Faune de Chausey. I. Faune marine. (suite) Les mysidacés. L Argiope n 37

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Transcription:

Faune de Chausey (suite) I. Faune marine Fameux par sa situation géographique au cœur de la baie du Mont-Saint- Michel, où l ampleur des marées est inégalée en Europe, l archipel de Chausey fut très tôt exploré par les spécialistes de la faune marine et le livre d or fictif de l île compterait en ses pages les noms illustres de H.MILNE-EDWARDS, AUDOUIN, QUATREFAGES, GADEAU DE KERVILLE et tant d autres. Cela explique que la faune intertidale fut longtemps beaucoup mieux connue que la faune terrestre et que nos relevés à basse mer sont toujours accompagnés des citations anciennes de nos prestigieux devanciers. L éparpillement de ces parutions dans des périodiques souvent difficiles à trouver, les changements intervenus dans la nomenclature et la systématique, parfois aussi la découverte de quelque nouvelle espèce, autant de raisons pour publier des inventaires actualisés. Nous avons choisi de présenter dans ce numéro trois groupes d arthropodes peu connus des naturalistes : les mysidacés (crustacés), les tanaïdacés (crustacés) et les pycnogonides. NB. Les taxons marqués d un astérisque (*) sont nouveaux pour l archipel d après notre documentation. Les mysidacés Seuls de rares lecteurs sans doute sont familiarisés avec cet ordre de crustacés. Au mieux, ceux qui fréquentent régulièrement les sorties à basse mer organisées par Manche-Nature se souviendront peut-être de ces menues bestioles qu ils auraient 24 L Argiope n 37

prises pour des crevettes. A leur décharge, les ouvrages de vulgarisation traitant de la faune intertidale ne leur consacrent guère qu une ou deux pages et la ressemblance entre les espèces illustrées décourage l amateur d aller plus avant dans l identification. Et pourtant les mysidacés ne sont pas, loin s en faut, des animaux rares. A la belle saison, pas une marée qui ne donne l occasion de les observer. Ils ont l allure de frêles crevettes translucides pourvues de gros yeux saillants aux reflets d or et nagent volontiers par bancs dans le courant des ruets. Les plus grands ne dépassent pas les 25 mm. Chez certaines espèces, la couleur, sans valeur systématique, peut varier selon les individus et la nourriture absorbée. La similitude avec les crevettes est superficielle. Par leurs 8 paires de pattes thoraciques semblables et biramées, les mysidacés s écartent nettement des décapodes. De même on les sépare aisément des autres ordres de malacostracés, isopodes, amphipodes, cumacés par d autres caractères évidents : les yeux portés par un pédoncule et la carapace couvrant la région antérieure du thorax. On les rapprochait jadis des euphausiacés sous le nom collectif de schizopodes, mais on les considère aujourd hui comme un ordre plus restreint, les mysidacés, dont une seule famille, les Mysidae, est présente dans nos eaux. Ces crustacés ont conservé un type assez primitif de malacostracés : 6 somites céphaliques soudés, 8 thoraciques et 6 abdominaux, chacun portant les appendices habituels, notamment les antennes, les péréiopodes, qui servent à la fois à la nage, à la marche et à la saisie de la nourriture, et les pléopodes dont la 6 ème paire s étale en uropodes formant avec le telson une sorte de queue. Antérieurement la carapace est parfois prolongée en rostre. La plupart des mysidacés nagent lentement près du fond à la recherche de particules en suspension ou de petits organismes. Ils peuvent se reposer sur les algues, les rochers, voire dans des terriers creusés dans le sable ou la vase. Ils sont plus actifs de nuit. La femelle porte ses œufs et, plus tard, ses larves, dans une poche incubatrice qui a valu aux mysidacés le nom vernaculaire anglais d «opossum shrimps», que l on pourrait traduire par «crevettes-kangourous». Dès leur libération, les jeunes sont les parfaites répliques des adultes. Leur croissance est étroitement dépendante de la température de l eau. Ils vivent 1 ou 2 ans. A moins d être un spécialiste confirmé, l identification des espèces est illusoire sur le terrain et, même sous la loupe, elle nécessite la plus grande attention. Il faut disposer de formes adultes et toujours récolter plusieurs individus. L examen de l exopodite antennaire, du telson et des uropodes fournit les meilleurs critères. Une trentaine d espèces peuvent être considérées comme côtières dans les eaux de l Europe du Nord-Ouest où l on en a décrit 150. Six seulement ont été reconnues aux îles Chausey mais une prospection mieux ciblée devrait permettre d en découvrir d autres. L Argiope n 37 25

