Etude sur les relations entre marchés et sécurité alimentaire au Burkina Faso



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Transcription:

Analyse des contraintes d approvisionnement et des opportunités de commercialisation des produits agro-sylvo-pastoraux et halieutiques comme éléments d appréciation de la performance des marchés de proximité pour la sécurité alimentaire des ménages Enquêtes dans les régions Boucle du Mouhoun et Sahel Etude sur les relations entre marchés et sécurité alimentaire au Burkina Faso Marie-Hélène DABAT, CIRAD Issa ZONGO, U. de Koudougou Ruphin KIENDREBEOGO, consultant Rapport final Février 2012 Enquêteurs : Thérèse COEFE Jacques GUIGMA Tiraogo KABORE Liékou KOHO Abdoul Aziz LY Djénéba OUEDRAOGO Harouna SONDE

Sommaire Sigles et abréviations... 3 Liste des tableaux... 4 Liste des figures... 4 Liste des annexes... 5 Résumé... 6 1. Introduction... 11 1.1. Le concept de sécurité alimentaire... 11 1.2. Importance et connaissance des marchés au Burkina Faso... 12 1.3. La collaboration du PAM et du CIRAD au Burkina Faso... 16 1.4. Méthodologie... 18 2. Caractérisation de la zone d étude... 21 2.1. Région de la Boucle du Mouhoun... 22 2.1.1. Province des Banwa... 22 2.1.2. Province de la Kossi... 25 2.2. Région du Sahel... 27 2.2.1. Province du Séno... 27 2.2.2. Province de l Oudalan... 29 3. Analyse des flux des filières... 32 3.1. Filière céréales, légumineuses et oléagineux... 33 3.2. Filières produits de l élevage... 36 3.3. Filières produits maraîchers... 38 3.4. Filières produits forestiers non ligneux et produits halieutiques... 40 4. Structure et fonctionnement des marchés... 45 4.1. Les différentes formes de marché... 45 4.1.1. Les marchés porte à porte et les marchés bord champ... 45 4.1.2. Les bourses céréalières... 45 4.1.3. Le marché des institutions... 46 4.1.4. Les marchés physiques... 46 1

4.2. Caractéristiques des marchés physiques... 47 4.2.1. Caractéristiques des marchés dans la province des Banwa... 47 4.2.2. Caractéristiques des marchés dans la province de Kossi... 51 4.2.3. Caractéristiques des marchés dans la province du Séno... 55 4.2.4. Caractéristiques des marchés dans la province de l Oudalan... 58 4.3. Stratégie des acteurs de la commercialisation... 61 4.3.1. Le circuit interprovincial et transfrontalier... 63 4.3.2. Le circuit local... 65 4.3.3. Le circuit critique... 66 5. Rôle des marchés dans la sécurité alimentaire... 67 5.1. Le marché comme source d alimentation... 68 5.2. Le marché comme source de revenu... 69 5.3. Le rôle du marché dans l économie des ménages... 72 6. Conclusion et recommandations... 75 Quelques références bibliographiques... 80 Annexes... 84 2

Sigles et abréviations ADDB : Association pour le Développement du Département de Bomborokuy AGRISTAT: Statistique Agricoles du Burkina Faso APFNL : Agence pour la Promotion des Produits Forestiers Non ligneux ASPH : Agro Sylvo Pastorale et Halieutique ATAD : Alliance Technique d Assistance au Développement BACB: Banque Agricole et Commerciale du Burkina Faso CICB : Comité Interprofessionnel des Céréales du Burkina Faso CILSS : Comité permanent Inter Etats de Lutte contre la Sécheresse CIRAD : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement CRA : Chambre Régionale d Agriculture CRS: Catholic Relief Service CRUS : Conseil Régional des Unions du Sahel CVD: Comité Villageois de Développement DGPER: Direction Générale de la promotion de l Economie Rurale / MAH DGPSA: Direction Générale de la Prévision et des Statistiques Agricoles / MAH DGPSE: Direction Générale de la Prévision et des Statistiques de l Elevage / MRA DPAH : Direction Provinciale de l Agriculture et de l Hydraulique et des Ressource Halieutiques DPEDD: Direction Provinciale de l Environnement et du Développement Durable DPRA : Direction Provinciale des Ressources Animales ENIAM : Enquête Nationale sur l Insécurité Alimentaire et la Malnutrition EPA : Enquête Permanente Agricole FEPPASI : Fédération Provinciale des Producteurs Agricoles de la Sissilli FER : Fonds d Equipement Rural GIZ: Coopération allemande IMF: Institution de Micro Finance INERA : Institut de l Environnement et de Recherches Agricoles INSD : Institut National de la Statistique et de la Démographie MAH(RH) : Ministère de l Agriculture, de l Hydraulique (et des Ressources Halieutiques) MRA : Ministère des Ressources Animales MCA : Millenium Challenge Account MEDD : Ministère de l Environnement et du Développement Durable OCADES: Organisation Catholique pour le Développement et la Solidarité OFNACER: Office National des Céreales 3

ONG: Organisation Non Gouvernementale OP : Organisation paysanne PAFASP : Projet d Appui aux Filières Agro Sylvo pastorale PAM : Programme Alimentaire Mondial PDA : Projet de Développement de l Agriculture PFNL: Produit(s) Forestier(s) Non Ligneux PREVAS : Projet de Réduction de la Vulnérabilité Alimentaire au Sahel PROFIL : Projet d Appui aux Filières Agricoles SONAGESS: Société Nationale de Gestion du Stock de Sécurité Alimentaire SPAI: Sous produit agro industriel UCEC S: Union des Caisses d Epargne et de Crédit au Sahel Liste des tableaux Tab.1 Caractéristiques des provinces étudiées : production et sécurité alimentaire P.21 Tab.2 Orientation des productions des régions et provinces étudiées P.22 Tab.3 Distance (km) entre marchés en passant par la voie principale dans la province des P.49 Banwa Tab.4 Typologie des marchés en fonction des produits ASPH dans la province des Banwa P.50 Tab.5 Distance (km) inter marché par la voie principale dans la province de la Kossi P.53 Tab.6 Typologie des marchés en fonction des produits ASPH dans la province de la Kossi P.54 Tab.7 Distance (km) inter marché par la voie principale dans la province du Séno P.57 Tab.8 Typologie des marchés en fonction des produits ASPH dans la province du Séno P.58 Tab.9 Distance inter marché par la voie principale dans la province de l Oudalan P.59 Tab.10 Typologie des marchés en fonction des produits ASPH dans la province de l Oudalan P.61 Tab.11 Contraintes et opportunités liées aux marchés de proximité P.75 Liste des figures Fig.1 Régions et provinces étudiées P.18 Fig.2 Evolution du taux de couverture des besoins céréaliers par province de 2005 à 2009 P.20 Fig.3 Province des Banwa dans la région Boucle du Mouhoun P.24 Fig.4 Province de la Kossi dans la région Boucle du Mouhoun P.26 4

