution à la régulation de l Internet. Enfin concernant les mesures à prendre le WGIG fait des recommandations au sujet des mécanismes de gouvernance de l Internet et, la façon d aborder les questions relatives à l Internet. Concernant les mécanismes de gouvernance de l Internet le WGIG préconise un simple aménagement des mécanismes actuels de fonctionnement. Le rapport indique en effet que «Le WGIG s est penché sur la question de l adéquation des mécanismes de gouvernance de l Internet existants à la lumière des principes énoncés dans les documents finaux du SMSI et est arrivé à la conclusion qu il y avait lieu de leur apporter certaines modifications pour les rendre plus conformes aux critères retenus par ce dernier : transparence, responsabilisation, multilatéralisme et approche coordonnée de toutes les questions de politique publique qui concernent la gouvernance de l Internet». Ces modifications se résument en quatre fonctions essentielles qu il s agit de mettre en œuvre en vue d une meilleure gouvernance de l Internet : la fonction de forum, la fonction politique publique, la fonction contrôle au niveau mondial, la fonction coordination institutionnelle, régionale et nationale. Pour mettre en œuvre ces fonctions le WGIG propose quatre modèles alternatifs et organisationnels susceptibles de faire échec à la tutelle que les États-Unis exercent sur la gouvernance de l Internet par le biais du contrôle que le Département américain du commerce exerce sur l Icann. Le premier est la création d un organisme de l ONU (Global Internet Council : conseil mondial de l Internet) qui superviserait l Icann à la place des États-Unis ; le second est le renforcement du «Governmental 17. Il s agit de la gestion du DSN, de la gestion du système de serveurs racines, des normes techniques, de l homologage et de l interconnexion, des infrastructures de télécommunications, du passage au multilinguisme. 18. Il s agit du pollupostage, de la sécurité des réseaux, de la cyberdélinquance. 19. A savoir : les droits de propriété intellectuelle, le commerce international. 20. En particulier le renforcement des capacités dans les pays en développement.

L IMPÉRATIF DE RÉGULATION ET DE TRANSPARENCE 133 Advisory Commitee» de l Icann en le transformant en forum transparent de débat sur la réglementation d Internet ; le troisième consiste à limiter l Icann à un rôle quasi technique, en créant un «International Internet Council», indépendant de l ONU et qui assurerait les fonctions régaliennes au lieu et place de l Icann, de l Iana et du Department of Commerce; le quatrième enfin est la création de trois nouvelles instances. D une part, la Wicann qui sous contrôle intergouvernemental remplacerait l Icann et s occuperait du système d adressage, d autre part un Forum mondial de gouvernance de l Internet qui constituerait un espace de débat entre les gouvernements, les entreprises et le public, enfin un Conseil des politiques Internet mondiales qui coordonnerait le travail sur les questions de réglementation relatives à Internet. Le WGIG n a pas caché son parti pris. Il s est montré plutôt favorable à la création d un Forum. Celui-ci viendrait combler une lacune en offrant un espace nouveau de dialogue au sein duquel toutes les parties prenantes pourraient s entretenir sur un pied d égalité de toutes les questions qui se rapportent à la gouvernance de l Internet. Les décisions du SMSI de Tunis Les conclusions du WGIG avaient vocation à être discutées au cours du SMSI de Tunis. En fait cette discussion a eu lieu seulement au cours de la dernière Prepcom (réunion préparatoire) du SMSI de Tunis. De façon générale d ailleurs les décisions importantes du SMSI de Tunis ont été prises avant même l ouverture du Sommet. Le SMSI de Tunis n a donc fait qu entériner les décisions prises au cours de la dernière Prepcom. Au cours de cette réunion préparatoire du SMSI de Tunis, les débats se sont focalisés sur la question de la démocratisation et de l internationalisation du système de gestion technique de l Internet. Trois courants se sont affrontés. D une part, les États en développement dont les critiques se sont portés sur la main mise des États-Unis sur la gestion technique de l Internet par le biais de la tutelle qu il exerce sur l Icann 21. D autre part les États-Unis qui se sont prononcés en faveur d un statu quo maintenant intacts les prérogatives actuelles de l Icann par crainte de livrer la gouvernance du réseau à l influence de pays non démocratiques tels que la 21. Ces États se sont prononcés en faveur du transfert des prérogatives de l Icann à un organisme intergouvernemental sous l égide de l ONU comme c est déjà le cas depuis un siècle pour la réglementation du téléphone avec l UIT.

