«L absolue nécessité du don d organes» Interview du professeur Christian CABROL



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Transcription:

«L absolue nécessité du don d organes» Interview du professeur Christian CABROL Réalisée par Clément GILBERT Journaliste d entreprise SPHERIA Val de France Pionnier de la chirurgie cardiaque, le professeur Christian Cabrol réalisa avec ses équipes la première greffe du cœur en Europe en 1968 et la première greffe cœur-poumons en Europe en 1982. Aujourd hui Président d Adicare (voir encadré), il intervient également sur la prévention des maladies cardiovasculaires et sur le don d organes, un combat qui lui tient particulièrement à cœur. Quelles sont les principales catégories de maladies cardiaques? Il y a 4 groupes. D abord, ce sont les maladies cardiaques de naissance, les malformations cardiaques congénitales. C est très variable : ça peut être de simples communications anormales entre les cavités du cœur, des rétrécissements anormaux ou des malpositions des vaisseaux rentrant ou sortant. Ensuite, ce sont les maladies des valves cardiaques. Le cœur est une pompe aspirante donc il y a des soupapes pour que ça circule dans le bon sens, ce sont les valves cardiaques. Il y avait autrefois une maladie qui donnait une angine et des douleurs articulaires vagues qu on appelait le rhumatisme articulaire aigu. Aigu parce que ça ne durait pas longtemps. Cela passait complètement mais entraînait des modifications des valves. Au bout de 10-15 ans, elles étaient rétrécies ou au contraire fuyantes. Il fallait donc essayer de les réparer quand c était possible ou les remplacer par une prothèse. On a su après que cette maladie était due au streptocoque, un microbe très sensible à la pénicilline. Il n y a donc plus de nouveaux cas en France mais cela fait des ravages terribles dans le tiers-monde. Un peu plus tard, on s est aperçu qu il pouvait y avoir une autre infection des valves, par des abcès dentaires en particulier. C est pour ça qu il faut bien soigner les dents. Au moment où l on mâche, des microbes sont envoyés dans le sang, ils trouvent alors dans les valves un terrain parfait pour se développer. Là, ils les abîment, les déchirent, les perforent et ça provoque une endocardite aiguë ou plus ou moins lente mais qui détruit aussi les valves qu il faut souvent changer. Nos valves peuvent également se modifier : se ramollir ou au contraire s imprégner de calcaire. Surtout la valvule mitrale située à gauche, entre l oreillette et le ventricule. Elle se gonfle comme les chewing-gums des enfants lorsqu ils font des bulles C est la maladie de Barlow dont la cause n est pas déterminée, même si vraisemblablement génétique. Ou alors c est une autre valve, à la sortie du ventricule gauche et à l origine de l aorte, qui s imprègne de calcaire et entraîne un rétrécissement aortique calcifié, bien connu des cardiologues et qui atteint surtout des personnes d un certain âge. Troisième sorte de maladie cardiovasculaire, le fameux athérome, soit la production de dépôts à l intérieur de nos artères. A trois endroits d ailleurs : la carotide d où attaque cérébrale, les coronaires d où infarctus du myocarde, les artères des membres inférieurs d où artérites et Interview de Christian CABROL 1/9 Mutuelle SPHERIA Val de France

gangrènes. On connaît très bien les causes de l athérome. Il y a bien sûr un facteur congénital, comme pour tout, mais c est surtout le tabac. Il y a aussi le stress et deux maladies qu on peut bien soigner, le diabète et l hypertension artérielle. Enfin, il y une alimentation totalement déséquilibrée comme on la condamne actuellement : trop de graisse, trop de sucre C est donc une maladie évitable, ou au moins stabilisable, si on a une hygiène de vie correcte. On en arrive à la quatrième cause, soit toutes les autres. Les troubles du rythme cardiaque sont particulièrement fréquents. Le cœur bat selon un rythme déterminé, régulier qui peut être accéléré, ralenti ou irrégulier. Quand il est ralenti, ça peut être d une façon très importante et il peut même y avoir des arrêts cardiaques au cours de ces ralentissements, ce qui peut entraîner une syncope ou une mort subite si le cœur ne repart pas. C est la bradycardie. On sait maintenant la guérir grâce à la pose de stimulateurs cardiaques, les pacemakers. A l inverse, le rythme peut s accélérer à cause de malformations du muscle cardiaque, c est la tachycardie. En général, ce n est pas très dangereux mais très angoissant