Fig.5 Province du Séno dans la région Sahel P.28 Fig.6 Province de l Oudalan dans la région Sahel P.31 Fig.7 Flux commerciaux de la province des Banwa en Boucle du Mouhoun P.44 Fig.8 Flux commerciaux de la province de la Kossi en Boucle du Mouhoun P.44 Fig.9 Flux commerciaux de la province du Séno en Boucle du Mouhoun P.45 Fig.10 Flux commerciaux de la province de l Oudalan en Boucle du Mouhoun P.45 Fig.11 Marchés enquêtés dans la province des Banwa Boucle du Mouhoun P.48 Fig.12 Marchés enquêtés dans la province de la Kossi Boucle du Mouhoun P.52 Fig.13 Marchés enquêtés dans la province du Séno dans la région Sahel P.55 Fig.14 Marchés enquêtés dans la province de l Oudalan dans la région Sahel P.59 Fig.15 Position des commerçants dans la chaine de commercialisation P.61 Liste des annexes Annexe 1. Disponibilité mensuelle des produits sur les marchés par province Annexe 2. Evolution des prix des céréales dans les provinces étudiées Annexe 3. Photos de terrain Annexe 4. Liste des personnes ressources enquêtées 5

Résumé Plusieurs études ont porté sur l organisation des marchés agricoles à l échelle nationale ou sousrégionale en Afrique de l Ouest, à partir notamment des flux transfrontaliers. D autres ont exploré plus récemment l intégration des marchés et la transmission des prix, même si certaines zones d ombre demeurent. Beaucoup moins de travaux ont porté sur les relations des ménages avec les marchés de proximité et sur le rôle des marchés secondaires dans la sécurisation alimentaire. Le CIRAD et le PAM ont mené une série de travaux au Burkina Faso pour comprendre la nature des relations entre l accès des ménages aux marchés physiques ou de proximité et la sécurité/insécurité alimentaire. Cette étude se situe dans ce registre. Ces relations sont complexes dans le sens où les mêmes ménages peuvent être à la fois acheteurs ou vendeurs (selon les périodes et les produits), et où les marchés peuvent diminuer ou accroître leur vulnérabilité. Les marchés, et en particulier les marchés ruraux, jouent un rôle dans les économies familiales comme source de revenus (vente de la production agricole, du bétail et des produits de cueillette) et pour l achat de produits alimentaires. Cette nouvelle collaboration cible les mécanismes explicatifs de la relation entre marchés et sécurité alimentaire. Elle a pour but de comprendre les contraintes d approvisionnement et les opportunités de commercialisation des produits agro sylvo pastoraux et halieutiques pour les ménages comme éléments d appréciation de la performance des marchés pour assurer leur sécurité alimentaire. Les matériaux de la présente analyse proviennent d une enquête qualitative sur les principaux marchés des provinces des Banwa et de la Kossi dans la région Boucle du Mouhoun et des provinces du Séno et de l Oudalan dans la région du Sahel. Ces provinces ont été choisies à dessein car elles illustrent le paradoxe de la déconnexion entre niveaux de production et situations alimentaires locales. Les provinces où la sécurité alimentaire paraît assurée ne sont pas celles où la production agricole par habitant est la plus élevée. Les chapitres qui structurent le rapport portent sur les thèmes suivants: la caractérisation de la zone d étude, les flux de produits des principales filières de commercialisation, la structure et le fonctionnement des marchés et la stratégie des acteurs de la commercialisation, les relations entre les marchés et la sécurisation alimentaire des ménages, les recommandations pour renforcer le rôle positif que les marchés peuvent jouer en matière de sécurité alimentaire. Caractérisation des zones d étude Il ressort de l analyse des caractéristiques des zones d étude que le poids administratif et démographique ainsi que la situation géographique et climatique peuvent influencer la disponibilité et la circulation des produits dans l espace et dans le temps. L historique des mouvements de population peut aussi déterminer le sens des flux des produits dans l espace. Les conditions de transport des produits alimentaires sont généralement mauvaises dans la plupart des territoires des provinces étudiées, Séno mise à part. Ceci pour plusieurs raisons : les routes goudronnées sont rares, les pistes peuvent être impraticables en saison pluvieuse, les dégâts des pluies laissent des traces sur les pistes en saison sèche (escaliers, cassis, trous), les marchés sont éloignés des voies principale, etc. L accès aux provinces du Sahel est aussi contraint par le grand banditisme. Toutes ces difficultés portent préjudice à l évacuation des produits depuis les zones de production mais aussi à l acheminement des produits dans les zones déficitaires. Une contrainte fondamentale au bon fonctionnement des marchés au Sahel est le manque de capacités de stockage. Il y a à ce sujet une véritable compétition entre les hommes (stockage des céréales) et les animaux (stockage de l aliment pour bétail). Il n est pas rare de trouver plus facilement du tourteau de coton (très rentable pour les commerçants) que des sacs de céréales dans certains magasins. Les coûts de stockage sont élevés du fait de cette pression sur les capacités. 6

Les comités des villages destinataires de l aide alimentaire doivent se déplacer dans le chef lieu provincial (distance, voie inondée, voyage coûteux), trouver un lieu de stockage (généralement coûteux), ramener la marchandise au village en plusieurs fois Finalement, les effets du prix social des céréales de l aide alimentaire ont tendance à être annihilés par le coût élevé du déplacement, du stockage et du transport. Cependant, les seuls coûts du transport et du stockage n expliquent pas le niveau élevé des prix du mil. Un des facteurs explicatifs des prix élevés est l absence de marchés. La plupart des commerçants de céréales n étant pas originaires de la province, ce sont des colporteurs extérieurs qui interviennent (déplacement des stocks). Après le passage du semi grossiste, la seule possibilité de se ravitailler est le détaillant qui pratique des prix élevés. L accès au crédit est une contrainte assez généralisée à l insertion des agents des filières aux marchés. Cette contrainte a été citée aussi bien par les ménages de consommateurs qui sont contraints à fractionner leurs transactions, les grossistes de céréales qui peuvent être limités dans leurs fonds de roulement, les femmes des groupements et les petits opérateurs des filières forestières non ligneuses. Les emprunteurs potentiels accèdent faiblement au crédit pour plusieurs raisons. Au final, ce sont les agents des filières eux mêmes (par exemple le grossiste de Ouagadougou ou de Ouahigouya) qui assurent le financement des autres agents amont dont ils dépendent pour l approvisionnement, ce qui modifie les rapports de force dans la négociation des prix. Analyse des flux de produits des filières Les filières céréales, niébé, sésame, volaille et bétail sont longues en distance parcourue par les produits et en nombre d intermédiaires ; tandis que les productions d oignon, de tomate et de PFNL, fournissent des filières courtes. Les productions de niébé, bétail, à un moindre degré sésame, sont très développées aussi bien dans la Boucle du Mouhoun qu au Sahel. Par contre, les céréales, l oignon, les PFNL et la volaille sont plus caractéristiques de la Boucle du Mouhoun. Les céréales sont en grande partie destinées à l autoconsommation des producteurs tandis que les producteurs de niébé, sésame, bétail et oignon ciblent plutôt le marché. Etant donné la position frontalière des provinces étudiées, les acteurs de la plupart des filières développent les transactions avec l étranger, c est particulièrement le cas pour le bétail, les céréales, le niébé, le sésame, la volaille et l oignon. Les flux de poisson, les produits joints à l élevage tel que le lait et les œufs, ainsi que certains PFNL, se limitent à l échelle locale et nationale. A la Boucle du Mouhoun, les circuits de commercialisation sont tournés vers Bobo Dioulasso, Ouagadougou, Ouahigouya, Dori, Djibo et Gorom Gorom pour les céréales ; et vers la Côte d Ivoire et le Nigéria pour le bétail. Au Sahel, les circuits de commercialisation du bétail sont orientés vers le Niger, Pouytenga et le Nigeria ; les flux approvisionnant la région proviennent de Ouagadougou, Bobo Dioulasso et la Région de la Boucle du Mouhoun pour les céréales, et de Ouahigouya, Pissila, Tougri, Sebba et Pouytenga pour les produits de cueillette. Ouagadougou et Bobo Dioulasso représentent les principaux sites de destination du sésame et du niébé en provenance de la Boucle du Mouhoun et du Sahel. Dans les Banwa, la filière oignon connait un essor et occupe une place importante dans les activités génératrices de revenu des ménages (hommes et femmes) durant la saison sèche. Certains acteurs (notamment les femmes) de la filière des PFNL tels le karité, le baobab et le néré sont organisés en associations pour promouvoir la gestion durable de ces produits. La filière volaille bien développée dans la Boucle du Mouhoun reste timide au Sahel. Le poisson commercialisé au Sahel provient en grande partie de la production locale mais celui de la Boucle du Mouhoun provient du Mali. Les moyens de transport sont surtout constitués de charrettes à traction asine pour les transactions intra province et de camions pour les grandes distances. Pour l acheminement du bétail dans le 7