134 LA DÉMOCRATIE À L ÉPREUVE DE LA SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE Chine ou l Iran. Enfin l Union Européenne a insisté sur la stabilité et la préservation du modèle existant tout en reconnaissant la nécessité de prendre en compte les enjeux gouvernementaux et l internationalisation de la gestion du réseau. Elle s est déclarée favorable à la création d un Forum International qui ferait office d espace de dialogue chargé de débattre des questions relatives à l Internet dans un cadre réunissant le secteur public, le secteur privé et la société civile. Si les débats ont été vivement polémiques, les diplomates sont toutefois parvenus,à la veille de l ouverture du Sommet de Tunis, à la conclusion d un accord. Cet accord stipule d une part le statu quo concernant la main mise de l Icann et du département américain du commerce sur l infrastructure de l Internet, d autre part la création d un Forum pour la gouvernance de l Internet. Selon cet accord ce forum doit servir de plateforme pour examiner les questions de politiques publiques multisectorielles qui ne sont pas couvertes de façon adéquate par les mécanismes actuellement en place. Ce Forum n aura aucune fonction de contrôle et ne remplacera pas les mécanismes, institutions ou organismes existants. Il n interviendra pas dans les opérations courantes ou techniques de l Internet. Ce nouveau forum devrait voir le jour au cours du premier semestre de 2006 et tenir sa réunion inaugurale à Athènes, à l invitation du gouvernement de la Grèce. Il s agit d un organe consultatif dans lequel siègeront des représentants des gouvernements, ceux du secteur privé et de la société civile. Tel est le contexte dans lequel s est ouvert le SMSI de Tunis dont le bilan finalement est très contrasté. Au cours de ce Sommet il a été peu question de la gouvernance de l Internet étant donné que le sujet avait déjà fait la veille l objet d un accord. En revanche, les questions relatives à la liberté d expression 22 ont occulté les débats sur la réduction de la fracture numérique. Finalement le seul temps fort a été la présentation d un prototype d ordinateurs portables à 100 dollars, conçu par les chercheurs du MIT en vue de permettre à chaque enfant dans les pays du Sud de disposer d un portable. Ainsi, le SMSI de Tunis a débouché contre toute attente sur une solution transitoire à deux volets. D une part, une avancée partielle avec la création d un Forum consultatif et pluripartite pour la gouvernance de l Internet. D autre part le statu quo en ce qui concerne l Icann. La création par le SMSI d un forum consultatif traduit une option en faveur de la co-régulation. Mais si cette option crée de façon opportune un espace de 22. Plusieurs journalistes se sont plaints de violence de la part du gouvernement Tunisien. Le sommet parallèle que devait organiser la société civile sur le thème d un Sommet citoyen a été annulé sous la pression du gouvernement Tunisien.

L IMPÉRATIF DE RÉGULATION ET DE TRANSPARENCE 135 dialogue multipartenaire sur les questions relatives à l Internet, elle laisse cependant intacte la tutelle que le gouvernement des États-Unis exerce sur l infrastructure de l Internet. Conclusion Le SMSI de Tunis s est clôturé par l adoption de deux résolutions : l Agenda de Tunis et l Engagement de Tunis pour la Société de l Information. Sur la question de la réforme du système de gouvernance de l Internet les décisions importantes ont été prises avant même l ouverture du Sommet. Le SMSI de Tunis n a donc fait qu entériner les décisions prises au cours de la dernière Prepcom (réunion préparatoire du SMSI). Ces décisions ont certes déçu tous ceux qui voyaient dans le SMSI de Tunis l occasion d adopter un schéma consensuel sur les modalités d une régulation multilatérale, transparente et démocratique, avec la pleine participation des États, du secteur privé, de la société civile et des organismes internationaux. Toutefois la création d un Forum consultatif et pluripartite pour la gouvernance de l Internet doit être considéré comme une avancée réelle. Il va constituer un cadre permanent, international, officiel et multiacteurs de débat sur la question des modalités les plus réalistes pour une régulation certes démocratique mais surtout efficace de l Internet. Bibliographie BEAURAIN N. et JEZ E., 2001, Les noms de domaine de l Internet, Ed Litec. BROUSSEAU E., 2001, L auto-régulation nécessite t elle un cadre institutionnel? In Eric Brousseau, Nicolas Curien,(dir.), Economie de l Internet, Presses de Sciences Po, Ed. CANDÉAGO F., 2004, Analyse de la politique et des règles de procédure d Icann relatives au règlement des conflits entre les titulaires de marques de commerce et les détenteurs de noms de domaine, in Lex Electronica, vol. 9, n 11. GODELUCK S., 2002, La Géopolitique d Internet, Ed La Découverte. ITEANU O., 2002, L Icann, un exemple de gouvernance originale ou un

136 LA DÉMOCRATIE À L ÉPREUVE DE LA SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE cas de law intelligence?, in Massit-Folléa Françoise, Delmas Jeanfrançois, La Gouvernance d Internet, Revue Les Cahiers du Numérique, vol. 3, n 2. KOCH S., 2003, Gouvernance d Internet : une centralisation inquiétante, in IUED-Société de l information et coopération internationale, Annuaire Suisse de politique de développement, vol. 22, n 2. LAMY, 2005, Droit de l Informatique et des réseaux, voir le Titre II, Division I, Chapitre II : l Internet et noms de domaine. MARZOUKI M. et MÉADEL C., 2002, Gouvernance technique et gouvernement politique d Internet, Rapport au Programme-Ecole Thématique du GDRTIC, mars 2004, Mounier Pierre, Les Maîtres du réseau, Les enjeux politiques d Internet, Editions La Découverte. PROULX S., MASSIT-FOLLÉA F. et CONEIN B., 2005, Internet, une utopie limitée : nouvelles régulations, nouvelles solidarités, Ed Les Presses de l Université Laval. RABOY M., LANDRY N., 2004, Rapport sur La communication au cœur de la gouvernance globale. Enjeux et perspectives de la société civile au Sommet mondial sur la société de l information, Département de communication, université de Montréal. RABOY M. et VEDEL T., 2005, La régulation des communications à l ère numérique, in Proulx (Serge), Massit-Folléa (Françoise), Conein (Bernard), Internet, une utopie limitée : nouvelles régulations, nouvelles solidarités, Ed Les Presses de l Université Laval. SLAVKA A., 2005, L Icann : une conception collaborative, une mise en œuvre controversée, in Proulx (Serge), Massit-Folléa (Françoise), Conein (Bernard), Internet, une utopie limitée : nouvelles régulations, nouvelles solidarités, Ed Les Presses de l Université Laval. SOUPIZET J.-F., 2005, Le Sommet mondial sur la société de l Information : Bilan de Genève et perspectives pour Tunis in Futuribles, n 312. WARUSFEL B., 2000, La Gestion de l Internet entre autorégulation et rivalités institutionnelles : un phénomène mondial à la recherche de son modèle de gouvernance, in Annuaire Français des Relations Internationales.