et très pénible à supporter. Heureusement, on sait actuellement guérir la tachycardie en mettant des sondes dans le cœur, en repérant la zone anormale qui provoque ces accélérations du cœur et qu on peut habituellement supprimer. Le cœur peut aussi être irrégulier, c est l arythmie. C est très fréquent à un certain âge car c est un vieillissement du système régulateur du cœur. Là aussi, on peut arriver à supprimer un grand nombre d arythmies soit par des médicaments, soit par une sonde qu on met jusque dans le cœur pour détruire des foyers anormaux. Les cancers, il n y en a pratiquement pas dans le cœur. Les tumeurs, oui, une. C est une tumeur bénigne, pas un cancer, mais ça peut faire une boule qui fait bilboquet dans le cœur et bloque le passage du sang. Donc il faut l enlever. Cette tumeur est-elle rare? Oui, c est le myxome. Enfin, on a la maladie du muscle cardiaque lui-même, la myocardite ou cardiomyopathie. Habituellement, même si certains médicaments peuvent prolonger l activité du cœur, il faut le remplacer. Outre la greffe cardiaque, quelles sont les opérations les plus courantes en réponse à ces maladies? La chirurgie à cœur ouvert date de 1954 et c est d abord aux malformations congénitales qu on s est attaqué. C était soit la fermeture par des petites pièces de tissu des communications anormales, l élargissement des rétrécissements ou les rectifications des malpositions des vaisseaux. Mais un certain nombre d interventions ont pu être remplacées par des opérations utilisant des sondes qu on monte par une artère, une veine, et qui viennent dilater les orifices rétrécis, parfois fermer des communications anormales en mettant des espèces de petits parapluies qui s ouvrent à l intérieur ou des bouchons. Pour ce qui est des maladies des valves, on a commencé par les réparer puis on a trouvé des prothèses, des valves artificielles. Soit des valves mécaniques avec du carbone ou de l acier, qui peuvent durer toujours mais qui ont l inconvénient de nécessiter un traitement pour éviter que le sang ne se coagule à la surface. Ou des valves biologiques souvent fabriquées avec des tissus d animaux qui n entraînent pas de coagulation à la surface mais s abîment, s usent. Il faut donc habituellement les changer au bout d une quinzaine d années. Les valves rétrécies peuvent être dilatées en montant une sonde munie d un ballonnet dilatateur. On commence aussi à envisager de remplacer des valves en les montant par des vaisseaux jusqu au cœur, à l endroit où on peut placer une prothèse «de remplacement». Interview de Christian CABROL 2/9 Mutuelle SPHERIA Val de France

Pour les lésions dues aux dépôts dans les artères, on pratique les fameux pontages, comme une dérivation lorsqu une route est bloquée. On les fait avec des veines qu on prélève sur des cuisses par exemple ou avec des artères proches du cœur, en particulier dans la paroi interne du thorax, les mammaires internes. Là aussi, on peut arriver à dilater des rétrécissements dus à ces dépôts en montant des sondes dilatatrices. En ce qui concerne les troubles du rythme, au début aussi on les a opérés en enlevant les zones anormales. On peut maintenant les détruire à l aide de sondes qu on monte directement dans les vaisseaux [ ] Ce qui est intéressant pour les malades, c est que beaucoup de maladies qui avant nécessitaient une opération peuvent être maintenant traitées sans. Tout n est pas encore possible mais cela progresse de façon très importante Il reste évidemment le problème de la perte de la force musculaire, de la cardiomyopathie, où la seule possibilité est de remplacer le cœur. On peut le remplacer par la greffe, c est la première chose qu on a pu utiliser dans ces cas-là, avec toute une série de problèmes dus à la technique opératoire et surtout la maîtrise du rejet, qui est une réaction normale de l organisme quand on implante un organe étranger. Mais la greffe reste encore d application limitée à cause de l incompréhension de la population concernant l absolue nécessité du don d organes. La plupart des gens n ont pas compris qu en cas de mort dans des circonstances très particulières, habituellement une mort à l hôpital, on peut donner ses organes pour sauver des gens. Un seul pays au monde l a compris, c est l Espagne. Les Espagnols ont suffisamment d organes pour satisfaire à leurs besoins. Chez nous, 12 000 personnes attendent une greffe chaque année et seulement 4000-4500 sont greffées. Alors que peut-on faire pour remplacer le cœur si ce n