Sahel, les commerçants pratiquent la conduite sur pied plutôt que le transport à camion. Dans les Banwa, la traction équine est très développée et assure le transport des céréales, des caprins et de la volaille sur longue distance (environ 50 km). Structures et fonctionnement des marchés L analyse des marchés montre qu il y a des flux dominants sur certains marchés (types de produits, types d agents) mais que généralement on trouve un grand nombre d agents sur la plupart des marchés (depuis le collecteur jusqu au consommateur) et qu il est difficile de faire une typologie des marchés viable (collecte, gros, consommation ). De plus, certains marchés change de catégorie selon les périodes de l année : Pour les céréales, les marchés de la Boucle du Mouhoun sont des marchés de collecte ou de regroupement mais ils deviennent en hiver des marchés de consommation. Il est donc difficile d effectuer un suivi des prix sur les marchés déconnecté des types d agents et des quantités échangées, tous deux étant révélateurs du stade du produit dans la filière. En l état actuel, le traitement des séries de prix existantes ne fournit pas d information sur la formation des prix dans les filières car il ne tient pas compte des flux de produits entre les différents types de marchés. La province des Banwa est plus ouverte au marché extérieur que la Kossi à cause de l extraversion de son économie et la province du Séno est bien dotée en infrastructures routières en comparaison de l Oudalan. Le Sahel expédie/exporte son mil local quelques temps après la récolte malgré les déficits de production que connait cette zone. Les relations entre marchés s expliquent par la proximité, le jour d ouverture, la disponibilité du produit et les types d intervenants. Les fréquences d ouverture des marchés sont spécifiques à chaque province. Les Banwa et l Oudalan enregistrent des jours d ouverture hebdomadaires et fixes tandis que la Kossi et le Seno enregistrent des jours d ouverture variables à intervalle de trois jours pour le Séno et de cinq jours pour la Kossi. Dans les zones déficitaires, la fréquence d accès aux produits commercialisés a un effet sur la disponibilité du produit et sur le niveau des prix. C est le cas de l Oudalan où les semi grossistes créent la pénurie (fermeture des magasins les jours non ouvrables des marchés) pour faire grimper les prix. L accès aux marchés est particulièrement contraint dans le Sahel et surtout dans la province de l Oudalan. L intervalle de temps long entre les jours d ouverture des marchés, la grande distance entre les marchés et le comportement de colportage des commerçants de la localité, sont autant de facteurs qui limitent l accès des consommateurs aux produits dans cette province. Dans les zones excédentaires comme dans les Banwa, la fréquence d ouverture des marchés a moins d effet sur les prix des produits. C est la zone de consommation qui dicte le prix sur la zone de production, les grossistes non résidents analysent la demande du produit avant de fixer le prix d approvisionnement. Plus la demande est élevée dans les zones de consommation plus le prix augmente sur toute la chaine de distribution pour inciter les producteurs à vendre. Le producteur est le plus souvent preneur de prix dans le circuit de commercialisation. La formation du prix des produits est déterminée par un ensemble de paramètres sans qu il soit facile de les hiérarchiser en l absence d une analyse économétrique sur un nombre réduit de produits: nombre d intermédiaires dans la filière, volume échangé, période de commercialisation, durée du stockage, disponibilité et qualité du produit, distance entre lieu d approvisionnement et lieu de revente, coût du transport, qualité des voies, taxes et «tracasseries» douanières, culture et relations sociales, fréquence d ouverture des marchés, qualité des voies d accès, taxes et tracasseries douanières, disponibilité des moyens de transport, pluviométrie, détention de l information, etc. Les commerçants ont plus de poids que les producteurs et les consommateurs dans la fixation des prix. L analyse des marchés fait ressortir aussi que pour l appréciation du prix des céréales, les consommateurs de la Boucle du Mouhoun se réfèrent au prix de collecte tandis que ceux du Sahel se fondent sur le prix du bétail. A la Boucle du Mouhoun, lorsque l écart entre prix de collecte et prix de 8

détail est très élevé, les consommateurs se sentent exploités par les commerçants. Au Sahel, si le prix des céréales évolue à la hausse tandis que le prix du bétail évolue à la baisse, les consommateurs constatent une détérioration des termes de l échange et jugent le prix des céréales trop élevé. Le système officiel de veille des marchés est quasiment absent sur l ensemble des marchés. L information circule de façon informelle et est monopolisée par les commerçants via le bouche à oreille et le téléphone portable. Rôle des marchés dans la sécurité alimentaire Le marché est la principale source d approvisionnement en produits alimentaires des ménages, même si d autres formes de transaction ne sont pas négligeables : paiement en nature ou troc. Quelle que soit leur catégorie sociale, les ménages utilisent largement le marché pour satisfaire leur survie alimentaire ou pour diversifier leur ration alimentaire. De façon générale et aussi bien dans la Boucle du Mouhoun que dans le Sahel, la fréquentation des différents marchés est fonction des jours d ouverture et de la présence des commerçants. Les principales barrières à l accès aux produits alimentaires pour les ménages des deux provinces de la boucle du Mouhoun sont leur prix élevé par rapport aux revenus et les difficultés d acheminement des produits du fait de la faible qualité des infrastructures routières. Le marché représente une opportunité de vendre les surplus de produits vivriers mais aussi de diversifier la production et d obtenir des revenus à partir d un plus grand nombre de produits. Les enquêtes confirment la diversification des activités et des productions facilitée par la proximité d un marché à l échelle des ménages. Les ménages des différentes catégories sociales vendent sur les marchés, même si c est pour des raisons différentes. Le marché constitue ainsi une opportunité pour les producteurs d écouler leur production excédentaire ou certaines spéculations dont ils peuvent tirer un bon prix et de se procurer les moyens monétaires d acheter les produits et services qui leur manquent : condiments, céréales qui pourraient manquer à la soudure, produits de diversification, mouture, etc. Le marché joue un rôle important dans l alimentation des ménages seulement quand les produits atteignent les marchés de proximité et sont disponibles à l achat et à la vente. Les producteurs fréquentent plusieurs marchés dans leur province s ils le peuvent pour mieux écouler leur production et trouver les meilleurs prix possibles Ne pouvant pas négocier directement les prix, la seule marge de manœuvre des producteurs est d essayer de bloquer la marchandise pour exercer une pression à la hausse sur les prix si la demande des acheteurs de Ouagadougou via leurs intermédiaires est importante. La vente échelonnée ou fractionnée est un moyen pour les producteurs vendeurs de jouer sur le prix mais elle s avère risquée dans certains cas où l information est asymétrique. L intérêt des ménages agriculteurs à commercialiser à la récolte et à racheter à la soudure ou à vendre des produits de rente pour acheter des céréales est déterminé par le système de prix c'est àdire par le rapport de prix soudure/récolte et par les prix relatifs produits de rente/céréales. La spécialisation dans les cultures commerciales (coton, sésame, oignon, tomate, élevage, niébé de plus en plus) peut se développer au détriment des cultures de consommation familiale et entraîner une grande dépendance aux marchés pour l achat des produits de consommation. Alors que les populations du Sahel dépendent des marchés pour s approvisionner, celles de la Boucle du Mouhoun en dépendent pour écouler leur production. Cependant l incitation donnée par le marché peut aller au delà de la vente des excédents créant un déficit dans les zones initialement excédentaires. Faciliter la circulation des produits peut être à double tranchant. Conclusions et recommandations Cette étude a mis l accent sur quelques facteurs en relation avec les marchés qui peuvent expliquer 9

