Discours de Monsieur Armand De Decker, Bourgmestre d Uccle, à l occasion de l inauguration du Pavé de Mémoire au 712 ch. d Alsemberg Le 4 mai 2012 Mesdames et Messieurs les Echevins, Mesdames et Messieurs les Conseillers communaux, Chère Famille FAJNZNAIDER, Mesdames et Messieurs de l Association pour la Mémoire de la Shoah, Monsieur le Directeur de l Ecole Messidor, Chers élèves, Mesdames et Messieurs, C est avec une immense émotion que nous inaugurons aujourd hui le premier Pavé de Mémoire posé dans la commune d Uccle. L initiative de ces pavés est celle de l artiste Gunter Demnig. Placé devant la dernière habitation des personnes déportées durant la Seconde Guerre mondiale, il est gravé du nom, de la date de naissance ainsi que du lieu de déportation et d assassinat de la victime. Ces Pavés de Mémoire sont appelés en allemand Stolpertsein, qui signifie pierre d achoppement ou pierres sur lesquelles on peut trébucher. Leur objet est d attirer l attention du passant sur ce qui s est passé à l endroit même où il se tient, il y a 69 ans, à l endroit même où il se tient. Ce pavé le fera trébucher pour atteindre, dans une chute vertigineuse d horreur, le plus bas de la condition humaine. Il se souviendra alors de la plus grande tragédie du 20 ème siècle, du régime nazi qui a assassiné, exterminé 6 millions d hommes et de femmes, dont un million et demi d enfants, simplement parce qu ils étaient juifs.
Parmi les victimes de cette barbarie, 24.036 ont été déportées de Belgique, dont Léon Fajnznaider, vivant au 712 de la chaussée d Alsemberg, déporté et assassiné à Auschwitz en 1942. Il avait 16 ans. Après être tombés dans l horreur, leur mémoire ne pouvait pas tomber dans l oubli. C est ainsi qu il y a trois ans, pratiquement jour pour jour, Madame Bella SWIATLOWSKI, avec l aide l Association pour la Mémoire de la Shoah, inaugurait le premier Pavé de Mémoire en Belgique, à la mémoire des membres de sa famille déportés. Depuis, 50 ont été installés. Principalement dans les communes proches de la gare du midi, où vivaient la majorité des juifs avant et pendant la guerre. Peu sont ceux qui vivaient à Uccle à l époque. Pourtant de nombreux actes de résistance ont été réalisés par des Ucclois, notamment lorsque des jeunes femmes juives accouchaient, elles trouvaient refuge à la maison maternelle d Uccle. Nombreux sont les Uccloises et les Ucclois qui ont contribué à sauver les Juifs durant la guerre. Certains ont été reconnus Justes parmi les Nations.
Au début de la guerre et de l occupation, le Collège ucclois a lui-même été victime des lois raciales du Troisième Reich. L Echevin Alfred Errera fut révoqué par l occupant dès le mois de novembre 1940 parce qu Israélite. Son père, Paul Errera, qui était Bourgmestre d Uccle durant la Première Guerre Mondiale, avait déjà résisté à l occupant, notamment en refusant de donner aux Allemands les listes de chômeurs qu ils réclamaient, entraînant le siège de la maison communale. Le Bourgmestre, Jean Herinckx, a lui aussi avec un courage exemplaire, mené des actions de résistance aux nazis qui lui ont valu son arrestation le 30 juillet 1942 et de nombreux mois de détention qui l ont décidé à prendre le maquis. Ces actes de bravoure ne doivent pas occulter la collaboration passive et active qui existé dans notre pays, et notamment au niveau de certaines administrations communales. C est ainsi que l Echevin ucclois Denis a collaboré avec les nazis. Il a été jugé et condamné à la libération. C est sous ma présidence, en 2003, que le Sénat a demandé au CEGES (Centre d études et de documentations Guerre et Société contemporaine) d établir une étude scientifique sur les persécutions et la déportation des Juifs en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale. Le rapport «La Belgique docile» a été publié en 2007, mettant en évidence la collaboration passive et parfois active des autorités vis-à-vis de l occupant allemand, notamment dans la mise en place de registres des juifs ou du port de l étoile jaune ou encore l insuffisance de poursuites des collaborateurs après la guerre, mais ses conclusions n ont jusqu à présent pas été mises en œuvre.
Le Sénat discute actuellement une résolution visant, enfin, à reconnaître solennellement que les autorités belges ont mené avec l occupant allemand dans des domaines cruciaux une collaboration indigne d une démocratie avec des conséquences dramatiques pour la population juive. L enseignement de la Shoah est en effet un important antidote au fanatisme et à l intolérance. Il doit nécessairement faire l objet de nouveaux outils pédagogiques afin d assurer son souvenir et son maintien dans les programme d instruction scolaire. C est d autant plus crucial dans une société en perte de repères. Un sondage récent relève que 50% des moins de 25 ans ignorent que l antisémitisme était un des fondements de l idéologie nazie. A l heure où la résurgence du racisme, et en particulier de l antisémitisme nous effraie, le travail de mémoire est fondamental. A cet égard, je salue la présence parmi nous d André Gumuchadjian, représentant du Comité des Arméniens de Belgique. C est ensemble, en préservant la Mémoire, les mémoires, de la Shoah, du génocide arménien de 1915 et du génocide des Tutsis en 1994 que nous permettrons aux nouvelles générations de réussir là où nous avons échoué et de construire un monde meilleur. Nous avons cru qu il suffisait de clamer «Plus jamais ça» pour éviter que les pages les plus tragiques et les plus horribles de l Histoire ne se répètent.
Aujourd hui, la montée des radicalismes, la permanence de l intolérance doivent susciter un sursaut indispensable pour qu enfin le respect de l Autre devienne le fondement de notre société. Le pavé de Mémoire inauguré aujourd hui représente la contribution de la commune d Uccle à cet édifice, cette société que nous espérons laisser à nos enfants représentés ici par les élèves de l enseignement communal. Je vous remercie.