est pas par le don d organes? Les cœurs d animaux, ce n est pas possible pour l instant et pas seulement à cause du rejet, qui est très important parce que c est une différence d espèce mais que l on sait éviter. On pourrait vraisemblablement utiliser des organes de porc mais on ne sait pas encore tous les germes que le porc peut nous transmettre. Il reste une deuxième solution, ce sont les organes artificiels. Le cœur, qui est essentiellement une pompe, peut être remplacé par une pompe cardiaque qui assure le débit sanguin, la circulation. On a la chance aujourd hui d avoir des appareils qui sont très performants. On a commencé à faire des cœurs artificiels il y a une quarantaine d année. Au début, on a voulu faire des cœurs artificiels qui remplacent tout le cœur, un cœur total. C est bien mais ce n est pas la voie d avenir. En réalité, le plus important est d assurer un débit circulatoire suffisant. On a la possibilité de faire des micro-turbines pas plus grosses qu un capuchon de stylo qui, implantées dans le cœur ou à côté avec une ligne parallèle, permettent de suppléer une défaillance cardiaque et d ajouter à un débit cardiaque insuffisant un débit supplémentaire suffisant. Ces micro-turbines sont utilisées depuis 4 ou 5 ans maintenant. C est vraiment un espoir. Evidemment, on aura un jour la possibilité de fabriquer des organes, des cœurs avec les cellules-souches. Quand on pourra le faire, ce sera extraordinaire. Parce qu on a dans notre organisme des «cellules totipotentes», et si on arrive un jour à les extraire, à les cultiver, et faire des organes, on pourra soi-même se remplacer les organes. Ce sera absolument merveilleux. On ne peut pas encore dire quand ça se fera, ce n est pas forcément éloigné parce que les découvertes sont parfois surprenantes mais pour l instant, on ne sait pas encore le faire. Que sont exactement ces micro-turbines dont vous parliez? Le changement dans la conception des cœurs artificiels s est fait dans la fin des années 90. Vers le début des années 2000, on s est aperçu que ce n était pas nécessaire de faire un débit pulsatile comme celui de notre cœur, qui bat selon un rythme avec un pouls, mais qu il suffisait Interview de Christian CABROL 3/9 Mutuelle SPHERIA Val de France

d avoir un débit même continu. Jarvik, celui qui avait créé le cœur artificiel le plus performant à l époque, le jarvik 7, l avait implanté chez un dentiste, Barney Clark, en 1982. Barney Clark n a pas pu vivre très longtemps comme on le croyait, pas tout à fait 2 ans. Jarvik a pensé que ce n était peut-être pas la solution et il a fait l une des premières micro-turbines qu il a appelé le jarvik 2000. Ces micro-turbines ont beaucoup d avantages : elles sont petites, totalement implantables, silencieuses, certaines sont animées par un mécanisme de flux magnétique, c est-à-dire qu elles s usent peu, et enfin elles ne nécessitent pas une énergie considérable. Elles sont donc extrêmement intéressantes pour toutes ces raisons. Les premières n étaient encore pas assez élaborées et seulement utilisées dans l attente d une greffe chez quelqu un en défaillance cardiaque terminale ou brutale et qui ne peut se permettre d attendre plusieurs semaines ou plusieurs mois un greffon. D autres chercheurs, en particulier en Allemagne, ont travaillé sur des turbines plus perfectionnées qu ils ont pu implanter il y a déjà 5 ou 6 ans et qui continuent à maintenir en vie des gens qui ne peuvent pas être greffés. Donc c est tout un axe de recherche en train de se développer mais qui sera certainement très prometteur. Mais il n est pas interdit de faire des recherches sur des cœurs de remplacement total comme le dernier, un modèle français qu on a présenté : il pèse trois fois comme le cœur normal et va certainement nécessiter une énergie importante. Ce n est peut-être pas l idéal mais ce n est pas une raison d abandonner cet axe de recherche. Mais les micro-turbines sont certainement plus prometteuses. Le don d organes a été décrété grande cause nationale 2009, c est quelque chose qui vous tient à cœur puisque vous avez été notamment président de Francetransplant Qu en attendez-vous? Pour l instant, rien ne peut remplacer les greffes à l aide d un organe humain vivant : ni les organes artificiels, ni les organes d animaux et pas encore les cellules souches. Cela a été très bien compris dès les premières greffes qui ont sensibilisé l opinion, en particulier la première greffe cardiaque de 1967. A l époque, le professeur