les différences de situation alimentaire entre les contextes contrastés étudiés : (i) les conditions de circulation des produits, (ii) plusieurs facteurs d ordre social et culturel, (iii) le calendrier des jours de marché, (iv) les capacités de stockage. Au total, même s il est largement reconnu que le développement des marchés et la fluidité des échanges dans le pays peuvent avoir un effet stabilisateur sur les prix et la sécurité alimentaire, les relations entre fonctionnement des marchés et situation alimentaire des ménages restent ambigües. Un accès facile aux marchés physiques (qualité des infrastructures, fréquence des marchés de proximité, etc.) peut avoir un effet positif sur les indicateurs de sécurité alimentaire comme dans le Séno. Mais il peut avoir aussi un effet négatif dans les Banwa où il favorise la commercialisation des productions agricoles au détriment de l approvisionnement des marchés ruraux ou de l autoconsommation rurale, au point qu un grand nombre de ménages manquent de nourriture et diversifient peu leur alimentation. Le fonctionnement des marchés ruraux ne permet pas aux produits alimentaires d être disponibles pour les populations ou bien la tentation est grande pour les ménages de commercialiser leur production au delà des réserves alimentaires. L effet sur la sécurité alimentaire peut être encore plus important s il y a une forte variabilité interannuelle des prix. De la même façon, un accès restreint au marché peut aussi avoir un effet négatif sur la sécurité alimentaire comme dans l Oudalan où les voies de communication et les capacités de stockage sont déficientes ; ou un effet positif comme dans la Kossi où l enclavement des zones de production et des marchés ruraux fait obstacle à la mobilité des produits vers l extérieur de la province et contribue localement à la sécurité alimentaire. Cependant, la production locale y est insuffisamment valorisée pour les producteurs. L étude confirme que toute intervention orientée vers une amélioration de la situation alimentaire des populations doit tenir compte des modalités d accès physique des ménages aux marchés ; du niveau et des fluctuations de prix sur les marchés de proximité qui ont un effet sur le pouvoir d achat des ménages ; du niveau d approvisionnement des marchés en quantité, en diversité et dans le temps. Elle démontre qu il est indispensable que cette prise en compte des modes d accès des ménages aux marchés et de l approvisionnement des marchés se fasse à une échelle infrarégionale car la situation des ménages et des marchés peut être très différente d une province à l autre au sein d une même région. La Boucle du Mouhoun et le Sahel en offrent une parfaite illustration. Pour éviter des situations où certaines zones se vident de leur production sur les marchés de regroupement et ne soient pas capables de maintenir en contrepartie un niveau d approvisionnement régulier des marchés de consommation, il convient de favoriser à la fois l amélioration du fonctionnement des marchés de collecte et de consommation à l échelle locale et l augmentation de la production à l échelle nationale. A l issue de ce travail portant sur les filières locales et sur les marchés physiques, un certain nombre de recommandations de natures très différentes peuvent être faites pour améliorer la performance des marchés et renforcer le rôle positif qu ils peuvent jouer en matière de sécurité alimentaire. Une première série de recommandations porte sur l amélioration de plusieurs types d infrastructures de nature à favoriser les échanges commerciaux: routières, de stockage, de conservation, de transformation, de marchés... Une deuxième série de recommandations porte sur l amélioration de la connaissance du fonctionnement des marchés : suivi de la formation des prix et des flux commerciaux. Une troisième série de recommandations vise à renforcer la coordination et la «professionnalisation» des acteurs dans certaines filières. Une quatrième série de recommandations vise à mieux prendre en compte les habitudes culturelles, les préférences alimentaires des populations et les stratégies développées par les consommateurs, pour évaluer et lutter contre l insécurité alimentaire dans certains contextes locaux. 10

1. Introduction 1.1. Le concept de sécurité alimentaire "La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active" (Définition de la Conférence Mondiale de l'alimentation de 1996). La sécurité alimentaire a longtemps été considérée comme une question d adéquation entre l offre et la demande alimentaires. Les politiques pour l atteindre se résumaient à augmenter la production agricole et/ou à ralentir l accroissement démographique. Or la définition proposée par la Conférence Mondiale de l Alimentation montre que cette conception a fondamentalement évolué. La sécurité alimentaire repose sur quatre piliers : l accès, autrement dit la capacité de produire sa propre alimentation ou de l acheter, et donc de disposer d un pouvoir d achat suffisant pour le faire ; la disponibilité, qui reste un problème dans les zones où la production alimentaire est insuffisante pour couvrir les besoins et qui interroge la capacité de charge de la planète pour nourrir une population croissante et de plus en plus consommatrice ; la qualité de l alimentation, des points de vue tant nutritionnel, sanitaire, sensoriel que socio culturel : la sécurité alimentaire (food security) intègre ainsi la sécurité sanitaire ou la salubrité des aliments (food safety) ; la régularité, à la fois, des disponibilités, des moyens d accès à l alimentation et de sa qualité : ce quatrième pilier intègre donc la question de la nécessaire stabilité des prix et des revenus des populations vulnérables. La plupart des travaux de recherche du CIRAD contribuent directement ou indirectement à cet objectif de sécurité alimentaire car ils portent sur: l augmentation de la production agricole (amélioration génétique, lutte contre les maladies, amélioration des systèmes de culture, réduction des pertes, etc.) ; l amélioration de la compétitivité des productions paysannes et des revenus des agriculteurs et des acteurs des filières agro alimentaires (amélioration de la qualité, réduction des coûts, etc.) ; l amélioration de la qualité des aliments, notamment sanitaire, mais aussi nutritionnelle et sensorielle, et par la valorisation des produits locaux traditionnels. Au CIRAD, l'approche globale de la sécurité alimentaire et des interventions ou des politiques pour l atteindre met l'accent sur : Les ménages, les individus. Quels sont leurs comportements vis à vis des risques alimentaires? Quels liens existent entre les dotations (revenus, éducation,...), les comportements et la sécurité alimentaire? Quels sont les indicateurs pertinents pour la mesurer? Comment rendre compte du bien être, et pas seulement de l'insécurité? Quels sont les effets des différentes politiques, 11