1. Paramysis arenosa (G.O.Sars, 1877) Cette espèce vit sur les fonds sableux en eau peu profonde. Elle a été récoltée par BERTRAND (1940) à Plate-Ile. Cette citation demandera confirmation dans la mesure où l espèce affine P.nouveli n a été décrite qu en 1953. 2. Paramysis nouveli Labat, 1953 Très proche du précédent, ce mysidacé est également une forme côtière mais il passe pour plus rare que P.arenosa. De passage à Chausey en 1996, le Club Naturaliste Belge l a signalé dans la zone intertidale et je l y ai pour ma part découvert en septembre 2001. 3. Praunus flexuosus (Müller, 1776) Cette grande espèce de coloration variable (la «chameleon shrimp» des Anglais) est aussi l une des plus communes. On la voit nager en position verticale dans les mares et les ruets. Selon les auteurs, elle tolère l eau saumâtre (HAYWARD & RYLAND 1990) et affectionne les herbiers de zostères (CAMPBELL & NICHOLLS 1979) et les eaux fraîches, à moins de 10 (VINCENT & NOËL 2000). GADEAU DE KERVILLE (1894) et BERTRAND (1940) n avaient pas manqué de la signaler et je l ai récoltée plusieurs fois à marée basse : septembre 1993, juin et septembre 1994, août 1996, septembre 2001. 4. Praunus neglectus (G.O.Sars, 1869) Ce myside est très similaire au précédent. Selon HAYWARD & RYLAND (1990), il présente souvent sur le vif une livrée caractéristique d un vert brillant. On le prend lors des marées de vive eau sur les plages des côtes rocheuses, notamment sous le couvert des laminaires (BAZIN 1966). Il fut signalé jadis à Chausey par GADEAU DE KERVILLE en 1894 et nous l y avons retrouvé juste un siècle plus tard en juin et en septembre 1994, et de nouveau en septembre 2001. 5. Siriella armata (H.Milne-Edwards, 1837)* Voilà l une des espèces les plus banales sur les côtes de la Manche. Son long rostre pointé entre les yeux la rend, au sein de ce genre, aisément identifiable. Elle vit en bancs sur les fonds rocheux littoraux (BAZIN 1966). Curieusement, elle n était pas mentionnée à Chausey par nos prédécesseurs. Je l y ai récoltée en juin 1994. 26 L Argiope n 37

6. Siriella norvegica G.O.Sars, 1869 Ce myside septentrional est considéré comme rare dans la zone intertidale. Selon HAYWARD ET RYLAND (1990), il peut atteindre des profondeurs de 200 m. Seul GADEAU DE KERVILLE l a identifié lors de son passage dans l archipel (1894). Les tanaïdacés Les tanaïdacés ont été classés tantôt parmi les amphipodes, tantôt parmi les isopodes pour constituer enfin un ordre distinct. Leur taille se situe entre 1 et 15 mm mais ne dépasse pas le plus souvent 4 ou 5 mm. Leur caractère le plus évident est la présence de pinces (chélipèdes) à la première paire de pattes. Contrairement aux isopodes, leurs yeux sont brièvement pédonculés. Le développement est direct comme chez les isopodes. Le dimorphisme sexuel est plus marqué. Toutes les espèces sont adaptées à la vie fouisseuse. Elles passent facilement inaperçues car elles vivent cachées dans des terriers ou des tubes dans la vase, le sable, sous des pierres ou parmi des algues rouges. Sur les 167 qui peuplent les eaux de l Europe du Nord-Ouest, peu d entre elles habitent la zone intertidale. Trois espèces au moins vivent à Chausey. 1. Apseudes latreillei (H.Milne-Edwards, 1828) Ce petit crustacé de 7 mm au maximum se loge dans diverses cachettes à partir de l étage médiolittoral, crevasses, vase caillouteuse, crampons de laminaires ou racines de zostères. Personnellement, je l ai toujours récolté dans un sable grossier plus ou moins humide et mêlé de gravier. BERTRAND le mentionnait déjà en 1940. Le Club Naturaliste Belge l a récolté en 1996 et je l ai capturé (pour les besoins de la science!) en septembre 2001. 2. Apseudes talpa (Montagu, 1808)* Cette espèce ressemble beaucoup à la précédente : même taille, même couleur blanchâtre, même niche écologique apparente. Mais sous la loupe, on ne saurait la confondre avec sa congénère, grâce à sa tête ou plutôt son céphalothorax terminé en rostre triangulaire, la présence d yeux ou la forme des somites. Je l ai prise dans un substrat grossier au mois de septembre 2001. 3. Heterotanais oerstedti (Kröyer, 1842) C est une minuscule espèce de 2 mm seulement. Elle colonise aussi bien des eaux presque douces que des eaux franchement marines! Elle vit dans des tubes fixés aux algues ou aux pierres de l étage infralittoral et, plus bas, jusqu à 10 m de fond. Seul BERTRAND (1940) a su déceler sa présence à Chausey, parmi les herbiers de zostères. L Argiope n 37 27

Cet article a été publié dans notre revue L Argiope que nous éditons à raison de 3 numéros par an, dont un double. C est un bulletin trimestriel qui publie en priorité le résultat de recherches naturalistes dans le département de la Manche, mais aussi des articles de société (l homme et la nature), le bilan de nos activités diverses, les comptes-rendus de réunion de bureau Pour être au courant de toutes nos publications, avoir L Argiope en main et soutenir l association Manche-Nature dans sa lutte pour la protection de la biodiversité, vous pouvez vous abonner et même adhérer! Voir notre site Internet Manche-Nature.fr à la page Adhésion et abonnement Merci Association d étude et de protection de la nature Agréée au titre de l article L 141-1 du code de l environnement 83, rue Geoffroy-de-Montbray 50200 COUTANCES Tél : 02 33 46 04 92 manche-nature@orange.fr http://manche-nature.fr/