Jean Dausset, qui avait découvert des groupes sanguins particuliers, les groupes HLA, l avait compris et il avait demandé à l Etat d organiser les greffes. Cela n a pas intéressé les pouvoirs publics. Il a donc créé une association nationale selon la loi 1901 qui s appelait France Transplant. Cette association était chargée de recenser toutes les personnes qui attendaient une greffe en France et elle avait également une écoute téléphonique permanente. Quand quelqu un mourait en réanimation et que cette personne avait fait don de ses organes, le réanimateur pouvait appeler et mettre ainsi en contact le donneur avec le receveur potentiel en fonction des compatibilités. L association avait donc mis au point ce qui est toujours la base même de l organisation des greffes. France Transplant a fonctionné parfaitement bien jusqu au moment où il y a eu des problèmes dans d autres domaines qui ont fait peur à Mme Veil, à l époque ministre des affaires sociales, comme le problème du sang contaminé. Elle m a convoqué en tant que Président de France Transplant, Jean Dausset m ayant demandé de me faire élire pour lui succéder à ce poste, et m a dit qu elle voulait un établissement public, l Etablissement Français des Greffes, pour se mettre en fait à l abri d un scandale quelconque. Je lui ai dit «Mais madame, le scandale existe déjà. Le scandale c est qu on a tout pour sauver des personnes qui ont besoin d une greffe, des hôpitaux, des infirmières, des médecins, des médicaments mais on n a pas d organe. Ce qu il faut, c est un geste, donner au don d organes le label Grande Cause Nationale. Cela permet d avoir des tarifs exceptionnels sur les différents médias pour cette cause afin de faire la promotion nécessaire». Elle n a pas accepté mais elle a créé l Etablissement Français des Greffes avec 80 fonctionnaires, voitures de fonction, chauffeurs de fonction C était sérieux, Interview de Christian CABROL 4/9 Mutuelle SPHERIA Val de France

vous comprenez? Mais pour s occuper du don d organes, c était une autre affaire Je suis très heureux que cette année, le premier ministre ait enfin déclaré le don d organes Grande Cause Nationale. Je pense que cela va nous aider à faire comprendre au public l absolue nécessité du don d organe. Si tout le monde comprenait ça, il n y aurait plus de problèmes et on pourrait sauver les gens qui ont besoin de ces greffes. Actuellement, comme beaucoup de pays voisins en Europe et ailleurs, nous avons une institution nationale, l Agence de la Biomédecine, qui remplace l établissement français des greffes et qui s occupe de l organisation de celles-ci au niveau national. Chaque pays doit assurer lui-même les possibilités de greffe à ses ressortissants. Avant, il n y avait pas de règles nationales et certains pays envoyaient les gens se faire greffer dans d autres pays sous prétexte que chez eux, les gens ne voulaient pas donner leurs organes. J ai vu récemment une famille dont l enfant avait besoin d une greffe de moelle osseuse. Il avait une petite sœur compatible mais ils ont quand même demandé un donneur étranger qu ils ne voulaient pas que leur petite fille soit prélevée! Je ne comprends pas que le public français, qui est généreux, n ait pas réalisé cette nécessité de solidarité, de générosité. J espère que cette année va nous permettre de faire passer le message et que ça ira mieux. Il faut bien comprendre que chaque organisation de greffe est nationale. Ou plurinationales : je pense à Eurotransplant qui a groupé des pays comme la Belgique ou la Hollande avec l Allemagne et l Autriche. Mais ça reste surtout national. Vous allez me dire «mais alors les organes ne peuvent pas franchir les frontières». Si, parce que les organisations nationales sont en relation les unes avec les autres. Il peut ainsi y avoir des échanges dans les cas d urgence ou lorsqu un organe disponible dans un pays n a pas de receveur correspondant. L Europe des greffes n a pas besoin de se faire, elle existe, et les connexions entre ces différentes agences nationales ou plurinationales font qu il n y a aucun problème de ce côté-là. Quand vous avez-fait vos études, vous êtes passé par différents services et vous avez justement fini par vous intéresser au cœur. Pourquoi le cœur? Par hasard. Je suis né dans un petit village à l est de Paris, dans le sud de l Aisne. Mes parents étaient agriculteurs et j avais tout de suite compris que le travail de la terre était un travail très dur et surtout ingrat. Mon grand-père par contre