notamment de lutte contre la pauvreté, de protection sociale ou de régulation des prix, sur la sécurité alimentaire des individus? La gouvernance de la sécurité alimentaire. Comment s articulent les politiques globales, régionales, nationales, locales? Quel est le rôle des démarches collectives des producteurs ou des consommateurs? Quels dispositifs, quelles conditions sont propices à une gouvernance intersectorielle? Avec quelle cohérence les différentes politiques sectorielles permettent elles d'atteindre un objectif de sécurité alimentaire? Comment intégrer les préoccupations environnementales et sociales dans les politiques de sécurité alimentaire pour une alimentation durable? La gestion de l'instabilité des prix. Nécessite t elle une intervention publique? Dans quelles conditions institutionnelles et politiques peut on mettre en œuvre des instruments de régulation de marché ou d'atténuation des effets des instabilités? La production agricole et la sécurité alimentaire. Si la disponibilité ne suffit pas à assurer la sécurité alimentaire, elle est nécessaire. Quels sont les facteurs de la croissance de la production alimentaire? Comment la demande, notamment des villes, tire t elle ou décourage t elle cette production? Quelles peuvent être les conséquences des acquisitions des terres à grande échelle sur la sécurité alimentaire? Les perspectives d évolution de l offre et de la demande alimentaire dans le monde. Comment évolueront les usages des terres, les rendements, les usages des produits agricoles dans un contexte de changement climatique, de préoccupations environnementales croissantes, d urbanisation rapide, de croissance économique et d augmentation de la demande en produits animaux et en énergie renouvelable? 1.2. Importance et connaissance des marchés au Burkina Faso Bien que mieux loti que certains de ses voisins en Afrique Subsaharienne, le Burkina Faso fait partie des pays en insécurité alimentaire chronique. Seul le surplus d une production vivrière essentiellement réalisée en culture pluviale et encore largement destinée à l autoconsommation des producteurs, a vocation à être commercialisé. Le volume de ce surplus est dépendant des conditions climatiques et des fluctuations de la production, qui entraînent une forte instabilité des prix et exposent les populations à des crises alimentaires. Un cercle vicieux est engagé auquel il est difficile d échapper (Aubert et al., 2009): face au risque de prix, les producteurs privilégient des stratégies de sécurisation alimentaire au détriment de stratégies d investissement qui permettraient d accroître la productivité et les volumes commercialisés ; l offre est insuffisante, le marché demeure étroit et les prix restent volatiles. Il en est de même aux différents stades de la commercialisation et de la transformation : le risque lié à l instabilité des prix renforce les opérateurs dans leur réticence à investir, ce qui limite les capacités d ajustement à la demande par le marché. Ainsi, la sécurité alimentaire au Burkina Faso est largement liée aux conditions climatiques car les rendements agricoles sont bas. Ce phénomène s amplifie avec l augmentation de la population et en particulier avec l urbanisation. Mais, les crises alimentaires peuvent être dues aussi à une production abondante pouvant occasionner une baisse des prix et du pouvoir d achat des producteurs les obligeant à commercialiser au delà du surplus. La récurrence des crises alimentaires au cours des dernières années (quelles soient liées aux quantités produites ou à la hausse des prix internationaux) fait que les années à crise sont aussi fréquentes que les années sans crise. Plusieurs études ont montré que les volumes commercialisés représentent une faible partie de la production. Kaboré et Koursangama (2008), à partir de l Enquête Permanente Agricole (EPA) 2006 12

2007, évalue le taux de participation des paysans au marché à 11,1%. Cette année là, la Boucle du Mouhoun présentait le taux de commercialisation le plus élevé 29,5%, suivie par les Hauts Bassins (16,1%) et l Est (14,6%). Pour les légumineuses comme le niébé, la part de produit mis en marché est beaucoup plus importante car ce produit est considéré comme un produit de rente par les ruraux. Plus récemment, Kaboré et Sawadogo (2010), à partir toujours des EPA de 2004 à 2007 et des prix des céréales de 1998 à 2009, confirment que le taux de commercialisation des céréales est très faible. Avec un taux de 15,7%, le maïs est la céréale la plus vendue, suivie du sorgho (9,1%) et du mil (5,8%). Pour les régions qui nous intéressent, les parts sont respectivement de 19,2%, 10,2% et 7,7% en Boucle du Mouhoun ; 0,1%, 1,0% et 1,2% au Sahel. Kaboré et Koursangama (2008) classent les ménages en acheteurs nets (environ 51% des producteurs de céréales), vendeurs nets (35%) ou non participants au marché (14% producteurs qui offrent une certaine quantité sur le marché qu ils demandent plus tard). Cependant, l ensemble des ménages utilisent le marché au delà du seul surplus qu ils ont à commercialiser ou du seul manque qu ils ont à combler. De la même façon que les non participants achètent et revendent, les acheteurs nets vendent une partie de leur production vivrière à la récolte et les vendeurs nets achètent une partie de leur consommation à la soudure. L ensemble achète la partie des biens alimentaires dont ils ne sont pas producteurs. L HESA et le CEDRES (2005) ont montré à partir d une enquête réalisée dans les zones de Dédougou (Boucle du Mouhoun), Fada (Est) et Kaya (Centre Nord), qu environ 35 40% des producteurs de ces zones commercialisent chacun plus de 2 tonnes de céréales et que leurs ventes annuelles étaient supérieures à 200.000 FCFA en 2005. Les cultures vivrières dites de subsistance sont donc aussi des cultures marchandes pour plus d un tiers des producteurs. En extrapolant ce résultat au niveau national, les auteurs montrent que les ventes annuelles de l ensemble des producteurs atteignent un montant compris entre 180 et 220 milliards de FCFA soit le triple des ventes de coton. Sans compter les produits commercialisés des autres filières agro sylvo pastorales et halieutiques. Ils concluent que pour développer l agriculture burkinabé, il est important de compter avec la dynamique des marchés intérieurs et pas seulement avec celle des exportations comme il est souvent préconisé de le faire. L organisation générale des marchés est bien connue au Burkina Faso. Elle se présente, à l image des autres pays d Afrique de l Ouest, comme une toile d araignée (Terpend / PAM, 2006) avec des connections convergentes puis divergentes selon le niveau de commercialisation considéré. Le signal de départ est donné par les paysans en fonction de l arrivée à maturité de leurs cultures et de leurs besoins financiers ; et les circuits sont pilotés par les commerçants grossistes situés dans les grands centres urbains. Ces derniers déploient leur toile vers les zones rurales pour collecter les céréales et les autres produits (agricoles, d élevage ou de cueillette) via l intervention des collecteurs. Ces gros commerçants stockent les produits dans leurs magasins puis redéployent leur toile pour la vente soit vers les zones déficitaires du pays, soit vers l exportation dans les pays limitrophes ou vers les ports. Certains marchés sont plus importants que d autres (Beekhuis / PAM, 2006). Les grands marchés de collecte de sorgho et de maïs se trouvent dans l ouest du pays, comme à Solenzo et N dorola, alors que la collecte de niébé est surtout centralisée dans la bande au nord de Ouagadougou. Les marchés de consommation se situent soit dans les zones urbaines (Ouagadougou, Bobo, etc.), soit dans les zones déficitaires comme à Dori, Fada et Gorom Gorom. Bien que situé dans une petite zone de production et relativement loin des frontières, le marché de Pouytenga près de Fada et de Koupela est devenu un marché d échanges importants de céréales, et particulièrement de maïs, avec le Ghana, le Togo et le Niger. Le marché à bétail y est également important. Les marchés de Ouahigouya et Dédougou animent l espace transfrontalier de production et d échanges avec le Mali. Les produits commercialisés effectuent de grandes distances entre les régions (la circulation à l intérieur des provinces paraît plus difficile qu entre les principaux marchés) et avec l extérieur du pays. Le Burkina Faso connaissant plus souvent des excédents céréaliers que le Niger et le Mali, le pays a la capacité d exporter les céréales chez ses voisins et dans les zones septentrionales des pays côtiers (Côte d Ivoire, Ghana, Bénin, Togo) (Beekhuis / PAM, 2006). Il est généralement reconnu que le commerce transfrontalier joue un rôle fondamental pour réguler les approvisionnements des 13