était médecin du village. Il était le fils d un berger des Cévennes, d où son nom de Cabrol, un nom très fréquent dans le Tarn. Il avait eu la possibilité de faire des études grâce à de généreux donateurs anonymes. Il était devenu médecin et s était installé dans le sud de l Aisne. Il avait une vie plus agréable, plus confortable et c est pour ça que j avais pensé être médecin, tout simplement pour le remplacer quand il serait trop âgé. Après mon certificat d études à l école du village, j ai été mis en pension, ce qui a été dramatique puisque ça a été une séparation brutale avec ma famille à 12 ans. J ai alors pu faire mes études secondaires. Quand j ai eu mon baccalauréat, j ai dit à mon grand-père que je voulais être médecin je lui disais toujours mais il n y croyait pas trop pour pouvoir un jour le remplacer. Il m a dit «tu sais, la médecine de campagne que tu me vois faire maintenant, ce sera terminé. Je crois que ce qui t intéresserait plus, ce serait d être chirurgien. Et si tu veux être un bon chirurgien, il faut que tu connaisses bien l anatomie du corps humain». C est comme ça que je suis entré à la faculté de médecine de Paris, pour être chirurgien. Pour cela, il fallait passer à l époque un concours très difficile, l internat des hôpitaux de Paris. J ai été reçu et j ai fait différents services de chirurgie pour apprendre mon métier avec différents patrons. Dès la deuxième année, je suis tombé sur un patron qui était aussi professeur d anatomie. L anatomie me plaisait énormément et comme j avais une bonne mémoire visuelle, je retenais très facilement les notions d anatomie. Mon patron s en est aperçu et m a dit «est-ce que ça Interview de Christian CABROL 5/9 Mutuelle SPHERIA Val de France

t intéresserait d être professeur d anatomie?». Je n avais pas du tout pensé à ça, je voulais rentrer à Château-Thierry, la ville voisine de mon village natal, pour y être chirurgien. Mais il insiste «Dans 4 ans, il y aura un poste disponible. Si tu veux, je te prépare et si tu réussis, tu pourras être professeur d anatomie». Je n y croyais pas tellement mais c était un homme tellement épatant et sympathique que je l ai écouté. Et puis j étais très respectueux de mes maîtres. Il m a donc préparé à ce concours mais pour cela, il m a dit «il faut que tu fasses un mémoire sur un organe, un mémoire d anatomie alors tu vas le faire sur le poumon». «Le poumon, ah non monsieur, c est un organe plein de crachats». «Tu as tort parce que l anatomie du poumon n est pas très bien connue. Or elle est très importante à l heure actuelle parce qu il y a la tuberculose». Il y avait énormément de tuberculose à l époque et on n avait pas d antibiotiques. Par conséquent, on demandait aux chirurgiens, quand il y avait encore de petites lésions, de les enlever pour ne pas qu elles diffusent. Il fallait donc bien connaître l anatomie interne du poumon. Et il n existait pas de chose très précise pour les chirurgiens. Il m a dit «Ce ne sera pas très long. 7 mois et une centaine de pages». On a travaillé quatre ans et on a sorti deux livres qui sont encore des références, dont personne ne me parle jamais d ailleurs! J ai donc été agrégé d anatomie et je suis resté à Paris. Comme j avais aussi fait quatre ans de chirurgie, mon patron m a dit «qu est-ce que tu vas choisir comme spécialité?». Je lui dis «Monsieur, je vais faire comme vous, de la chirurgie gynécologique». Ce n était pas très compliqué : les opérations commençaient vers neuf heures et finissaient à midi, ça m allait très bien. «Tu vas faire de la chirurgie pulmonaire mon petit». «Pourquoi?». «Tu connais l anatomie, tu vas faire de la chirurgie pulmonaire». C étaient des opérations qui duraient des heures, c était épouvantable Il m a alors confié à l un de ses amis qui m a pris comme assistant et j ai donc fait de la chirurgie pulmonaire pendant quelques temps. Mais ce patron m a dit «la chirurgie pulmonaire, qui est une chirurgie de la tuberculose, n aura qu un temps, on trouvera un antibiotique contre cette affection. Il faudrait qu on s intéresse à la chirurgie du cœur». C est là qu il m a parlé d un chirurgien américain qui pour la première fois au monde «rentrait» dans les cœurs. Il m a envoyé là-bas, j y suis resté un an. Cela a été un changement radical. D abord, c était en 1954-55, 10 ans après la guerre, la France n était pas parfaitement relevée, l hôpital n était pas encore remis à flot. Toutes les améliorations médico-chirurgicales de cette époque, la pénicilline, la transfusion sanguine, l anesthésie, venaient du travail des américains. J ai découvert là-bas un monde prodigieux et des amis extraordinaires comme Shumway ou Barnard. Finalement, j ai compris que la société ne nous avait pas tellement donné, appris, formé pour qu on passe une existence tout à fait tranquille et paisible : il fallait faire quelque chose aussi. Je suis rentré en France avec l idée de faire le maximum pour faire avancer la chirurgie cardiaque. Surtout que les Américains étaient des gens très gentils mais ils considéraient la France de cette époque, qui avait perdu la guerre dans des conditions déplorables, comme un pays tout à fait de second ordre. On était considéré là-bas un peu comme des arriérés. J étais si profondément humilié que je m étais juré de montrer aux Américains ce que les Français pouvaient faire. Il y avait aussi en France un renouveau avec des gens fantastiques comme Jean Bernard, Jean Hamburger, des jeunes patrons qui avaient compris qu il était nécessaire de remettre la médecine française au premier rang mondial. Mon patron de chirurgie pulmonaire était parti en Suisse parce qu on lui avait offert une situation extraordinaire et c est à la Pitié-Salpêtrière que mon patron d anatomie et de chirurgie, qui avait un grand service, m a accueilli pour faire de la chirurgie cardiaque dans son service alors qu il n y avait rien du tout : des salles de 40 lits, pas de chambres, aucun des moyens que j avais vu aux Etats-Unis. Mais grâce à ce patron formidable, avec du bric et du broc, on a tout monté : il était ainsi allé m acheter des cloisons mobiles au Bazar de l Hôtel de ville pour faire des box. Quand j entends maintenant les gens dirent qu ils n ont pas les moyens de travailler alors que nous, nous n avions rien! C était incroyable et c est comme ça qu on a commencé la chirurgie Interview de Christian CABROL 6/9 Mutuelle SPHERIA Val de France

cardiaque. Après notre première greffe cardiaque en Europe, on a été plus connus, notre travail a été un peu mieux apprécié à l Assistance Publique Finalement, dans les années qui ont suivi, on a eu un service. Vous voyez, tout ça était un hasard, rien n a été programmé. Sauf que mon passage aux Etats-Unis m a fait comprendre qu il y avait autre chose à faire que de passer une petite vie tranquille et paisible. Et on a eu la chance d avoir à l Assistance Publique de jeunes patrons vraiment convaincus qu il fallait un effort très particulier pour remettre la France à flot. Ce qui est le cas maintenant car je ne pense pas que les Français puissent se plaindre de la Médecine française. Bien sûr, on critique l hôpital mais si les gens vont un peu ailleurs, ils verront que chez nous, on a vraiment de la chance d avoir cette médecine-là. J aimerais évoquer plus en détail avec vous l embolie pulmonaire, qui affecte aussi le cœur et qui semble encore en partie méconnue? Le problème des embolies est parfaitement clair et connu. Il existe différentes embolies. Mais ce qu on appelle une embolie pulmonaire est du à la formation d un caillot sanguin dans les veines des membres inférieurs. On observe souvent cela chez les gens qui ont une mauvaise circulation veineuse et qui sont sujets, occasionnellement ou de façon chronique, à des difficultés de drainage veineux des varices parce qu ils sont tout le temps debout. Cela se manifeste aussi de façon aiguë dans les transports aériens où, à l opposé, les gens sont coincés sans pouvoir bouger pendant plusieurs heures : alors un caillot se forme dans leurs veines et migre quand les gens commencent à se lever, à marcher car il y a de nouveau une circulation dans les veines. Il arrive aussi que les gens aient une inflammation de ces veines. C est la phlébite, une inflammation de la paroi de la veine sur laquelle se forme un caillot qui reste fixé, bouche la veine et donne ces fameux gonflements, ces œdèmes qu on voit dans les membres inférieurs. Mais ce ne sont pas ces phlébites qui provoquent des embolies mais plutôt les obstructions passagères d une veine qui n est pas malade. Le caillot se forme et file vers le cœur dès qu il est «débloqué». Il arrive dans la partie droite du cœur, avec le sang veineux, et va par conséquent être dirigé vers les poumons. Il entre ainsi dans les vaisseaux pulmonaires et lorsque sa taille est trop grosse, il les bloque. Parfois c est juste un petit secteur du poumon qui est «bloqué» : c est l infarctus pulmonaire qui se traduit par une douleur plus ou moins importante, une