marchés et réduire l insécurité alimentaire car plusieurs marchés ouest africains sont intégrés. Cependant la réglementation régionale de libre circulation des céréales à travers les frontières n est pas toujours appliquée. Dans les périodes de crise alimentaire, comme en 2004 2005, l Etat burkinabé restreint les possibilités de sortie des produits pour protéger les consommateurs nationaux, au détriment de l intérêt économique à court terme des producteurs et des commerçants. Ainsi, la fermeture des frontières parfois décidé par l Etat peut avoir des effets inflationnistes sur les marchés des pays déficitaires dommageables pour les populations vulnérables. Le comportement des marchés s avère complexe et les prix ne sont pas seulement dictés par la saisonnalité de l offre et des ventes. Kaboré et Sawadogo (2010) distinguent bien trois périodes aux intensités de commercialisation différentes : la première période se situe 3 mois après les récoltes (octobre, novembre, décembre) avec environ 59% des mises en marché annuelles des céréales, la deuxième période correspond à la période de soudure (juin, juillet, août) avec environ 18,5% des mises en marché, la troisième période correspond à une période intermédiaire assez longue (de janvier à mai) avec 22,5% des mises en marché annuelles. Pourtant, Afrique Verte (2010) remet en question une idée communément admise et utilisée pour la gestion des stocks céréaliers selon laquelle les prix seraient bas à la récolte pour augmenter à la soudure. Les données mensuelles de prix des sacs de 100 kg de mil et de sorgho (soit 70% de la consommation céréalière nationale) sur les marchés de Ouagadougou, Nouna dans la Kossi (Boucle du Mouhoun zone de collecte) et Dori dans le Séno (Sahel zone déficitaire en céréales) relevés de 2001 à 2010 montrent les tendances suivantes sur neuf campagnes: le schéma théorique d évolution des prix est respecté pour seulement quatre campagnes, les prix chutent (2002 03) ou stagnent (2003 04, 2005 06, 2006 07) pour quatre autres campagnes, une campagne est mitigée (2009 10). Dès lors, d autres paramètres entrent en ligne de compte pour expliquer la variation des prix céréaliers sur le marché comme l utilisation des capacités de stockage ou les stratégies des producteurs qui peuvent vendre au delà de leurs surplus. La performance des marchés peut être caractérisée par leur niveau d intégration et de compétition. Une analyse statistique des prix mensuels du maïs et du sorgho sur 11 marchés (Beekhuis / PAM, 2006) a montré que : i) les marchés sont moyennement intégrés spatialement avec des taux de corrélation compris entre 80 et 90 % ; ii) l intégration diminue si la distance entre les marchés augmente, en raison des frais de transport élevés rendant l arbitrage non rentable ; et iii) la demande au niveau des fournisseurs de Ouagadougou semble être le facteur déterminant de la formation des prix. En lien avec leur niveau d intégration, les marchés sont assez compétitifs ; néanmoins la compétition ne semble pas toujours assurée : i) sur les marchés des zones déficitaires et enclavées ; ii) sur une partie des marchés ruraux où les collecteurs s entendent sur le prix au détriment des producteurs ; et iii) pour les exportations des céréales où le système d autorisations réduit la compétition à un nombre très limité d établissements (Beekhuis / PAM, 2006). A partir de l analyse des prix du SIM Sonagess 1 sur longue période sur 12 marchés 2 pour le mil et 5 marchés pour le maïs 3 (seules séries de prix complètes), le CERDI (2009) constate une assez grande 1 Le Système d informations sur les Marchés (SIM) effectue un suivi des prix sur les marchés depuis les années 1980 (appui du Comité permanent Inter Etats de Lutte contre la Sécheresse CILSS). Ce système était logé à l Office National des Céréales (OFNACER) puis avec la libéralisation et la restructuration du marché céréalier, la gestion du système est passée à la Société Nationale de Gestion du Stock de Sécurité Alimentaire (SONAGESS) à sa création en 1992. Le SIM Sonagess distingue trois types de marchés en fonction des acteurs présents : les marchés de collecte surtout fréquentés par des producteurs et des collecteurs ; les marchés de regroupement fréquentés par des collecteurs et des grossistes mais aussi par des producteurs ; les marchés de consommation surtout fréquentés par les détaillants, les semi grossistes et les consommateurs. Le SIM suit 19 marchés de collecte sur lesquels sont relevés des prix aux producteurs, 23 marchés de consommation ou de détail sur lesquels sont collectés les prix au consommateur et 6 marchés de regroupement sur lesquels sont relevés des prix de gros et demi gros, soit 48 marchés au total et environ un marché par province. 2 Banfora, Tenkodogo, Kongoussi, Koudougou, Fada, Tougan, Gounghin, Sankaryaré, Djibo, Dori, Gorom, Diebougou. 3 Banfora, Koudougou, Gounghin, Sankaryare, Diebougou. 14

dispersion dans une même région. Comme attendu, les prix du mil sont les plus bas de l échantillon à Fada dans la région Est et à Tougan dans la région Boucle du Mouhoun, deux régions productrices ; et les plus élevés de l échantillon à Gorom Gorom et Dori, dans la région Sahel. De façon plus inattendue, les prix du mil à Djibo dans la région du Sahel sont plutôt en dessous de la moyenne nationale. Comme attendu, les prix du maïs sont faibles sur le marché de Banfora, région productrice et voie d entrée des céréales en provenance de Côte d Ivoire, et élevés dans la capitale. Cependant, l étude fait apparaître des écarts de prix importants entre les deux marchés analysés de la capitale. Ils sont significativement plus élevés pour le mil et pour le maïs sur le marché de Sankaryare par rapport à Gounghin sur la longue période. On note aussi un comportement saisonnier des prix sensiblement différent sur les deux marchés de la capitale sans véritable explication. Si le niveau des prix des produits agricoles est unanimement reconnu comme un bon indicateur de crise alimentaire, les différentes crises survenues ne se sont pas annoncées de la même manière. Le CERDI (2010) note que jusqu en 2005, la fréquence des crises est élevée et que les différents marchés sont mal synchronisés : les prix sont élevés seulement à Banfora et à Tenkodogo et dans une moindre mesure à Sankaryare en 1997, ils le sont à nouveau à Banfora en 1999, ils le sont seulement à Dori début 2003. On distingue néanmoins cinq crises généralisées: 1996, 1998, 2001, 2002, 2005, cette dernière étant la plus sévère et dépassant en intensité celle de 1998. La crise internationale en 2008 touche surtout Tenkodogo. Ainsi selon les marchés de Banfora et Tenkodogo, les années de crise se succèdent de 1996 à 1999. Les phases d alerte qui précèdent les crises sont plus ou moins marquées. L observation des prix du mil montre que les crises de 1996 et de 1998 ont été précédées par une phase de prix élevés sur un grand nombre de marchés du pays, différents pour chacune de ces crises, dès octobre de l année précédente. Par contre, la crise de 2001 a éclaté soudainement en mars avril 2001 sans véritable alerte sur les marchés sauf peut être à Dori. La crise de 2005 éclate elle en mars avril aussi avec des signes avant coureurs sur tous les marchés dès novembre 2004. Trois marchés sur les 12 étudiés paraissent jouer un rôle important dans la formation des prix du mil sur les marchés du Burkina Faso : Banfora, Tenkodogo et Dori. Ces trois marchés influencent les prix de respectivement 9, 8 et 7 marchés parmi les autres marchés considérés. A l opposé, les marchés de Tougan, Fada et Kongoussi n influencent que très peu les prix des autres marchés. Les marchés de Tougan et Fada sont isolés au sein de l espace burkinabé, mais ce n est pas le cas de Kongoussi, situé dans une zone de production et dont les prix sont influencés par un grand nombre de marchés. Ces résultats sont assez inattendus car Tougan et Fada sont situés dans des zones de production de mil et l on attendait qu ils soient intégrés aux autres marchés. Certains marchés absorbent aussi les chocs plus vite que d autres. De façon assez inattendue là aussi, les marchés de Kongoussi au Centre Nord et de Djibo dans le Sahel ont une capacité élevée d absorption des chocs tandis que les marchés de Sankaryare dans la capitale et de Banfora dans les Cascades mettent plusieurs mois à s'en remettre. L analyse de la transmission des variations de prix du marché international au marché national en 2008 à partir du traitement des données de prix mensuelles de 1997 à 2009 (Ouedraogo, 2009) montre que les prix des céréales sur les marchés domestiques sont peu influencés par le marché international. Sur les marchés domestiques, d une part, le prix du riz importé est plus stable que le prix international du riz ; d autre part, les prix des céréales locales (mil, sorgho, maïs) sont très instables mais leur évolution est assez déconnectée de celle des prix internationaux. Ainsi la hausse des prix au moins des céréales a été limitée au niveau national en comparaison d autres périodes, ce qui n a pas été le cas d autres produits alimentaires. Kaboré et Sawadogo (2010) montrent que les prix aux consommateurs sont peu influencés aussi par les prix aux producteurs et paraissant beaucoup plus déterminés par les coûts de transport des céréales (Kaboré et Sawadogo, 2010). Beaucoup de zones d ombre demeurent sur le fonctionnement des marchés depuis que les politiques d ajustement structurel ont conduit à la disparition de l OFNACER en charge de la gestion des achats et du stockage des céréales. La libéralisation du commerce des céréales a donné une grande responsabilité aux commerçants dans la gestion des crises alimentaires en les rendant de fait responsables de l approvisionnement des marchés et de la fixation des prix de vente sans que ce rôle 15