gêne respiratoire et parfois un petit saignement, un crachement de sang. Mais le caillot peut aussi bloquer une grande partie du poumon, voire toute l artère pulmonaire, ce qui crée une menace gravissime et peut bloquer totalement la circulation. Cela nécessite une opération d urgence. Avant, l opération se faisait directement, on ouvrait le thorax Je l ai fait. On donnait un coup de bistouri dans l artère pulmonaire, on enlevait le caillot et on suturait l artère, et cela aussi vite que possible quand on avait la chance d être là évidemment. A l hôpital par exemple où les gens restaient couchés longtemps, ce qui pouvait entraîner la formation de caillots dans leurs veines des jambes et une embolie. A ce moment-là, comme ils étaient en milieu hospitalier, tout était prêt : on saisissait un bistouri, on ouvrait le thorax, on incisait l artère pulmonaire, on enlevait le caillot et on suturait l artère. Quand on avait le temps de le faire, on pouvait sauver des malades. Par la suite, on s est servi de la circulation extracorporelle, comme dans la chirurgie à cœur ouvert, et on avait tout le temps d enlever les caillots Maintenant, nous avons des sondes et des aspirateurs qui permettent d enlever ces caillots. Le problème des embolies dont on connaît les variétés, les gravités et les possibilités thérapeutiques, c est qu elles peuvent, quand les circonstances ne sont pas favorables, déclencher un arrêt cardiaque ou une mort subite. Mais c est de plus en plus rare, notamment parce qu on sait éviter les stagnations du sang dans les veines. A l hôpital, on demande aux malades de faire des mouvements quand ils ne peuvent pas se lever. On fait ça après Interview de Christian CABROL 7/9 Mutuelle SPHERIA Val de France

l accouchement ou après une opération parce qu à ce moment-là, comme il y a eu saignement et modification de la coagulation, il y a plus de possibilités de formation de caillot. Cela arrive aussi en orthopédie. On fait donc très attention. C est donc quelque chose de bien connu, dont on sait prévenir la survenue. Dans les avions, les transports de longue durée on dit aux gens de se lever, de faire des mouvements afin d éviter cette stagnation dans les veines. Mais cela n arrive pas chez tout le monde parce qu il y a des gens qui coagulent plus que d autres. Pourriez-vous nous présenter un peu Adicare, l association dont vous êtes actuellement président et cofondateur Quand après toutes mes années de début en chirurgie cardiaque avec mon maître Gaston Cordier, puis la greffe cardiaque, il y a enfin eu la création d un service de chirurgie cardiaque à la Pitié-Salpêtrière dont on m a confié la direction, j ai eu la chance d avoir des assistants tout à fait remarquables comme le professeur Gandjbakhch et le professeur Pavie et aussi un personnel infirmier extraordinaire. Nous avons alors participé au grand développement de la chirurgie cardiaque, non seulement des greffes mais des corrections des maladies congénitales, des maladies valvulaires, des coronaires, etc. Si bien que le service était extrêmement actif et qu on débordait des limites de nos locaux pour aller dans tous les endroits de l hôpital. A la fin de ma carrière, j ai donc pensé qu il fallait donner à mes collaborateurs qui seraient mes successeurs un instrument digne de leurs compétences et de leur activité. C est pourquoi j ai imaginé créer un grand service de chirurgie cardiaque. Mais avec les amis cardiologues, qui nous envoyaient des malades à opérer, on s est dit «Non, ce n est pas ça qu il faut faire. Il faut au contraire regrouper dans un même bâtiment tous ceux qui soignent les maladies du cœur, c est-à-dire des cardiologues médecins, des réanimateurs et des chirurgiens». Nous avons donc eu l idée de faire l institut du cœur ici, à la Pitié-Salpêtrière. Le directeur de l hôpital a été tout à fait enthousiaste et il m a envoyé au directeur général de l Assistance Publique qui a été tout aussi enthousiaste. Nous avons alors entrepris de faire construire ce centre. Il restait un terrain libre à la Salpêtrière, ça tombait très bien, et Monsieur Bouygues s était offert à nous le construire. Mais il y a eu des manifestations de jalousie et c est finalement l Assistance Publique qui a repris à son compte la création de cet institut de cardiologie. Celui-ci s est vite révélé très efficace et l Assistance Publique a alors compris qu il fallait chez elle généraliser le principe. Elle a donc fait 5 pôles de cardiologie : à Necker pour les enfants