soit pleinement reconnu par l Etat. Fortement influencés par 20 ans d encadrement d Etat, les commerçants ont mis du temps à renouer des liens avec les pays limitrophes et à redynamiser les réseaux de négoce ancestraux. Par exemple, le commerce transfrontalier de céréales n a recommencé à prendre une dimension régionale que lors de la crise alimentaire de 1997 1998 où les commerçants burkinabé se sont approvisionnés de manière conséquente auprès de commerçants maliens (Terpend / PAM, 2006). Ces commerçants n ont pas vraiment été préparés à une telle responsabilité, voire même ils ont été écartés ou mal intégrés aux dispositifs nationaux de gestion de la sécurité alimentaire (Comité de Réflexion et de Suivi de la Politique Céréalière CRSPC). Pire encore, les mesures politiques à court terme de sécurité alimentaire décidées par l Etat ou les interventions d autres institutions pour répondre aux crises conjoncturelles surprennent souvent les acteurs privés et engendre un accroissement des risques liés à leur investissement dans les activités de commercialisation, notamment pour le stockage intra et inter annuel (Terpend / PAM, 2006). Les achats institutionnels pour entretenir les stocks nationaux ou pour redistribuer aux ménages les plus vulnérables (SONAGESS, PAM, Croix Rouge, ONG, etc.) représentent une proportion très faible de la production (moins de 2%) mais ramenés aux quantités commercialisées, ils sont moins négligeables pouvant aller pour le sorgho jusqu à 12% en 2002 03 ou 15% en 2005 2006. Le maximum enregistré pour le maïs sur la période 2001 2006 est de 7% en 2004 05 et en 2005 06 (Beekhuis / PAM, 2006). Plusieurs études ont porté sur l organisation des marchés à l échelle nationale ou sous régionale, à partir notamment des flux transfrontaliers en Afrique de l Ouest. D autres ont exploré plus récemment l intégration des marchés et la transmission des prix, même si certaines zones d ombre demeurent. Beaucoup moins de travaux ont porté sur les relations des ménages avec les marchés de proximité et sur le rôle des marchés secondaires dans la sécurisation alimentaire. Cette étude se situe dans ce registre. 1.3. La collaboration du PAM et du CIRAD au Burkina Faso Comme dans beaucoup de pays ouest africains, la sécurité alimentaire est encore essentiellement appréhendée au Burkina Faso sous l angle de la capacité du système productif à fournir des aliments. Ainsi nombre d actions pour lutter contre l insécurité alimentaire visent d abord à accroître la production (céréalière). La sécurité alimentaire est plus complexe, puisque la définition normée et largement diffusée de la Conférence Mondiale de l Alimentation (Voir supra) fait déjà mention des relations existantes entre la disponibilité des produits et l accès à la nourriture des ménages. Ainsi, on rencontre des situations paradoxales de déficit alimentaire dans certaines zones du pays où la production agricole est abondante ou a contrario des situations de relative sécurité alimentaire dans des zones défavorables à l agriculture. Ceci questionne le rôle du marché 4 dans l allocation des ressources alimentaires. Manifestement, des analyses plus fines que les seuls bilans céréaliers sont nécessaires pour rendre compte du phénomène et expliquer la situation alimentaire des ménages. Le CIRAD et le PAM ont mené une série de travaux au Burkina Faso pour comprendre la nature des relations entre l accès aux marchés physiques et la sécurité/insécurité alimentaire. Ces relations sont complexes dans le sens où les mêmes ménages peuvent être à la fois acheteurs ou vendeurs (selon les périodes et les produits), et où les marchés peuvent diminuer ou accroître leur vulnérabilité. Les marchés, et en particulier les marchés ruraux, jouent un rôle dans les économies familiales comme source de revenus (vente de la production agricole, du bétail et des produits de cueillette) et pour l achat de produits alimentaires. 4 Mais aussi de l aide alimentaire. 16

Une nouvelle phase de collaboration entree le CIRAD et le PAM s est ouvertee en 2011 suite à un premier travail d analyse des relations entre le fonctionnement des marchés et la sécurité alimentaire des ménages en 2010 dans une zone qui couvrait quatree régions du Burkina Faso (Boucle du Mouhoun, Sahel, Hauts Bassins, Centre) et les quatorze provinces correspondantes. Cette deuxième phase, plus courte que la précédente, concerne seulement deuxx régions et quatre provinces à savoir les Banwa ett la Kossi dans la Boucle du Mouhoun, le Séno et l Oudalan dans le Sahel (Fig. 1). Alors que le travail précédent a mis en évidence le rôle que peuvent jouer les marchés de proximité pour déterminer les situations alimentaires des ménages, cette nouvelle phase cible l analyse des mécanismes explicatifs de cette relation entre fonctionnement dess marchés ett sécurité alimentaire. Elle a pour but de comprendre les contraintes d approvisionnement et les opportunités de commercialisation des produits agro sylvo pastoraux et halieutiques pour les ménagess comme éléments d appréciation de la performance des marchés pour assurer leur sécurité alimentaire. Fig 1. Régions et provinces étudiées Source : Etudes CIRAD/ /PAM Gris foncé: étude 2011, gris clair + gris foncé: étude 2010 Cette étude ne s inscrit pas danss un contexte conjoncturel de crise, même si la collecte des données a eu lieu à une période correspondant à une année qui s annonce mauvaise sur le plan de la production agricole dans plusieurs régions du pays. Plusieurs études dans lee passé ont déjà été réaliséess pour mieux comprendre le fonctionnement du marché en situation d urgence. La présente étude s intéresse à la relation structurelle des ménages aux marchés, la question de l accès des populations aux marchés étant devenue dominante du fait notamment de la récurrence des crises. Les objectifs spécifiques de l étude, consignés dans les TDR du PAM, sont d analyser: 1) La structure des marchés dans les provinces choisies comme études de cas (regroupement, dégroupement, importance des marchés physiques, action collective, etc.), les zones d influence des principaux marchés et les relations entre principaux marchés et marchés m satellites (circulation des produits, influence des prix, dépendance entre marchés, etc.) ; 2) Les principales filières d approvisionnement des consommateurss locaux et de commercialisation des productions locales pourvoyeuses de revenus pour les ménages de producteurs ; 17

3) Les stratégies des acheteurs et vendeurs pour saisir les opportunités de marchés (comment les utilisent ils?) dans l espace (choix des marchés, pratique de plusieurs marchés, etc.) et le temps (stockage, spéculation sur les prix, besoins ponctuels de trésorerie, etc.) et les barrières de différentes natures à l accès aux marchés ; 4) La perception par les acteurs de l environnement institutionnel des marchés et des mesures qui facilitent l accès des acheteurs et des vendeurs aux marchés (intervention de l Etat, structures d appui, information sur les prix, etc.) ; 5) Le niveau de performance des marchés physiques : facilité d accès, fluidité des échanges, disponibilité en quantité et dans le temps des produits, niveau de concurrence (beaucoup d offreurs et de demandeurs), rapports de force dans la négociation des prix et effets sur le niveau de prix et la stabilité/volatilité des prix, satisfaction/insatisfaction des acheteurs et des vendeurs. 1.4. Méthodologie La démarche choisie a consisté à effectuer un travail fin d analyse de situations locales dans deux régions contrastées du pays plutôt que d avoir une approche générale à l échelle nationale. La Boucle du Mouhoun et le Sahel ont des points communs (notamment importance de la population rurale et situation frontalière) mais aussi des différences (notamment répartition des activités primaires 5 ). Pour la situation économique des ménages, l appréciation diverge selon les sources. Tous les indicateurs de pauvreté mesurés en 2003 par l Institut National de la statistique et de la Démographie (INSD) (incidence, profondeur et sévérité) sont beaucoup plus élevés dans la Boucle du Mouhoun qu au Sahel. La part des ménages au revenu total inférieur à 300.000 FCFA serait de 40,2% dans la Boucle du Mouhoun contre 13,3% au Sahel. Par contre l Enquête Nationale sur l Insécurité Alimentaire et la Malnutrition (ENIAM) réalisée en 2009 place le Sahel dans une situation plus critique que la Boucle du Mouhoun : la proportion des ménages à faible niveau économique est de 39% au Sahel (contre 33,7% dans la Boucle du Mouhoun) et celle des ménages à niveau économique élevé est de 9,6% au Sahel (contre 29,3% dans la Boucle du Mouhoun). Les indicateurs de nutrition rapportés par l INSD (2007) montrent qu il y a une proportion plus importante d enfants en retard de croissance au Sahel et d enfants émaciés dans la Boucle du Mouhoun. Les différences peuvent être importantes entre provinces à l intérieur des régions. Alors que la proportion d enfants malnutris est élevée dans toutes les provinces du Sahel, elle varie géographiquement dans la Boucle du Mouhoun entre moins de 2% pour les provinces du Nayala et du Mouhoun et plus de 15% dans le Sourou. Un autre point de divergence entre les provinces étudiées est le solde céréalier. Alors que les provinces de la Boucle du Mouhoun ont systématiquement un solde excédentaire au cours des dernières années, le Séno a un solde déficitaire deux années sur cinq et l Oudalan trois années sur cinq sur la période 2005 2010 (Fig.2). Sur le plan de la sécurité alimentaire, d après l ENIAM, la proportion des ménages qui se sentent en forte insécurité alimentaire est plus faible dans le Sahel (2,2%) que dans la Boucle du Mouhoun (5,5%). La proportion des ménages qui se sentent en sécurité alimentaire est plus élevée dans le Sahel (21,6%) que dans la Boucle du Mouhoun (8,5%). Le Sahel et la Boucle du Mouhoun se caractériseraient par une proportion importante de ménages diversifiant peu leur alimentation (respectivement 79,2% et 64,6%, largement supérieur à la moyenne nationale). 5 Dominance de l agriculture dans la Boucle du Mouhoun, dominance de l élevage dans le Sahel. 18

Fig.2. Evolution du taux de couverture des besoins céréaliers par province de 2005 à 2009 Taux de couverture 350% 300% 250% 200% 150% 100% 50% 0% 2005/2006 2006/2007 2007/2008 2008/2009 2009/2010 Kossi 215% 218% 250% 310% 212% Banwa 165% 160% 102% 207% 215% Oudalan 144% 115% 75% 68% 78% Séno 229% 146% 171% 73% 38% Source : Direction des Statistiques Agricoles/DGPSA DGPER/MAHRH L étude PAM CIRAD précédente 6 a montré à partir d une approche très quantitative (enquête sur de gros échantillons) que les situations alimentaires pouvaient être très différentes selon les provinces dans une même région. Cette fois ci, des enquêtes qualitatives ont été menées dans un nombre réduit de provinces a priori contrastées, choisies à partir des résultats de l étude précédente. Dans la Boucle du Mouhoun, la Kossi, province pourtant plus déshéritée que les Banwa (selon le zonage Fewsnet basé sur les moyens d existence des ménages 7 ), connaît une situation alimentaire 8 plus satisfaisante que les Banwa: proportion moins importante de ménages qui manquent de nourriture, proportion plus importante de ménages qui diversifient leur alimentation, proportion plus importante de marchés de proximité bien approvisionnés et de façon plus diversifiée (Annexe 1). Par contre, les Banwa illustrent bien le paradoxe de la Boucle du Mouhoun : la richesse de la production agricole, cependant moins importante qu à la Kossi, ne se traduit pas pour autant par une situation alimentaire satisfaisante des ménages. Au Sahel, le Séno ne fait pas partie de la zone la plus favorisée de la région (selon le zonage Fewsnet) mais les marchés sont bien approvisionnés (Annexe 1) et la situation alimentaire est satisfaisante. A l opposé l Oudalan illustre une situation où les produits alimentaires sont peu accessibles à une grande majorité de la population pour contribuer à une bonne sécurité alimentaire (Tab1). 6 Etude sur les relations entre les marchés agricoles et la sécurité alimentaire au Burkina Faso, Régions Boucle du Mouhoun, Centre, Hauts Bassins, Sahel, PAM, CIRAD, Rapport final, Mai 2011. 7 FEWSNET / USAID, Profils des moyens d existence des ménages, Novembre 2009. 8 La situation alimentaire a été appréciée à partir du nombre de mois de 1 à 12 pendant lesquels les ménages ont déclaré avoir manqué d alimentation au cours des douze mois précédent l enquête et du niveau de diversification de leur alimentation le jour précédent l enquête (qui s est déroulée en août 2010). La question sur les mois pendant lesquels les ménages ont manqué de nourriture peut avoir été interprétée de différentes façons par les enquêtés (périodes où ils ont dû acheter de la nourriture, modifié leurs habitudes alimentaires, privilégié l alimentation des enfants à celle des adultes, réduit le nombre de repas pour tout le monde, où les marchés étaient moins bien approvisionnés ). Les réponses sont certes subjectives et pas totalement satisfaisantes mais reflètent bien les périodes considérées comme les plus difficiles pour chaque ménage. 19