et pour les adultes à la Pitié, à Henri Mondor à Créteil, à Pompidou et à Bichat. Pour soigner les maladies cardiaques, nous avons en effet besoin d appareillages très coûteux et d un groupement de compétences... L institut de cardiologie de la Pitié-Salpêtrière nous a demandé quinze ans d efforts mais nous y sommes actuellement. Le résultat a été atteint pour les soins mais il fallait également former des soignants. Tout l aspect formation et enseignement n était pas prévu à l Assistance Publique, qui est une institution de soins. Et Il fallait aussi continuer la recherche. Nous avons alors décidé de créer Adicare, Association pour le Développement des Innovations en Cardiologie, Recherche et Enseignement. A l origine, elle avait été créée pour obtenir l institut de cardiologie mais on l a utilisée après pour créer des laboratoires de recherche et des locaux de formation et d enseignement. Elle a ainsi permis d installer trois laboratoires de recherche. D abord un laboratoire sur la coagulation sanguine, très important car les cardiaques ont souvent des troubles de la coagulation et ont donc souvent des anticoagulants. Deuxièmement, un laboratoire de recherche sur les organes artificiels, le cœur artificiel en particulier et les robots chirurgicaux. Enfin, un laboratoire pour l amélioration du fonctionnement Interview de Christian CABROL 8/9 Mutuelle SPHERIA Val de France

et de l organisation d un hôpital. C est une unité Inserm qui, lorsque nous aurons toutes les données hospitalières informatisées, pourra faire un bilan précis sur la façon dont sont soignés les malades cardiaques qui viennent ici, sur la valeur des traitements, leur efficacité, leur coût Tout ça est essentiel pour pouvoir permettre, malgré les difficultés économiques, les progrès dans la médecine moderne. Pour la partie enseignement, nous avons des locaux qui permettent d accueillir des colloques et en particulier un auditorium d une centaine de places et qui est branché sur nos salles d opération. On peut ainsi suivre les interventions grâce aux caméras fixées sur les lampes opératoires et aussi discuter avec les chirurgiens quand ils ont le temps de commenter ce qu ils font. L auditorium est aussi connecté avec d autres hôpitaux dans le monde entier, permettant des vidéos-conférences ou des échanges entre différents centres qui font la même intervention avec certaines variantes. Cette télémédecine permet une formation des cardiologues, des réanimateurs et des chirurgiens cardiaques efficace, très rapide et peu coûteuse car évitant les déplacements. Certaines tâches d ADICARE découlent aussi de mon engagement pour les greffes : je suis ainsi très sollicité pour défendre l idée du don d organes. Je vais dans les différentes régions de France à l invitation des services de greffe ou des associations pour les dons d organes, les ADOT (Association pour les Dons d Organes et de Tissus), afin de mobiliser le public et de faire comprendre cette nécessité. Il y a aussi beaucoup de gens qui nous appellent, des anciens opérés, des anciens malades qui demandent des renseignements pour leurs famille, leurs proches On est un peu un SOS cœur pour eux, service qu on ne peut développer outre mesure car on n en a pas les moyens. Adicare fait de la prévention? Oui parce que je suis souvent sollicité pour trois choses : les greffes et le don d organes, la prévention des maladies cardiovasculaires et l alimentation. Plus spécialement l alimentation car une alimentation déséquilibrée est l un des facteurs de risques les plus importants de maladie cardiovasculaire. On a d ailleurs créé avec les restaurateurs, les vétérinaires qui s occupent de ces problèmes et la répression des fraudes un comité d Alimentation Santé qui se réunit tous les mois et qui envisage tous les problèmes concernant l alimentation, évidemment sanitaires mais aussi professionnels. C est étonnant de voir qu on parle du chômage alors que nos amis restaurateurs disent qu il n y a plus de jeunes gens qui veulent travailler dans la restauration parce que c est dur. ADICARE 56 boulevard Vincent Auriol 75013 Paris Tél : 01 42 16 42 02 Site internet : «De tout cœur», le dernier livre du professeur Cabrol Dans son dernier livre paru en 2006 aux éditions Odile Jacob, le professeur Christian Cabrol raconte la chirurgie cardiaque, des origines aux dernières avancées, ainsi que la création de l institut du cœur de la Pitié-Salpétrière. Interview de Christian CABROL 9/9 Mutuelle SPHERIA Val de France